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TROISIÈME SECTION
DÉCISION FINALE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 61655/00
présentée par Raisa MIHOLAPA
contre la Lettonie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 4 mai 2006 en une chambre composée de :
MM. J. Hedigan, président,
L. Caflisch,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
M. E. Myjer,
Mme I. Ziemele, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 15 juin 2000,
Vu la décision partielle du 6 juin 2002,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante est une ex-ressortissante de l’ex-URSS, « non-citoyenne résidente permanente » de la Lettonie, née en 1953 et résidant à Riga (Lettonie). Le gouvernement letton (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mlle I. Reine.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Jusqu’en mai 1997, la requérante était propriétaire d’un appartement dans un immeuble sis à Riga, au 16, rue P. Lejiņa. En mai 1997, cet appartement fut vendu aux enchères publiques, et ce, en exécution d’un jugement passé en force de chose jugée et condamnant la requérante au paiement d’une dette de charges communales.
L’appartement fut alors acquis par Mme S.B. Le 3 juin 1997, le tribunal de première instance de l’arrondissement de Zemgale de la ville de Riga confirma cet achat. Le même jour, Mme S.B. fut enregistrée comme propriétaire du logement par le Service foncier de l’État (Valsts zemes dienests). Nonobstant la perte de sa qualité de propriétaire, la requérante continua à vivre dans l’appartement litigieux.
Le 11 mars 1998, Mme S.B. saisit le tribunal de l’arrondissement de Zemgale d’une première demande visant à expulser la requérante de l’appartement. Par un jugement du 29 avril 1998, le tribunal y fit droit. En exécution de ce jugement, le 21 août 1998, un huissier de justice expulsa la requérante. Celle-ci s’installa alors au 40, rue Zaļenieku (Riga), où elle demeure jusqu’à présent.
Le 24 août 1998, Mme S.B. intenta une deuxième action civile contre la requérante devant le tribunal de l’arrondissement de Zemgale, en demandant la réparation des dommages subis du fait de la résidence illégale de la défenderesse dans l’appartement pendant la période allant du 3 juin 1997 au 21 août 1998. L’entreprise municipale chargée des services communaux dans la localité en question se joignit à cette demande, en réclamant le paiement de la dette des charges communales (électricité, eau, etc.), non acquittées par la requérante. Le dossier fut aussitôt assigné à la juge Z.
Les 8 octobre et 5 novembre 1998, dans le cadre de ce deuxième procès, le greffe du tribunal essaya de citer la requérante au 16, rue P. Lejiņa, cette adresse lui ayant été indiquée par la demanderesse principale. Toutefois, les notifications revinrent au greffe avec une mention selon laquelle la requérante avait déménagé et que son nouveau domicile était inconnu.
Entre-temps, le 29 décembre 1998, la requérante adressa au tribunal de l’arrondissement de Zemgale une lettre relative au paiement des frais de justice dans la première affaire, celle entamée en mars 1998 et ayant eu pour objet son expulsion. La juge Z. lui répondit par une lettre du 5 janvier 1999, qui, cette fois, était envoyée à la bonne adresse, au 40, rue Zaļenieku.
Le 7 janvier 1999, le tribunal publia la citation dans le deuxième procès dans Latvijas Vēstnesis, le journal officiel de la Lettonie, tout en annonçant que l’audience avait été fixée au 14 janvier 1999. La requérante ne comparut pas à la date indiquée.
Au début de l’audience, le tribunal, siégeant en une formation de juge unique, Mme Z. en l’espèce, constata que Mme S.B. et le représentant de l’entreprise municipale étaient également absents, mais qu’ils avaient averti le tribunal de leur non-comparution. Quant à la requérante, la juge Z. déclara que celle-ci ne résidait plus au 16, rue P. Lejiņa, que sa nouvelle adresse était inconnue, et qu’elle n’avait pas répondu à la citation publiée au Journal Officiel. Par conséquent, la juge conclut que la requérante n’était pas localisable, et décida d’examiner la demande en l’absence des parties.
Par un jugement prononcé le même jour, le 14 janvier 1999, le tribunal fit droit la demande de Mme S.B. et de l’entreprise et condamna la requérante à payer aux demanderesses les sommes qu’elles réclamaient.
Selon la requérante, ce n’est que le 20 février 1999 qu’elle put prendre connaissance du procès intenté à son encontre et du jugement rendu par le tribunal. Le 8 mars 1999, elle interjeta appel devant la cour régionale de Riga, se plaignant du défaut d’une notification correcte de la demande. En particulier, elle contesta la déclaration du tribunal de première instance selon laquelle son domicile actuel aurait été inconnu. A l’appui de ses arguments, elle présenta une copie de la lettre du 5 janvier 1999 signée par la juge Z. et expédiée à sa nouvelle adresse ; par conséquent, selon la requérante, le tribunal n’était pas fondé à soutenir qu’il ne connaissait pas sa nouvelle résidence. De même, la requérante se plaignit que, n’ayant pas reçu le mémoire de la demande de la partie adverse et n’ayant pas connaissance des motifs y exposés, elle ne pouvait pas rédiger un appel motivé sur le fond de l’affaire. Par conséquent, elle demanda l’annulation du jugement entrepris et le renvoi de l’affaire devant la juridiction de première instance pour un réexamen sur le fond.
