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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
2.5.2006
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE AYDIN TATLAV c. TURQUIE

(Requête no 50692/99)

ARRÊT

STRASBOURG

2 mai 2006

DÉFINITIF

02/08/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Aydın Tatlav c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 avril 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 50692/99) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Erdoğan Aydın Tatlav (« le requérant »), a saisi la Cour le 7 août 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me F. İlkiz, avocat à İstanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent pour le représenter devant la Cour.

3. Le requérant alléguait en particulier une violation de son droit à la liberté d’expression du fait de sa condamnation au pénal.

4. La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

5. Le 15 février 2001, la chambre a déclaré la requête partiellement irrecevable.

6. Les 1er novembre 2001 et 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée d’abord à la troisième section, ensuite à la deuxième section ainsi remaniées (article 52 § 1).

7. Le 6 avril 2004, la Cour a déclaré le restant de la requête recevable.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8. Le requérant est né en 1957 et réside à İstanbul.

9. Journaliste de profession, le requérant est l’auteur d’un ouvrage en cinq volumes intitulé « İslamiyet Gerçeği » (La réalité de l’Islam). La première édition du premier volume portant le titre de « Kur’an ve Din » (le Coran et la Religion) fut publiée en novembre 1992. En octobre 1996, est parue une cinquième édition du volume en question, contenant cent quatre-vingt-seize pages, qui présentait une étude historique et un commentaire critique du Coran, en neuf chapitres ainsi intitulés :

« - L’avènement de la pensée religieuse et son évolution.

- La logique employée dans le Coran afin de prouver l’existence de Dieu.

- Les particularités caractérielles d’Allah définies dans le Coran.

- Le paradis et l’enfer d’après le Coran.

- Le Coran a-t-il été protégé de toute altération ?

- Les particularités du Coran dans son contenu et sa forme.

- L’accession de Mohamed au rang de prophète et son évolution.

- Les légendes prophétiques dans le Coran.

- L’Islam est-elle une religion supra-tribale ? »

10. En quatre ans, 16 500 exemplaires de l’ouvrage furent publiés au total.

11. Suite à la dénonciation faite par un certain N.K. au parquet de Şişli, le requérant fut interrogé au bureau de la presse, par le procureur de la République d’Ankara. Il fit valoir que son livre avait paru en 1992 et qu’aucune de ses quatre premières éditions n’avait donné lieu à des poursuites.

12. Par un acte du 9 juin 1997, le procureur de la République d’Ankara, en vertu de l’article 175 § 3 du code pénal, inculpa le requérant pour avoir « fait une publication destinée à profaner l’une des religions ». De nombreux passages du livre mis en cause furent cités dans l’acte, dont les suivants :

« (...) l’islam est une idéologie qui manque tellement de confiance en elle-même, que ceci se révèle dans la cruauté de ses sanctions. (...) elle (...) conditionne [les enfants] dès leur plus jeune âge, avec des histoires de paradis et d’enfer.

(...)

(...) il n’aura plus besoin d’histoires de Dieu à partir de cet âge-là (...) la politique de l’Islam envers l’enfant aussi, n’est faite que d’une violence barbare (...)

(...)

les religions manifestent leur manque de confiance en elles-mêmes, par leur tendance à réprimer la pensée libre, et en particulier toute analyse et critique à leur égard.

(...)

(...) toutes ces vérités concrétisent le fait que Dieu n’existe pas, que c’est la conscience de l’analphabète qui l’a crée (...) ce Dieu qui se mêle à tout, y compris à la question de savoir combien de coup de bâtons seront infligés à l’adultère, quelle partie du corps du voleur sera amputée, et jusqu’à la frange du pauvre Ebu Leheb (...)

(...)

Avec cette structure psychique typique, pareille à celle de ses prédécesseurs, Mohamed, qui prend ses rêves pour des réalités, se présente avec ces versets absolument insensés, devant les personnes qui lui demandent de prouver sa prophétie (...). Le fondateur de l’Islam, tantôt adopte une attitude tolérante, tantôt ordonne le djihad. De la violence, il fait sa politique fondamentale. Le paradis d’Allah promet aux hommes une véritable vie parasite d’aristocrate (...)

