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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
11.4.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE OBERLING c. FRANCE

(Requête no 31520/02)

ARRÊT

STRASBOURG

11 avril 2006

DÉFINITIF

11/07/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Oberling c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. I. Cabral Barreto, président,
J.-P. Costa,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 mars 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 31520/02) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Pierre Oberling (« le requérant »), a saisi la Cour le 8 août 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par M. P. Bernardet, sociologue à La Fresnaye-Sur-Chedouet. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par Mme Edwige Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Le 17 mars 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant réside au Bourg Saint Jouan de l’Isle.

5. Le requérant fut poursuivi pour attouchements sexuels aggravés. La cour d’appel de Colmar le condamna à vingt mois d’emprisonnement dont douze avec sursis. Il fut incarcéré à la prison de la Santé à Paris. Le 2 novembre 1999, il fut informé de sa libération conditionnelle le 24 novembre 1999. Le même jour, il fut placé en cellule de « transit » puis transféré à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police.

6. Sur arrêté préfectoral du 3 novembre 1999, le requérant fut admis en hospitalisation d’office à l’unité pour malades difficiles (« UMD ») du centre hospitalier spécialisé de Villejuif. Ce n’est que le 4 novembre 1999 que sa famille fut informée de son transfert et le 8 novembre que son épouse put parler au téléphone avec le médecin. Le 3 décembre 1999, l’avocat du requérant fit une demande de sortie immédiate au tribunal de grande instance de Créteil. Le même jour, une expertise fut ordonnée. Le 3 décembre 1999, le préfet du Val-de-Marne prit un arrêté de maintien en hospitalisation d’office en UMD.

7. Le 10 décembre suivant, une ordonnance de la présidente du tribunal prescrivit la levée immédiate du régime d’hospitalisation en UMD et rejeta la demande de main-levée de l’hospitalisation d’office, laquelle devait être rapidement aménagée dans le cadre du régime des sorties d’essai. Le 25 janvier 2000, l’arrêté de placement fut levé.

8. Par des décisions des 17 décembre 1999 et 20 janvier 2000, l’hôpital mit le forfait journalier hospitalier à la charge du requérant.

1. Recours en annulation des décisions de placement d’office et de maintien de l’hospitalisation

9. Par des requêtes enregistrées les 3 janvier et 7 février 2000, le requérant saisit le tribunal administratif de Melun de deux recours tendant à l’annulation des arrêtés préfectoraux des 3 novembre et 3 décembre 1999. Le requérant déposa un mémoire le 13 août 2002. Par un jugement du 17 septembre 2002, le tribunal joignit ces recours et les rejeta.

10. Le 12 décembre 2002, le requérant fit appel. Par une ordonnance du 22 août 2003, le président de la cour administrative d’appel de Paris fixa la clôture de l’instruction au 1er octobre 2003. Il ordonna la réouverture de l’instruction par une ordonnance du 2 octobre 2003, la défense ayant déposé un mémoire dans une procédure parallèle. Le 12 novembre 2003, le requérant déposa un mémoire. La procédure est actuellement pendante devant cette juridiction.

2. Recours en annulation des décisions de mise à la charge du requérant du forfait journalier

11. Par une lettre du 13 avril 2000 adressée au trésorier principal de Villejuif, le requérant contesta le bien-fondé de sa créance. Le 20 avril, le directeur du centre hospitalier rejeta sa demande.

12. Par une requête enregistrée le 26 avril 2000, le requérant demanda au tribunal administratif de Melun d’annuler les décisions des 17 décembre 1999 et 20 janvier 2000 mettant à sa charge le forfait journalier d’hospitalisation. Le Garde des Sceaux informa le directeur du centre hospitalier de prendre en charge le forfait hospitalier jusqu’à la levée d’écrou dont faisait l’objet le requérant, le 24 novembre 1999. Une audience fut fixée le 9 mai 2000. Le requérant sollicita l’aide juridictionnelle. L’audience fut reportée dans l’attente de la désignation d’un avocat. Le centre hospitalier conclut le 18 juin 2000. À l’audience du 3 septembre 2002, le président du tribunal administratif de Melun constata que le requérant n’avait pas été régulièrement convoqué et reporta l’audience. Par un jugement du 15 octobre 2002, le tribunal rejeta le recours.

13. Le requérant fit appel le 12 décembre 2002. Par une ordonnance du 22 août 2003, le président de la cour administrative d’appel de Paris fixa la clôture de l’instruction au 1er octobre 2003. A cette date, le directeur du centre hospitalier déposa un mémoire en défense. Par une ordonnance du 2 octobre 2003, le président de la cour administrative d’appel ordonna la réouverture de l’instruction. Le 3 novembre 2003, le requérant déposa un mémoire unique relatif aux deux procédures. La procédure est actuellement pendante devant cette juridiction.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

14. Le requérant allègue que la durée de la procédure en annulation des décisions de placement d’office et la durée de la procédure en annulation des décisions mettant à sa charge le forfait journalier hospitalier ont méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

15. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il reconnaît que les procédures ne présentaient pas de complexité particulière mais estime, qu’en ce qui concerne la procédure portant sur l’hospitalisation d’office, le requérant n’a pas été diligent quant à la production de ses mémoires et que la durée de cette procédure lui est en partie imputable. Toutefois, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour pour apprécier la durée des procédures.

Sur les recours en annulation des décisions de placement d’office et de maintien de l’hospitalisation

16. La période à considérer a débuté le 3 janvier 2000 par la saisine du tribunal administratif et est actuellement pendante devant la cour administrative d’appel de Paris. Elle a donc à ce jour duré plus de six ans et deux mois, pour deux instances.