Par un arrêt du 29 novembre 1999, la cour régionale de Riga rejeta l’appel de la requérante. Elle releva que celle-ci n’était pas localisable à son domicile au 16, rue P. Lejiņa, qu’elle n’avait pas répondu à la citation publiée au Journal Officiel, et que la décision du tribunal de première instance d’examiner l’affaire en son absence était dès lors conforme à la loi.
La requérante se pourvut en cassation devant le sénat de la Cour suprême, en réitérant ses griefs déjà soulevés devant la juridiction d’appel. Par une ordonnance du 15 février 2000, le sénat déclara le pourvoi irrecevable pour défaut d’argumentation défendable, tout en concluant au bien-fondé des motifs de l’arrêt attaqué.
B. Le droit interne pertinent
1. L’ancien code de procédure civile
Les dispositions pertinentes du code de procédure civile (Latvijas Civilprocesa kodekss), en vigueur jusqu’au 28 février 1999 et donc applicables en l’espèce à la procédure en première instance, étaient ainsi libellées :
Article 106
« Les personnes participant au procès se voient notifier la date, l’heure et le lieu de l’audience (...) par voie de citations (...).
Les notifications aux personnes participant au procès doivent être faites de la manière à leur permettre de comparaître devant le tribunal dans les meilleurs délais et de se préparer au procès.
La notification doit être délivrée à la personne citée, à l’adresse indiquée par une partie ou par une autre personne participant au procès. Lorsqu’une personne physique ne peut pas être trouvée à l’adresse indiquée au tribunal, la citation peut être faite à son lieu de travail. »
Article 107, deuxième alinéa
« Avec l’acte de notification, le juge expédie au défendeur une copie de la demande et des documents y annexés. Avec l’acte de notification adressé au demandeur, le juge envoie copie des observations écrites du défendeur, si de telles observations ont été reçues par le tribunal. »
Article 108
« L’acte de notification est expédié par courrier ou par un huissier. L’heure à laquelle il est délivré à son destinataire doit être notée sur l’acte délivré et sur son deuxième exemplaire, lequel est retourné au tribunal.
Avec le consentement du juge, une personne participant au procès peut recevoir un acte de notification en vue de le transmettre à une autre personne citée dans l’affaire. La personne ayant reçu un acte de notification en vue de sa transmission, doit retourner au tribunal le deuxième exemplaire de l’acte avec la signature du destinataire accusant sa réception. »
Article 109
« Un acte de notification est personnellement délivré à la personne citée ; celle-ci accuse la réception par une signature qui est retournée au tribunal. (...)
En outre, les parties peuvent être citées par un télégramme dont le destinataire accuse la réception par une signature, ou bien en envoyant la notification par télécopie.
Lorsque la personne délivrant la citation ne rencontre pas le destinataire à sa résidence, l’acte de notification est délivré à un membre adulte de sa famille. Lorsque la personne délivrant la citation ne rencontre pas le destinataire à son lieu de travail, l’acte de notification est laissé à l’administration de celui-ci pour qu’elle le délivre au destinataire. (...)
Lorsque la personne citée est temporairement absente ou que sa résidence est inconnue, la personne délivrant la citation le note sur l’acte de notification, dans la partie destinée à accueillir la signature du destinataire. Dans cette partie de l’acte, la personne délivrant la citation indique également le lieu où le destinataire est parti et la date de son retour, si ces données sont connues ; sinon, il y est noté que le lieu où se trouve le destinataire est inconnu.
La date et l’heure de la citation sont notées sur l’acte de notification, dans la partie destinée à accueillir la signature du destinataire, laquelle est retournée au tribunal. »
Article 111
« Les personnes participant au procès doivent informer le tribunal du changement de leur adresse pendant la procédure. En l’absence d’une telle information, l’acte de notification est expédié à la dernière adresse connue, et la citation est réputée comme effectuée, même si le destinataire ne réside plus à cette adresse.
Lorsqu’une personne participant au procès, ou ses représentants, n’informent pas le tribunal du changement de leur adresse pendant le procès, le tribunal peut leur infliger jusqu’à cinquante lats d’amende. »
Article 112
« Lorsque l’endroit où demeure le défendeur est inconnu, le tribunal commence l’examen de l’affaire après avoir reçu l’acte de notification avec une note respective et après avoir publié la citation dans le journal Latvijas Vēstnesis, en invitant le défendeur à comparaître devant le tribunal à la date et à l’heure indiquées, et en avertissant qu’en cas de non-comparution l’affaire pourrait être examinée en l’absence du défendeur. »
Article 113
« Lorsque l’endroit où demeure le défendeur est inconnu, et que l’affaire a pour objet une obligation alimentaire ou un préjudice personnel ayant abouti à une mutilation, à un autre dommage corporel ou au décès de la victime, le juge ordonne la recherche du défendeur à l’aide des établissements de police.
