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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
2.5.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE DE LUCA c. FRANCE

(Requête no 8112/02)

ARRÊT

STRASBOURG

2 mai 2006

DÉFINITIF

02/08/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire de Luca c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. I. Cabral Barreto, président,
J.-P. Costa,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 avril 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 8112/02) dirigée contre la République française et dont un ressortissant italien, M. Marino de Luca (« le requérant »), a saisi la Cour le 31 octobre 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me M. Abensour-Gibert, avocate à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. Abraham, auquel a succédé dans ses fonctions Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Le 12 septembre 2005, la deuxième section a décidé de communiquer au Gouvernement le grief tiré de l’iniquité de la procédure devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, résultant de l’absence de communication au requérant ou à son conseil, avant l’audience, du rapport du conseiller rapporteur et de la présence de l’avocat général au délibéré. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, la section a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1955 et réside à Gorizia en Italie.

5. Le requérant est intermédiaire en négoce et détient 20 % des parts d’une société italienne, la société Delma.

6. A la suite d’une enquête douanière réalisée à partir du 1er mars 1990 et jusqu’au 11 mars 1991, dixsept procèsverbaux furent dressés par les agents des Douanes pour fausses déclarations à l’importation concernant sept importations (du 7 novembre 1989 au 27 février 1990) de ris de jeunes bovins provenant des Etats-Unis mais déclarés comme provenant de Yougoslavie afin d’éluder la prohibition de ce type de marchandises en provenance des Etats-Unis. Ces importations représentaient une valeur totale de 9 090 213 francs français (FRF) (soit 1 385 703 euros (EUR)).

7. Le 13 août 1992, une information judiciaire fut ouverte.

8. L’enquête confirma que les ris de jeunes bovins avaient été importés par la société Cousin dans des conditionnements laissant penser qu’ils provenaient de Yougoslavie alors qu’en réalité ils provenaient des EtatsUnis.

9. La commercialisation de cette viande en provenance des EtatsUnis avait été suspendue, puis limitée sur le territoire de la communauté européenne en vertu de deux avis ministériels aux importateurs pris les 25 janvier et 21 juin 1989 en exécution de deux décisions de la Commission européenne des 15 décembre 1988 et 29 mai 1989.

10. Par une ordonnance du 5 janvier 1998, le juge d’instruction renvoya le requérant ainsi que ses coprévenus devant le tribunal correctionnel de Paris.

11. Devant le tribunal, le requérant alléguait que les avis aux importateurs étaient fondés sur des décisions communautaires frappées d’illégalité au regard d’un accord international dit « accord SPS » concernant l’application de mesures phytosanitaires. L’accord SPS avait été intégré au traité instituant l’organisation mondiale du commerce (ciaprès OMC) et avait été régularisé dans le cadre des accords du GATT (accord général sur les tarifs douaniers et le commerce). En janvier 1998, l’organe d’appel de l’OMC avait considéré comme contraires aux dispositions de l’accord SPS les deux décisions de la Commission de 1988 et de 1989.

12. En conséquence, le requérant estimait que les avis aux importateurs pris en exécution de décisions communautaires frappées d’illégalité n’étaient pas susceptibles de servir de fondement à une poursuite pénale, et qu’en outre, ils violaient les articles 34 et 37 de la Constitution en ce qu’ils instituaient une prohibition de nature délictuelle alors qu’une telle incrimination ne pouvait, selon lui, résulter que de la loi.

13. Par un jugement du 18 novembre 1998, le tribunal correctionnel de Paris rejeta l’exception d’illégalité soulevée par le requérant, au motif que l’accord SPS n’était pas directement applicable dans les ordres juridiques internes des Etats membres de la communauté européenne et que les avis aux importateurs avaient été pris conformément à des décisions communautaires qui n’avaient été ni rapportées par la Commission européenne ni invalidées par la Cour de justice des communautés européennes. De plus, le tribunal considéra que les chefs d’accusation retenus à l’encontre du requérant, à savoir les fausses déclarations d’origine à l’importation, ne résultaient pas des avis ministériels mais étaient prévus et réprimés par le code des douanes (articles 399, 4262 et 414) et considéra comme établie l’existence d’un circuit frauduleux. Le requérant fut condamné en conséquence à payer une amende fiscale de 7 000 000 FRF (soit 1 067 073,17 EUR), assortie de la contrainte par corps.

