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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
11.5.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

PREMIÈRE SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 21861/03
présentée par Judith HAMER
contre la Belgique

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 11 mai 2006 en une chambre composée de :

MM. C.L. Rozakis, président,
L. Loucaides,
Mmes F. Tulkens,
N. Vajić,
MM. A. Kovler,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 3 juillet 2003,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, Mme Judith Hamer, est une ressortissante néerlandaise, née en 1955 et résidant à Amsterdam. Elle est représentée devant la Cour par Me C. Raymaekers, avocat à Anvers. Le gouvernement défendeur est représenté par son agent, M. C. Debrulle, directeur du Service public fédéral de la justice.

Par une lettre du 10 mars 2005, le gouvernement néerlandais a été invité à présenter des observations écrites sur l’affaire en application des articles 36 § 1 de la Convention et 44 du règlement de la Cour. A défaut de réponse, il y a lieu de considérer que ce gouvernement ne souhaite pas intervenir en l’espèce.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

En 1967, les parents de la requérante érigèrent sans permis une maison de vacances sur un terrain sis à Zutendaal (Belgique). Une controverse existe entre les parties quant à la date d’érection de la construction : 1962 selon la requérante, 1973, selon le Gouvernement.

A la suite du décès de sa mère, un acte de partage fut établi le 6 janvier 1986 entre la requérante (qui, héritant de sa mère, devint nu-propriétaire de la moitié du bien) et son père. Cet acte, qui mentionne expressément l’existence de la construction, fut enregistré auprès du ministère des Finances auprès du receveur des hypothèques, qui perçut un droit d’enregistrement.

Le père de la requérante décéda le 21 août 1993 et elle devint pleine et unique propriétaire de la totalité du bien. Lors de la succession, la parcelle fut expressément déclarée par la requérante comme maison de vacances dans l’acte notarié de partage de succession. Des actes furent enregistrés auprès des autorités publiques et la requérante s’acquitta des droits de succession. A partir de ce moment, la requérante paya annuellement un précompte immobilier ainsi qu’un impôt pour seconde résidence afférant à la maison de vacances. Selon la requérante, il va de soi que son père a également payé des impôts relatifs à cette maison.

La requérante rénova la maison pour un montant de 50 000 euros (EUR) et fit par ailleurs abattre des arbres se trouvant sur le terrain attenant à la maison.

En 1994, la société flamande semi-publique d’alimentation en eau effectua des travaux de raccordement de la maison aux réseaux d’égouttage et de distribution d’eau. Les autorités publiques n’eurent aucune réaction à cette occasion.

Le 27 janvier 1994, un procès-verbal fut établi par un policier qui constata l’abattage d’arbres dans la propriété en violation de l’article 81, alinéa 3, du décret flamand du 13 juin 1990 sur les forêts.

Le 22 février 1994, un procès-verbal fut établi par un policier qui constata que la maison de vacances avait été érigée en 1967 sans permis et que celle-ci se situait dans une région forestière dans laquelle aucun permis ne pouvait être délivré. Ce procès-verbal constatait également que l’extérieur de la maison avait été retapé et que le toit avait été rénové.

Le 8 août 1994, la requérante se rendit spontanément à la police pour faire une déposition, qui fut actée dans un procès-verbal.

Par une décision du 11 octobre 1994, le collège des bourgmestre et échevins de la commune demanda à l’inspecteur urbaniste de donner un avis sur l’éventuelle mesure de réparation à prendre. Celui-ci sollicita, par lettre du 19 juin 1995, la remise en état des lieux auprès du procureur du Roi.

Deux procès-verbaux datés des 26 mars 1996 et 8 janvier 1997 font état de ce que les policiers eurent la volonté d’interroger à nouveau la requérante mais ont eu des difficultés à la joindre et qu’elle fut temporairement dans l’incapacité de se déplacer en raison de problèmes de santé.

