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TROISIÈME SECTION

AFFAIRE YILTAŞ YILDIZ TURİSTİK TESİSLER A.Ş.[1]
c. TURQUIE

(Requête no 30502/96)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

Cette version a été rectifiée conformément à l'article 81
du règlement de la Cour le 12 décembre 2006.

STRASBOURG

27 avril 2006

DÉFINITIF

23/10/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Yıltaş Yıldız Turistik Tesisler A.Ş.[2] c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
C. Bîrsan,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
MM. V. Zagrebelsky, juges,
F. Gölcüklü, juge ad hoc,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 mars 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 30502/96) dirigée contre la République de Turquie et dont une société anonyme de droit turc, Yıltaş Yıldız Turistik Tesisler A.Ş.1 la requérante »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 27 décembre 1995 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Par un arrêt du 24 avril 2003 (« l'arrêt au principal »), la Cour a jugé qu'il y avait eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 au motif que l'indemnité d'expropriation fixée par les juridictions internes n'était pas raisonnablement en rapport avec la valeur de la propriété de la requérante (ibidem, § 38).

3. En s'appuyant sur l'article 41 de la Convention, la requérante réclamait certaines sommes pour les préjudices subis ainsi que pour frais et dépens.

4. La question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l'a réservée et a invité le Gouvernement et la requérante à lui soumettre par écrit, dans les six mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, p. 7, et point 2 du dispositif).

5. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations dans les délais prolongés qui leur ont été impartis. Aucune base n'a été trouvée qui eût permis d'aboutir à un règlement amiable.

6. Le 1er juillet 2004, la Cour a estimé opportun, au vu des observations des parties sur la question de la satisfaction équitable, d'effectuer une expertise. Elle a décidé que la tâche de l'expert consisterait à déterminer la valeur actuelle du terrain et la valeur de celui-ci au moment de son expropriation.

7. Par un courrier du 12 juillet 2004, la Cour a communiqué cette décision aux parties et a invité celles-ci à lui fournir le nom d'un expert choisi d'un commun accord. Par ailleurs, elle a précisé que les frais et honoraires d'expertise incomberaient au gouvernement défendeur (article 38 de la Convention).

8. Un accord n'ayant pu intervenir, par des lettres des 26 août et 23 septembre 2004, la requérante et le Gouvernement respectivement ont fourni une liste de noms d'experts. Aucun nom n'étant commun aux deux parties, la Cour a décidé de nommer deux experts, l'un figurant sur la liste de la requérante, l'autre, une architecte, sur celle du Gouvernement.

9. Le 1er avril 2005, sur instruction de la Cour, le greffe a adressé un mandat aux experts et en a informé les parties. A la suite de l'indisponibilité de l'un des experts (celui figurant sur la liste du Gouvernement), le 13 avril 2005 un autre expert fut mandaté par la Cour.

Le texte du mandat envoyé à M. Kubilay Önal, architecte, et Mme Rahşan Cebe, du cabinet d'expertise P&D, se lit ainsi :

« (...) J'ai l'honneur de vous informer que la Cour européenne des Droits de l'Homme a décidé de vous donner mandat de procéder à l'expertise de la valeur d'un terrain ayant appartenu à la société Yıltaş Yıldız Turistik Tesisleri A.Ş.

Cette société est une entreprise de construction dont le siège social est sis à Istanbul. Elle a introduit une requête devant la Cour pour faire valoir une atteinte au droit au respect de ses biens dans la mesure où le montant du complément d'indemnité d'expropriation fixé par le tribunal de grande instance ne correspondait pas à la valeur réelle de son terrain exproprié.

Le 24 avril 2003, la chambre a rendu un arrêt concluant à la violation de l'article 1 du Protocole no 1. Elle a réservé en entier la question de l'application de l'article 41 de la Convention, estimant que celle-ci ne se trouvait pas en état.

Au vu de leurs observations ultérieures sur la question de la satisfaction équitable, les parties ont été invitées à nommer, d'un commun accord, un expert qui procédera à l'évaluation du terrain litigieux au moment de l'expropriation et à l'évaluation de celui-ci à l'heure actuelle. Un tel accord n'ayant pu intervenir, les parties ont chacune fourni une liste de noms et qualités d'experts. (...)

