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TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 62609/00
présentée par Vladimirs ŅIKITENKO
contre la Lettonie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 11 mai 2006 en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,
L. Caflisch,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
E. Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Mme I. Ziemele, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 14 juillet 2000,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant est un ex-ressortissant de l’ex-URSS, « non-citoyen résident permanent » de Lettonie, né en 1964 et domicilié à Jelgava (Lettonie). A l’époque actuelle, il purge sa peine à la prison de Jelgava. Le gouvernement letton (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mlle I. Reine.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 7 décembre 1999, la police criminelle de Jelgava ouvrit une enquête pénale concernant le viol d’une jeune femme enceinte, ayant eu lieu deux semaines auparavant. Le soir du 24 janvier 2000, suite à un appel téléphonique de la victime soutenant avoir reconnu le violeur, la police interpella le requérant sur une voie publique à Jelgava. Arrêté, le requérant fut déclaré suspect (aizdomās turētais) et emmené dans les locaux de l’un des commissariats de police de Jelgava, où il fut placé dans une cellule d’isolement provisoire (īslaicīgās aizturēšanas izolators).
Cette cellule, dans laquelle le requérant resta confiné jusqu’au 28 février 2000, était mal éclairée et dépourvue de lits ou de couchettes, de sorte qu’il dut dormir habillé à même le sol. Le requérant affirme n’avoir reçu un repas chaud qu’une fois par jour, le midi ; quant au petit déjeuner et au dîner, ils se composaient d’une tasse de thé et d’un morceau de pain de seigle. Pour ce qui est des installations sanitaires, la cellule en était dépourvue, et l’accès aux toilettes n’était autorisé que deux fois par jour. Entre-temps, le requérant était obligé d’utiliser un seau en plastique, placé dans la cellule, pour satisfaire ses besoins naturels.
D’après le requérant, à des dates non spécifiées, il envoya au parquet plusieurs plaintes relatives aux conditions de sa détention, mais toutes ces plaintes restèrent sans réponse. Le Gouvernement conteste cette allégation ; à l’appui de sa thèse, il fournit une copie du journal du quartier d’isolement provisoire en question, ne contenant aucune mention de telles plaintes.
Selon le requérant, peu après son arrestation, il demanda à la police de l’autoriser à écrire à sa mère et à sa concubine, mais cette demande fut rejetée. Le Gouvernement conteste la réalité de cette demande.
Le 27 janvier 2000, le requérant fut traduit devant le juge compétent du tribunal de première instance de Jelgava qui, par une ordonnance prise sur-le-champ, ordonna sa détention provisoire jusqu’au 23 février 2000.
Lors de l’instruction préliminaire du dossier, le requérant plaida non coupable, soutenant à cet égard que la victime s’était livrée à lui de son plein gré, qu’il n’avait exercé aucun acte de violence à son égard, et qu’il n’était pas conscient de sa grossesse.
Le 14 février 2000, le requérant adressa à la cour régionale de Riga une demande de mise en liberté. La cour transmit cette demande au parquet qui la rejeta.
Le 23 février 2000, le procureur compétent inculpa le requérant du chef de viol aggravé et de violences sexuelles. Le même jour, le tribunal de première instance de Jelgava, saisi par le parquet, prolongea la détention provisoire du requérant jusqu’au 24 mars 2000.
Le 28 février 2000, le requérant fut transféré à la prison centrale de Riga (Centrālcietums).
Le 14 mars 2000, le requérant demanda à l’administration de la prison centrale de l’autoriser à écrire à sa mère, à sa concubine, ainsi qu’à son ancien employeur. Le lendemain, cette demande fut transmise au parquet près la cour régionale de Zemgale, chargé de l’instruction du dossier. Par un courrier du 21 mars 2000, le procureur compétent rejeta cette demande, tout en avertissant le requérant qu’aucune décision ne serait prise sur ce point « avant la fin de l’instruction préliminaire dans l’affaire ».
Le 24 mars 2000, le procureur chargé du dossier signa l’acte final d’accusation (apsūdzības raksts) contre le requérant, et renvoya le dossier en jugement devant la cour régionale de Zemgale.
Le 5 avril 2000, le requérant saisit l’administration de la prison centrale d’une nouvelle demande d’autorisation de correspondance avec sa mère et sa compagne. Cette demande fut transmise à la cour régionale de Zemgale. Par lettre du 10 avril 2000, le juge chargé du dossier refusa de donner suite à la demande, au motif que « [l]es dispositions des lois (...) sur la procédure pénale ne prévo[yaient] pas la possibilité d’autoriser la correspondance avec la famille, car cela ne relev[ait] pas de la compétence de la cour ».
Le 2 mai 2000, le requérant adressa au ministère de la Justice une lettre demandant, de nouveau, de l’autoriser à entretenir une correspondance avec ses proches ; à cet égard, il souligna que sa mère était âgée et malade et qu’il craignait beaucoup pour elle. Par lettre du 17 mai 2000, le directeur du Département judiciaire du ministère rappela au requérant que, bien que l’article 49 du code de l’exécution des peines autorisât les détenus à entretenir une correspondance avec leurs familles, cette disposition n’était applicable qu’aux personnes déjà condamnées et non aux détenus provisoires. De même, le directeur indiqua au requérant qu’en vertu de l’article 211 du code de procédure pénale, « toutes les demandes et les requêtes [devaient] être adressées directement au tribunal » chargé de l’affaire.