A la requête du procureur du Roi de Tongres, la requérante fut entendue à Amsterdam le 25 mars 1997 par un policier néerlandais. Un procès-verbal fut établi à cette occasion.

Le 18 mai 1998, le procureur du Roi demanda à la police locale de l’informer si la construction litigieuse subsistait.

Le 16 juin 1998, un procès-verbal constata que la situation n’avait pas évolué.

La requérante fut citée à comparaître le 12 mai 1999 par le procureur du Roi de Tongres pour avoir, d’une part, maintenu une résidence de week-end érigée sans permis entre le 27 janvier 1994 et le 28 avril 1999 ainsi que, d’autre part, pour l’abattage d’une cinquantaine de pins en violation du décret flamand sur les forêts précité. Selon la requérante, il y aurait, dans la même zone forestière, au moins quatre autres maisons érigées sans permis, n’ayant pas fait l’objet de procès-verbaux de constat d’infraction, ni de poursuites.

Le 25 juin 1999, le tribunal correctionnel de Tongres rendit un jugement interlocutoire par défaut, la requérante n’ayant pas été régulièrement convoquée.

Le 6 janvier 2000, celle-ci fut à nouveau citée devant le tribunal correctionnel de Tongres.

Le 26 mai 2000, ce tribunal acquitta la requérante du chef des préventions précitées. Il jugea notamment qu’après vingt-sept années, la requérante pouvait légitimement supposer, comme toute citoyenne raisonnablement prévoyante, que le maintien de la construction litigieuse n’était plus punissable. Le tribunal se jugea également sans compétence pour connaître de la demande de l’inspecteur urbaniste de remise en état des lieux. Le ministère public interjeta appel.

Par un arrêt du 6 février 2002, la cour d’appel d’Anvers confirma le jugement en tant qu’il acquittait la requérante du chef de l’abattage des arbres. En revanche, il la condamna du chef du maintien d’une construction érigée sans permis en application de l’article 146 du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l’aménagement du territoire et porta la période incriminée du 22 août 1993 au 28 avril 1999, eu égard à la date du décès du père de la requérante.

Dans ses conclusions, la requérante avait invoqué la violation du délai raisonnable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, estimant que les poursuites pénales étaient intervenues en dehors de ce délai et qu’après l’écoulement d’un si grand laps de temps, ses droits de la défense étaient entravés, notamment en raison de l’impossibilité dans laquelle elle se trouvait de démontrer que la maison avait été bâtie dès avant 1962. La requérante se prévalut également de la passivité des autorités. A cet égard, elle souleva le fait que ses parents avaient payé des impôts pour seconde résidence, qu’un acte notarié dans lequel il avait été fait mention du bâtiment avait été enregistré par les autorités, qu’elle avait payé des droits de succession portant notamment sur la construction, que des importants travaux d’infrastructure avaient été effectués par une société semi-publique sans réaction de la part des autorités publiques et du défaut de poursuites judiciaires durant de longues années. Elle invoqua également la violation du principe de légitime confiance du citoyen et se plaignit d’une discrimination par rapport à d’autres propriétaires voisins.

La cour d’appel releva qu’un acte de partage établi en 1986 et signé par la requérante établissait que la maison de vacances avait été érigée en 1967 et concordait par ailleurs avec les constatations contenues dans le procèsverbal établi le 22 février 1994. La cour d’appel estima que la requérante savait ou devait savoir que la construction avait été érigée sans permis. En tant que citoyenne raisonnable et prudente et, même en tenant compte de l’attitude des autorités telle qu’elle l’avait décrite, la requérante ne pouvait pas en déduire que la situation était totalement légale et qu’aucune poursuite n’allait être entamée à son encontre. La cour d’appel considéra que la requérante s’était montrée très imprudente en procédant à la rénovation des lieux après le décès de son père et que la circonstance que, dans la même région forestière, quatre autres habitations avaient également été érigées sans permis sans que leurs propriétaires ne soient poursuivis n’était pas constitutive d’une discrimination.