Conformément à la décision de la chambre, votre tâche consisterait à déterminer :

la valeur du terrain en question au moment de l'expropriation, et

sa valeur à l'heure actuelle. (...)

J'attire votre attention sur le fait que la charge finale des frais d'expertise et de vos honoraires pèsera sur l'Etat défendeur.

Enfin, je vous transmets, pour information, un exemplaire de l'arrêt sur le fond adopté par la Cour dans l'affaire Yıltaş Yıldız Turistik Tesisleri A.Ş. c. Turquie (disponible uniquement en français), qui devrait vous permettre de mieux comprendre le contexte de l'expertise. (...) »

10. Les experts ont accepté le mandat en date des 14 et 27 avril 2005.

11. Une visite du site eut lieu le 27 juin 2005, avec la participation :

des deux experts,

des représentants de la requérante : Me N. Mounier, avocat à Paris, et M. A. Yavrucu, de la société requérante,

des représentants du Gouvernement : M. S. Ayanoğlu, représentant de la Faculté forestière de l'Université d'Istanbul, M. Z.B. Avcıoğlu, conseiller juridique au ministère des Finances, Mme B. Aksoy, représentante du Trésor public, et Mmes Z.G. Acar et Ş. Pala, conseillères juridiques au ministère des Affaires étrangères,

de M. V. Berger, greffier de section, et de Mme F. Aracı, chef de division au greffe.

12. Les 1er et 2 décembre 2005 respectivement, M. Önal et Mme Cebe ont déposé leur rapport ainsi que leur demande relative à leurs frais et honoraires.

EN DROIT

13. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

I. DOMMAGE

A. Dommage matériel

1. Arguments présentés par la requérante dans ses observations du 14 juin 2004

14. Aux fins de l'évaluation du dommage matériel subi, la requérante invite la Cour à considérer que l'expropriation litigieuse portait sur un terrain constitué de quelques immeubles et d'une forêt, d'une surface de près de 4 millions de m2, situé à la très proche périphérie d'Istanbul et doté d'une valeur marchande très significative.

15. La requérante soutient que l'évaluation de la propriété doit reposer sur l'expertise ordonnée par le tribunal de grande instance de Sarıyer en date du 10 février 1993, à savoir 19 122 384 dollars américains (USD). Elle relève que cette évaluation se justifiait par les caractéristiques du terrain (son exceptionnel emplacement géographique), son contenu (forêts, immeubles) ainsi que la possibilité de construction dans les limites légales.

16. La requérante évalue son préjudice matériel à 62 056 409 USD, selon le récapitulatif suivant :

Capital suivant le rapport d'expertise susmentionné 19 122 384 USD

Intérêt composé de la date d'expropriation au
29 février 2004 suivant les taux d'intérêt appliqués
aux Comptes de Dépôts de Devises par la Banque
centrale de la République de Turquie 42 166 035 USD

Frais d'études engagés pour les constructions 97 399 USD

Honoraires payés à des avocats par la requérante
pour faire valoir ses droits dans la présente instance 670 078 USD

Taxes foncières 513 USD

--------------------

Sous-total préjudice matériel 62 056 409 USD

Préjudice moral 500 000 USD

Indemnité d'expropriation - 211 314 USD

--------------------

Total de l'indemnisation réclamée au titre de
la satisfaction équitable 62 345 095 USD

2. Arguments présentés par le Gouvernement dans ses observations du 29 janvier 2004

17. Le Gouvernement fait valoir que la propriété litigieuse est une forêt privée qui ne peut être classée comme un terrain ayant une valeur marchande. Pour le calcul du dommage matériel, il invite la Cour à prendre en considération l'évaluation faite par les instances internes et entérinée par la Cour de cassation.

18. A titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que le montant versé par la requérante lors de l'achat du bien litigieux en 1987, soit 6 000 000 000 livres turques (TRL), constituerait la pleine valeur marchande. Il fait valoir qu'une somme de 9 924 071 577 TRL a été payée à la requérante comme indemnité d'expropriation.

De ce fait, le Gouvernement prétend qu'aucune somme ne saurait être accordée à la requérante au titre de la satisfaction équitable et il invite la Cour à ne pas prendre en considération les méthodes de calcul spéculatives de l'intéressée.

