Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
25.4.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ÖZDEMİR ET AUTRES c. TURQUIE

(Requête no 23325/02)

ARRÊT

STRASBOURG

25 avril 2006

DÉFINITIF

25/07/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Özdemir et autres c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 avril 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 23325/02) dirigée contre la République de Turquie et dont quatre ressortissants de cet Etat, MM. Seyit Ahmet Özdemir, Mustafa Özdemir, Mehmet Özdemir et Mme Zeynep Özdemir (« les requérants »), ont saisi la Cour le 13 mai 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Me Y. Karataş, avocat à Sanliurfa. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.

3. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

4. Par une décision du 15 mars 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants sont nés respectivement en 1950, 1953, 1941 et 1922. Ils résident à Sanliurfa.

6. Le 27 mars 1999, la Direction de l’électricité (ci-après « l’administration ») expropria un terrain appartenant aux requérants, sis dans le village de Keskince, district de Birecik (Şanlıurfa). Une commission d’experts fixa la valeur de la parcelle expropriée à 1 707 750 000 livres turques (TRL) [environ 4 355 euros (EUR)]. Ce montant fut versé aux requérants à la date du transfert de propriété.

7. Le 5 avril 1999, les requérants introduisirent un recours en augmentation de l’indemnité d’expropriation auprès du tribunal de grande instance de Birecik.

8. Le 27 mai 1999, le tribunal donna gain de cause aux requérants et condamna l’administration à leur verser une indemnité complémentaire de 1 396 915 179 TRL [environ 3 332 EUR], assortie d’intérêts moratoires au taux légal à compter du 28 avril 1999.

9. Le 15 novembre 1999, la Cour de cassation confirma le jugement.

10. Le 15 novembre 2001, l’administration versa aux requérants la somme de 3 342 702 180 TRL (environ 2 477 EUR].

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

11. Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans les arrêts Akkuş c. Turquie (9 juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, pp. 1305-1306, §§ 13-16) et Aka c. Turquie (23 septembre 1998, Recueil 1998VI, pp. 26742676, §§ 17-25).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

12. Les requérants se plaignent du retard pris par l’administration dans le paiement des dommages et intérêts qui leur ont été accordés par une décision de justice et de l’insuffisance du taux de l’intérêt moratoire appliqué aux dettes de l’Etat. Ils invoquent à cet égard l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

13. Le Gouvernement reproche aux requérants d’avoir omis d’épuiser la voie de recours offerte par l’article 105 du code des obligations. La réparation des prétendues pertes du fait du retard dans le paiement de l’indemnité complémentaire aurait été possible au titre de cette disposition, à condition d’établir l’existence d’un dommage subi au-delà de celui qui se trouve compensé par les intérêts moratoires.

14. La Cour rappelle qu’elle a rejeté une exception semblable dans l’affaire Aka c. Turquie (arrêt précité, pp. 2678-2679, §§ 34-37). Elle n’aperçoit aucun motif de déroger à sa précédente conclusion et rejette l’exception du Gouvernement.

15. La Cour estime, à la lumière des critères qui se dégagent de sa jurisprudence (voir notamment Akkuş, précité) et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, que la requête doit faire l’objet d’un examen au fond. Elle constate en effet que celle-ci ne se heurte à aucun motif d’irrecevabilité.

B. Sur le fond

16. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 1 du Protocole no 1 (voir Akkuş, précité, p. 1317, § 31, et Aka, précité, p. 2682, §§ 50-51).

17. La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle constate que le retard pris dans le paiement de l’indemnité complémentaire accordée par les juridictions internes est imputable à l’administration expropriante, qui a fait subir aux propriétaires un préjudice distinct s’ajoutant à l’expropriation de leurs biens. C’est ce retard qui amène la Cour à considérer que les requérants ont eu à supporter une charge spéciale et exorbitante qui a rompu le juste équilibre devant régner entre les exigences de l’intérêt général et la sauvegarde du droit au respect des biens.

18. Par conséquent, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

19. Les requérants se plaignent que la durée de la procédure d’expropriation, qui a débuté en 1999 avec l’expropriation et pris fin avec le paiement de l’indemnité complémentaire en novembre 2001, a méconnu l’article 6 § 1 de la Convention.

20. La Cour estime que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a non plus été relevé. Cependant, eu égard à sa conclusion sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour n’estime pas nécessaire de réexaminer la question de célérité de plus sous l’angle de l’article 6 § 1.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

21. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage matériel et moral

22. Les requérants affirment devoir être dédommagés pour un préjudice matériel qu’ils évaluent à 3 530 EUR. Ils demandent également une somme pour le dommage moral sans la chiffrer.

23. Le Gouvernement estime cette demande excessive et non justifiée. Par ailleurs, il prie la Cour de considérer que, si elle estimait devoir allouer une satisfaction, celle-ci ne devrait, en aucun cas, constituer une source d’enrichissement sans cause.

24. Considérant le mode de calcul adopté dans l’arrêt Akkuş (précité, p. 1311, §§ 35-36 et 39) et à la lumière des données économiques pertinentes, la Cour accorde 500 EUR aux requérants conjointement à titre de dommage matériel.

25. Quant au préjudice moral, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante.

B. Frais et dépens

26. Les requérants demandent 2 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour. Ils ne présentent pas de justificatif.

27. Le Gouvernement estime cette demande non justifiée.

28. Pour ce qui est des frais et dépens, la Cour rappelle qu’au titre de l’article 41 de la Convention, elle rembourse uniquement les frais dont il est établi qu’ils ont été réellement et nécessairement exposés et sont d’un montant raisonnable (voir, parmi d’autres, Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 79, CEDH 1999-II).

Bien que la demande des requérants ne soit ni chiffrée ni documentée, force est néanmoins d’accepter que ceux-ci ont nécessairement encouru certains frais aux fins de leur représentation devant la Cour. Partant, elle estime raisonnable de leur accorder conjointement la somme de 500 EUR, tous frais confondus.

C. Intérêts moratoires

29. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit que le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral ;

5. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 500 EUR (cinq cents euros) pour dommage matériel et 500 EUR (cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû au titre de taxes, droits de timbres et charges fiscales exigibles au moment du versement, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 avril 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président