S’agissant plus particulièrement du respect du délai raisonnable, la cour d’appel constata que la durée des poursuites pénales avait dépassé le délai raisonnable mais que la preuve de l’infraction n’en avait nullement été entravée et que la requérante vivait depuis 1994 sous le coup de poursuites. La cour d’appel releva que le dépassement du délai raisonnable ne conduisait nullement à l’extinction des poursuites mais estima qu’il fallait tenir compte des circonstances concrètes de l’espèce et de la circonstance que son casier judiciaire était vierge et prononça une simple déclaration de culpabilité de la requérante.

A la requête de l’inspecteur urbaniste en application des articles 149 et suivants du décret du 18 mai 1999 précité, qu’elle jugea raisonnable, la cour d’appel ordonna par ailleurs à la requérante de remettre les choses dans leur pristin état et de démolir la construction litigieuse dans un délai d’un an après que l’arrêt soit coulé en force de chose jugée avec une astreinte de 125 EUR par jour de retard. Elle donna en outre le pouvoir au collège des bourgmestre et échevins ou à l’inspecteur urbaniste d’exécuter l’arrêt aux frais de la requérante en cas de non-exécution de l’ordre de démolition. La requérante fut également condamnée à payer les frais et dépens de la procédure.

La requérante se pourvut en cassation.

Par un arrêt du 7 janvier 2003, la Cour de cassation rejeta le pourvoi.

Par un moyen pris de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante faisait valoir que la durée de la procédure pénale avait dépassé le délai raisonnable et qu’il fallait en déduire que l’action publique était éteinte.

La Cour de cassation jugea que le dépassement du délai raisonnable n’impliquait pas l’extinction de l’action publique et que, par conséquent, la cour d’appel ne devait pas motiver sa décision sur ce point.

La requérante soutenait également que compte tenu de ce que la cour d’appel avait simplement prononcé une déclaration de culpabilité à son encontre, elle ne pouvait pas être tenue à la remise en état des lieux, ni au paiement des frais de la procédure.

La Cour de cassation répondit que la remise des lieux dans leur pristin état ne constituait pas une peine, mais une mesure d’ordre civil, de même que le paiement forfaitaire des frais de procédure et que par conséquent ces mesures n’étaient pas incompatibles avec une simple déclaration de culpabilité.

La Cour rejeta également le moyen tiré des articles 8 de la Convention ainsi que 1er du premier Protocole additionnel à la Convention par lequel la requérante alléguait que les autorités ne pouvaient plus se prévaloir de l’intérêt général au bout de trente ans pour justifier une atteinte à la jouissance paisible de son droit de propriété et au respect de sa vie privée alors qu’elles avaient toléré la situation durant tout ce temps, créant ainsi une situation de légalité apparente.

La Cour de cassation releva que la cour d’appel avait souverainement jugé que la requérante avait été fort imprudente de maintenir la maison sans permis et que la mesure sollicitée par l’inspecteur urbaniste était raisonnable et que, par conséquent, le moyen était irrecevable.

La maison fut démolie en juillet 2004, en vertu d’une exécution forcée. La valeur de la maison était alors de 62 635 EUR selon un expert. Les frais de démolition s’élevèrent à 3 025 EUR.


B. Le droit et la pratique internes pertinents

1. Le décret flamand du 18 mai 1999 (entré en vigueur le 1er octobre 1999) dispose :

CHAPITRE I. Dispositions pénales
Section 1. Sanctions
Article 146

« Est punie d’un emprisonnement de 8 jours à 5 ans et d’une amende de (26 EUR) à (400 000 EUR) ou de l’une de ces peines, quiconque :

1o exécute, poursuit ou maintient les opérations, travaux ou modifications définis aux articles 99 et 101, soit sans permis préalable, soit en contravention du permis, soit après déchéance, annulation ou échéance du délai du permis, soit en cas de suspension du permis ;

(...) »