3. Résumé des rapports et des conclusions des experts

19. Les experts ont fait parvenir deux rapports d'expertise avec deux évaluations différentes.

D'après le rapport de Mme Cebe, le domaine litigieux vaudrait 79 000 000 USD sur la base des valeurs courantes en 1987 (année de l'expropriation) et 276 500 000 USD en 2005.

Le rapport établi par M. Önal évalue la propriété litigieuse à 6 927 217 918 TRL, soit 7 611 658 USD, pour septembre 1987, et à 24 470 277 130 000 TRL, soit 18 398 704 USD, pour septembre 2005.

a) L'évaluation ressortant du rapport d'expertise établi par Mme Cebe

20. Pour rédiger son rapport, Mme Cebe s'est fondée sur des documents se trouvant au registre foncier de Sarıyer (Istanbul), des informations communiquées par la mairie d'Istanbul, ainsi que des évaluations réalisées par un architecte quant à l'éventualité d'un permis de construire dans les limites du potentiel constructible, et un ingénieur forestier pour la valeur de l'exploitation forestière.

21. L'estimation est basée sur la valeur marchande définie comme suit :

« une opinion du meilleur prix auquel la vente d'un intérêt en matière de propriété aurait été finalisé de façon inconditionnelle, pour un paiement cash à la date d'évaluation, en supposant :

a) un vendeur consentant ;

b) que, avant la date d'évaluation, il y avait eu une durée raisonnable (tenant compte de la nature de la propriété et de l'état du marché) pour un marketing opportun de l'intérêt, de l'accord de prix et des termes et pour la réalisation de la vente ;

c) que l'état du marché, le niveau des valeurs et autres circonstances étaient, à quelque date antérieure d'échange de contrats que ce soit, identiques à l'état du marché le jour de l'évaluation ;

d) qu'aucune offre supplémentaire n'ait été prise en compte par un éventuel acheteur sur la base d'un intérêt spécial ;

e) que les deux parties de la transaction avaient agi en connaissance de cause, avec prudence et sans contrainte. »

22. Les conclusions de l'experte sont résumées dans les tableaux suivants :


Résultats de l'évaluation

1987

USD

Valeur finale

483 293 815

Coûts de construction

218 741 775

Taxes de construction

0

Coût du financement

26 249 013

Autre intérêt

0

Profit des promoteurs

159 244 012

Valeur de la propriété

79 059 015

arrondie à

79 000 000

Paramètres principaux d'évaluation

Surface (m2)

Usage d'habitation

- Villas

462 482

- Espaces de loisirs

10 000

Total

472 482

Prix de vente estimé (USD/m2)

- Villas

1 100

Taux de logements inoccupés

5 %

Coûts de construction (USD/m2)

- Villas

460

- Espaces de loisirs

600

Profit sur coût

65 %

Coût des finances

12 %

Taux

Non applicable

Résultats de l'évaluation

2005

USD

Valeur finale

878 716 028

Coûts de construction

344 299 537

Taxes de construction

0

Coût du financement

20 657 972

Autre intérêt

0

Profit des promoteurs

237 222 381

Valeur du site

276 536 138

arrondie à

276 500 000

Paramètres principaux d'évaluation

Surface (m2)

Usage d'habitation

- Villas

462 482

- Espaces de loisirs

10 000

Total

472 482

Prix de vente estimé (USD/m2)

- Villas

2 000

Coûts de construction (USD/m2)

- Villas

725

- Espaces de loisirs

900

Profit sur coût

65 %

Coût des finances

6 %

b) L'évaluation ressortant du rapport d'expertise établi par M. Önal

23. A la suite de la visite du site, M. Önal a procédé à des consultations auprès de différentes directions de l'Administration et a demandé les avis d'architectes et d'ingénieurs forestiers. Il a fait son évaluation sur la base de la législation forestière, de l'environnement et des zones protégées. Il a employé trois méthodes pour déterminer la valeur de la propriété :

détermination de la valeur de l'utilisation et de la gestion en tant que zone forestière,

détermination de la valeur dans les limites du potentiel constructible,

prise de la transaction d'une propriété qualifiée de « forêt privée » comme référence pour le calcul de la valeur marchande.