14. Par un arrêt du 31 janvier 2000, la cour d’appel de Paris, relevant que l’enquête administrative et l’information avaient établi que les ris importés par la société Cousin étaient originaires des Etats-Unis et non de Yougoslavie, confirma le jugement en toutes ses dispositions en adoptant expressément la motivation des premiers juges.

15. Par un arrêt du 3 mai 2001, la chambre criminelle de la Cour de cassation, rejeta le pourvoi en cassation formé par le requérant qui était représenté par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation (ciaprès, « avocat aux Conseils »).

16. Le requérant indique que son conseil n’a pas eu communication du sens des conclusions de l’avocat général avant l’audience, ni du rapport du conseiller rapporteur.

II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

17. Le droit et la pratique internes pertinents concernant la procédure devant la chambre criminelle de la Cour de cassation sont décrits dans les arrêts Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France du 31 mars 1998 (Recueil des arrêts et décisions, 1998II, pp. 665666, §§ 104107), Voisine c. France (no 27362/95, §§ 2634, 8 février 2000), Meftah et autres c. France ([GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, § 49, 26 juillet 2002, CEDH 2002-VII, §§ 47-52) et Slimane-Kaïd c. France (no 2) (no 48943/99, §§ 17 et s., 27 novembre 2003).

18. Les dispositions pertinentes du code des douanes, en vigueur à l’époque des faits sont les suivantes :

Article 399

« 1. Ceux qui ont participé comme intéressés d’une manière quelconque à un délit de contrebande ou à un délit d’importation ou d’exportation sans déclaration sont passibles des mêmes peines que les auteurs de l’infraction et, en outre, des peines privatives de droits édictées par l’article 432 ci-après.


2. Sont réputés intéressés :

a) les entrepreneurs, membres d’entreprise, assureurs, assurés, bailleurs de fonds, propriétaires de marchandises, et, en général, ceux qui ont un intérêt direct à la fraude ;

b) ceux qui ont coopéré d’une manière quelconque à un ensemble d’actes accomplis par un certain nombre d’individus agissant de concert, d’après un plan de fraude arrêté pour assurer le résultat poursuivi en commun ;

c) ceux qui ont, sciemment, soit couvert les agissements des fraudeurs ou tenté de leur procurer l’impunité, soit acheté ou détenu, même en dehors du rayon, des marchandises provenant d’un délit de contrebande ou d’importation sans déclaration.

3. L’intérêt à la fraude ne peut être imputé à celui qui a agi en état de nécessité ou par suite d’erreur invincible. »

Article 414

« Sont passibles d’un emprisonnement maximum de trois ans, de la confiscation de l’objet de fraude, de la confiscation des moyens de transport, de la confiscation des objets servant à masquer la fraude et d’une amende comprise entre une et deux fois la valeur de l’objet de fraude, tout fait de contrebande ainsi que tout fait d’importation ou d’exportation sans déclaration lorsque ces infractions se rapportent à des marchandises de la catégorie de celles qui sont prohibées ou fortement taxées au sens du présent code.

La peine d’emprisonnement est portée à une durée maximale de dix ans et l’amende peut aller jusqu’à cinq fois la valeur de l’objet de la fraude soit lorsque les faits de contrebande, d’importation ou d’exportation portent sur des marchandises dangereuses pour la santé, la moralité ou la sécurité publiques, dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé des douanes, soit lorsqu’ils sont commis en bande organisée. »

Article 426

« Sont réputés importation ou exportation sans déclaration de marchandises prohibées : (...)

2º) toute fausse déclaration ayant pour but ou pour effet d’éluder l’application des mesures de prohibition. Cependant, les marchandises prohibées à l’entrée ou à la sortie qui ont été déclarées sous une dénomination faisant ressortir la prohibition qui les frappe ne sont point saisies : celles destinées à l’importation sont envoyées à l’étranger ; celles dont la sortie est demandée restent en France (...) »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

19. Le requérant affirme ne pas avoir été jugé « dans un délai raisonnable » et tient pour inéquitable la procédure devant la Cour de cassation. D’une part, il soutient que devant la chambre criminelle de la Cour de cassation ni luimême ni son conseil n’auraient reçu communication, avant l’audience, du rapport du conseiller rapporteur alors que ce document aurait été fourni à l’avocat général, ni des conclusions de l’avocat général. D’autre part, il se plaint du fait que l’avocat général a assisté au délibéré. Enfin, il estime qu’il y a eu violation du principe du contradictoire, au motif qu’il n’aurait pas été mis en mesure de prendre connaissance de l’intégralité des pièces en possession de l’administration des douanes. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation pénale dirigée contre elle (...) »

A. Sur le grief tiré du nonrespect du délai raisonnable

20. La Cour constate que la période à considérer a débuté le 13 août 1992 et s’est terminée le 3 mai 2001. La procédure a donc duré huit ans et plus de huit mois pour trois degrés de juridiction.