Article 147

« Toutes les dispositions du premier Livre du Code pénal, en ce compris le Chapitre VII et l’article 85 s’appliquent aux infractions visées à l’article 146. »

Section 2. Contrôle
Article 148

« Sans préjudice des compétences des agents et des officiers de police judiciaire, les inspecteurs urbanistes, les autres fonctionnaires désignés par le Gouvernement flamand, ainsi que les fonctionnaires de la province et des communes de sa province désignés par le gouverneur, sont compétents pour dépister les infractions définies dans le présent titre et pour les constater par un (procès-verbal. Les procès-verbaux établissant les infractions décrites dans le présent titre restent valables jusqu’à preuve du contraire.

Les agents, officiers de police judiciaire et fonctionnaires visés au premier alinéa) ont accès au chantier et aux bâtiments pour effectuer toutes les recherches et constatations nécessaires.

(...) »

Section 3. Mesures de réparation
Article 149

« § 1er. Outre la peine, le tribunal ordonne, sur requête de l’inspecteur urbaniste, ou du Collège des bourgmestre et échevins de la commune sur le territoire de laquelle les travaux, opérations ou modifications vises à l’article 146 ont été exécutés, de remettre le lieu en son état initial ou de cesser l’utilisation contraire, et/ou d’exécuter des travaux de construction ou d’adaptation et/ou de payer une amende égale à la plusvalue acquise par le bien suite à l’infraction.

La plus-value ne peut plus être réclamée dans les cas suivants :

1o en cas de répétition d’une infraction, rendue punissable par le présent décret ;

2o en cas de non-respect d’un ordre de cessation ;

3o lorsque l’infraction provoque des nuisances urbanistiques inadmissibles pour les voisins ;

4o lorsque l’infraction constitue une violation grave des prescriptions urbanistiques essentielles en matière de destination en vertu du plan d’exécution spatial ou du plan d’aménagement.

Le Gouvernement flamand peut déterminer d’autres modalités pour les cas où la plus-value ne peut être réclamée.

Lorsque les actions de l’inspecteur urbaniste et du Collège des bourgmestre et échevins ne correspondent pas, l’action du premier cité est prioritaire.

Pour l’exécution des mesures de réparation, le tribunal fixe un délai qui ne peut dépasser un an et après l’expiration de ce délai d’exécution, sur requête de l’inspecteur urbaniste ou du Collège des bourgmestre et échevins, une astreinte par journée de retard dans la mise en œuvre de la mesure de réparation.

§ 2. L’action en réparation est introduite auprès du parquet par lettre ordinaire, au nom de la Région flamande ou du Collège des bourgmestre et échevins, par les inspecteurs urbanistes et les préposés du Collège des bourgmestre et échevins.

§ 3. Lorsque l’action porte sur une demande de travaux de construction ou d’adaptation et/ou le paiement d’un montant égal à la plus-value, cette action doit être explicitement motivée du point de vue de l’aménagement du territoire, de la compatibilité avec l’environnement immédiat et de la gravité de l’infraction.

§ 4. La requête mentionne au moins les prescriptions applicables, et une description de la situation préalable à l’infraction. Un extrait récent du registre des plans sera joint à la requête.

Le Gouvernement flamand peut déterminer des conditions supplémentaires auxquelles la lettre, visée au § 2, alinéa premier, ainsi que le dossier joint à ce courrier doivent répondre.

§ 5. Le tribunal détermine le montant de la plus-value.

En cas de condamnation au paiement d’un montant égal à la plus-value, la personne condamnée peut s’acquitter valablement en remettant les lieux dans l’état initial ou en mettant fin à l’utilisation contraire, dans l’année suivant le jugement.

