Přehled
Rozsudek
PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE INEXCO c. GRÈCE
(Requête no 11720/03)
ARRÊT
STRASBOURG
27 avril 2006
DÉFINITIF
27/07/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Inexco c. Grèce,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
Mmes F. Tulkens,
N. Vajić,
MM. A. Kovler,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 avril 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 11720/03) dirigée contre la République hellénique par une société ayant son siège à Brakel (Belgique), la société « Inexco N.V. » (« la requérante »), qui a saisi la Cour le 2 avril 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante est représentée par Me P. Verbist, avocat au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, MM. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil Juridique de l’Etat, et D. Kalogiros, auditeur auprès du Conseil Juridique de l’Etat. Informé de son droit de prendre part à la procédure (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 b) du règlement), le gouvernement belge ne s’en est pas prévalu.
3. Le 24 septembre 2004, la Cour a décidé de communiquer le grief tiré de la durée de la procédure au fond ainsi que de l’absence de recours à cet égard au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LA PROCÉDURE EN RÉFÉRÉ
4. Le 2 juillet 1999, la société F. saisit le tribunal de première instance d’Athènes d’une requête en référé pour ordonner à la requérante de ne pas réclamer le paiement de ses factures et à la banque G. de ne pas procéder au paiement d’une garantie bancaire émise pour assurer les factures adressées par la requérante à deux sociétés F. et K.
5. Le 25 octobre 1999, le tribunal de première instance d’Athènes fit droit à la demande de la société F. et ordonna à celle-ci d’introduire une action au fond dans les quarante jours suivant la publication de l’ordonnance (décision no 34941/1999).
II. LES PROCÉDURES AU FOND
6. Entre-temps, le 15 octobre 1999, la société F. saisit le tribunal de grande instance d’Athènes d’une action au fond contre la requérante, la banque G. et la société K.
7. Le 22 février 2000, la requérante introduisit devant le tribunal de grande instance d’Athènes une action contre la banque G. et demanda la levée de la garantie bancaire.
8. Le 5 février 2002, la requérante introduisit devant le tribunal de grande instance d’Athènes une demande d’intervention forcée et une action incidente contre l’Etat grec. La requérante demandait que l’Etat grec soit condamné à lui verser une indemnité dans le cas où la garantie bancaire ne serait pas levée.
9. L’audience de la première affaire fut initialement fixée au 31 mai 2000, et celle de la deuxième au 8 mars 2001. Le 31 mai 2000, suite à la demande de la requérante, l’audience de la première affaire fut reportée au 25 avril 2001 pour permettre l’examen conjoint des deux affaires. A cette date, l’audience des deux affaires fut reportée au 24 avril 2002, en raison de la grève des avocats au barreau d’Athènes, puis au 5 mars 2003. A cette date l’audience des deux affaires fut reportée au 18 février 2004, pour permettre leur examen conjoint avec la troisième affaire.
10. Le 7 juillet 2004, le tribunal de grande instance d’Athènes constata la litispendance devant le tribunal de commerce de Bruxelles d’une affaire opposant la requérante à la société K. et concernant la même question que celle portée devant lui. Le tribunal de grande instance d’Athènes infirma la décision no 34941/1999 du tribunal de première instance et, quant au fond, ajourna l’examen conjoint des trois affaires jusqu’à l’arrêt définitif de la juridiction belge (arrêt no 4144/2004). Il ressort du dossier qu’à ce jour les affaires se trouvent pendantes devant le tribunal de grande instance d’Athènes.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
11. La requérante allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
12. La Cour note que le 2 juillet 1999, la société F. saisit le tribunal de première instance d’Athènes d’une requête en référé, procédure qui s’est achevée le 25 octobre 1999, lorsque ledit tribunal s’est prononcé sur la requête. La Cour constate que cette partie du grief se rapporte à la procédure portant sur une mesure provisoire, le fond de l’affaire étant à examiner dans la procédure relative à l’action principale. Elle estime dès lors que la procédure litigieuse ne concernait pas une contestation sur les droits et obligations de caractère civil au sens de l’article 6 de la Convention (voir, mutatis mutandis, APIS a.s. c. Slovaquie (déc.), no 39754/98, 13 janvier 2000, non publiée).