(...) car ils verront que le Coran n’est fait que de commentaires remplis de répétitions lassantes, dépourvus de toute profondeur, plus primitifs que la plupart des livres plus anciens, écrits par des hommes (...) sur le commerce, les relations entre hommes et femmes, l’esclavage, les sanctions (...) ».

13. Devant le tribunal de grande instance, le requérant contesta les accusations portées contre lui. Il maintint que son livre devait se lire comme un traité scientifique sur les religions et les prophètes. Il affirma par ailleurs que dans la préface du livre, il avait opéré une nette distinction entre la croyance des personnes et le fait de diriger un Etat au nom d’une religion, et que ce qu’il critiquait était non pas la croyance mais la politique religieuse.

14. Par un jugement du 19 janvier 1998, la deuxième chambre pénale du tribunal de grande instance d’Ankara condamna le requérant à douze mois d’emprisonnement et à une amende de 840 000 livres turques (TRL). Le tribunal convertit la peine de prison en amende et condamna finalement le requérant à payer une amende « lourde » de 2 640 000 TRL[1]. Sans citer directement le livre litigieux, le tribunal résuma, dans ses attendus, le contenu du livre comme suit :

« (...) dans ses lignes directrices, l’ouvrage maintient qu’Allah n’existerait pas, qu’il aurait été crée pour duper le peuple illettré, que l’Islam serait une religion primitive, qui tromperait la population avec des histoires de paradis et d’enfer, et qui sacraliserait les rapports d’exploitation, l’esclavage inclus (...) ».

15. Le requérant se pourvut en cassation contre le jugement. Dans les motifs de son pourvoi, il mentionna son droit à la liberté d’expression.

16. Par un arrêt définitif du 9 février 1999, la Cour de cassation confirma le jugement rendu en première instance.

17. Le 21 juillet 2004, en vertu de l’article 8 de la loi sur les registres judiciaires, la deuxième chambre du tribunal de grande instance d’Ankara ordonna la levée de la mention de la condamnation du requérant sur son casier judiciaire.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

18. L’article 175 du code pénal, dans ses troisième et quatrième alinéas, disposait, à l’époque des faits :

« Quiconque insulte Allah, l’une des religions, l’un des prophètes, l’une des sectes ou l’un des livres sacrés, ou bien vilipende ou outrage une personne en raison de ses croyances, du fait de sa pratique des obligations religieuses ou de son observation des interdits religieux (...) sera puni d’une peine d’emprisonnement de 6 mois à un an et d’une amende lourde de 5 000 à 25 000 livres turques.

La peine est doublée lorsque l’acte incriminé prévu dans le troisième alinéa du présent article est commis par voie de publication ».

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

19. Le requérant allègue que sa condamnation au pénal a enfreint son droit à la liberté d’expression tel que prévu par l’article 10 de la Convention, ainsi libellé dans ses parties pertinentes :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (...)

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (...), à la défense de l’ordre et à la prévention du crime (...), à la protection de la réputation ou des droits d’autrui (...) ».

20. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. En se référant à l’affaire Otto-Preminger-Institut c. Autriche (arrêt du 20 septembre 1994, série A no 295A, p. 19, § 49), il estime que l’ingérence litigieuse, qui est proportionnelle aux buts légitimes de la protection de la morale et des droits d’autrui, devrait être considérée comme relevant de la marge d’appréciation de l’Etat.

21. La Cour note qu’il ne prête pas à controverse entre les parties que la condamnation litigieuse a constitué une ingérence dans l’exercice par le requérant du droit à la liberté d’expression, protégé par l’article 10 § 1. Il n’est pas davantage contesté que l’ingérence était prévue par la loi et poursuivait des buts légitimes, à savoir la protection de l’ordre public, de la morale et des droits d’autrui, au sens de l’article 10 § 2. La Cour souscrit à cette appréciation. En l’occurrence, le différend porte sur la question de savoir si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».

22. La Cour rappelle les principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence relative à larticle 10, tels qu’elle les a exposés notamment dans les arrêts Handyside c. Royaume-Uni (arrêt du 7 décembre 1976, série A no 24) et Fressoz et Roire c. France ([GC], no 29183/95, § 45, CEDH 1999I) : la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent.