Sur la recevabilité

21. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. Elle rappelle que tout grief tiré de la durée d’une procédure judiciaire, introduit devant elle après le 20 septembre 1999, sans avoir préalablement été soumis aux juridictions internes dans le cadre d’un recours fondé sur l’article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire, est en principe irrecevable, quel que soit l’état de la procédure au plan interne (Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, CEDH 2002-VIII). Or, en l’espèce, le requérant ne justifie pas avoir exercé ce recours préalablement à la saisine de la Cour.

22. Il s’ensuit que cette branche du grief du requérant, tiré de la durée déraisonnable de la procédure, doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

B. Sur les griefs tirés de l’iniquité de la procédure devant la Cour de cassation

1. Sur la recevabilité

a) Sur l’absence de communication des conclusions de l’avocat général au requérant

23. La Cour rappelle que, dans l’arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd (arrêt du 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998II, § 106), elle a relevé que, devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, lorsque les parties sont représentées par un avocat aux Conseils, l’avocat général informe celui-ci avant le jour de l’audience du sens de ses propres conclusions, de sorte que lorsque, à la demande dudit avocat, l’affaire est plaidée, ce dernier a la possibilité de répliquer aux conclusions oralement ou par une note en délibéré. Elle a estimé que cette pratique était « de nature à offrir [aux parties] la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes » (ibidem) et a, par la suite, conclu au défaut manifeste de fondement des griefs de cette nature (voir, par exemple, Mac Gee c. France (déc.), no 46802/99, 10 juillet 2001 ; Pascolini c. France (déc.), no 45019/98, 25 avril 2002).

24. En l’espèce, la Cour relève que le requérant était représenté par un avocat aux Conseils à l’audience publique de la Cour de cassation et que ce dernier y a présenté des observations. L’avocat avait donc toute latitude pour répondre aux conclusions de l’avocat général ou déposer une note en délibéré s’il l’estimait nécessaire.

25. Cette partie de la requête est donc manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

b) Sur le respect du principe du contradictoire

26. Le requérant allègue qu’il n’aurait pas été mis en mesure de prendre connaissance de l’intégralité des pièces en possession de l’administration des douanes. La Cour observe toutefois que ce grief n’a pas été soulevé expressément, ni même en substance devant les juridictions internes.

27. Dès lors, il y a lieu de rejeter ce grief pour non épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

c) Sur les autres griefs

28. La Cour estime, en revanche, que les autres griefs tirés de l’absence de communication au requérant ou à son conseil, avant l’audience, du rapport du conseiller rapporteur et de la participation de l’avocat général au délibéré, ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que ceux-ci ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

2. Sur le fond

29. Le Gouvernement souligne qu’à la suite des arrêts Reinhardt et Slimane Kaïd, Voisine et Meftah (précités), les modalités d’instruction et de jugement des affaires ont été modifiées. Ainsi, désormais, la partie du rapport du conseiller rapporteur fixant la problématique juridique de l’affaire est communiquée avec le dossier au ministère public comme aux parties. En revanche, l’avis du rapporteur sur la décision à adopter et les projets d’arrêts qu’il propose au délibéré de la Cour de cassation ne sont communiqués ni aux avocats généraux, ni aux parties.

30. Le Gouvernement indique que ces mesures ont été appliquées à la matière criminelle depuis 2002. Lorsque le rapport ou la fiche d’orientation établis par le conseiller rapporteur sont déposés au greffe criminel, ce dernier édite automatiquement un avis afin d’informer les avocats aux Conseils des parties de la date de ce dépôt ou la fiche d’orientation dans les locaux du greffe. Les avocats aux Conseils, au même titre que l’avocat général, sont ainsi en mesure de prendre connaissance du rapport du conseiller rapporteur qui figure au dossier.