Le requérant tenta alors de nouveau de s’adresser à la cour régionale de Zemgale. Par lettre du 29 mai 2000, le juge chargé du dossier lui répondit en des termes identiques à ceux de la lettre du 10 avril 2000.
Le bien-fondé de l’accusation portée contre le requérant fut examiné par la cour régionale aux audiences des 3, 4 et 5 juillet 2000. A l’audience, le requérant, assisté d’un avocat, réitéra sa version des faits tendant à démontrer l’existence d’un consentement de la part de la victime et donc le caractère volontaire du rapport sexuel en cause. La cour estima toutefois que la culpabilité du requérant était suffisamment démontrée par plusieurs éléments de preuve, et notamment par les résultats des expertises biologiques et par les dépositions de la victime et de plusieurs témoins, tous interrogés à l’audience. Par conséquent, par un jugement prononcé le 5 juillet 2000, la cour régionale reconnut le requérant coupable des chefs de délits incriminés ; elle releva en outre que les actes en question avaient été commis alors que le requérant se trouvait sous le régime de libération conditionnelle et qu’il n’avait pas purgé sa condamnation précédente, prononcée en 1989, elle aussi pour un viol. Par conséquent, la cour joignit la fraction de la peine non purgée à la nouvelle sanction, et condamna le requérant à un emprisonnement ferme pour une durée totale de douze ans et deux mois.
Les 24 juillet et 2 août 2000, le requérant saisit la cour régionale de Zemgale et la Cour suprême de deux nouvelles demandes d’autorisation d’écrire à sa mère et à sa compagne. Par une lettre du 3 août 2000, le juge compétent de la chambre des affaires pénales de la Cour suprême lui répondit que « la correspondance avec la famille ne sera[it] autorisée qu’une fois le jugement [sur le fond] devenu définitif ».
Les 14 juillet et 11 août 2000, le requérant expédia à la Cour deux lettres exposant sommairement l’objet de sa requête. Le 21 août 2000, le greffe lui envoya, en réponse, un courrier contenant une lettre et les documents nécessaires pour rédiger une requête individuelle devant la Cour. Ce courrier parvint au requérant le 30 août 2000 dans une enveloppe ouverte. En outre, la lettre du greffe portait deux cachets. Le premier, apposé en bas de la page, attestait la réception de la lettre par la prison centrale et comportait une mention de date illisible ; le deuxième, figurant en haut de la page, contenait la signature du vaguemestre de la prison et indiquait la date du 25 août 2000.
Entre-temps, le requérant attaqua le jugement du 5 juillet 2000 par voie d’appel devant la chambre des affaires pénales de la Cour suprême, clamant son innocence et critiquant la gravité de la peine prononcée. Par un arrêt du 11 octobre 2000, la chambre rejeta l’appel et confirma le jugement entrepris.
Le requérant se pourvut alors en cassation devant le sénat de la Cour suprême. Par une ordonnance du 24 novembre 2000, le sénat, siégeant en session préparatoire (rīcības sēde) à huis clos, déclara le pourvoi irrecevable pour absence de moyens de droit défendables.
B. Le droit interne pertinent
1. Les conditions de garde à vue et d’isolement provisoire
Le seul acte régissant les conditions de garde à vue et d’isolement provisoire est le règlement des quartiers d’isolement provisoire des établissements relevant de la police d’État (Valsts policijas iestāžu īslaicīgās aizturēšanas izolatora nolikums), approuvé par un arrêté du ministre de l’Intérieur et non publié. Les dispositions pertinentes de ce règlement se lisent comme suit :
Article 3-7
« Des couchettes ou des lits séparés doivent être placés dans les cellules (...). Dans certaines cellules, des couchettes communes peuvent être installées. Chaque détenu doit recevoir un matelas et une couverture conformément au règlement intérieur de l’établissement. »
Article 4-1
« (...) Les membres du personnel des quartiers d’isolement provisoire doivent assurer aux détenus un traitement équitable et humain, sans permettre à un particulier quelconque d’effectuer des actes illégaux à leur encontre, les terroriser, les humilier ou accomplir un acte inhumain d’un autre genre. »
Article 6-5
« Un matelas et une couverture sont fournis [aux détenus] conformément au règlement intérieur de l’établissement. Ni pièces de literie ni jeux de table ne leur sont donnés. Les personnes placées en détention administrative (...) n’ont pas le droit de recevoir [de l’extérieur] des colis contenant des produits alimentaires, sauf de la nourriture diététique lorsqu’il y a une indication médicale ou une autorisation donnée par le chef de l’établissement de police (...) »
Article 6-6
« La nourriture est fournie aux détenus conformément aux normes approuvées par un arrêté du ministre de l’Intérieur. »
Article 6-8
« Les articles d’hygiène personnelle et les médicaments autorisés par le personnel médical sont donnés aux [détenus] pendant leur toilette du matin et du soir, ainsi qu’à d’autres occasions. »
Article 7-1
« Les personnes placées dans les quartiers d’isolement provisoire ont le droit :
(...)
7-1-6) de rencontrer un avocat sans que d’autres personnes soient présentes et sans limitation quant à la fréquence et la durée de tels rendez-vous, et ce, conformément à la procédure fixée par l’établissement de police ;
7-1-7) d’envoyer des requêtes et des plaintes écrites aux autorités de l’Etat, des collectivités locales et des institutions internationales ;
(...)