23. Ainsi que le reconnaît le paragraphe 2 de l’article 10, l’exercice de cette liberté comporte toutefois des devoirs et responsabilités. Parmi eux, dans le contexte des croyances religieuses, peut légitimement figurer l’obligation d’éviter des expressions qui sont gratuitement offensantes pour autrui et profanatrices (voir, par exemple, Otto-Preminger-Institut, précité, § 49, et Murphy c. Irlande, no 44179/98, § 67, CEDH 2003IX).

24. En examinant si les restrictions aux droits et libertés garantis par la Convention peuvent passer pour « nécessaires dans une société démocratique », la Cour a maintes fois déclaré que les Etats contractants jouissent d’une marge d’appréciation certaine mais pas illimitée (Wingrove c. Royaume-Uni, arrêt du 25 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions, 1996-V, § 53). L’absence de conception uniforme, dans les pays européens, des exigences afférentes à la protection des droits d’autrui s’agissant des attaques contre des convictions religieuses élargit la marge d’appréciation des Etats contractants lorsqu’ils réglementent la liberté d’expression dans des domaines susceptibles d’offenser des convictions personnelles intimes relevant de la morale ou de la religion (voir OttoPreminger-Institut, précité, § 50, Wingrove, précité, § 58, et Murphy, précité, § 67).

25. Un État peut donc légitimement estimer nécessaire de prendre des mesures visant à réprimer certaines formes de comportement, y compris la communication d’informations et d’idées jugées incompatibles avec le respect de la liberté de pensée, de conscience et de religion d’autrui (voir, dans le contexte de l’article 9, Kokkinakis c. Grèce, arrêt du 25 mai 1993, série A no 260-A, et OttoPreminger-Institut, précité, § 47). Il appartient cependant à la Cour de statuer de manière définitive sur la compatibilité de la restriction avec la Convention et elle le fait en appréciant, dans les circonstances de la cause, notamment, si l’ingérence correspond à un « besoin social impérieux » et si elle est « proportionnée au but légitime visé » (Wingrove, précité, § 53, et Murphy, précité, § 68).

26. La question qui se pose à la Cour implique donc une mise en balance des intérêts contradictoires tenant à l’exercice des deux libertés fondamentales : d’une part, le droit, pour le requérant, de communiquer au public ses idées sur la doctrine religieuse, et, d’autre part, le droit d’autres personnes au respect de leur liberté de pensée, de conscience et de religion (Otto-Preminger-Institut, précité, § 55).

27. Pluralisme, tolérance et esprit d’ouverture caractérisent une « société démocratique » (Handyside, précité, § 49). Ceux qui choisissent d’exercer la liberté de manifester leur religion, qu’ils appartiennent à une majorité ou à une minorité religieuse, ne peuvent raisonnablement s’attendre à le faire à l’abri de toute critique. Ils doivent tolérer et accepter le rejet par autrui de leurs croyances religieuses et même la propagation par autrui de doctrines hostiles à leur foi (Otto-Preminger-Institut, précité, § 47).

28. Quant à la teneur de l’ouvrage, en l’espèce, la Cour observe que les passages cités dans l’arrêt de condamnation contiennent une dose de vive critique. Le requérant avance globalement que l’effet de la religion est de légitimer les injustices sociales en les faisant passer pour « la volonté de Dieu ». Il s’agit là du point de vue critique d’un non-croyant par rapport à la religion sur le terrain socio-politique. Toutefois, la Cour n’observe pas, dans les propos litigieux, un ton insultant visant directement la personne des croyants, ni une attaque injurieuse pour des symboles sacrés, notamment des Musulmans, même si, à la lecture du livre, ceux-là pourront certes se sentir offusqués par ce commentaire quelque peu caustique de leur religion (voir, a contrario, İ.A. c. Turquie, no 42571/98, § 29, CEDH 2005...).

29. La Cour note par ailleurs que l’ouvrage litigieux fut publié pour la première fois en 1992, et qu’aucune poursuite n’a été déclenchée jusqu’en 1996, date de parution de la cinquième édition (voir Öztürk c. Turquie [GC], no 22479/93, §§ 68-71, CEDH 1999VI). Elle constate également que ce fut la dénonciation d’un particulier qui a provoqué la poursuite pénale du parquet (paragraphe 11 ci-dessus).

