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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
9.5.2006
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION FINALE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 10226/03
présentée par Mehmet YUMAK et Resul SADAK
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 9 mai 2006 en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 1er mars 2003,

Vu la décision de traiter en priorité la requête en vertu de l'article 41 du règlement de la Cour ;

Vu la décision partielle du 22 février 2005,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, M. Mehmet Yumak et M. Resul Sadak, sont des ressortissants turcs nés respectivement en 1962 et 1959 et résidant à Şırnak. Ils sont représentés devant la Cour par Me T. Elçi, avocat à Diyarbakır.

A. Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le 31 juillet 2002, la Grande Assemblée nationale de Turquie, réunie en séance plénière, fixa au 3 novembre 2002 la date des élections législatives anticipées. Les députés approuvèrent par 440 voix pour et 62 contre la proposition de loi arrêtant cette date ; trois députés s'abstinrent.

Au mois de septembre 2002, les requérants, candidats du parti politique DEHAP (Parti démocratique du peuple) dans le département de Şırnak, débutèrent leur campagne électorale.

Le 3 novembre 2002, ils firent partie des candidats en lice. Le DEHAP recueillit dans le département 47 449 voix sur les 103 111 suffrages exprimés, ce qui correspond à un score d'environ 45,95 %.

Ce parti n'ayant toutefois pas dépassé le seuil de 10 % au niveau national, les requérants ne furent pas élus. En conséquence, les trois sièges attribués au département de Şırnak furent répartis comme suit : deux sièges pour l'AKP, qui avait obtenu 14,05 % des voix (soit 14 460 voix), et un siège pour M. Tatar, candidat indépendant qui avait recueilli 9,69 % des suffrages (soit 9 914 voix).

B. Le droit et la pratique internes pertinents

1. La Constitution

L'article 67 § 6 de la Constitution, tel que modifié le 23 juillet 1995, dispose :

« Les lois électorales doivent concilier la juste représentation et la stabilité gouvernementale. »

L'article 125 de la Constitution énonce :

« Tout acte ou décision de l'administration peut faire l'objet d'un contrôle juridictionnel (...)

L'administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. »

2. Le système électoral

La loi no 2939 relative à l'élection des députés, publiée au Journal officiel le 13 juin 1983, définit quant à elle les modalités du régime électoral appliqué aux scrutins législatifs.

L'Assemblée nationale turque est composée de cinq cent cinquante députés, élus dans quatre-vingt-cinq circonscriptions. Les élections sont à un seul tour. Elles se déroulent sur l'ensemble du territoire national, le même jour, à la représentation proportionnelle et au suffrage libre, égal, universel et secret. Le dépouillement du scrutin ainsi que l'établissement consécutif de procès-verbaux sont publics. Chaque département constitue une circonscription électorale.

L'article 16 de la loi no 2939 est ainsi libellé :

« (...) [L]es partis politiques ne peuvent pas présenter des listes communes (...) »

L'article 33 (tel que modifié le 23 mai 1987) de la même loi dispose :

« Lors de l'élection générale, les partis ne peuvent obtenir de siège que s'ils dépassent le seuil de 10 % des suffrages valablement exprimés au niveau national (...) Un candidat indépendant inscrit sur la liste d'un parti politique ne peut être élu que si la liste de ce parti dépasse le seuil de 10 % au niveau national (...) »

La méthode D'Hont[1] est appliquée dans la répartition des sièges en fonction des résultats du scrutin.

3. La jurisprudence constitutionnelle

Dans un arrêt du 18 novembre 1995 (E. 1995/54, K. 1995/59), la Cour constitutionnelle a eu l'occasion de se prononcer sur la compatibilité avec la Constitution de l'article 34/A de la loi no 2939. Cet article, se référant à l'article 33, imposait également le seuil électoral de 10 % dans la répartition des sièges de députés élus dans la « circonscription nationale ».

Les juges constitutionnels ont invalidé les dispositions établissant la circonscription nationale mais ont toutefois considéré que le seuil national de 10 % pouvait passer pour compatible avec l'article 67 de la Constitution.

