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CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 66290/01
présentée par Alexandre Petrov TOMOV
contre la Bulgarie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (cinquième section), siégeant le 15 mai 2006 en une chambre composée de :
M. P. Lorenzen, président,
Mme S. Botoucharova,
MM. K. Jungwiert,
V. Butkevych,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
MM. R. Maruste,
J. Borrego Borrego, juges,
et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 10 mars 2000,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Alexandre Petrov Tomov, est un ressortissant bulgare, né en 1962 et résidant à Sofia. Il est représenté devant la Cour par Me Y. Vakrilov, avocat à Sofia.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le 10 mars 1989, un terrain construit appartenant au requérant et à trois autres personnes et situé à Sofia fut exproprié par un arrêté du président du Conseil municipal. Le requérant ne fut toutefois pas privé de la possession du bien en question.
Par un arrêté du 24 juillet 1989, il fut prévu qu’un appartement serait attribué au requérant en échange de sa part du bien exproprié. Par une décision du président du Conseil municipal en date du 30 janvier 1990, il fut précisé que l’appartement en question serait d’une superficie d’environ 85 mètres carrés et ferait partie dans un immeuble à construire sur le terrain exproprié.
La construction de l’immeuble n’ayant pas commencé dans les délais initialement prévus, le 18 février 1994 le requérant demanda au maire de Sofia l’attribution d’un autre appartement de superficie et de valeur similaires, en application de l’article 103 alinéa 5 de la loi sur l’aménagement territorial et urbain (Закон за териториално и селищно устройство).
A une date non précisée, le requérant introduisit un recours en annulation de la décision implicite de rejet du maire. Par un jugement du 29 décembre 1995, le tribunal de la ville de Sofia rejeta ses prétentions, ayant constaté que le projet pour lequel le terrain avait été exproprié avait été abandonné et que le requérant pouvait dès lors demander uniquement l’annulation de l’expropriation, en application de l’article 102 alinéa 10 de la loi sur la propriété. Les trois autres copropriétaires du bien exproprié avaient d’ailleurs fait usage de cette possibilité et avaient obtenu l’annulation des arrêtés respectifs le 14 avril 1993.
Le requérant forma un pourvoi en révision (cassation) (молба за преглед по реда на надзора). Par un arrêt du 13 février 1997, la Cour administrative suprême annula le jugement attaqué, ayant constaté qu’il n’était pas établi que le projet avait été abandonné. En effet, les parties avaient produit deux lettres contradictoires émanant de la commune. La première lettre informait le requérant de l’abandon du projet. La deuxième lettre énonçait que le projet ne serait pas mis en exécution dans les années à venir sans toutefois mentionner le fait qu’il était abandonné.
L’affaire fut renvoyée à une autre formation du tribunal de la ville de Sofia. Par un jugement du 4 mars 1998, le tribunal rejeta les prétentions du requérant. La juridiction constata qu’à la demande des autres copropriétaires, l’expropriation de leurs parts respectives du terrain avait été annulée et que le projet pour lequel l’expropriation avait été ordonnée ne figurait plus au programme d’investissements de la commune en raison de certaines difficultés liées à la restitution des terrains adjacents et à la nécessité de modifier le plan d’urbanisme qui en découlait, ainsi qu’à l’absence de ressources et d’effectifs techniques. Il s’ensuivait que le requérant ne pouvait demander que l’annulation de l’expropriation et la restitution du terrain.
En dernière instance, le jugement fut confirmé par un arrêt de la Cour administrative suprême en date du 12 février 1999. La Haute juridiction estima que l’abandon du projet était sans incidence sur l’issue du litige car, en tout état de cause, la disposition pertinente de la loi sur l’aménagement territorial et urbain prévoyait une possibilité et non pas une obligation pour la commune d’attribuer un nouveau bien en échange du terrain exproprié. Par ailleurs, le requérant n’avait pas demandé à l’autorité administrative l’annulation de l’expropriation comme il en avait la possibilité.