7-1-9) de porter des vêtements appropriés pour la saison, ainsi qu’utiliser les objets personnels autorisés en cellule (...) ;
7-1-10) de recevoir gratuitement de l’assistance médicale urgente ;
(...) »
Article 8-1
« Les personnes placées dans les quartiers d’isolement provisoire doivent soumettre leurs plaintes écrites et leurs lettres aux membres du personnel du quartier (...) »
Article 8-2
« Le membre du personnel (...) transmet les plaintes et les requêtes reçues des détenus au chef de l’établissement de police [en question], qui prend la décision soit de les enregistrer au secrétariat de l’établissement (...) et de les examiner, soit de les transmettre au destinataire. »
Article 8-4
« Seules les requêtes et les plaintes relatives à l’instruction de l’affaire (...) [de contravention administrative] en question, ou visant à protéger les droits et les intérêts du détenu, sont envoyées à l’autorité compétente, au procureur ou au tribunal (...) »
Article 9-3
« Les [détenus] peuvent recevoir des (...) articles d’hygiène personnelle des membres de leurs familles. (...)
9-3-1) les articles d’hygiène personnelle des [détenus] (...) sont déposés à l’extérieur des cellules dans des placards ou sur des étagères spéciales, et leur sont donnés pendant leur toilette du matin et du soir ;
(...).»
2. Pouvoirs de la police et du parquet et voies de recours contre leurs actes
A l’époque des faits relatés par le requérant, les dispositions pertinentes de la loi du 4 juin 1991 sur la police (Likums « Par policiju ») étaient ainsi libellées :
Article 5, quatrième et cinquième alinéas
« (...) Par son action, la police assure le respect des droits et des libertés des particuliers. Une restriction desdits droits et libertés n’est autorisée que sur la base d’une loi et selon les modalités définies par la loi. Chaque fois qu’un agent de police restreint les droits et les libertés des personnes, il leur explique les raisons pour chaque restriction concrète. (...)
La police donne aux personnes arrêtées et placées en détention provisoire la possibilité d’exercer leur droit à l’assistance judiciaire ; lorsque ces personnes le demandent, le lieu de leur détention est immédiatement communiqué à leur famille et à l’administration de leur employeur ou de leur établissement scolaire. La police assure la protection de la santé des personnes arrêtées et placées en détention provisoire, et prend des mesures d’urgence afin de leur fournir l’aide médicale (...). »
Article 27, premier, deuxième et sixième alinéas
« Un agent de police est responsable pour son comportement illégal, conformément aux modalités prévues par la loi et le règlement de service. Si un agent de police a violé les droits des particuliers ou a porté atteinte à leurs intérêts légitimes, l’établissement de police [dont il relève] doit prendre des mesures afin de restaurer ces droits et de redresser le préjudice subi.
Un agent de police n’a pas le droit de commettre ou de soutenir un acte quelconque lié à la torture ou à un autre traitement ou peine cruels, inhumains ou dégradants. Aucun agent de police ne peut se référer à un ordre donné par un supérieur (...) pour justifier la torture ou un autre traitement ou peine cruels, inhumains ou dégradants.
(...)
Les plaintes mettant en cause le comportement d’un agent de police sont examinées par le chef de la division (de la subdivision) auquel l’agent [en question] est directement subordonné. Lorsque le plaignant n’est pas satisfait de la décision prise, il peut, dans un délai d’un mois, l’attaquer par voie de recours devant l’organe supérieur de police, devant le parquet ou devant le tribunal. »
Article 39
« Le contrôle du respect des textes relatifs au fonctionnement de la police est effectué par le procureur général de la République de Lettonie et les procureurs qui lui sont subordonnés. »
Les dispositions pertinentes de la loi du 19 mai 1994 sur le parquet (Prokuratūras likums) sont ainsi libellées :
Article 5 § 1
« Le procureur supervise, selon les modalités définies par la loi (...) les lieux où les personnes placées en détention provisoire ou en garde à vue (...) sont détenues (...). »
Article 6 §§ 3 et 4
« 3o Les actes du procureur peuvent faire l’objet d’un recours dans les cas et selon les modalités définis dans la présente loi et dans les lois procédurales. Dans les domaines relevant de la compétence exclusive du parquet, les recours doivent être adressés au procureur en chef [virsprokurors] du parquet du rang supérieur [à celui ayant rendu la décision entreprise] ; les actes d’un procureur du Parquet général peuvent faire l’objet d’un recours devant le procureur général. Les décisions prises par ces [procureurs supérieurs] sont définitives.
4o Un procureur d’un rang supérieur a le droit d’examiner toute affaire [relevant du procureur d’un rang inférieur], mais il n’a pas le droit d’enjoindre au procureur d’accomplir des actes à l’encontre de sa conscience (...) »
Article 9
« 1o Les ordres légitimes du procureur sont obligatoires à toutes les personnes sur le territoire de la République de Lettonie.
2o Les personnes ne se pliant pas aux ordres légitimes du procureur encourent la responsabilité définie par la loi. »
Article 15
« 1o Conformément aux modalités définies par la loi, le procureur surveille l’exécution des peines privatives de liberté appliquées par les tribunaux, et les lieux dans lesquels les personnes arrêtées, placées en garde à vue et en détention provisoire sont détenues (...).