24. Le rapport mentionne qu'en 1995, les forêts de Sarıyer et Beykoz ont été classées zones protégées et que toutes les constructions dans ces zones sont sous le contrôle du Conseil de la protection des richesses culturelles et naturelles (« le Conseil »). Par une décision du Conseil en date du 20 juin 1996, la propriété litigieuse a été qualifiée de zone protégée de catégorie 2. En novembre 1999, les forêts en question ont été qualifiées de « zones pouvant être ouvertes à l'exploitation dans l'intérêt public et en respectant l'environnement ».

25. Selon le rapport, « la valeur marchande doit être calculée en tenant compte de la nature spéciale du bien, à savoir une exploitation forestière, et ne peut être évalué comme un terrain ».

26. Les conclusions de l'expert se lisent comme suit :


Evaluation pour septembre 1987

valeur de la propriété/forêt et constructions

valeur forêt 5 016 019 493 TRL

valeur additionnelle (construction) 1 911 198 425 TRL

-----------------------

valeur de la propriété 6 927 217 918 TRL

soit 7 611 658 USD

valeur d'une propriété comparable -

valeur vénale (prix d'achat en 1987) 6 497 693 808 TRL

Evaluation pour septembre 2005

valeur de la propriété/forêt et constructions

valeur forêt 17 923 976 000 000 TRL

valeur additionnelle (construction) 6 546 301 130 000 TRL

-----------------------

valeur de la propriété 24 470 277 130 000 TRL

soit 18 398 704 USD

valeur d'une propriété comparable

3 937 351 m2

prix au m2 : 5 350 000 TRL soit 4 USD 21 064 827 850 000 TRL

soit 15 838 216 USD

4. Appréciation de la Cour

27. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation juridique de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI, et, en dernier lieu, Katsaros c. Grèce (satisfaction équitable), no 51473/99, § 17, 13 novembre 2003).

28. Les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d'appréciation quant aux modalités d'exécution d'un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l'obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis. Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l'Etat défendeur de la réaliser, la Cour n'ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l'accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de la violation, l'article 41 habilite la Cour à accorder, s'il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumarescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2000-I).

29. S'agissant de la présente affaire, la Cour rappelle que dans son arrêt au principal (§ 38), elle s'est exprimée en ces termes :

« La Cour ne s'estime pas appelée à se prononcer sur la question de savoir sur quelle base les juridictions nationales auraient dû fixer l'indemnisation. En effet, elle ne saurait se substituer aux tribunaux turcs pour déterminer les critères pour l'estimation de la valeur du terrain exproprié et la fixation des sommes dues qui en découleraient. Toutefois, eu égard aux éléments du dossier, la Cour estime que la requérante a suffisamment démontré que l'indemnité d'expropriation fixée par les juridictions internes n'était pas raisonnablement en rapport avec la valeur de sa propriété. »

30. Il ressort de ce raisonnement que l'acte de l'Etat que la Cour a estimé contraire à l'article 1 du Protocole no 1 n'était pas l'expropriation du terrain de la requérante en tant que telle, mais l'omission de l'Etat de verser à cette dernière une indemnité raisonnablement en rapport avec la valeur de la propriété. La Cour relève sur ce point que le caractère licite, aux termes du droit national, de la situation imputable à l'Etat défendeur, que la Cour a pour autant tenu pour contraire à la Convention, se répercute par la force des choses sur les critères à employer pour déterminer la réparation due par l'Etat défendeur, les conséquences financières d'une mainmise licite ne pouvant être assimilées à celles d'une dépossession illicite (Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie (satisfaction équitable), no 31524/96, § 31, 30 octobre 2003).

31. Par conséquent, l'indemnisation à déterminer en l'espèce n'aura pas, contrairement à celle octroyée dans des affaires concernant des dépossessions illicites en soi, à refléter l'idée d'un effacement total des conséquences de l'ingérence litigieuse (Papamichalopoulos et autres c. Grèce (article 50), arrêt du 31 octobre 1995, série A no 330B, p. 59, §§ 36-39, et Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 25701/94, §§ 75 et 78, 28 novembre 2002).