A une date non précisée, le requérant forma un recours en réouverture de la procédure (молба за отмяна), estimant que les jugements de la Cour administrative suprême des 13 février 1997 et 12 février 1999 étaient contradictoires. Le 14 septembre 1999, son recours fut rejeté par la Cour administrative suprême, en formation de cinq juges, au motif que l’annulation était possible uniquement dans les cas où les jugements en question étaient définitifs. Or, dans le cas d’espèce, le jugement du 13 février 1997 n’était pas passé en force de chose jugée.
Le requérant précise qu’il n’a jamais demandé l’annulation de l’expropriation.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
1. La loi sur l’aménagement territorial et urbain (LATU)
L’article 103 alinéa 5 LATU, abrogé en 1998, prévoyait au profit des anciens propriétaires de bien expropriés qui n’avaient pas encore été indemnisés la possibilité de demander de se voir indemniser par l’attribution d’un bien plus petit ou d’un bien situé ailleurs que le bien initialement prévu à cette fin, ou encore par une indemnité pécuniaire.
2. La loi sur la propriété
L’article 102 de la loi disposait dans ses parties pertinentes que dans les cas où le projet pour lequel l’expropriation avait été effectuée a été abandonné et le propriétaire n’avait pas encore été indemnisé, l’expropriation pouvait être annulée à la demande de l’ancien propriétaire du bien exproprié.
Cette possibilité ne trouvait pas à s’appliquer lorsque le bien exproprié avait été démoli, entièrement ou en partie. Dans ce cas, l’ancien propriétaire pouvait demander la réévaluation du prix du bien.
Cette partie de la loi fut abrogée en 1996. Des dispositions similaires furent alors insérées dans la loi relative aux biens de l’Etat (article 39 alinéa 3 et l’article 40) et dans celle relative aux biens des communes (article 29 alinéa 3 et article 30).
GRIEF
Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, le requérant se plaint de ce qu’il n’a pas été indemnisé pour l’expropriation ayant eu lieu en 1989.
EN DROIT
Le requérant allègue la violation de son droit au respect de ses biens au motif qu’il n’a pas été indemnisé pour l’expropriation de sa part du terrain exproprié. Il invoque l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
Le requérant fait valoir que l’appartement qu’il devait recevoir en échange du bien exproprié n’a jamais été construit. Par ailleurs, son recours en application de l’article 103 alinéa 5 LATU, visant l’attribution d’un autre appartement, n’a pas abouti. Enfin, la maison expropriée qu’il occupe en l’absence d’autre logement est en mauvais état.
La Cour n’estime pas nécessaire de se pencher sur la question de savoir si le requérant a dûment épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, le grief étant, en tout état de cause, irrecevable pour les raisons exposés ci-dessous.
La Cour relève derechef que, même si le requérant n’a jamais perdu la possession du bien, en 1990 il s’est vu reconnaître le droit de recevoir un appartement en échange de sa part du terrain. Or, malgré ses démarches auprès de différentes autorités internes, dont une partie ont eu lieu après le 7 septembre 1992, date de l’entrée en vigueur de la Convention pour la Bulgarie, il n’a pas été indemnisé.
Certes, l’expropriation a été ordonnée en 1989, elle ne relève donc pas de la compétence temporelle de la Cour (Blečić c. Croatie [GC], n° 59532/00, §§ 67 et 77-81, CEDH 2006‑…). Force est toutefois de constater que depuis lors le requérant n’est plus propriétaire du bien et qu’il n’a pas obtenu l’appartement qui lui était destiné. La Cour en conclut qu’elle est en présence d’une situation continue qui s’analyse sans conteste en une ingérence dans le droit de l’intéressé au respect de ses biens.
Reste à savoir si cette situation a enfreint l’article 1 du Protocole no 1.
L’article 1 du Protocole no 1 contient trois normes distinctes : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux Etats le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général. Il ne s’agit pas pour autant de règles dépourvues de rapport entre elles. La deuxième et la troisième ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété ; dès lors, elles doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir, parmi d’autres, James et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1986, série A no 98, § 37, qui réitère en partie les principes énoncés par la Cour dans l’affaire Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, § 61).
