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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE UZUN c. TURQUIE
(Requête no 48544/99)
ARRÊT
STRASBOURG
20 avril 2006
DÉFINITIF
20/07/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Uzun c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
R. Türmen,
C. Bîrsan,
Mmes M. Tsatsa-Nikolovska,
A. Gyulumyan, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 mars 2006.
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 48544/99) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Nergiz Uzun (« la requérante »), a saisi la Cour le 25 février 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante, qui a été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représentée par Me Sevil Ceylan Erkat, avocate à Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent dans la procédure devant la Cour.
3. La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
4. Le 26 septembre 2000, la Cour (première section) a décidé de communiquer les griefs tirés de l’article 6 §§ 1 et 3 au Gouvernement et a déclaré le restant de la requête irrecevable.
5. Les 1er novembre 2001 et 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
6. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, le 7 novembre 2002, la Cour a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
7. La requérante est née en 1972. Elle est actuellement détenue à la prison d’Ankara.
8. Le 3 mai 1991, la requérante fut arrêtée par les gendarmes, puis placée en garde à vue. Interrogée le 6 mai suivant, elle refusa de répondre aux questions en qualité de prévenu et de signer le procès-verbal. Il lui fut reproché d’avoir participé à un affichage interdit et d’avoir résisté par la violence aux gendarmes.
9. Le 7 mai 1991, la requérante fut examinée par le médecin de l’institut médico-légal d’Ankara, dont le rapport fit état de douleur et de restriction de mouvement à l’épaule gauche. Le rapport précisa que l’intéressée ne portait pas de traces de coup ou de violence.
10. Le même jour, la requérante fut d’abord entendue par le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara (« le procureur »-« la cour de sûreté de l’Etat ») puis traduite devant le juge assesseur de cette juridiction, lequel ordonna sa mise en libération provisoire.
11. Le 9 mai 1991, le procureur mit la requérante en accusation, en même temps qu’un deuxième prévenu. Leur reprochant d’être membres d’une bande armée, d’avoir posé des pancartes, distribué des tracts et résisté à un policier lors de leur arrestation, il requit leur condamnation pour appartenance à une bande armée, résistance à un fonctionnaire lors de l’exercice de sa fonction et affichage interdit (articles 168 § 2, 258 § 1 et 537 § 2-4 du code pénal et article 5 de la loi no 3713 sur la lutte contre le terrorisme).
12. Une première audience dans le cadre de cette procédure (no 1991/79) eut lieu devant la cour de sûreté de l’Etat le 22 juillet 1991. Les accusés ne comparurent ni à cette audience, ni aux suivantes, bien qu’ils y fussent assignés, selon les procès-verbaux des 13 mai et 24 novembre 1991.
13. Plusieurs tentatives furent effectuées par les autorités judiciaires afin d’obtenir la comparution de la requérante devant la cour de sûreté de l’Etat : Le 3 décembre 1991, celle-ci ordonna l’audition de la requérante par commission rogatoire, devant le tribunal de grande instance de Gazipaşa (Antalya), indiqué comme étant son lieu de domicile. Le dossier ne contient pas d’élément indiquant que cette audition ait eu lieu.
14. Selon le procès-verbal du 15 janvier 1992, interrogé au sujet de l’adresse de sa fille, le père de la requérante affirma qu’elle faisait ses études à Ankara.
15. Le 31 mars 1992, la requérante fut arrêtée et placée en garde à vue une seconde fois dans les locaux de la section anti-terroriste au sein de la direction de la sûreté d’Ankara.
16. Cette fois-ci, elle était accusée de collecter de l’argent pour le compte de l’organisation illégale armée « Dev-Sol » (Devrimci Sol - gauche révolutionnaire). Lors de la perquisition opérée au domicile de la requérante le même jour, des livres, des manuscrits, des revues éditées par Dev-Sol ainsi que les statuts de celle-ci furent réquisitionnés par la police.
17. A la suite des interrogatoires qui se déroulèrent jusqu’au 10 avril 1992 dans les locaux de la section anti-terroriste, la requérante fut conduite à l’institut médico-légal d’Ankara, dont le rapport fit état d’un traumatisme à l’épaule gauche et d’une sensibilité sur l’articulation temporale mandibulaire gauche. Le médecin précisa que les jours de l’intéressée n’étaient pas en danger et prescrivit un arrêt de travail de sept jours.