2o Le procureur a le droit et le devoir d’ordonner, par sa décision immédiate, la libération des lieux d’emprisonnement ou des [établissements à régime] de liberté restreinte des personnes qui y sont illégalement détenues.
3o L’opposition [protests] du procureur relative à la peine illégalement appliquée à une personne détenue dans des lieux d’emprisonnement, entraîne la suspension de l’exécution [de la peine] jusqu’à l’examen de l’opposition. »
Article 16 §§ 1 et 3
« 1o Après avoir reçu l’information relative à une violation de la loi, le procureur effectue une enquête conformément aux modalités définies par la loi, lorsque :
(...)
2) il a été porté atteinte aux droits et aux intérêts légitimes des personnes juridiquement incapables ou à capacité limitée, des invalides, des mineurs, des détenus ou d’autres personnes dont la faculté de protéger leurs droits est limitée.
(...)
3o De même, le procureur effectue une enquête lorsqu’il reçoit une plainte d’une personne dénonçant une violation de ses droits ou ses intérêts légitimes, que cette plainte a déjà été examinée par l’autorité de l’État compétente et que [la personne concernée] a reçu le refus de remédier à la violation mentionnée dans la plainte, ou qu’aucune réponse ne lui a été donnée dans le délai fixé par la loi. Un telle plainte doit être soumise au parquet par écrit (...) »
Article 17
« 1o Lorsqu’il examine une plainte, le procureur a, conformément à la loi, le droit :
1) de demander et d’obtenir des actes normatifs, des documents et d’autres informations des autorités publiques (...), ainsi que d’entrer librement dans les locaux de ces autorités ;
2) d’enjoindre aux chefs des établissements (...) et aux autres responsables d’effectuer des vérifications, des audits et des expertises, de formuler des avis, ainsi que de fournir l’aide de spécialistes (...) ;
3) de convoquer une personne et de lui demander des explications sur la violation de la loi. (...)
2o Lorsqu’il constate une violation de la loi, et en fonction du caractère de cette violation, le procureur a l’obligation :
1) de donner un avertissement de ne plus enfreindre la loi ;
2) de formuler une tierce opposition [protests] ou une déclaration sur la nécessité de mettre fin à la violation de la loi ;
3) de saisir le tribunal d’une demande ;
4) d’ouvrir une enquête pénale ;
5) de suggérer l’ouverture de poursuites administratives ou disciplinaires. »
Article 20
« 1o Lorsqu’il est nécessaire de mettre fin à une action illégale, d’éliminer les conséquences d’une telle action ou de ne pas permettre à une violation de la loi de se produire, le procureur saisit (...) l’autorité (...) respective d’une déclaration écrite.
2o Le procureur fixe un délai pour exécuter les injonctions contenues dans la déclaration, en fonction du caractère de l’irrégularité [en cause] et du temps nécessaire pour y mettre fin.
3o Lorsque les injonctions formulées dans la déclaration, ne sont pas exécutées ou ne font pas l’objet d’une réponse, le procureur a le droit de saisir le tribunal ou un autre organe compétent d’une demande visant à engager la responsabilité de la personne [concernée], conformément à la loi. »
L’article 211, troisième alinéa, de l’ancien code de procédure pénale (Kriminālprocesa kodekss), en vigueur jusqu’au 1er octobre 2005, énonçait une règle générale selon laquelle, « [a]près le renvoi de l’affaire devant la juridiction [de jugement], toutes les demandes et les plaintes dans cette affaire doivent être adressées directement à [cette] juridiction ».
En outre, la loi du 27 octobre 1994 relative à l’examen de requêtes, de plaintes et de suggestions par les autorités de l’État et des collectivités territoriales (Iesniegumu, sūdzību un priekšlikumu izskatīšanas kārtība valsts un pašvaldību institūcijās) garantit à chacun le droit de recevoir une réponse motivée de l’autorité saisie (article 1er). Elle fixe les modalités de traitement des communications adressées aux autorités publiques par les particuliers, et fixe les délais de réponse. Le délai normal est de quinze jours ; toutefois, si le problème soulevé nécessite une enquête ou une collecte d’informations supplémentaires, ce délai peut être prolongé jusqu’à trente jours ou même plus, à condition que l’intéressé en soit averti (article 8 § 1).
3. Correspondance des personnes en détention provisoire
Le code de l’exécution des peines (Sodu izpildes kodekss), hérité de l’époque soviétique et maintes fois modifié, régit le statut et les conditions de détention des personnes condamnées. En revanche, bien que plusieurs dispositions de ce texte se réfèrent occasionnellement aux personnes placées en détention provisoire, d’un point de vue global, il leur est inapplicable.
A l’époque des faits relatés par le requérant, le seul texte régissant les conditions de la détention provisoire était l’arrêté no 113 du ministre de l’Intérieur du 30 avril 1994 relatif aux modalités de détention des personnes suspectes, placées en détention provisoire ou condamnées dans les prisons d’investigation relevant du ministère de l’Intérieur (Pavēle « Par aizdomās turēto, apcietināto un notiesāto personu uzturēšanās kārtību Iekšlietu ministrijas izmeklēšanas cietumos »). Par l’arrêté no 63 du 9 mai 2001, le ministre de la Justice le remplaça par un nouveau règlement provisoire sur les conditions de détention.