31. Toutefois, le Gouvernement précise que ces mesures n’étaient pas en vigueur lors de l’examen du pourvoi en cassation du requérant et déclare en conséquence s’en remettre à la sagesse de la Cour pour apprécier le bienfondé du grief.

32. S’agissant de la participation de l’avocat général au délibéré, le Gouvernement indique que les audiences ont été réorganisées afin de comprendre une partie publique où sont développés dans chacune des affaires, les rapports des membres de la Cour et les avis et réquisitions des avocats généraux, puis une partie non publique au cours de laquelle la Cour délibère. Par conséquent, l’avocat général n’assiste plus au délibéré. Le Gouvernement précise que ces dispositions ont permis de mettre fin au déséquilibre que la Cour avait relevé dans la procédure d’instruction et de jugement suivie devant la Cour de cassation. Toutefois, il souligne que ces mesures sont appliquées depuis le 1er octobre 2001, soit postérieurement aux faits de la présente affaire, et déclare en conséquence s’en remettre à la sagesse de la Cour pour apprécier le bien-fondé du grief.

33. Le requérant estime que le fait que l’avocat général a eu connaissance du rapport du conseiller rapporteur, contrairement à son avocat, constitue une rupture de l’égalité des armes, laquelle aurait, selon lui, contribué au rejet de son pourvoi en cassation. Il considère également que la participation de l’avocat général au délibéré est un facteur aggravant de l’iniquité de la procédure devant la Cour de cassation et se plaint du fait que la France ne respecte pas la jurisprudence de la Cour à cet égard.

34. La Cour rappelle qu’elle a déjà jugé à maintes reprises que ni l’absence de communication au requérant ou à son conseil, avant l’audience, du rapport du conseiller rapporteur, alors que ce document avait été fourni à l’avocat général (cf. Reinhardt et Slimane-Kaïd précité, pp. 665666, § 105 ; Chesnay c. France, no 56588/00, §§ 21-23, 12 octobre 2004), ni la présence de l’avocat général au délibéré de la Cour de cassation (cf. Fontaine et Bertin c. France, nos 38410/97 et 40373/98, §§ 66-67, 8 juillet 2003 ; voir également Slimane-Kaïd c. France (no 2) no 48943/99, § 20, 27 novembre 2003 ; Quesne c. France, no 65110/01, §§ 14-16, 1er avril 2004) ne s’accordaient avec les exigences du procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

35. Relevant que le Gouvernement admet que la procédure s’est déroulée ainsi en l’espèce, et s’en remet à sa sagesse, la Cour ne distingue aucune raison de s’écarter de sa jurisprudence susmentionnée.

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 précité.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 § 1 DE LA CONVENTION

Sur la recevabilité

36. Le requérant se plaint d’avoir été condamné sur la base de dispositions communautaires qui, selon l’OMC, violent manifestement des accords internationaux. Il allègue la violation de l’article 7 § 1 de la Convention, qui se lit ainsi :

« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. »

37. Le requérant expose que les avis ministériels aux importateurs et exportateurs des 25 janvier et 2 juin 1989, pris en exécution de deux décisions de la commission européenne des 15 décembre 1988 et 29 mai 1989, sont entachés d’illégalité dans la mesure où ils auraient été édictés sur le fondement de décisions communautaires non conformes à un accord international, « l’accord SPS », lequel a été intégré au traité fondateur de l’OMC. Selon le requérant, les traités et accords internationaux ayant une valeur supra législative en vertu de l’article 55 de la Constitution française, il en résulte que les avis litigieux se sont fondés sur des textes contredisant un accord international. Par conséquent, il considère que les poursuites engagées par l’administration des douanes à son encontre étaient dépourvues de fondement, que les faits pour lesquels il était poursuivi ne constituaient pas une infraction selon le droit international, et dès lors, que sa condamnation a été prononcée en contradiction avec l’article 7 de la Convention.

38. La Cour rappelle que l’article 7 § 1 de la Convention ne se borne pas à prohiber l’application rétroactive du droit pénal au désavantage de l’accusé ; il consacre aussi, de manière plus générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) (voir S.W. c. Royaume-Uni, arrêt du 22 novembre 1995, série A no 335B).