Le Gouvernement flamand détermine le mode de calcul du montant à réclamer et de paiement de la plus-value. »

Article 150

« Lorsque l’action en réparation de la partie civile d’une part, et celle de l’inspecteur urbaniste ou du Collège des bourgmestre et échevins d’autre part, ne correspondent pas, le tribunal détermine la mesure de réparation requise qu’il juge appropriée. »

Article 151

« L’inspecteur urbaniste et le Collège des bourgmestre et échevins peuvent également devant le Tribunal de première instance, siégeant en matière civile, dans le ressort duquel les travaux, opérations ou modifications visés à l’article 146 sont totalement ou partiellement exécutés, requérir les mesures de réparation telles que définies à l’article 149, § 1er. Les dispositions de l’article 149, § 1er, alinéa deux, §§ 3, 4 et 5 et de l’article 150 sont également d’application. »

Section 4. Exécution du jugement
Article 152

« Le contrevenant informe immédiatement, par lettre recommandée ou par remise contre récépissé, l’inspecteur urbaniste et le Collège des bourgmestre et échevins lorsqu’il a volontairement exécuté la mesure de réparation imposée. Ensuite, l’inspecteur urbaniste dresse immédiatement et après contrôle sur place un procèsverbal de constatation.

L’inspecteur urbaniste envoie une copie du procès-verbal de constatation à la commune et au contrevenant.

Sauf preuve du contraire, seul le procès-verbal de constatation tient lieu de preuve de la réparation et de la date de réparation. »

Article 153

« Lorsque le lieu n’est pas remis en état dans le délai fixé par le tribunal, qu’il n’est pas mis fin dans le délai fixé à l’utilisation contraire ou que les travaux de construction ou d’adaptation ne sont pas exécutés dans ce délai, la décision du juge visé aux articles 149 et 151, ordonne que l’inspecteur urbaniste, le Collège des bourgmestre et échevins et le cas échéant, la partie civile peuvent prévoir d’office à l’exécution.

L’autorité ou le particulier qui exécute le jugement ou l’arrêt, est habilité à vendre, transporter et enlever les matériaux et objets provenant de la remise en état des lieux ou de la cessation de l’utilisation contraire.

Le contrevenant qui reste en demeure, est tenu d’indemniser tous les frais d’exécution, sous déduction du produit de la vente des matériaux et objets, sur présentation d’un état, établi par l’autorité visée à l’alinéa deux, ou budgétisé et déclaré exécutoire par le juge des saisies du Tribunal civil. »

2. Une loi du 30 juin 2000 a introduit un nouvel article 21ter dans le code d’instruction criminelle et prévoit que si la durée des procédures pénales dépasse le délai raisonnable, le juge peut prononcer la condamnation par simple déclaration de culpabilité ou prononcer une peine inférieure à la peine minimale prévue par la loi.

GRIEFS

1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint d’une violation du délai raisonnable. Ainsi, elle fait valoir qu’alors que la construction date de 1967 au plus tard, qu’elle a hérité de la maison en 1993 et que le procès-verbal constatant l’infraction date de 1994, elle n’a été condamnée qu’en 2000. Elle soutient que, partant, la cour d’appel aurait dû conclure à l’extinction de l’action publique à partir du moment où celle-ci avait constaté qu’il y avait dépassement du délai raisonnable en l’espèce. La requérante ajoute que la condamnation à la remise en état des lieux et aux frais de la procédure sont contraires à la déclaration simple de culpabilité qui a été prononcée à son encontre.

2. Invoquant l’article 6 § 1, combiné à l’article 14 de la Convention, la requérante se plaint de faire l’objet d’une discrimination injustifiée par rapport à au moins quatre autres propriétaires voisins, se trouvant dans la même situation et n’ayant pas fait l’objet de poursuites.

3. Invoquant l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention, la requérante fait valoir que l’intérêt général pouvant justifier l’atteinte aux droits garantis par cette disposition n’existe pas en l’espèce puisque la situation a été tolérée par les autorités pendant plus de trente ans.