Par un arrêt du 19 décembre 2001, la Cour constitutionnelle (Satversmes tiesa), saisie par deux particuliers au sujet de certaines dispositions de l’arrêté no 63 précité, déclara que la Constitution devait être interprétée comme interdisant toute ingérence dans les droits subjectifs d’une personne autrement que selon la Constitution, une loi ou un règlement adopté par le conseil des ministres. Toute limitation des droits des particuliers, y compris des détenus, ayant pour seule base un arrêté ministériel, devait donc être reconnue inconstitutionnelle.
Le 29 avril 2003, le conseil des ministres adopta le règlement no 211, portant règlement intérieur des prisons d’investigation. Entré en vigueur le 1er mai 2003, il remplaça l’arrêté no 63.
Aux termes de l’article 55 de l’arrêté no 113, la direction d’une prison d’investigation ou l’autorité chargée de l’instruction de l’affaire pénale en question pouvait « vérifier » le courrier adressé aux détenus ; cependant, toute lettre devait, dans un délai de trois jours à partir de la « vérification », être remise à son destinataire. Quant au courrier expédié par les détenus vers l’extérieur et adressé aux « organes gouvernementaux, organisations non gouvernementales et fonctionnaires », l’administration pouvait elle-même déterminer si le contenu du courrier relevait de la compétence du destinataire. Si elle estimait que non, elle pouvait ne pas le transmettre au destinataire, tout en avisant le détenu expéditeur quelle était l’autorité compétente (article 61). Toutefois, cette règle ne concernait pas les lettres adressées au parquet, lesquelles devaient être expédiées sous pli fermé et dans un délai maximal de vingt-quatre heures.
Conformément à l’article 21 de l’arrêté no 63, la correspondance du détenu avec « les organes internationaux des droits de l’homme », le parquet, les tribunaux, les organismes publics et les missions diplomatiques et consulaires étrangères ne pouvait pas être censurée. Une enveloppe contenant du courrier en provenance d’un tel expéditeur pouvait être ouverte par un représentant de l’administration de la prison, qui devait le faire en présence du destinataire et qui n’avait pas le droit de lire le contenu du courrier. En revanche, toute autre correspondance était lue et censurée.
GRIEFS
1. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant soutient que les conditions régnant dans la cellule d’isolement provisoire dans laquelle il fut placé du 24 janvier au 28 février 2000, s’analysent en un traitement inhumain et dégradant, prohibé par cette disposition.
2. Sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant soutient avoir été condamné à tort ; il critique notamment l’appréciation des faits de l’affaire par les juridictions compétentes.
3. Invoquant en substance le droit garanti par l’article 6 § 3 c) de la Convention, le requérant se plaint du caractère inefficace de la défense assurée par son avocat lors de l’audience de la cour régionale. Il déclare ne pas être satisfait de la qualité du travail de cet avocat, qui, selon lui, n’a pas été suffisamment actif dans la protection de ses intérêts.
4. Invoquant l’article 6 § 3 d) de la Convention, le requérant se plaint que, lors de l’audience de la cour régionale de Zemgale, les juges ont rejeté sa demande de citer et d’interroger sa mère, sa concubine et plusieurs autres personnes, pouvant, selon lui, fournir des indications au sujet de sa personnalité ; de même, il soutient que les dépositions de ces deux personnes pourraient éventuellement démontrer qu’au cours de l’instruction préliminaire du dossier, il avait témoigné sous pression.
5. Sous l’angle de l’article 4 § 1 du Protocole no 7, le requérant se plaint qu’en le condamnant pour viol en 2000, les tribunaux lettons ont pris en considération sa condamnation antérieure, prononcée en 1989 pour le même type de délit.
6. Sur le terrain de l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint que l’interdiction prolongée et absolue d’entretenir une correspondance avec sa mère et sa compagne constitue une violation de son droit au respect de la vie familiale et de la correspondance.
7. Sans invoquer de disposition précise de la Convention, le requérant se plaint de l’ouverture et du contrôle du courrier qui lui fut adressé par la Cour le 21 août 2000.
EN DROIT
A. Grief tiré de l’article 3 de la Convention
Le requérant se plaint que les conditions de sa détention dans la cellule d’isolement provisoire du commissariat de police de Jelgava dans laquelle il fut placé du 24 janvier au 28 février 2000, ont enfreint l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
1. Sur l’exception du Gouvernement
a) Arguments des parties
Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement, par le requérant, des voies de recours s’ouvrant en droit interne. En effet, le requérant n’aurait introduit aucune requête ni plainte concernant les conditions de sa détention, bien que le droit letton lui offrait plusieurs voies procédurales susceptibles de remédier à ces griefs. Ainsi, le requérant aurait pu contester les conditions de sa détention devant la direction du commissariat de police où il était détenu ; rien ne montre en l’espèce que le chef du commissariat aurait omis d’examiner ses doléances s’il les avait présentées.