39. En l’espèce, la Cour relève que, ainsi que l’ont constaté les juridictions internes, le requérant a été condamné, non pas sur le fondement des avis ministériels pris en exécution de décisions communautaires, mais sur le fondement de dispositions prévues dans le code des douanes, lesquelles définissent l’infraction (articles 4262 et 399 du code précité) et la peine (prévue à l’article 414 du même code) se rapportant aux faits de l’espèce, à savoir, la contrebande de marchandises prohibées et en particulier le délit de fausse déclaration d’origine à l’importation. Ainsi, la Cour constate que les poursuites dont a fait l’objet le requérant et ayant abouti à sa condamnation étaient prévues par le droit interne et remplissaient les conditions de prévisibilité et d’accessibilité requises par la jurisprudence de la Cour.

40. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

41. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

42. Le requérant a indiqué qu’aucun montant alloué au titre d’une demande de satisfaction équitable ne pourrait mettre un terme aux conséquences dommageables qu’il a subies, et que seul le réexamen de son pourvoi en cassation constituerait une réparation adéquate.

43. Le Gouvernement indique qu’il ne relève pas de la compétence du Gouvernement d’accorder au requérant un réexamen de son pourvoi en cassation, et qu’il appartient au requérant de présenter luimême une demande en ce sens à la commission de réexamen prévue à l’article 6263 du code de procédure pénale, qui jugera si par sa nature et sa gravité, la violation constatée de la Convention entraîne pour le condamné
des conséquences dommageables auxquelles la « satisfaction équitable » allouée sur le fondement de l’article 41 de la Convention ne pourrait mettre un terme.

44. La Cour rappelle que le constat de violation de la Convention auquel elle parvient résulte exclusivement d’une méconnaissance de l’article 6 § 1 de la Convention devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, en raison de l’absence de communication au requérant du rapport du conseiller rapporteur et de la participation de l’avocat général au délibéré. A cet égard, la Cour rappelle qu’elle ne saurait spéculer sur un déroulement de la procédure devant la Cour de cassation conforme aux attentes du requérant (voir mutatis mutandis, Fabre c. France, no 69225/01, § 36, 2 novembre 2004). Elle constate que dans la mesure où un recours devant la commission de réexamen des pourvois est ouvert en droit interne, par l’article 6263 du code de procédure pénale, il appartient au requérant de décider s’il y a lieu d’exercer cette voie de recours.

45. Quant au préjudice moral, la Cour se réfère à sa jurisprudence constante dans des affaires analogues et estime que le constat de violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante (voir Reinhardt et Slimane-Kaïd précité, dans son dispositif au point 3, p. 668).

B. Frais et dépens

46. Concernant les frais et dépens encourus devant les juridictions internes, le requérant indique s’en remettre à la sagesse de la Cour. La Cour relève qu’il a produit des notes d’honoraires, à un stade antérieur de la procédure, établies par son avocate ainsi que par son avocat aux Conseils, pour un montant total de 102 856 francs français (FRF) (soit 15 679,26 euros (EUR)). Au titre des frais et dépens encourus devant la Cour, il demande 4 558,23 EUR, et fournit une note d’honoraires de son représentant devant la Cour.

47. Le Gouvernement constate que le requérant s’en remet à la sagesse de la Cour pour ce qui concerne les frais et dépens encourus au titre de la procédure devant les juridictions internes. S’agissant des frais relatifs à la procédure devant la Cour, il estime que, bien que le requérant soit fondé à solliciter le remboursement des frais qu’il a engagés devant la Cour, le montant réclamé est manifestement excessif, notamment au regard des sommes habituellement engagées pour une procédure de ce type devant la Cour. Il propose de lui allouer une somme de 1 000 EUR à ce titre.

48. Quant aux frais du requérant devant les juridictions internes, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de les rembourser, ceuxci n’ayant pas été exposés pour remédier à la violation constatée (voir, par exemple, Lilly France c. France, no 53892/00, § 33, 14 octobre 2003). S’agissant des frais relatifs au recours porté devant elle, la Cour estime excessif le montant réclamé. Elle juge raisonnable d’allouer 1 000 EUR au requérant au titre des frais et dépens relatifs à la présente procédure.

C. Intérêts moratoires

49. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’absence de communication au requérant ou à son conseil, avant l’audience, du rapport du conseiller rapporteur et de la participation de l’avocat général au délibéré de la Cour de cassation, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit que le constat de violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

4. Dit :a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 mai 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé I. Cabral Barreto
Greffière Président