30. La Cour observe que la peine de prison de douze mois fixée à l’encontre du requérant à été convertie en une amende modique (paragraphe 14 ci-dessus). Toutefois, une condamnation au pénal, de surcroît comportant le risque d’une peine privative de liberté, pourrait avoir un effet propre à dissuader les auteurs et éditeurs de publier des opinions qui ne soient pas conformistes sur la religion et faire obstacle à la sauvegarde du pluralisme indispensable pour l’évolution saine d’une société démocratique.

31. La Cour considère donc que n’a pas été démontrée en l’espèce l’existence, à l’époque de l’édition litigieuse, d’un « besoin social impérieux » qui permît de considérer l’ingérence examinée comme « proportionnée au but légitime poursuivi ».

Dès lors, la Cour conclut à la violation de l’article 10 de la Convention (voir, l’arrêt Giniewski c. France, no 64016/00, § 55, 31 janvier 2006).

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

32. Le requérant se plaint du défaut de notification de l’avis sur le fond du procureur général près la cour de Cassation. Il y voit une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention qui se lit ainsi dans ses parties pertinentes :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

(...)

3. Tout accusé a droit notamment à (...)

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; (...) »

33. Le Gouvernement maintient que le requérant a eu l’opportunité de répondre à l’avis du procureur général lors d’une audience tenue devant la Cour de cassation.

34. Le requérant fait valoir qu’aucune audience ne fut tenue devant ladite Cour, qui a examiné l’affaire sur dossier.

35. Ayant constaté qu’il n’y a pas eu d’audience devant la Cour de cassation, la Cour n’aperçoit aucune raison de s’écarter de la conclusion à laquelle elle parvînt dans l’arrêt Göç c. Turquie (mutatis mutandis, [GC], no 36590/97, §§ 5558, CEDH 2002V).

Elle estime donc qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la non-communication au requérant de l’avis du procureur général.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

36. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

37. Le requérant réclame le remboursement du montant de l’amende qu’il a réglé. Il fait en outre valoir que la sixième édition de l’ouvrage litigieux était en préparation en 1998, mais n’a pu être réalisée à cause de la condamnation. Faisant un calcul sur la base de trois autres éditions qu’il affirme pouvoir raisonnablement espérer, et qui n’ont pu être réalisées du fait de sa condamnation, le requérant réclame en outre 59,4 milliards de livres turques au titre de dommage matériel. Il demande enfin la réparation des dommages moraux qu’il a subis du fait de sa condamnation, mais ne chiffre pas cette demande.

38. Le Gouvernement ne se prononce pas sur ces prétentions.

39. La Cour relève que l’amende infligée au requérant par l’arrêt du 19 janvier 1998 est la conséquence directe de la violation constatée sur le terrain de l’article 10 de la Convention. Il y a donc lieu d’ordonner le remboursement intégral à l’intéressé de la somme acquittée par lui. Quant au restant de la demande au titre du dommage matériel, la Cour constate qu’il s’agit d’une spéculation, et d’une demande dont le chiffrage n’est pas appuyé par des justificatifs.

En ce qui concerne le dommage moral, la Cour estime que l’intéressé peut passer pour avoir éprouvé un certain désarroi de par les circonstances de l’espèce.

Statuant en équité et tenant compte des préjudices matériels et moraux confondus, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 3 000 euros (EUR).

B. Frais et dépens

40. Le requérant réclame, justificatifs à l’appui, 81 000 0000 TRL (50 EUR environ) pour frais de poste et de photocopies dans le cadre de sa requête devant la Cour, ainsi que le remboursement des frais de justice dont il a dû s’acquitter devant les juridictions nationales, à savoir 210 000 TRL (2 EUR environ).

41. Le Gouvernement ne se prononce pas.

42. La Cour estime cette réclamation raisonnable et accorde au requérant la somme de 52 EUR au titre de frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

43. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention ;

3. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros) pour tous dommages matériel et moral confondus, et 52 EUR (cinquantedeux euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir en nouvelles livres turques ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants au taux applicable à la date du règlement seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 mai 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président


[1] 10 euros environ à l’époque des faits ; les montants des amendes n’étant pas ajustés selon le taux d’inflation. Le terme d’ « amende lourde », qui existait jusqu’à l’amendement de novembre 2004, signifiait en droit pénal turc que le condamné risquait une peine de prison s’il ne la payait pas.