Si le requérant n’était pas satisfait de la réponse fournie ou des mesures prises par le chef du commissariat, il aurait pu former un recours devant les « autorités de police », puis devant le parquet, doté de pouvoirs suffisants pour redresser le grief en question. Afin de démontrer le caractère réel et effectif de ce recours, le Gouvernement fournit une copie d’une note informative rédigée par le Parquet général en juillet 2003, dont il ressort que, pendant la période englobant les années 2000, 2001 et le premier semestre de 2002, les procureurs près les tribunaux de première instance ont effectué un certain nombre de visites d’inspection dans les quartiers d’isolement provisoire et dans les prisons d’investigation. S’agissant en particulier de la ville de Jelgava, les membres du parquet local y ont effectué huit inspections à la suite de plaintes relatives aux conditions de la détention ou à la qualité des soins médicaux dispensés dans les quartiers d’isolement, ainsi que sept inspections spontanées. Le Gouvernement fournit également une copie d’une lettre émanant du parquet près la cour régionale de Zemgale et contenant une description sommaire des interventions et des inspections effectuées par le parquet pendant l’année 2001 et le premier semestre de 2002. En particulier, il ressort de cette lettre que, dans tous les huit cas susmentionnés, le procureur avait « procédé à des entretiens » avec les plaignants et qu’il leur avait « fourni des réponses ». Cependant, aucune violation ni irrégularité n’avait été constatée.
Par ailleurs, selon le Gouvernement, le requérant aurait pu épuiser toutes ces voies de recours alors qu’il était détenu dans la cellule d’isolement provisoire. Ainsi, les 14 et 28 février 2000, il adressa à la cour régionale de Zemgale deux demandes d’élargissement, et les fonctionnaires du commissariat les transmirent aussitôt à leur destinataire ; rien ne montre qu’il n’en serait pas ainsi d’une plainte relative aux conditions de sa détention. Toutefois, à supposer même que l’administration du commissariat eût créé des obstacles à cet effet, le requérant aurait encore pu contester les conditions de sa détention post factum, après son transfert à la prison centrale de Riga, ce qu’il n’a pas fait.
Le requérant insiste sur le fait que, à cause du « désordre » régnant dans les quartiers d’isolement provisoire à l’époque des faits, il serait illusoire de croire qu’il aurait pu former un recours effectif visant les conditions de sa détention. Selon lui, le journal du quartier d’isolement provisoire ne suffit pas à démontrer qu’il n’a expédié aucune plainte au parquet ; en effet, seule une partie du courrier envoyée par les détenus à l’extérieur était consignée dans ce journal. Quant au nombre des inspections effectuées par le parquet dans les quartiers d’isolement provisoire de Jelgava, le requérant l’estime sans incidence dans son affaire.
b) Appréciation de la Cour
La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention impose à un requérant l’obligation d’utiliser auparavant les recours normalement disponibles et suffisants dans l’ordre juridique interne pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues. L’article 35 § 1 impose aussi de soulever devant l’organe interne compétent, au moins en substance, et dans les formes prescrites par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite devant la Cour, mais non d’user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs (voir, parmi beaucoup d’autres, Tanrıkulu c. Turquie [GC], no 23763/94, § 76, CEDH 1999‑IV).
La Cour rappelle également qu’elle doit appliquer la règle de l’épuisement des voies de recours internes en tenant dûment compte du contexte : le mécanisme de sauvegarde des droits de l’homme que les parties contractantes sont convenues d’instaurer. Elle a ainsi reconnu que l’article 35 § 1 doit s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif. Elle a de plus admis que cette règle ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; pour en contrôler le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause. Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la partie contractante concernée, mais également du contexte dans lequel la règle se situe ainsi que de la situation personnelle du requérant ; il faut rechercher ensuite si, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, le requérant peut passer pour avoir fait tout ce qu’on pouvait raisonnablement attendre de lui pour épuiser les recours internes (loc.cit., § 82).
Enfin, la Cour rappelle que l’article 35 § 1 prévoit une répartition de la charge de la preuve. Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible et susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs, et qu’il présentait des perspectives raisonnables de succès. Une fois cela démontré, il revient en revanche au requérant d’établir soit que le recours évoqué par le Gouvernement a de fait été employé, soit que, pour une raison quelconque, il n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause, soit encore que, en raison de circonstances particulières, il n’avait pas à être exercé (voir, par exemple, Akdivar et autres c. Turquie, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, p. 1211, § 68).
La Cour note qu’il existe une controverse entre les parties quant à la question de savoir si le requérant a effectivement adressé au parquet au moins une plainte relative aux conditions de sa détention. Toutefois, elle n’estime pas nécessaire de trancher séparément cette controverse, l’exception du Gouvernement devant en tout état de cause être écartée pour les raisons suivantes.
La Cour constate d’emblée qu’à l’époque des faits relatés par le requérant, aucun texte législatif ni réglementaire ne régissait expressément les conditions de détention dans un commissariat de police et les voies de recours contre ces détentions. Pour ce qui est du règlement des quartiers d’isolement provisoire, nul ne conteste qu’il n’a pas été publié au journal officiel de la Lettonie ou dans une autre publication officielle ; de surcroît, le Gouvernement n’a jamais soutenu que ce texte aurait été montré ou communiqué au requérant. Dès lors, quelles que puissent être les voies procédurales prévues par ce règlement, elles ne remplissent manifestement pas le critère d’accessibilité requis pour être « effectives », au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.
Selon le Gouvernement, le requérant avait la possibilité d’adresser une plainte au chef du commissariat de police où il était détenu. La Cour considère toutefois qu’un recours gracieux devant l’autorité dont émanent l’acte ou le comportement dénoncés ne constitue pas, par définition, un recours effectif (voir, mutatis mutandis, Granger c. Royaume-Uni, no 11932/86, décision de la Commission du 9 mai 1988, DR 56, p. 199, et Roseiro Bento c. Portugal (déc.), no 29288/02, 30 novembre 2004).