Les passages pertinents de cet arrêt se lisent ainsi :

« (...) [L]a Constitution définit l'Etat turc comme étant une République (...) La structure constitutionnelle de l'Etat, qui repose sur la souveraineté nationale, émane de la volonté nationale et passe par des élections libres. Ce choix, souligné dans les différents articles de la Constitution, est mis en évidence de façon marquée et précise à l'article 67, intitulé « droit de voter, d'être élu et de se livrer à des activités politiques ». Le paragraphe 6 modifié de cet article indique que les lois électorales doivent être établies de manière à concilier les principes de « juste représentation » et de « stabilité gouvernementale ». Le but visé est que la volonté des électeurs se reflète autant que possible [dans] l'organe législatif. (...) [Pour] choisir le système comportant les méthodes les plus aptes à permettre aux volontés et choix collectifs de se refléter dans l'organe législatif, (...) en adoptant les dispositions législatives à la lumière des circonstances du pays et des nécessités constitutionnelles, il convient d'opter pour [le système] qui est le plus conforme à la Constitution ou d'abandonner celui qui y est contraire.

L'impact d'une démocratie représentative est visible dans différents domaines. Les systèmes injustes que l'on a adoptés en pensant qu'ils allaient assurer la stabilité ont pour effet d'entraver considérablement les développements sociaux (...) Dans la représentation, l'importance accordée à la justice est la condition principale de la stabilité gouvernementale. La justice assure la stabilité. Toutefois, l'idée de stabilité, en l'absence de justice, crée l'instabilité. Le principe de « juste représentation » dont la Constitution exige le [respect] se résume par un [suffrage] libre, égal, secret, à un tour, universel, [avec] décompte et dépouillement publics, et se concrétise par un nombre de représentants proportionnel au nombre de voix obtenues. Quant au principe de « stabilité gouvernementale », il est perçu comme renvoyant aux méthodes devant refléter les voix [au sein de] l'organe législatif de manière à garantir la force de l'exécutif. « La stabilité gouvernementale », que l'on entend assurer grâce au seuil de suffisance qualifié de « barrage », tout comme la juste représentation (...), figurent dans la Constitution. Lors des élections (...), il faut accorder de l'importance à la combinaison de ces deux principes, qui semblent antinomiques dans certaines situations, de façon [à ce qu'ils] s'équilibrent et se complètent (...)

Pour atteindre le but de la « stabilité gouvernementale », énoncé par la Constitution, il est prévu un [seuil] national (...)

Il est évident que le [seuil] de 10 % des voix au niveau national que prévoit l'article 33 de la loi no 2839 (...) est entré en vigueur avec l'approbation de l'organe législatif. Les systèmes électoraux doivent être conformes aux principes constitutionnels (...), il est inévitable que certains de ces systèmes comportent des conditions impératives. Les seuils qui résultent de la nature des systèmes et [sont exprimés] en pourcentage, et [qui] au niveau du pays restreignent le droit de vote et le droit d'être élu, sont applicables [et] acceptables (...) tant qu'ils ne dépassent pas des mesures normales (...) Le [seuil] de 10 % est conforme aux principes de stabilité gouvernementale et de juste représentation (...) »

Trois juges constitutionnels se sont opposés à l'argumentation de la majorité, considérant que le seuil national de 10 % ne se conciliait pas avec l'article 67 de la Constitution.

C. Documents pertinents du Conseil de l'Europe

1. Rapport de la commission ad hoc auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe

Le Gouvernement se réfère au rapport de la commission ad hoc sur l'observation des élections législatives en Turquie (3 novembre 2002), établi le 20 décembre 2002. Les parties pertinentes de ce rapport sont ainsi libellées :

« Comme l'ont abondamment diffusé les médias, deux partis seulement sur les dix-huit en lice ont réussi leur entrée au nouveau Parlement de la Turquie (TBMM), l'AKP (Justice et développement) et le CHP (Parti républicain du peuple). Tous les autres partis, jusqu'ici représentés au Parlement, ayant été évincés faute d'avoir pu franchir la barre des 10 %. Le parti au gouvernement jusqu'aux élections a fait seulement 1 % des voix. Les problèmes à caractère économique et la corruption ont été déterminants dans ce scrutin.

