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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
18.4.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE MORA DO VALE ET AUTRES c. PORTUGAL

(Requête no 53468/99)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

18 avril 2006

DÉFINITIF

18/07/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme


En l’affaire Mora do Vale et autres c. Portugal,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
I. Cabral Barreto,

V. Butkevych,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,

D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,

et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 mars 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 53468/99) dirigée contre la République portugaise et dont vingt-sept ressortissants de cet Etat (« les requérants ») ont saisi la Cour le 9 décembre 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). Le 28 janvier 2000, l’une des requérantes est décédée, la Cour ayant décidé, le 29 juillet 2004, de rayer la requête du rôle, pour autant que cette requérante était concernée (voir § 2 de l’arrêt au principal). La liste des requérants figure en annexe.

2. Par un arrêt du 29 juillet 2004 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé qu’il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole nº 1 en raison du retard dans le paiement de l’indemnisation définitive consécutive à l’expropriation des terrains des requérants, dans le cadre de la réforme agraire au Portugal.

3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, les requérants réclamaient une satisfaction équitable pour le dommage moral et matériel prétendument subi ainsi que le remboursement de leurs frais et dépens.

4. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état quant au dommage moral et matériel, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les six mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (voir point 5 du dispositif de l’arrêt au principal).

5. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations à plusieurs reprises. Par une lettre du 29 septembre 2005, le conseil des requérants excluait toute possibilité de parvenir à un accord et pria la Cour de poursuivre la procédure.

6. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

EN FAIT

7. Il convient de donner ci-après un descriptif des faits ultérieurs à la date du prononcé de l’arrêt au principal, le 29 juillet 2004.

8. Dans le cadre de la procédure se déroulant devant les juridictions administratives (§§ 11-19 de l’arrêt au principal), la Cour suprême administrative, par un arrêt du 12 juillet 2005, annula les arrêtés ministériels de 2000 qui avaient fixé l’indemnisation définitive, se fondant notamment sur plusieurs erreurs lors de la détermination des sommes auxquelles les requérants auraient droit. Le dossier fut donc renvoyé devant les services compétents du ministère de l’Agriculture, aux fins de fixation d’une nouvelle indemnisation aux requérants.

9. Dans le cadre de la procédure civile (§§ 20-25 de l’arrêt au principal), la Cour suprême, par un arrêt du 15 mars 2005, rejeta le pourvoi déposé par le ministère public contre l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 4 décembre 2003 qui avait confirmé le jugement du tribunal de Lisbonne du 30 août 2002 ayant condamné l’Etat à payer au requérants une indemnisation, à déterminer lors de la procédure ultérieure d’exécution. Ce tribunal avait considéré notamment que l’absence de paiement de l’indemnisation définitive consécutive à la nationalisation était sans conteste un acte illicite autonome méritant un dédommagement également autonome, au-delà de l’indemnisation prévue par la législation relative à la réforme agraire.

10. Les requérants n’informèrent pas la Cour de l’éventuelle introduction de la procédure d’exécution en cause.

EN DROIT

11. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

1. Les arguments des parties

12. Pour les requérants, leur préjudice matériel correspondrait à la différence entre les intérêts reçus et les intérêts qu’ils auraient dû recevoir en l’absence de la dépréciation monétaire au Portugal pendant la période concernée, entre novembre 1978, à la date de l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard du Portugal, et mars 2001, lorsque la totalité des indemnisations définitives en question leur furent versées. Les requérants soulignent qu’ils ont finalement reçu des intérêts calculés au taux de 4,5 % alors que le taux d’intérêt légal fut en moyenne, pour la période concernée, supérieur à 15 %. Ils demandent ainsi à la Cour de leur accorder, en équité, une somme correspondante à l’application, sur une période de 23 ans, d’un taux d’intérêt annuel de 13% sur le montant au principal de l’indemnisation définitive, somme à laquelle ils déduisent les montants déjà reçus à titre d’intérêts. Les requérants évaluent donc cette somme à 956 930 EUR, montant qu’ils demandent à la Cour.

13. Les requérants réclament par ailleurs la somme de 5 000 EUR pour chacun d’entre eux pour le préjudice moral subi, soit une somme globale de 130 000 EUR.

14. Le Gouvernement conteste les calculs effectués par les requérants, les estimant dépourvus de fondement. Il souligne que les requérants ont déjà reçu au niveau interne une somme fort importante à titre d’intérêts, supérieure d’ailleurs au montant au principal de l’indemnisation définitive. Ils ont ainsi déjà été indemnisés, dans une certaine mesure, pour l’écoulement du temps.

15. Quant au préjudice moral, le Gouvernement soutient que les sommes demandées par les requérants s’avèrent excessives.

2. La position de la Cour

16. La Cour rappelle sa jurisprudence constante en cette matière selon laquelle il y a en l’espèce un préjudice matériel, correspondant à la différence entre les intérêts reçus par les intéressés aux termes de la législation pertinente et la dépréciation monétaire au Portugal pendant la période concernée, qui a débutée le 9 novembre 1978, date de l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard du Portugal, et s’est terminée en mars 2001, lorsque la totalité des sommes en cause furent versées aux requérants. En effet, les sommes que les requérants devaient recevoir n’ont pas été mises à leur disposition dans les délais prévus par la législation interne pertinente et le taux d’intérêt moratoire a été trop bas par rapport à la dépréciation de la monnaie pendant la période en cause (voir Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres c. Portugal (satisfaction équitable), nos 29813/96 et 30229/96, §§ 22 et 23, 10 avril 2001).