32. Pour déterminer la réparation adéquate, la Cour doit s'inspirer des critères généraux énoncés dans sa jurisprudence concernant l'article 1 du Protocole no 1 et selon lesquels, sans le versement d'une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constituerait d'ordinaire une atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de l'article 1 du Protocole no 1 (James et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1986, série A no 98, p. 36, § 54).

33. La Cour relève l'important écart qui sépare les méthodes de calcul employées à cette fin par les parties au litige et les experts. Elle ne s'estime pas en mesure d'accepter les méthodes en question et rappelle que l'indemnisation dans le cas d'espèce ne doit pas nécessairement refléter la valeur pleine et entière du bien.

34. La Cour juge approprié de fixer une somme forfaitaire autant que faire se peut « raisonnablement en rapport » avec la valeur du bien, c'est-à-dire un montant qu'elle aurait trouvé acceptable au regard de l'article 1 du Protocole no 1 comme indemnité d'expropriation. Elle estime par conséquent que l'indemnité à accorder à la requérante se limite à la valeur qu'avait la propriété à la date de l'expropriation, soit en septembre 1987.

35. Statuant en équité comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour alloue à la requérante 7 466 874 USD, soit 6 100 000 euros (EUR), en réparation du dommage matériel subi.

B. Dommage moral

36. La requérante réclame 500 000 USD au titre du préjudice moral que lui aurait causé le comportement de l'Etat.

37. La Cour rappelle à cet égard que l'on ne doit pas écarter de manière générale la possibilité d'octroyer une réparation pour le préjudice moral allégué par les personnes morales ; cela dépend des circonstances de chaque espèce (Comingersoll c. Portugal [GC], no 35382/97, §§ 32-35, CEDH 2000IV). Elle ne peut donc exclure, au vu de sa propre jurisprudence, qu'il puisse y avoir, pour une société commerciale, un dommage autre que matériel appelant une réparation pécuniaire.

38. Toutefois, dans le cas d'espèce, la Cour n'estime pas que la requérante a été laissée dans une situation qui justifie l'octroi d'une telle indemnité.

II. FRAIS ET DÉPENS

39. La requérante sollicite le remboursement des frais exposés devant la Cour, pour un montant global de 670 078 USD.

40. Le Gouvernement estime que la demande est excessive.

41. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'allocation de frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis, précité, § 54). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002).

42. La Cour note que la requérante ne produit aucune facture en la matière. Par ailleurs, elle trouve excessifs les frais revendiqués à ce titre.

43. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d'allouer à la requérante 10 000 EUR, taxe sur la valeur ajoutée comprise.

III. FRAIS D'EXPERTISE

44. Pour leurs honoraires et les frais relatifs à la réalisation de l'expertise, Mme Cebe et M. Önal demandent respectivement 10 000 et 8 713 EUR.

45. La Cour rappelle d'abord que l'octroi d'indemnité relève de son pouvoir discrétionnaire et qu'il lui appartient de juger si telle indemnité est nécessaire et appropriée.

Sur les instructions de la chambre, le greffier de la section a du reste informé le Gouvernement et les experts que les frais et honoraires relatifs à l'expertise incomberaient en définitive à l'Etat défendeur (paragraphe 7 ci-dessus).

46. Dans les circonstances de l'espèce, la Cour décide d'accorder les sommes demandées.

IV. INTERÊTS MORATOIRES

47. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Dit

a) que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement :

i. 6 100 000 EUR (six millions cent mille euros) pour dommage matériel ;

ii. 10 000 EUR (dix mille euros) pour frais et dépens ;

iii. tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur lesdites sommes ;

b) que l'Etat défendeur doit verser aux experts, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement :

i. 10 000 EUR (dix mille euros) à Mme Cebe ;

ii. 8 713 EUR (huit mille sept cent treize euros) à M. Önal ;

c) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 avril 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président


[1]. Rectifié le 12 décembre 2006. Le nom de la requérante était libellé comme suit : « Yıltaş Yıldız Turistik Tesisleri A.Ş. ».

[2]. Rectifié le 12 décembre 2006. Le nom de la requérante était libellé comme suit : « Yıltaş Yıldız Turistik Tesisleri A.Ş. ».