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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
27.4.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE BASOUKOS c. GRÈCE

(Requête no 7544/04)

ARRÊT

STRASBOURG

27 avril 2006

DÉFINITIF

27/07/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Basoukos c. Grèce,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
Mmes F. Tulkens,
N. Vajić,
MM. A. Kovler,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 avril 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 7544/04) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Ioannis Basoukos (« le requérant »), a saisi la Cour le 20 février 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me T. Bourmas, avocat au barreau de Chalkida. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil Juridique de l’Etat et Mme O. Patsopoulou, auditrice auprès du Conseil Juridique de l’Etat.

3. Le 16 mars 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

4. Le requérant est né en 1958 et est actuellement détenu à la prison de Chalkida.

I. PREMIÈRE PROCÉDURE

5. Le 29 août 2000, le requérant fut arrêté en possession de drogues. Le lendemain, une procédure pénale fut engagée à son encontre pour culture de cannabis. Le 31 août 2000, le requérant fut placé sous contrôle judiciaire.

6. Le 11 janvier 2005, la cour d’assises d’Athènes condamna le requérant à cinq ans d’emprisonnement (décision no 1/2005). Le requérant interjeta appel de cette décision. Son appel n’ayant pas été assorti d’un effet suspensif, le requérant fut incarcéré. L’audience devant la cour d’appel d’Athènes fut fixée au 28 juin 2006.

II. SECONDE PROCÉDURE

7. Le 28 septembre 2003, le requérant, opposant une résistance avec violences envers les policiers, fut à nouveau arrêté en possession de drogues. Le lendemain, une seconde procédure pénale fut engagée à son encontre ; le requérant fut placé sous contrôle judiciaire.

8. Le 12 décembre 2003, le requérant fut renvoyé en jugement. L’audience devant la cour d’assises de la Macédoine de l’Ouest fut fixée au 16 décembre 2004. Le jour de l’audience, le requérant se présenta devant le tribunal et demanda l’ajournement de son affaire au motif que son conseil était malade. Le tribunal estima que sa demande était justifiée et reporta l’audience au 19 mai 2005.

9. A cette dernière date, la cour d’assises déclara le requérant coupable in absentia du chef de résistance lors de son arrestation et le condamna à une peine d’un an d’emprisonnement ; s’agissant du chef de possession de drogues, la cour d’assises ajourna le procès et ordonna l’arrestation et la mise en détention provisoire du requérant (décision no 40/2005). Le requérant souligne qu’à cette période il était déjà incarcéré en exécution de la décision no 1/2005 et déplore le manque de coordination entre les autorités internes. Il affirme qu’il exercera contre la décision no 40/2005 toutes les voies de recours prévues par le droit interne.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

10. Le requérant allègue que la durée des procédures pénales engagées à son encontre a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

11. Le Gouvernement affirme que la durée des procédures litigieuses ne prête pas à critique. S’agissant en particulier de la première procédure incriminée, il note que l’instruction a été menée avec célérité et souligne que le requérant n’était pas détenu provisoirement en attendant son procès, ce qui aurait pu justifier une plus grande promptitude dans la fixation de l’audience. S’agissant de la seconde procédure, le Gouvernement note que l’audience du 16 décembre 2004 fut ajournée à la demande du requérant.

A. Sur la recevabilité

12. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Périodes à prendre en considération

13. La première période à considérer a débuté le 29 août 2000, avec l’arrestation du requérant, et n’a pas encore pris fin, la procédure étant pendante en appel. Elle a donc déjà duré plus de cinq ans et six mois pour deux instances.

14. La seconde période à considérer a débuté le 28 septembre 2003, avec l’arrestation du requérant, et n’a pas encore pris fin. Elle a donc déjà duré plus de deux ans et cinq mois pour une instance.

2. Caractère raisonnable de la durée des procédures

15. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II).

16. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Pélissier et Sassi précité).

17. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. S’agissant notamment du comportement du requérant lors de la seconde procédure litigieuse, la Cour rappelle que l’article 6 n’exige pas de l’intéressé une coopération active avec les autorités judiciaires. On ne saurait non plus lui reprocher d’avoir tiré pleinement parti des possibilités que lui ouvrait le droit interne. Toutefois, le comportement du requérant constitue un fait objectif, non imputable à l’Etat défendeur et qui entre en ligne de compte pour déterminer s’il y a eu ou non dépassement du « délai raisonnable » (voir, parmi beaucoup d’autres, Lechner et Hess c. Autriche, arrêt du 23 avril 1987, série A no 118, p. 19, § 49). La Cour est d’avis, en l’espèce, que la demande d’ajournement déposée par le requérant n’a pas indûment contribué à la durée globale de la procédure. En revanche, elle estime que le comportement des autorités n’est pas exempt de critiques ; la Cour se réfère notamment au manque de coordination entre les différentes autorités étatiques qui aboutit à l’ajournement du procès au motif que le requérant n’avait pas comparu à l’audience, alors que ce dernier était déjà incarcéré et sa comparution dépendait donc des instances compétentes.

18. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée des procédures litigieuses est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

19. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

20. Le requérant réclame 20 160 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi. Il affirme qu’en raison de ses démêlés judiciaires, son employeur l’a placé depuis novembre 2000 en disponibilité et qu’il touche désormais la moitié de son salaire. Le requérant réclame en outre 1 625 340 EUR au titre du dommage moral.

21. Le Gouvernement affirme qu’il n’existe pas de lien de causalité entre le dommage allégué et la durée de la procédure. En tout état de cause, il affirme que les sommes demandées sont excessives et considère que le constat de violation constituerait en soi une réparation suffisante.

22. La Cour rappelle que le constat de violation de la Convention auquel elle parvient résulte exclusivement d’une méconnaissance du droit de l’intéressé à voir sa cause entendue dans un « délai raisonnable ». Dans ces circonstances, elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et un quelconque dommage matériel dont le requérant aurait eu à souffrir ; il y a donc lieu de rejeter cet aspect de ses prétentions (Appietto c. France, no 56927/00, § 21, 25 février 2003).

23. En revanche, la Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain en ce qui concerne leur droit de voir sa cause jugée dans un délai raisonnable, que ne compense pas suffisamment le constat de violation de la Convention. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle lui accorde 6 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

24. Le requérant demande également 2 480 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et 2 000 EUR pour ceux encourus devant la Cour. A cet égard, il produit une facture de 920 EUR établie au nom de son avocat pour la procédure devant la cour d’assises, ainsi qu’une lettre dudit avocat attestant que le requérant lui a payé 2 000 EUR pour la procédure devant la Cour.

25. Le Gouvernement affirme que les prétentions du requérant sont excessives et non justifiées et qu’il convient de les écarter ; à titre alternatif, il affirme que la somme allouée au titre des frais et dépens ne saurait dépasser les montants habituellement accordés par la Cour dans des affaires similaires.

26. S’agissant des frais et dépens encourus en Grèce, la Cour a déjà jugé que la longueur d’une procédure pouvait entraîner une augmentation des frais et dépens du requérant devant les juridictions internes et qu’il convient donc d’en tenir compte (voir, entre autres, Capuano c. Italie, arrêt du 25 juin 1987, série A no 119-A, p. 15, § 37). La Cour note, cependant, que les frais réclamés en l’occurrence n’ont pas été engendrés par la durée de la procédure, mais sont des frais normalement encourus dans le cadre de la procédure litigieuse. Par ailleurs, en ce qui concerne les frais exposés pour les besoins de la représentation du requérant devant elle, la Cour juge raisonnable de lui allouer 1 500 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

27. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 6 000 EUR (six mille euros) pour dommage moral et 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 avril 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président