4. Se prévalant de l’article 8 de la Convention, la requérante fait valoir la même argumentation.

EN DROIT

1. La requérante se plaint de la violation du délai raisonnable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes sont rédigées comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Selon le Gouvernement, le décret du 18 mai 1999 érige en infraction, outre le fait d’effectuer des travaux sans le permis requis, celui de maintenir ou de poursuivre ces travaux. Il est unanimement admis que cette infraction continue peut naître dans le chef d’une personne qui n’est pas l’auteur des travaux et qu’il appartient au propriétaire de l’immeuble de mettre fin à l’existence des travaux illégalement exécutés par un tiers. Par ailleurs, la requérante se trompe sur la portée de la disposition qu’elle allègue. En l’espèce, l’accusation lui a été signifiée par exploit d’huissier du 12 mai 1999 pour l’audience du 11 juin 1999 du tribunal correctionnel de Tongres. Une nouvelle citation fut nécessaire en raison d’une erreur du parquet. Par ailleurs, le délai de trois ans et demi dans lequel les juridictions ont statué n’est nullement déraisonnable. En outre la cour d’appel n’a prononcé aucune peine au pénal, mais une simple déclaration de culpabilité en application de l’article 21ter du code d’instruction criminelle, motivée notamment par référence au dépassement du délai raisonnable. Quant à l’ordre de remise en état des lieux, il s’agit d’une mesure strictement de nature civile contrairement aux mesures de confiscation spéciale qui sont une peine accessoire. Elle peut voir le jour tant dans le cadre d’une procédure pénale que d’une procédure civile. Si l’action en réparation est subordonnée à la décision du parquet de poursuivre l’infraction, il appartient aux autorités de l’aménagement du territoire d’en apprécier l’opportunité et d’indiquer quel est le mode de réparation le plus approprié. Ainsi, la mesure de réparation doit être prise exclusivement en vue du bon aménagement du territoire.

La requérante conteste cette thèse. Elle fait valoir que les juridictions belges ont reconnu le dépassement du délai raisonnable mais que celui-ci n’a pas été compensé suffisamment par ce constat dans la mesure où elle a été condamnée à démolir la maison de vacances sous menace d’astreinte. La requérante, persuadée de la légalité de la construction, a exposé des frais de rénovation très importants. Elle a également dû faire face à des frais importants pour assurer la remise en état des lieux. Ladite mesure est en réalité une peine eu égard au caractère pénal de l’infraction principale et à la gravité de la mesure imposée pour le justiciable. Par ailleurs, l’arrêt, en tant qu’il prononce une simple déclaration de culpabilité s’agissant de l’infraction de maintien d’une construction illégale et lui impose par ailleurs de remettre les lieux en état, est entaché d’une contradiction. La mesure n’est pas constitutive d’une réparation car il n’y a pas en l’espèce d’atteinte au paysage, la maison n’étant pas visible et que les autorités ont toléré la construction pendant plus de trente ans.

La Cour estime que le fait qu’une simple déclaration de culpabilité ait été prononcée à l’encontre de la requérante par la cour d’appel eu égard au dépassement du délai raisonnable ne lui enlève pas la qualité de victime dès lors que cette juridiction lui a ordonné dans le même temps de remettre les lieux en état.

Par conséquent, elle estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief, tiré de la violation du délai raisonnable, pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

2. Invoquant l’article 6 § 1, combiné à l’article 14 de la Convention, la requérante se plaint de faire l’objet d’une discrimination. Ces dispositions sont rédigées comme suit :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Selon le Gouvernement, le critère justifiant les poursuites est celui de la violation de la loi du 29 mars 1962 organique de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme. Par ailleurs, il est constant qu’en matière pénale, la situation infractionnelle de l’un ne peut justifier la commission d’une infraction par un autre.

La requérante soutient qu’elle a fait l’objet de poursuites pour des raisons tout à fait fortuites et arbitraires. Elle rappelle que ni son père ni elle ne furent inquiétés pendant des années. Par ailleurs, dans la même zone forestière, quatre autres maisons ont également été construites sans permis et n’ont quant à elles fait l’objet d’aucune poursuite.