Eu égard aux spécificités de l’espèce, la Cour estime qu’il convient d’examiner le grief à la lumière de la norme générale (voir, mutatis mutandis, Kirilova et autres c. Bulgarie, nos 42908/98, 44038/98, 44816/98 et 7319/02, § 105, 9 juin 2005).
Il convient donc de rechercher, aux fins de cette disposition, si les autorités ont respecté le juste équilibre qui doit être ménagé entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu concerné, et si la charge supportée par le requérant n’a pas été excessive (voir, l’affaire Sporrong et Lönnroth précitée, § 73).
La Cour observe qu’il ressort des éléments du dossier que l’immeuble dans lequel devait se trouver l’appartement destiné au requérant n’a pas été construit au vu des difficultés liées à la restitution de certains terrains adjacents et à la nécessité de modifier le plan d’urbanisme qui en découlait, à l’absence de ressources et d’effectifs techniques. On peut dès lors considérer que l’ingérence en cause est le résultat de l’interférence de plusieurs facteurs objectifs et de la nécessité légitime d’assurer une meilleure allocation des ressources et des effectifs disponibles dans une période de réformes du système politique et économique du pays (voir l’arrêt Kirilova et autres précité, § 107).
La Cour note qu’environ treize ans et demi après l’entrée en vigueur de la Convention pour la Bulgarie, le requérant n’a pas encore été indemnisé et, qui plus est, au vu de l’abandon du projet pour lequel le terrain avait été exproprie, il est certain de ne pas obtenir l’appartement qui lui avait été destiné.
Toutefois, la Cour ne perd pas de vue le fait que l’intéressé pouvait obtenir l’annulation de l’expropriation, en application de l’article 102 de la loi sur la propriété et redevenir ainsi propriétaire du terrain, ce qu’il n’a pas jugé opportun de faire. La présente affaire diffère donc des affaires Kirilova et autres précitées, dans lesquelles la Cour a constaté que cette possibilité ne s’offrait pas aux requérants, leurs biens expropriés ayant été dores et déjà démolis.
Certes, en l’absence d’informations concrètes quant au sort du projet pour lequel le terrain avait été exproprié, le requérant pouvait avoir des doutes quant à la possibilité d’obtenir l’annulation de l’expropriation. Cependant, ses doutes à cet égard devaient être dissipés après ce que ses copropriétaires ont obtenu l’annulation de l’expropriation de leurs parts respectives en avril 1993, soit environ sept mois seulement après l’entrée en vigueur de la Convention pour la Bulgarie, le 7 septembre 1992.
En effet, il est possible qu’au vu du mauvais état du bien exproprié le requérant ait préféré recevoir un dédommagement sous la forme d’un bien immobilier au lieu de solliciter l’annulation de l’expropriation. La Cour considère néanmoins que la question qu’elle est appelée à trancher en l’espèce est celle de savoir si le juste équilibre devant régner entre, d’une part, les exigences de l’intérêt général et, d’autre part, la sauvegarde du droit au respect des biens du requérant a été respecté.
Elle note sur ce point qu’ayant rendu possibles, et ceci en avril 1993 au plus tard, l’annulation de l’expropriation et la restitution de la situation d’avant 1989, les autorités internes ont réussi à minimiser les effets négatifs résultant des facteurs objectifs mentionnés ci-dessus. L’intéressé n’a au demeurant pas fait usage de cette possibilité et a ainsi contribué à la durée de la période d’incertitude dont il se plaint devant la Cour.
Par ailleurs, la Cour attache de l’importance au fait que même si le requérant ne pouvait vendre ou modifier le bien pendant la période en cause, il n’a pas été expulsé du terrain et n’a donc pas été privé de la possibilité d’en faire usage.
En conclusion, à la lumière de l’ensemble des éléments de la cause, la Cour estime que le requérant n’a pas eu à supporter une charge spéciale et exorbitante, incompatible avec les exigences de l’article 1 du Protocole no 1. Le grief doit donc être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président