17. Le calcul précis d’un tel préjudice se heurte toutefois en l’espèce à plusieurs difficultés. Ainsi, il convient de noter d’emblée que les arrêtés ministériels ayant fixé l’indemnisation définitive ont été annulés par la Cour suprême administrative. Le montant en cause n’est donc pas encore définitif, élément qui rend, à lui seul, tout calcul spéculatif, dans la mesure où les sommes déjà reçues par les requérants à titre d’intérêts peuvent encore être modifiées.

Deuxièmement, les indemnités fixées tiennent déjà compte, dans une certaine mesure, de l’écoulement du temps, de nouveaux critères pour leur calcul, plus favorables aux intéressés, ayant été introduits par une législation de 1995 (voir Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres c. Portugal (satisfaction équitable) précité, § 22).

Enfin, la Cour souligne que les requérants ont la possibilité de recevoir des sommes supplémentaires dans le cadre de la procédure civile qu’ils ont introduite contre l’Etat. A ce jour, les montants en cause demeurent non connus, les requérants n’ayant pas encore, semble-t-il, engagé la procédure d’exécution nécessaire à la détermination des sommes en cause.

18. La Cour estime cependant que les requérants ont en tout état de cause déjà subi un préjudice matériel qu’il convient de dédommager. En effet, la somme qui pourra être octroyée au terme de la procédure civile en question ne compense pas l’absence de dédommagement pendant une longue période et ne saurait être déterminante eu égard à la durée de l’ensemble des recours déjà engagés par les requérants (voir Guillemin c. France, arrêt du 21 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, p. 164, § 56 ; voir également Piron c. France, no 36436/97, § 46, 14 novembre 2000).

19. La Cour décide ainsi d’accorder, en équité, un dédommagement tenant compte également du tort moral indéniablement subi par les requérants. Il appartiendra ensuite aux juridictions portugaises, le cas échéant, de prendre en considération les sommes reçues à ce titre dans le cadre de la procédure devant la Cour. Au vu de ces considérations, la Cour alloue conjointement aux requérants la somme globale de 130 000 EUR.

B. Frais et dépens

20. Les requérants n’ont pas fait état de frais et dépens supplémentaires par rapport à ceux qui ont été remboursés lors de l’arrêt au principal, raison pour laquelle il n’y pas lieu de leur accorder une somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

21. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 130 000 EUR (cent trente mille euros) pour dommage matériel et moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 avril 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président


Annexe

(liste des requérants)

- Jorge Manuel Mora do Vale, décédé le 9 mars 2000, dont les seuls héritiers sont :

- Maria Luisa Marques Tavares do Vale, née en 1937

- José Miguel Tavares Mora do Vale, né en 1960

- Helena Maria Tavares Mora do Vale Castanheira Rodrigues, née en 1959,

tous résidant à Cascais

- Virgílio Caetano Mora, né en 1956 et résidant à Sintra

- José Joaquim Pereira Silva Carolino, né en 1930 et résidant à Alcácer do Sal

- Maria Antónia Tavares Mora Paiva Beija, née en 1928 et résidant à Lisbonne

- Mário Manuel Nepomuceno Mora, né en 1914 et résidant à Lisbonne

- Baltazar Avelar Franco Cosme, né en 1915 et résidant à Leiria

- Pedro José Mora de Paiva Beija, né en 1961 et résidant à Lisbonne

- João Adriano Mora de Paiva Beija, né en 1958 et résidant à Palm Cove (Australie)

- Maria Leonor Mora de Paiva Beija, née en 1960 et résidant à Lisbonne

- Luís Francisco Mora de Paiva Beija, né en 1957 et résidant à Lisbonne

- Adriano Manuel Mora Dias Pereira, né en 1951 et résidant à Lisbonne

- Luís Manuel Mora Dias Pereira, né en 1950 et résidant à Cascais

- João Mora Dias Pereira, né en 1948 et résidant à Cascais

- Paulo Manuel Mora Dias Pereira, né en 1958 et résidant à Évora

- Pedro Manuel Mora Dias Pereira, né en 1960 et résidant à Évora

- Maria Helena Mora Dias Pereira, née en 1963 et résidant à Évora

- Maria de Fátima Mora Dias Pereira, née en 1961 et résidant à Évora

- Maria Clara Mora Dias Pereira, née en 1965 et résidant à Évora

- João Caetano Mora, né en 1922 et résidant à Setúbal

- Virgilio José Teixeira de Carvalho Mora, né en 1956 et résidant à Sintra

- Ana Diva Neto Almeida Mora, née en 1968 et résidant à Sintra

- Maria Alice Pereira Teixeira, née en 1928 et résidant à Sintra

- Frederico José Mora Carolino, né en 1966 et résidant à Alcácer do Sal

- João Quaresma Nepomuceno Mora, né en 1920 et résidant à Montijo

- Marie Thérèse Bills Mora, née en 1940 et résidant à Genève (Suisse)

- Ciara Tamara Marie Mora, née en 1978 et résidant à Genève (Suisse)