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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
4.5.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 49683/99
présentée par Kemal et Bülent ERTÜRK
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 4 mai 2006 en une chambre composée de :

MM. J. Hedigan, président,
L. Caflisch,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
MM. E. Myjer,
David Thór Björgvinsson, juges,

et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 16 juillet 1999,

Vu la mesure provisoire indiquée aux requérants en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour et le fait que cette mesure a été respectée,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Vu la lettre adressée par la partie requérante le 5 décembre 2005,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, MM. Kemal Ertürk et Bülent Ertürk, sont des ressortissants turcs, nés respectivement en 1975 et en 1977. Ils sont représentés devant la Cour par Me Gül Altay, avocate à Istanbul.

Les faits de la cause, tels qu’exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le 7 mars 1999, les requérants, suspectés d’avoir tenté d’assassiner le préfet de Çankırı (Ankara), furent arrêtés et placés en garde à vue.

Après sept jours d’interrogatoire, ils furent mis en détention provisoire par une ordonnance de la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara, et aussitôt transférés à la maison d’arrêt de haute sécurité de type F d’Eskişehir, semble-t-il à la demande du ministère de la Justice.

Le 18 mai 1999, les requérants entamèrent des grèves de la faim, afin de protester contre leur incarcération dans un établissement sis à 200 km d’Ankara, lieu où leur procès devait se dérouler. Par ailleurs, revendiquant leur appartenance au mouvement gauchiste, ils dénonçaient les menaces pesant sur leur vie dans leur milieu carcéral actuel, qu’ils devaient partager avec des détenus nationalistes d’extrême droite.

Les 22 et 23 mars 1999, les avocats des requérants saisirent respectivement le barreau d’Istanbul et la direction générale des établissements pénitentiaires près le ministère de la Justice, et demandèrent le transfert de leurs clients dans la maison d’arrêt d’Ankara. Ils firent valoir qu’à Eskişehir, ces derniers étaient menacés dans leurs vies par d’autres détenus et que leurs droits de la défense étaient bafoués en raison des difficultés découlant de la distance séparant le lieu du procès et celui de la détention.

Les requérants déposèrent par ailleurs une plainte pour mauvais traitements de la part du personnel pénitentiaire. Le 4 mai 1999, cette plainte aboutit à un non-lieu.

Le 5 mai 1999, les avocats des requérants réitérèrent leur demande de transfèrement auprès des instances ministérielles.

Le 23 mai 1999, la direction générale des établissements pénitentiaires rejeta les demandes susvisées, au motif que la prison d’Eskişehir était organisée de manière propre à assurer la sécurité des personnes condamnées pour des infractions terroristes, que les transfèrements de celles-ci pour les audiences ne posaient aucun problème particulier, et qu’enfin, l’enquête menée en l’espèce n’avait pas permis d’établir un quelconque mauvais traitement commis sur la personne des requérants.

Le 16 juillet 1999, les avocats des intéressés saisirent la Cour pour qu’elle intervienne, en vertu de l’article 39 de son règlement, afin d’assurer le transfert de leurs client dans une autre prison de type ordinaire.

Le 19 juillet suivant, cette disposition fut appliquée aux requérants, lesquels furent invités à mettre fin à leur grève de la faim, dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure devant la Cour.

Le 22 juillet 1999, au 65ème jour de leur grève de la faim, les requérants cessèrent leur manifestation et acceptèrent le traitement médical, conformément à un accord passé avec le ministère de la Justice, qui, en conséquence, les fit transférer à la maison d’arrêt de Nevşehir.

Dans l’intervalle la cour de sûreté de l’Etat ordonna la libération provisoire de Bülent Ertürk.

Le 14 février 2002, la cour de sûreté de l’Etat déclara les requérants coupables des faits reprochés ; elle condamna Bülent Ertürk à une peine d’emprisonnement de trois ans et neuf mois, et Kemal Ertürk à la perpétuité.

En application de la loi no 4616, dite loi d’amnistie, Bülent Ertürk bénéficia d’un sursis à l’exécution de sa peine et demeura en liberté jusqu’à ce qu’il succombe à une maladie fatale, en 2003.

Kemal Ertürk continue à purger sa peine.

GRIEFS

Dans leur requête, les requérants alléguaient une violation de l’article 6 § 3 b) de la Convention du fait des difficultés pour eux de se défendre efficacement, en raison de la distance séparant leur lieu de procès et la prison.

Par ailleurs, ils affirmaient que l’indifférence des autorités nationales face aux grèves de la faim qu’ils avaient entamées pour faire valoir leurs droits, emportait violation de l’article 2 de la Convention.

Cependant, par une lettre reçue le 30 juillet 1999, les requérants ont admis que les conditions pénitentiaires de la prison de Nevşehir leur étaient nettement plus favorables et, en substance, que leur grief tiré de l’article 2 s’avérait désormais sans objet. En revanche, arguant de ce que cette ville se trouve encore plus éloignée d’Ankara, ils ont déclaré maintenir leur doléance au regard de l’article 6 § 3 b) de la Convention.