Une majorité claire et absolue s'est donc dégagée avec 362 sièges pour AKP, 179 pour l'opposition et 9 pour les députés indépendants. (Ces derniers sont élus dans des petites villes où ils ont une bonne réputation.) Il convient de rappeler que l'AKP avait 59 sièges dans l'ancienne législature, et le CHP trois (élections de 1999).

Cette situation devrait entraîner vraisemblablement une plus grande stabilité dans le pays en évitant des coalitions complexes et instables. Le lundi 4 novembre 2002, la Bourse de la Turquie a remonté de 6,1 %.

Toutefois, cela veut dire aussi qu'environ 44 % des votes exprimés ne sont pas représentés au Parlement.

Les résultats doivent donc être interprétés comme un vote de protestation sans ambiguïté contre l'establishment tout entier, puisqu'aucun des trois partis de l'ancienne coalition au pouvoir n'a recueilli suffisamment de voix pour un seul siège ! »

2. Code de bonne conduite en matière électorale

Le Conseil de l'Europe n'a pas défini de normes impératives dans le domaine des seuils électoraux ; en effet, cette question n'a pas été soulevée dans les textes à caractère normatif de l'organisation. Le Code de bonne conduite en matière électorale, adopté par la Commission de Venise, offre en revanche des indications à ce sujet[2]. En ce qui concerne le type de suffrage, le Code indique que le suffrage direct est le principe, mais précise en même temps que si le parlement est bicaméral une des deux chambres peut être élue au suffrage indirect. Quant au choix du système électoral, les Lignes directrices figurant dans le Code énoncent que ce choix est libre.

D. Droit comparé

Bien qu'il n'existe pas de classification uniforme des modes de scrutin et des systèmes électoraux, on distingue généralement trois grands types : les modes de scrutin majoritaires, proportionnels et mixtes. Dans le système majoritaire, est déclaré(e) élu(e) le candidat ou la liste de candidats qui a obtenu, lors du tour de scrutin décisif, la majorité des voix. Ce type de scrutin permet la constitution de majorités de gouvernement claires, mais en même temps défavorise la représentation des partis politiques minoritaires[3]. A l'extrême inverse, le système proportionnel a pour but d'assurer une transposition proportionnelle des voix en mandats. La proportionnelle est généralement considérée comme le système le plus « juste », car il tend vers une représentation plus fidèle des différentes forces politiques. Cependant, l'inconvénient de ce système est qu'il favorise la fragmentation de l'offre électorale et par conséquent rend plus difficile la constitution de majorités stables dans les assemblées.

De nos jours, ce type de système est le plus utilisé en Europe. A titre d'exemples, l'Allemagne, le Danemark, l'Espagne, l'Estonie, l'Irlande, le Luxembourg, Malte, Moldova, la Norvège, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, la Suède, la Bulgarie et la Turquie ont opté pour la représentation proportionnelle ou l'une de ses variantes. Il existe également des systèmes mixtes qui proposent différentes combinaisons entre les deux modes de scrutin (par exemple en Italie, en Lituanie, en Russie et en Ukraine).

Afin d'assurer des majorités stables dans les assemblées élues au scrutin proportionnel, le législateur a très souvent recours à des seuils pour l'accession à la répartition des sièges. Les seuils sont « des limites, fixes ou variables, établies au moyen du résultat électoral, qui déterminent la participation d'une liste ou d'un candidat à la répartition des sièges »[4]. Toutefois, le rôle joué par les seuils diffère en fonction de leur hauteur et du système des partis en place dans chaque pays. Un seuil bas n'écarte que les très petites formations, ce qui rend plus difficile la constitution de majorités stables, alors que dans le cas d'une forte division du système partisan, un seuil élevé conduit à exclure de la représentation une part importante des suffrages.