13. Il s’ensuit que cette partie du grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.
14. La Cour constate que le restant de la requête n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de déclarer le restant de la requête recevable.
B. Sur le fond
1. Période à prendre en considération
15. La Cour note qu’en l’occurrence toutes les procédures engagées par la société F. et la requérante constituaient des aspects complémentaires du même litige. En effet, c’est en raison de leur connexité que le tribunal de grande instance d’Athènes les a examinées conjointement. Partant, la Cour considérera la procédure litigieuse comme un ensemble. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le 15 octobre 1999, date à laquelle la société F. saisit le tribunal de grande instance d’Athènes d’une action contre la requérante, constitue le point de départ de la procédure litigieuse. Celle-ci, toujours pendante devant le tribunal de grande instance d’Athènes, s’étend à ce jour sur six ans et plus de quatre mois pour un degré de juridiction.
2. Caractère raisonnable de la durée de la procédure
16. Le Gouvernement relève la complexité de l’affaire, en raison du besoin d’examiner conjointement plusieurs affaires qui faisaient partie du même litige. Pour le Gouvernement, cet élément était déterminant pour le prolongement de la procédure. Le Gouvernement avance, en outre, qu’à chaque ajournement des procédures, la nouvelle date d’audience était fixée dans un bref délai. Enfin, le Gouvernement note que le tribunal rendit son arrêt no 4144/2004 cinq mois après la tenue de l’audience des affaires, qui eut lieu le 18 février 2004.
17. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement de la requérante et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
18. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).
19. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Certes, la Cour ne perd pas de vue que l’affaire présentait une certaine complexité, notamment liée au fait que le tribunal de grande instance a dû ajourner l’audience à plusieurs reprises pour examiner conjointement les trois affaires. Toutefois, la Cour réaffirme qu’il incombe aux Etats contractants d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable (Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 24, CEDH 2000-IV). Force est dès lors de constater que, s’agissant d’une durée de plus de six ans à ce jour pour une seule instance, la lenteur de la procédure résulte essentiellement du comportement de l’autorité judiciaire saisie.
20. Dès lors, compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
21. La requérante se plaint également du fait qu’il n’existe en Grèce aucune juridiction à laquelle l’on puisse s’adresser pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Elle invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
22. Le Gouvernement, considérant que la requérante aurait pu chercher à accélérer la procédure, conteste cette thèse.
A. Sur la recevabilité
23. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
24. La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000‑XI).
25. Par ailleurs, la Cour a déjà eu l’occasion de constater que l’ordre juridique hellénique n’offrait pas aux intéressés un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention leur permettant de se plaindre de la durée d’une procédure (Fraggalexi c. Grèce, no 18830/03, §§ 18-23, 9 juin 2005). La Cour ne distingue en l’espèce aucune raison de s’écarter de cette jurisprudence, d’autant plus que le Gouvernement n’affirme pas que l’ordre juridique hellénique fût entre-temps doté d’une telle voie de recours.
26. Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 13 de la Convention en raison de l’absence en droit interne d’un recours qui eût permis à la requérante d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
27. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
28. La requérante réclame la réparation de son dommage moral, pour la fixation duquel elle se remet à la sagesse de la Cour.
29. Le Gouvernement soutient qu’une somme de 1 000 euros (EUR) constituerait une satisfaction équitable suffisante.
30. La Cour estime que la requérante a subi un tort moral certain. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle lui accorde 6 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
B. Frais et dépens
31. La requérante demande également 3 180 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et 2 585 EUR pour ceux encourus devant la Cour. Elle ne produit pas de factures, mais seulement des notes de frais détaillées sur lesquelles figurent les montants sollicités.
32. Le Gouvernement affirme que les prétentions de la requérante à ce titre sont exorbitantes et non justifiées. Alternativement, il estime que la somme allouée à ce titre ne saurait dépasser 500 EUR.
33. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). Compte tenu des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante 500 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
C. Intérêts moratoires
34. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de la durée excessive de la procédure au fond et de l’absence de recours effectif à cet égard et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
4. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 6 000 EUR (six mille euros) pour dommage moral et 500 EUR (cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 avril 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président