EN DROIT

A. Griefs tirés des articles 2 et 6 § 3 b) de la Convention

En sus de la lettre précitée du 30 juillet 1999, la Cour note que le 5 décembre 2005 Me Altay a fait parvenir au greffe une seconde lettre, qui se lit ainsi :

« Le 4 mars 1999, les requérants, Bülent Ertürk et Kemal Ertürk, furent arrêtés et incarcérés. Ils furent mis en accusation devant la cour de sûreté d’Ankara. Ces deux requérants furent transférés à la maison d’arrêt d’Eskişehir, alors qu’à cette époque toutes les personnes arrêtées ou condamnées demeuraient dans la maison d’arrêt d’Ulucanlar. Les requérants entamèrent des grèves de la faim, afin de protester contre leur détention dans un lieu et dans des conditions autres que ceux imposés à leurs coaccusés, et qui de plus était en dehors du ressort du tribunal devant lequel ils été jugés. A l’issue de cette manifestation, au 60-70ème jour de leur grève de la faim, les requérants ont été transférés à la maison d’arrêt, où leurs coaccusés demeuraient. N’ayant plus de réclamations eu égard à la situation dénoncée dans la requête, nous la retirons. Cependant, nous sollicitons le remboursement de nos frais judiciaires et dépens afférents à la cause, en application de l’article 43 § 4 du règlement. »

La Cour en conclut que le requérant Kemal Ertürk et les ayants droit de feu son frère Bülent Ertürk n’entendent plus maintenir la présente requête au sens de l’article 37 § 1 a) de la Convention. Elle estime, par ailleurs, qu’aucune circonstance particulière touchant au respect des droits garantis par la Convention et du Protocole no 1 n’exige la poursuite de l’examen de la requête en question, au sens de l’article 37 § 1 in fine.

B. Frais de procédure

Aux termes de l’article 43 § 4 du règlement :

« Lorsqu’une requête a été rayée du rôle, les dépens sont laissés à l’appréciation de la Cour. (...) »

Me Altay réclame le remboursement de ses frais de justice, faisant valoir son contrat d’avocat passé avec les requérants.

De son côté, le Gouvernement demande à la Cour de ne pas accorder de somme à ce titre, en l’absence d’un quelconque constat de violation de la Convention.

La Cour rappelle qu’un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux sont établis (voir, par exemple, Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 30, CEDH 1999-V). Par ailleurs, les prétentions à ce titre doivent être chiffrées et ventilées par rubrique ainsi qu’appuyées par les justificatifs nécessaires, faute de quoi elles peuvent être rejetées, intégralement ou en partie (article 60 § 2 du règlement).

Il y a lieu de s’en tenir à ces principes également en cas d’application de l’article 43 § 4 du règlement, qui laisse les dépens à l’appréciation de la Cour, lorsqu’elle décide de rayer une requête de son rôle, que ce soit par un arrêt (voir, par exemple, Pisano c. Italie [GC] (radiation), no 36732/97, § 54, 24 octobre 2002, Meriakri c. Moldova (radiation), no 53487/99, § 33, 1er mars 2005, et Ohlen c. Danemark (radiation), no 63214/00, § 37, 24 février 2005) ou par une décision (Servet Ali Çınar c. Turquie (déc.) no 42737/98, 11 octobre 2005, Booto-Bongo Lionzo c. Allemagne (déc.), no 36846/03, 17 mars 2005, Michel Flèche c. France (déc.), no 63808/00, 22 juin 2004, et J.M. c. Royaume-Uni (déc.), no 41518/98, CEDH 2000X).

Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, des éléments en sa possession ainsi que des efforts déployés, à l’époque pertinente, par l’avocate des requérants afin que ceux-ci cessent leur grève de la faim, la Cour estime raisonnable d’accorder la somme de 1 500 euros pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre de taxe ou d’impôt (voir, mutatis mutandis, J.M., décision précitée).

Toujours en vertu de l’article 43 § 4 du règlement, la présente décision sera transmise au Comité des Ministres pour lui permettre de surveiller son exécution. Au cas où le Gouvernement omettrait de s’acquitter des sommes susmentionnées dans le délai accordé, la Cour considère que le taux annuel des intérêts moratoires doit être calqué sur celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne augmenté de trois points de pourcentage.

Par ces motifs, la Cour

1. Décide, à l’unanimité, de rayer la requête du rôle ;

2. Dit, à la majorité,

a) que l’Etat défendeur doit verser à la partie requérante, dans les trois mois à compter de la notification de la présente décision, la somme de 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre de taxe ou d’impôt, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délais et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux annuel égal au taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne augmenté de trois points de pourcentage.

Vincent Berger John Hedigan
Greffier Président