Reste la question de savoir si un éventuel recours devant le parquet était accessible au requérant et s’il pouvait fournir un moyen efficace et adéquat pour remédier à la situation critiquée. A cet égard, la Cour observe que l’article 5 de la loi sur le parquet charge les procureurs de « supervise[r] (...) les lieux où les personnes placées en détention provisoire ou en garde à vue (...) sont détenues (...) », alors que l’article 15 leur confère le droit de demander la libération immédiate des personnes illégalement détenues. Qui plus est, selon les informations fournies par le Gouvernement, pendant la période litigieuse, les procureurs relevant du parquet de Jelgava ont effectué huit inspections à la suite d’une plainte relative aux conditions de la détention ou à la qualité des soins médicaux dispensés dans les quartiers d’isolement de cette ville, et qu’ils ont en outre procédé à sept inspections spontanées. Or, à supposer même qu’une partie de ces inspections visait le commissariat dans lequel le requérant était détenu, il ne ressort pas des documents fournis par le Gouvernement qu’une seule de ces inspections ait abouti à des mesures concrètes. Bien au contraire, il apparaît que, lors de toutes les inspections ayant pour fondement une plainte, le procureur s’est limité à « procéder à des entretiens » avec les plaignants et de leur « fournir des réponses ». En d’autres termes, le Gouvernement n’a fourni aucun exemple concret où la voie de recours suggérée aurait été efficace en pratique.
Enfin, la Cour rappelle que le requérant fut détenu dans la cellule d’isolement provisoire pendant plus d’un mois ; dans ces conditions, pour être effectif au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, un recours interne devait présenter des garanties minimales de célérité, d’autant plus qu’il s’agissait d’une allégation sérieuse de mauvais traitements. Or, même si l’on lit les dispositions pertinentes de la loi sur le parquet en combinaison avec celle relative à l’examen de requêtes, de plaintes et de suggestions par les autorités de l’État et des collectivités territoriales (cf. supra), il apparaît que l’article 8 § 1 de ce dernier texte impartit à l’autorité compétente un délai de quinze ou de trente jours pour donner suite à une requête ou une plainte ; qui plus est, dans certains cas, ces délais peuvent faire l’objet d’une extension. Or, vu la nature du grief soulevé par le requérant, de tels délais paraissent inadéquats. A cet égard, la Cour rappelle qu’un recours inapte à prospérer en temps utile n’est ni adéquat ni effectif (voir Pine Valley Developments Ltd. et autres c. Irlande, arrêt du 29 novembre 1991, série A no 222, p. 25, § 47, et Podkolzina c. Lettonie (déc.), no 46726/99, 8 février 2001).
En résumé, le Gouvernement n’a pas convaincu la Cour de l’existence, dans l’ordre juridique letton, d’un recours interne accessible, effectif et adéquat que le requérant aurait dû épuiser avant de saisir la Cour. Partant, il y a lieu de rejeter l’exception en cause.
2. Sur le fond du grief
Le Gouvernement ne formule aucun argument séparé quant à la substance du grief.
En revanche, le requérant affirme que les conditions de sa détention ont enfreint cette disposition.
La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
B. Griefs tirés de l’article 6 de la Convention
Le requérant se plaint d’avoir été condamné à tort, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Sous l’angle de l’article 6 § 3 de la Convention, il dénonce également la qualité de travail de son avocat et le rejet, par la juridiction de première instance, de sa demande de citer certains témoins à décharge. Les parties pertinentes de l’article 6 sont ainsi libellées :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.
(...)
3. Tout accusé a droit notamment à :
(...)
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
(...) »
La Cour rappelle qu’elle a pour seule tâche, aux termes de l’article 19 de la Convention, d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les États contractants. Il ne lui appartient pas, en particulier, de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 34, CEDH 2000‑V). En l’espèce, la Cour constate que les décisions portant condamnation du requérant sont suffisamment motivées et qu’elles ne montrent aucun indice d’arbitraire. Il n’y a donc aucune apparence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Quant aux griefs soulevés sur le terrain de l’article 6 § 3, la Cour constate que le requérant a omis de soulever ces griefs, du moins en substance, dans le cadre des procédures d’appel et de cassation ; en effet, c’est devant elle que le requérant les formule pour la première fois. Partant, il a omis d’épuiser les voies de recours internes, comme le veut l’article 35 § 1 de la Convention.
Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
C. Grief tiré de l’article 4 § 1 du Protocole no 7
Le requérant se plaint qu’en le condamnant pour viol, les juridictions lettonnes ont pris en considération sa condamnation antérieure pour le même type d’infraction. Selon lui, ce fait a constitué une violation de l’article 4 § 1 du Protocole no 7, ainsi libellé :
« Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État. »
La Cour rappelle que l’applicabilité de l’article 4 du Protocole no 7 se limite au cas où c’est effectivement une même infraction qui a été punie deux ou plusieurs fois (voir, par exemple, Ponsetti et Chesnel c. France (déc.), nos 36855/97 et 41731/98, CEDH 1999-VI, et Garaudy c. France (déc.), no 65831/01, CEDH 2003-IX). En revanche, cette disposition ne vise ni un simple constat de récidive en tant que circonstance aggravante, ni l’adjonction de la portion non purgée d’une peine en cas d’une nouvelle condamnation. En l’occurrence, il apparaît que le requérant a été condamné pour un viol commis en 1999, infraction bien distincte de celle perpétrée dix ans auparavant.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
D. Grief tiré de l’article 8 de la Convention et relatif à la correspondance du requérant avec ses proches
Le requérant se plaint que l’interdiction absolue d’entretenir une correspondance avec sa mère et sa compagne a porté atteinte à son droit au respect de la vie familiale et de la correspondance, au sens de l’article 8 de la Convention. Cette disposition se lit ainsi :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
1. Sur l’exception du Gouvernement
a) Arguments des parties
Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement, par le requérant, des voies de recours prévus en droit interne. En premier lieu, il conteste l’assertion du requérant selon laquelle sa première demande en ce sens aurait été formée immédiatement après son arrestation ; en effet, aucune pièce du dossier ne vient étayer cette thèse. En deuxième lieu, le requérant n’avait pas attaqué par voie de recours la décision du procureur près la cour régionale de Zemgale du 21 mars 2000, rejetant sa demande d’autorisation de correspondance. En troisième lieu, pour ce qui est des décisions prises à cet égard par la cour régionale de Zemgale et par la Cour suprême, le requérant aurait pu les contester devant le parquet, ce qu’il n’a pas fait. S’agissant enfin de la plainte adressée au directeur du Département judiciaire du ministère de la Justice, le Gouvernement rappelle que cet organe « n’a aucun pouvoir de s’immiscer dans le cours d’une procédure pénale ». Quant au courrier du directeur du 17 mai 2000, il s’agissait d’une simple lettre informative qui, par définition, ne pouvait pas faire l’objet d’un recours. Dès lors, cette voie ne constituait pas un recours à épuiser au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.
Le requérant ne se prononce pas sur ce point.
a) Appréciation de la Cour
La Cour renvoie aux principes généraux établis par sa jurisprudence en matière d’épuisement des voies de recours internes (cf. supra). Elle constate tout d’abord qu’en invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant dénonce l’impossibilité d’avoir des contacts avec ses proches pendant sa détention provisoire ; son grief porte donc sur une situation prolongée plutôt que sur l’une ou l’autre des décisions à l’origine de cette situation. En l’espèce, il apparaît qu’à quatre reprises, en avril, en mai en juillet et en août 2000, sa demande d’autorisation de correspondance fut examinée – et rejetée – par la juridiction saisie du fond de son affaire. Dans ces conditions, on ne saurait reprocher au requérant de ne pas avoir épuisé toutes les instances de recours qui s’ouvraient à lui alors qu’il formait ses demandes antérieures.
Pour ce qui est de l’allégation du Gouvernement selon laquelle le requérant aurait pu contester devant le parquet les décisions prises par la cour régionale et la Cour suprême, la Cour observe qu’aucune disposition du droit letton ne prévoit expressément une telle voie de recours. Pour sa part, elle voit mal comment une partie au procès pourrait attaquer une décision émanant d’un tribunal – et, en particulier, d’une juridiction suprême – par voie d’un recours devant le ministère public, lui aussi partie au procès devant ce même tribunal.
Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que le Gouvernement ne l’a pas convaincue de l’existence d’un recours interne au sens de l’article 35 § 1 de la Convention que le requérant aurait dû épuiser avant de soulever son grief devant la Cour. Dès lors, l’exception du Gouvernement ne saurait être retenue.
2. Sur le fond du grief
Les parties ne formulent aucun argument séparé quant à la substance du ce grief. La Cour estime que ce dernier pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que le grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
E. Grief concernant l’ouverture du courrier en provenance de la Cour
Le requérant se plaint de l’ouverture et du contrôle du courrier qui lui était adressé par la Cour. Il y voit une ingérence injustifiée dans son droit au respect de la correspondance et une entrave à l’exercice efficace de son droit de requête. Outre l’article 8 (cf. supra), ce grief pose problème sous l’angle de la seconde phrase de l’article 34 de la Convention, ainsi libellé :
« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. »
Selon le Gouvernement, rien dans le dossier ne permet de conclure que les autorités aient eu l’intention de mettre des obstacles à ce que le requérant introduisît sa requête à Strasbourg, ni qu’elles l’aient soumis à une pression quelconque dans le but de créer des obstacles à sa correspondance avec la Cour. Le Gouvernement reconnaît que le vaguemestre de la prison centrale a effectivement ouvert, lu et cacheté la lettre du greffe de la Cour du 21 août 2000. Toutefois, cette mesure, ayant pour fondement l’arrêté no 113 du ministre de l’Intérieur, s’appliquait à tous les détenus sans aucune distinction ni discrimination, de sorte que le requérant ne saurait se plaindre que cette mesure aurait été dirigée personnellement contre lui. Au demeurant, aucun retard n’a été commis par l’administration de la prison, le requérant ayant reçu le courrier litigieux le 30 août 2000.
Selon le requérant, l’entrave à sa communication avec la Cour a bel et bien eu lieu.
La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que cette partie de la requête pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare recevables, tous moyens de fond réservés, les griefs du requérant tirés des articles 3, 8 et 34 de la Convention ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président