Parmi les Etats membres du Conseil de l'Europe qui utilisent la représentation proportionnelle ou l'une des ses variantes dans le cadre d'un système mixte et qui prévoient un seuil électoral, on donnera les exemples suivants : en Allemagne, il faut recueillir 5 % des suffrages exprimés au niveau national ou obtenir trois sièges au scrutin uninominal. En Suède, un parti doit recueillir 4 % des suffrages exprimés au niveau national ou 12 % des suffrages exprimés dans la circonscription de base où le siège est attribué. En Bulgarie, un seuil national de 4 % est imposé. Au Liechtenstein, il faut obtenir 8 % des suffrages exprimés au niveau national. Au Danemark, il faut soit recueillir 2 % des suffrages exprimés au niveau national, soit obtenir un nombre déterminé de suffrages dans deux des trois zones géographiques du pays. Aux Pays-Bas, un seuil national de 0,67 % des suffrages exprimés est fixé.

En règle générale, le seuil prévu ne s'applique pas en tant que tel aux coalitions, qui doivent franchir des seuils plus élevés. En République tchèque, par exemple, le seuil pour un parti est de 5 % alors qu'en cas de coalition on ajoute 5 % pour chacun des partis qui en sont membres. En Roumanie, on ajoute 3 % au seuil de base de 5 %, et, à partir du troisième parti, seulement 1 %. En Pologne, le seuil électoral varie entre 5 % et 8 % suivant qu'il s'agit de listes locales ou nationales ; pour une coalition, il est fixé à 8 % et ne varie pas en fonction du nombre de partis membres de celle-ci. Suivant la même logique, le seuil appliqué aux candidats indépendants est moins élevé : à titre d'exemple, il est de 3 % en Moldova.

GRIEFS

Invoquant l'article 3 du Protocole no 1, les requérants estiment que le fait qu'un seuil électoral de 10 % soit imposé lors des élections législatives porte atteinte à la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif.

Dans leurs observations présentées le 22 septembre 2005 et basées sur les mêmes faits, les requérants allèguent également une violation des articles 10, 11 et 14 de la Convention.

EN DROIT

1. Les requérants allèguent une atteinte à la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif, à raison du seuil électoral de 10 % imposé lors des élections législatives. Ils invoquent l'article 3 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Les Hautes Parties contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »

Le Gouvernement considère que l'article 3 du Protocole no 1 n'énonce pas un droit de vote absolu et qu'il y a lieu de reconnaître aux Etats contractants une ample marge d'appréciation quand ils ont à fixer des seuils électoraux. Il fait remarquer que l'article 3 du Protocole no 1 ne comporte pas d'expressions telles que « toute personne » ou « nul ne peut », ce qui selon lui semble indiquer un simple engagement des « Hautes Parties contractantes à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret ».

Par ailleurs, l'article 3 du Protocole no 1 garantit en principe le droit de vote et le droit de se porter candidat lors de l'élection du corps législatif. Il prévoit par conséquent l'organisation d'élections libres sans imposer un système électoral particulier. De plus, ces élections doivent se dérouler au scrutin secret et être organisées à des intervalles « raisonnables ». Enfin, les élections doivent être organisées dans des conditions assurant la libre expression de l'opinion du peuple. Cela signifie qu'aucune contrainte ni pression ne doit être exercée sur les électeurs quant à leur choix parmi les candidats. De même, cette disposition n'accorde pas un droit illimité.

Le Gouvernement ajoute que le seuil national a été instauré dans le but d'éviter la fragmentation politique au niveau de la représentation. Il s'applique à tous les partis qui ont participé aux élections de 2002. Ainsi, le DSP (Parti de la gauche démocratique), l'ANAP (Partie de la mère patrie) et le MHP (Parti du mouvement nationaliste), qui avaient formé le gouvernement de coalition à la suite des élections de 1999, ont obtenu respectivement 1,23 %, 5,12 % et 8,34 % des suffrages et n'ont pu comme le DEHAP, qui a recueilli 6,23 % des suffrages – obtenir de siège au Parlement. Il en a été de même pour le GP (Parti de la jeunesse), le SP (Parti socialiste) et le YTP (Parti de la nouvelle Turquie), qui ont réalisé les scores respectifs de 7,25 %, 2,49 % et 1,15 %.

Le Gouvernement fait remarquer que si le DEHAP avait réussi à dépasser le seuil de 10 %, il aurait remporté des sièges au Parlement, comme l'AKP et le CHP, qui ont obtenu respectivement 34,26 % et 19,40 % des suffrages.