Eu égard aux circonstances de l’espèce, le tribunal (le juge) peut également ordonner la recherche du défendeur dans d’autres affaires. »
2. La nouvelle loi sur la procédure civile
Les dispositions pertinentes de la nouvelle loi sur la procédure civile (Civilprocesa likums), en vigueur à compter du 1er mars 1999 et donc applicables en l’espèce à la procédure d’appel et de cassation, sont ainsi libellées :
Article 427 § 1
« Quelle que soit la motivation de l’appel, la cour d’appel prend une ordonnance annulant le jugement de la juridiction de première instance et renvoie l’affaire devant [cette] juridiction (...) pour réexamen, lorsque la cour d’appel constate que :
(...)
2) la juridiction [de première instance] a examiné l’affaire en violation des dispositions du droit procédural relatives à l’obligation de notifier aux parties la date, l’heure et le lieu de l’audience ;
(...) »
Article 450 § 3
« Un arrêt rendu en appel peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation lorsque la cour [d’appel] a enfreint les dispositions du droit matériel ou procédural (...) »
Article 452 §§ 2 et 3
« 2o Une violation d’une disposition du droit procédural peut donner suite à la cassation de l’arrêt lorsque cette violation a abouti ou pouvait aboutir à un jugement erroné dans l’affaire.
3o Il est en tout état de cause présumé qu’il y a eu violation d’une disposition du droit procédural pouvant aboutir à un jugement erroné lorsque :
(...)
2) la juridiction [dont émane l’arrêt entrepris] a examiné l’affaire en violation des dispositions du droit procédural relatives à l’obligation de notifier aux parties la date, l’heure et le lieu de l’audience ;
(...) »
Article 474
(Rédaction en vigueur avant le 31 octobre 2002)
« Après avoir examiné l’affaire, la cour [de cassation] prend un arrêt dans lequel elle peut décider :
1) de laisser l’arrêt [entrepris] sans modification et de rejeter le pourvoi ;
2) de casser l’arrêt [entrepris] en tout ou en partie et de renvoyer l’affaire pour réexamen devant la juridiction d’appel ;
(...) »
GRIEF
Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint d’une violation de son droit à un procès équitable, dans la mesure où elle n’a pas été informée de la procédure diligentée à son encontre devant le tribunal de l’arrondissement de Zemgale. A cet égard, elle souligne que, faute d’avoir été citée correctement, elle n’a jamais obtenu copie de la demande introduite par la partie adverse, ce qui l’a empêchée de rédiger un mémoire d’appel motivé par des considérations sur le fond du litige.
EN DROIT
La requérante s’estime victime d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente se lit ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Selon le Gouvernement, le tribunal de l’arrondissement de Zemgale a fait tout ce qu’on pouvait raisonnablement attendre de lui pour citer la requérante. En effet, aux termes de l’article 106 de l’ancien code de procédure civile alors en vigueur, la citation s’effectuait « à l’adresse indiquée par une partie ou par une autre personne participant au procès » ; or, Mme S.B., la demanderesse principale dans l’affaire, avait indiqué 16, rue P. Lejiņa à cet effet. Ensuite, comme le voulait l’article 112 du même code, le tribunal a publié la notification de l’instance au Journal Officiel. Certes, le juge chargé du dossier aurait encore pu ordonner la recherche de la défenderesse par la police. Toutefois, une telle mesure n’était obligatoire que dans certaines catégories d’affaires exhaustivement énumérées par l’ancien code ; l’affaire en cause n’y appartenait pas, et la juge Z., usant de son pouvoir discrétionnaire, avait choisi de ne pas y recourir.
Le Gouvernement reconnaît que, le 5 janvier 1999, la juge Z. a envoyé une lettre à la bonne adresse de la requérante, celle au 40, rue Zaļenieku. Cependant, cette communication a été effectuée dans le cadre d’une autre affaire civile, ouverte le 11 mars 1998 ; or, selon le Gouvernement, il serait disproportionné d’exiger du tribunal qu’il vérifie les adresses des parties ayant participé aux litiges devant lui dans le passé. En résumé, aucune violation de l’article 6 § 1 de la Convention n’a eu lieu en l’espèce.
La requérante combat les thèses du Gouvernement. Elle insiste sur le fait que la juge Z. connaissait bel et bien sa nouvelle adresse, puisque le 5 janvier 1999, soit neuf jours avant l’audience litigieuse, elle y a envoyé un courrier. Qui plus est, la requérante rappelle que toutes les citations des juridictions d’appel et de cassation ont été envoyées à la bonne adresse, sans qu’il fût nécessaire de la convoquer devant le tribunal par le biais du Journal Officiel. Par ailleurs, quant à ce dernier, la requérante rappelle que sa diffusion est limitée, qu’il est généralement lu par des juristes et non par le grand public, et qu’il est donc extrêmement difficile pour un citoyen moyen d’apprendre quoi que ce soit au moyen de ce journal.
La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare le restant de la requête recevable, tous moyens de fond réservés.
Vincent Berger John Hedigan
Greffier Président