La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

3. La requérante se plaint d’une violation de son droit de propriété garanti par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

Selon le Gouvernement, les autorités locales ne procèdent pas à un examen de tous les actes de succession, au contrôle de toutes les déclarations fiscales et de toute demande de raccordement aux réseaux de distribution d’eau en vue de vérifier si les immeubles visés sont, ou non, couverts par un permis d’urbanisme. De plus, immuniser de toute taxation les constructions érigées sans permis reviendrait à encourager ce type d’infraction. Les sociétés de distribution d’eau ne sont pas davantage compétentes pour vérifier le caractère licite des constructions qu’elles raccordent à leur réseau. Par ailleurs, les éléments de publicité avancés par la requérante datent des années 1993-1994, époque à laquelle le premier procès-verbal d’infraction a été dressé. L’interdiction de bâtir qui affecte le terrain appartenant à la requérante ne constitue en rien une expropriation puisqu’elle conserve tous les droits afférant au droit de propriété. Par ailleurs, les Etats parties peuvent réglementer l’usage des biens pour des raisons d’aménagement du territoire et d’urbanisme, qui touchent à l’intérêt général et se doter d’instruments efficaces assurant la pertinence des mesures ainsi adoptées. Au rang de ces instruments se trouvent la démolition et la remise en état des lieux lorsqu’une construction est érigée en violation de la législation qui impose un permis d’urbanisme. Il convient d’avoir à l’esprit que la maison n’était pas régularisable car bâtie dans une zone forestière, non constructible. Certes la requérante n’a pas bénéficié d’une compensation en l’espèce mais c’est en pleine connaissance de cause que son père avait construit la maison en zone non bâtissable. Contrairement aux faits de l’affaire Őneryildiz c. Turquie ([GC], arrêt du 30 novembre 2004), aucune incertitude ne pesait en droit belge sur la situation juridique de la maison en cause. En outre, aucune négligence ne peut en l’espèce être imputée à l’Etat belge. En l’espèce, la situation de la requérante ne faisait l’objet d’aucune publicité qui aurait permis de présumer la tolérance des autorités.

Selon la requérante, il faut considérer que les autorités belges avaient connaissance de l’existence de la construction litigieuse, notamment en raison du fait qu’elle s’est acquittée, de 1994 à 2005, d’un impôt pour seconde résidence ainsi que du précompte immobilier et que des actes mentionnant la construction ont fait l’objet d’un enregistrement. Le Gouvernement belge, qui n’a pris aucune mesure quant à cette maison pendant plus de trente ans, ne peut se prévaloir de sa mauvaise organisation. L’intérêt général requiert une action conséquente, claire et rapide des autorités. Les circonstances de l’espèce montrent que les autorités avaient renoncé à leur action en la matière. Partant, celles-ci ne pouvaient revenir soudainement sur leur décision sauf à porter atteinte au principe de confiance légitime des citoyens. La démolition forcée porte donc atteinte à son droit de propriété de façon disproportionnée.

La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

4. La requérante y voit également une ingérence injustifiée dans son droit au respect de sa vie familiale.

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Le Gouvernement admet que la mesure contestée constitue une ingérence dans le droit au respect du domicile de la requérante, même s’il constate qu’il s’agit d’une maison de vacances et non de la résidence principale de la requérante. Cependant, celle-ci était strictement nécessaire pour la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales ainsi que la protection des droits et libertés d’autrui à travers la protection de l’environnement, qui constituent un but légitime au sens de la disposition visée. Ladite mesure est également strictement nécessaire dans une société démocratique. Le Gouvernement renvoie pour le surplus à l’argumentation développée sous le grief précédent.

La requérante soutient que sa vie privée et familiale a été atteinte de manière disproportionnée par la démolition forcée de sa maison de vacances.

La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.

Søren Nielsen Christos Rozakis
Greffier Président