Il soutient également que rien n'empêchait en droit interne les partis politiques de former des coalitions afin de franchir la barre des 10 %. Le DEHAP pouvait ainsi faire une coalition avec les autres partis politiques qui se sont présentés aux élections du 3 novembre 2002 et avoir des représentants à la Grande Assemblée nationale de Turquie.

Le Gouvernement rappelle également que le CHP, second parti ayant obtenu des sièges au Parlement à la suite des élections de 2002, n'avait pu dépasser ce seuil lors du scrutin législatif de 1999. Cela montre selon lui qu'un parti politique qui ne franchit pas la barre en question lors d'une élection législative peut le faire par la suite et ainsi remporter des sièges au Parlement.

En conclusion, le Gouvernement soutient que le seuil de 10 % n'est pas un obstacle à la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif. Enfin, il attire l'attention de la Cour sur le fait que le parlement actuel reflète le suffrage de plus de 50 % des électeurs.

Les requérants s'opposent à la thèse du Gouvernement et soulignent notamment l'importance de la représentation régionale. A cet égard, ils affirment que les partis issus de la région Sud-Est ne comptent aucun député alors qu'ils réunissent environ deux millions de voix.

Ils estiment également que le seuil de 10 % porte atteinte à la substance même du droit garanti par l'article 3 du Protocole no 1. Par ailleurs, un tel seuil n'assure selon eux que la stabilité gouvernementale, au mépris de la juste représentation, ce qui est contraire non seulement à la Convention mais également à l'article 67 § 6 de la Constitution, en vertu duquel les lois électorales « doivent concilier la juste représentation et la stabilité gouvernementale ». Le fait que le suffrage de près de 50 % des électeurs ne se reflète pas dans la composition actuelle du Parlement signifie que la représentativité de celui-ci est sujette à caution.

La Cour estime, à la lumière de l'ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s'ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d'irrecevabilité n'a été relevé.

2. Dans leurs observations en réponse présentées le 22 septembre 2005 et basées sur les mêmes faits, les requérants allèguent également une violation des articles 10, 11 et 14 de la Convention.

La Cour remarque que les requérants, représentés par un avocat à la date de l'introduction de la requête, se sont contentés dans leur formulaire d'invoquer l'article 3 du Protocole no 1 sans même évoquer la substance des articles 10, 11 et 14 de la Convention (voir, a contrario, Buscarini et autres c. Saint-Marin [GC], no 24645/94, § 23, CEDH 1999I).

Dès lors, observant que le délai de six mois a commencé à courir à partir du 3 novembre 2002 et que les requérants ont introduit ces griefs le 22 septembre 2005, la Cour constate que ceux-ci sont tardifs et doivent être rejetés en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour,

à la majorité,

Déclare recevable le grief des requérants tiré d'une prétendue atteinte à la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif résultant du seuil électoral de 10 % imposé lors de l'élection législative à laquelle ils se sont présentés ;

à l'unanimité,

Déclare le restant de la requête irrecevable.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président


[1]. On divise les suffrages exprimés en faveur de chaque liste par une suite de nombres entiers : 1, 2, 3, 4, 5 (...) Les sièges sont attribués aux listes qui obtiennent les plus forts quotients. Cette méthode tend à favoriser le parti majoritaire.

[2]. Commission de Venise, « Code de bonne conduite en matière électorale : Lignes directrices et rapport explicatif », Avis n° 190/2002.

[3]. Centre européen de recherche et de documentation parlementaire (CERDP), « Electoral Systems in Europe: An Overview », Simon McGee, éd. Dick Toornstra, Bruxelles, 2000, consultable sur http://www.ecprd.org/Doc/publica/OTH/elect_system.html.

[4]. T. Poledna, Wahlrechtsgrunsätze und kantonale Parlamentswahlen, Zürcher Studien zum öffentlichen Recht 79, thèse soutenue à Zurich, p. 110, cité dans P. Garrone, L’élection populaire en Suisse : Etude des systèmes électoraux et de leur mise en œuvre sur le plan fédéral et dans les cantons, p. 231.