18. Toujours dans la journée du 10 avril 1992, la requérante fut d’abord entendue par le procureur de la République près la Cour de sûreté de l’Etat d’Ankara, puis traduite devant le juge assesseur de cette juridiction, lequel ordonna sa mise en libération provisoire. Devant le procureur et le juge, elle contesta les accusations portées contre elle.
19. Par un acte d’accusation du 1er juin 1992, le procureur inculpa la requérante d’appartenance à une bande armée. Il requit sa condamnation en vertu des articles 168 § 2 du code pénal et 5 de la loi no 3713 sur la lutte contre le terrorisme. L’acte concernait six autres accusés en même temps que la requérante.
20. Le procès-verbal du 15 avril 1993 indique que le frère de la requérante, contacté à son lieu de travail, avait donné l’indication qu’elle était étudiante à Ankara.
21. Par une décision du 29 avril 1993, la cour de sûreté de l’Etat acquitta les six coaccusés de la requérante dans la procédure no 1992/79. En ce qui concerne la requérante, précisant qu’il y avait un lien factuel et juridique entre les deux dossiers, elle ordonna la jonction du deuxième dossier à celui portant le no 1991/76, et de poursuivre l’examen sur ce numéro d’enregistrement.
22. Comparaissent à l’audience du 15 juin 1993 (procédure no 1991/76), la requérante rejeta les accusations et déposa ses conclusions sur le fond. Elle précisa que la somme cinq millions de livres turques trouvées sur elle était issue d’une collecte de fonds destinée à soutenir les victimes d’un tremblement de terre survenu à Erzincan. Elle ajouta qu’elle pouvait en fournir les reçus.
23. Selon les procès-verbaux des audience tenues les 22 juillet et 19 octobre 1993, un délai fut accordé à la requérante afin qu’elle soumette les reçus en question.
24. Dans le procès verbal du 14 avril 1994, il est indiqué que la cour renonça à attendre les reçus, étant donné que leur examen n’était pas déterminant quand au fond de l’affaire.
25. Les audiences dans le cadre de cette procédure jointe (no 1991/76) furent à chaque fois reportées du fait que les adresses des deux accusés étaient « inconnues » et que le mandat d’arrêt décerné à la charge du coaccusé n’avait pu être exécuté.
26. Lors de l’audience du 25 décembre 1996, la cour de sûreté de l’Etat mentionna la possibilité de disjoindre le dossier du coaccusé fugitif de celui de la requérante, mais ne prit pas de décision à ce sujet.
27. Lors de l’audience du 19 février 1998, la cour de sûreté de l’Etat décida la disjonction des dossiers des deux accusés, étant donné que le second n’avait jamais pu être interrogé.
28. Par un arrêt du même jour, la cour de sûreté de l’Etat condamna la requérante à une peine d’emprisonnement de douze ans et six mois pour appartenance à une bande armée. Se basant sur divers procès-verbaux établis lors de la phase d’instruction des deux procédures mentionnées ci-dessus (paragraphe 21 ci-dessus), elle releva que la requérante s’était livrée à des actes de propagande pour l’organisation illégale susmentionnée, notamment par voie d’affichage illégal, en distribuant des tracts et en mettant des inscriptions interdites sur les murs lors de sa garde à vue.
29. Toujours le 19 février 1998, un mandat d’arrêt fut décerné à la charge de la requérante.
30. Dans sa lettre du 20 février 1998, la cour de sûreté de l’Etat demanda au parquet d’Alaca, où se trouvait l’inscription à l’état civil de la requérante, au parquet de Gazipaşa, où elle était domiciliée, et au parquet d’Ankara, où elle faisait ses études, la recherche active et l’arrestation de l’intéressée.
31. Cette dernière fut arrêtée le 27 mars 1998 à Gazipaşa.
32. Bénéficiant pour la première fois de l’assistance d’un avocat lors de cette procédure, la requérante forma un pourvoi en cassation contre le jugement du 19 février 1998 en demandant la tenue d’une audience publique. Dans son mémoire, elle contesta les faits tels qu’établis par la juridiction de première instance, et l’appréciation des preuves faite par celle-ci. Elle allégua que le jugement de première instance était fondé sur des dépositions des gendarmes et sur le procès-verbal dressé par les fonctionnaires de police. La requérante soutint en outre que les éléments constitutifs des infractions incriminées tels que décrits à l’article 168 (« appartenance à une bande armée ») n’étaient pas réunis dans son cas.
33. Le procureur général près la Cour de cassation présenta son avis sur le pourvoi de la requérante. Cet avis n’aurait pas été communiqué à l’intéressée.
34. Le 26 octobre 1998, après avoir tenue une audience en présence des avocats de la requérante, la Cour de cassation confirma le jugement du 19 février 1998.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
35. Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans les arrêts Özel c. Turquie (no 42739/98, §§ 20-21, 7 novembre 2002) et Gençel c. Turquie (no 53431/99, §§ 11-12, 23 octobre 2003).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
36. La requérante allègue que la cour de sûreté de l’Etat qui l’a jugée et condamnée ne constituait pas un « tribunal indépendant et impartial » qui eût pu lui garantir un procès équitable, en raison de la présence d’un juge militaire en son sein.
Elle allègue également que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable ». Elle se plaint en outre de la
non-communication de l’avis du procureur général près la Cour de cassation. Elle y voit une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention qui, en ses parties pertinentes, se lit ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement, par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)
3. Tout accusé a droit notamment à :
(...)
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
(...) »
A. Sur la recevabilité
37. La Cour constate que les griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que ceux-ci ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.
B. Sur le fond
1. Sur l’indépendance et l’impartialité de la cour de sûreté de l’Etat
38. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 (voir Özel, précité, §§ 33-34, et Özdemir c. Turquie, no 59659/00, §§ 35-36, 10 juillet 2001).
39. La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle constate qu’il est compréhensible que la requérante, qui répondait devant une cour de sûreté de l’Etat d’infractions prévues et réprimées par le code pénal, ait redouté de comparaître devant des juges parmi lesquels figurait un officier de carrière appartenant à la magistrature militaire. De ce fait, elle pouvait légitimement craindre que la cour de sûreté de l’Etat se laissât indûment guider par des considérations étrangères à la nature de sa cause. Partant, on peut considérer qu’étaient objectivement justifiés les doutes nourris par la requérante quant à l’indépendance et à l’impartialité de cette juridiction (Incal c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑IV, p. 1573, § 72 in fine).
40. La Cour conclut que, lorsqu’elle a jugé et condamné le requérante, la cour de sûreté de l’Etat n’était pas un tribunal indépendant et impartial au sens de l’article 6 § 1.
2. Sur l’équité de la procédure pénale et la non-communication de l’avis du procureur général
41. La Cour rappelle avoir déjà jugé dans des affaires similaires qu’un tribunal dont le manque d’indépendance et d’impartialité a été établi ne peut, en toute hypothèse, garantir un procès équitable aux personnes soumises à sa juridiction.
42. Eu égard au constat de violation du droit de la requérante à voir sa cause entendue par un tribunal indépendant et impartial auquel elle parvient, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’autre grief tiré de l’article 6 de la Convention (voir, entre autres, Çiraklar c. Turquie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998‑VII, §§ 44-45).
3. Sur la durée de la procédure pénale
43. La Cour note d’emblée que l’objet du grief est la première procédure portant le no dossier de 1991/76, à laquelle fut joint un deuxième dossier en cours de procédure (paragraphe 21 ci-dessus). La période à considérer a débuté le 3 mai 1991, par l’arrestation de la requérante et prît fin le 26 octobre 1998, par l’arrêt définitif rendu par la Cour de cassation. Elle a donc duré sept ans et six mois environ, pour deux instances.
44. Le Gouvernement estime qu’au vu des circonstances d’espèce, la durée de la procédure ne saurait être considérée comme déraisonnable au regard de la Convention et de la jurisprudence de la Cour. Il souligne que la requérante, bien que jugée pour un délit grave, s’était abstenu de comparaître devant le juge, et n’avait fait aucune démarche pour se faire représenter par un avocat.
45. La requérante maintient de son côté n’avoir pas été informée de la procédure, croyant que celle-ci était close après sa remise en liberté provisoire. Elle prétend n’en avoir été informée qu’au moment de l’exécution du mandat de dépôt ordonnée suite à sa condamnation.
46. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes, ainsi que suivant les circonstances de la cause.
47. Les parties ne se prononcent pas sur la complexité de l’affaire.
48. La Cour observe qu’en l’espèce, si l’affaire qui implique deux accusés ne semble pas particulièrement complexe, leur non-comparution a sans doute été le facteur déterminant pour le prolongement de la procédure.
49. La Cour constate à cet égard que les faits sont controversés. Elle considère que l’affirmation de la requérante selon laquelle la procédure se serait déroulée à son total insu faute d’assignation en bonne et due forme est peu convaincant, vu divers procès-verbaux d’audience (paragraphes 12 et 13 ci-dessus). Elle observe par ailleurs que dans le mémoire de cassation, la requérante se borne à contester l’appréciation des preuves par la cour de sûreté de l’Etat et se plaint du fait que seules des dépositions obtenues lors de l’instruction préliminaire de l’affaire ont motivé sa condamnation. Toutefois, le mémoire ne comporte aucune observation quant à sa non-comparution.
50. La Cour note que la requérante a comparu à l’audience du 15 juin 1993, et déposé ses conclusions sur le fond (paragraphe 22 ci-dessus). A partir de cette date-là, aucune évolution concernant la requérante et aucun acte de procédure n’intervinrent, ce jusqu’à la fin de la procédure.
51. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le comportement de la requérante, qui s’est soustraite à la Justice jusqu’au 15 juin 1993, fut à l’origine du prolongement de la procédure jusqu’à la date indiquée.
52. S’agissant du comportement des autorités judiciaires, la Cour rappelle que seules les lenteurs imputables à l’Etat peuvent amener à constater un dépassement du « délai raisonnable » (voir, notamment, Gergouil c. France, no 40111/98, § 19, 21 mars 2000, et Papachelas c. Grèce [GC], no 31423/96, § 40, CEDH 1999‑II). Un prolongement certain de la procédure peut être imputable aux autorités judiciaires dans la mesure où elles ont régulièrement prononcé des reports d’audiences entre le 15 juin 1993 et le 19 février 1998, à savoir pendant quatre ans et huit mois environ, sans aucun avancement dans le dossier, et au motif que les accusés étaient introuvables.
53. Eu égard à la durée globale de la procédure, notamment à celle devant la juridiction de première instance après la déposition des conclusions sur le fond de la requérante, et à l’objet de la procédure qui ne présente pas une complexité particulière, la Cour estime qu’il y a eu dépassement du « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
Partant, il y a eu violation de cette disposition.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
54. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
55. La requérante réclame 100 000 euros (EUR) pour préjudice matériel et 200 000 EUR pour préjudice moral.
56. Le Gouvernement conteste ces prétentions qu’il juge excessives.
57. Quant au préjudice matériel, dans la mesure où la requérante ne produit aucun élément de preuve permettant de parvenir à une quantification du préjudice résultant de la violation de l’article 6 de la Convention, la Cour rejette cette demande. En ce qui concerne le dommage moral, la Cour estime que l’intéressée peut passer pour avoir éprouvé un certain désarroi de par les circonstances de l’espèce. Elle considère qu’il y a lieu de lui octroyer 4 000 EUR à ce titre.
58. Pour la Cour, lorsqu’un particulier, comme en l’espèce, a été condamné par un tribunal qui ne remplissait pas les conditions d’indépendance et d’impartialité exigées par la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (voir Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210 in fine, CEDH 2005 -...).
B. Frais et dépens
59. La requérante demande 2 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour.
60. Le Gouvernement conteste cette somme.
61. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR tous frais confondus et l’accorde à la requérante.
C. Intérêts moratoires
62. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,
1. Déclare le restant de la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité de la cour de sûreté de l’Etat et la durée de la procédure devant elle ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’autre grief tiré de l’article 6 de la Convention ;
4. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 4 000 EUR (quatre mille euros) pour dommage moral ainsi que 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ou toutes autres charges fiscales exigibles au moment du versement, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 avril 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président