Sur le recours en annulation des décisions de mise à la charge du requérant du forfait journalier

17. La période à considérer a débuté le 26 avril 2000 par la saisine du tribunal administratif et est actuellement pendante devant la cour administrative d’appel de Paris. Elle a donc à ce jour duré plus de cinq ans et dix mois pour deux instances.

A. Sur la recevabilité

18. Le Gouvernement excipe du non-épuisement de la voie de recours interne en responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice.

19. La Cour renvoie à l’arrêt Broca et Texier-Micault c. France du 21 octobre 2003 (nos 27928/02 et 31694/02), dans lequel elle a jugé qu’en matière de durée d’une procédure devant les juridictions administratives françaises, le recours en responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice a acquis, le 1er janvier 2003, le degré de certitude juridique requis pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention. Tout grief de cette nature introduit devant la Cour à compter du 1er janvier 2003 sans avoir préalablement été soumis aux juridictions internes dans le cadre d’un tel recours est irrecevable ; il en va autrement des griefs introduits avant cette date.

En l’espèce, la Cour ayant été saisie de la présente affaire le 8 août 2002, il ne saurait être reproché au requérant de ne pas avoir usé de ce recours.

20. Il convient donc de rejeter cette exception préliminaire.

21. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.

B. Sur le fond

22. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

23. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).

Sur les recours en annulation des décisions de placement d’office et de maintien de l’hospitalisation

24. La Cour constate que la procédure a duré plus deux ans et demi en première instance et est pendante devant la cour administrative d’appel de Paris depuis le 12 décembre 2002, date à laquelle le requérant a interjeté appel. La Cour observe également que, même s’il pourrait être reproché au requérant un comportement peu diligent quant à la production de mémoire en première instance, un tel comportement ne saurait en aucun cas expliquer le délai au stade de l’appel. En effet, le requérant a déposé un mémoire devant la cour administrative d’appel le 12 novembre 2003 et la procédure est à ce jour pendante devant cette juridiction. La Cour note par ailleurs que le Gouvernement reconnaît que l’affaire ne présentait pas de complexité particulière et qu’il s’en remet à la sagesse de la Cour quant à l’appréciation de la durée. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

Sur le recours en annulation des décisions de mise à la charge du requérant du forfait journalier

25. La Cour constate le tribunal administratif de Melun, saisit par une requête du 26 avril 2000, ne statua que le 15 octobre 2002, soit presque deux ans et demi plus tard. La procédure devant la cour administrative d’appel de Paris est pendante depuis le 12 décembre 2002, date à laquelle le requérant a interjeté appel, soit depuis plus de trois ans. La Cour observe qu’il ressort du dossier que ces retards ne sont pas imputables au requérant. Elle note par ailleurs que le Gouvernement reconnaît que l’affaire ne présentait pas de complexité particulière et qu’il s’en remet à la sagesse de la Cour quant à l’appréciation de la durée. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

26. Le requérant se plaint également du fait qu’en France il n’existe aucune juridiction à laquelle l’on puisse s’adresser pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Il invoque l’article 13 de la Convention, lequel est ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

27. Le Gouvernement conteste cette thèse et considère que le recours en responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice était effectif à la date d’introduction de la requête.

28. La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et doit donc aussi être déclaré recevable.

29. La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000XI) et que c’est à la date d’introduction de la requête que l’ « effectivité » du recours, au sens de l’article 13 de la Convention, doit être appréciée, à l’instar de l’existence de voies de recours internes à épuiser au sens de l’article 35 § 1, ces deux dispositions présentant « d’étroites affinités » (cf. arrêt Kudla précité, § 152 ; arrêt Lutz c. France (no1), no 48215/99, § 20, 26 juin 2002).

30. En conséquence, pour conclure en l’espèce à la violation de l’article 13 de la Convention, il suffit à la Cour de constater qu’en tout état de cause, à la date d’introduction de la requête, l’effectivité « en pratique » et « en droit » du recours invoqué par le Gouvernement n’était pas avérée (arrêt Lutz précité, ibidem ; mutatis mutandis arrêt Broca et Texier Micault précité, §§ 21-23).

Partant, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

31. Le requérant se plaint de la durée des procédures concernant ses recours contre les décisions d’hospitalisation d’office et de maintien en hospitalisation. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention, lequel est ainsi libellé :

« 4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

32. La Cour constate d’emblée que le conseil du requérant n’a présenté de demande de sortie immédiate au tribunal de grande instance que le 3 décembre 1999, soit un mois après l’arrêté préfectoral du 3 novembre 1999 par lequel le requérant fut admis en hospitalisation d’office. Elle observe également que cette requête fut traitée en une semaine puisque la présidente du tribunal statua par ordonnance dès le 10 décembre 1999. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

33. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

34. Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) au titre de l’effet dissuasif de la satisfaction équitable, 30 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi du fait des lenteurs de la procédure relative au placement d’office et 10 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi du fait des lenteurs de la procédure relative au forfait journalier.

35. Le Gouvernement conteste ces prétentions et propose d’allouer au requérant la somme de 3 000 EUR.

36. La Cour estime que le prolongement des procédures litigieuses au delà du délai raisonnable a causé au requérant un préjudice moral certain justifiant l’octroi d’indemnité. Statuant en équité, elle lui accorde 3 500 EUR pour le préjudice né de la durée de la procédure relative au placement d’office et 2 500 EUR pour le préjudice né de la procédure relative au forfait journalier.

B. Frais et dépens

37. Le requérant demande également 2 500 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour. Il produit une facture du 3 septembre 2005 établit par son représentant devant la Cour, Monsieur P. Bernardet et portant la mention « TVA non applicable ».

38. Le Gouvernement propose d’octroyer 500 EUR au requérant.

39. La Cour estime que le montant sollicité ne saurait en l’espèce être considéré comme raisonnable et décide, en équité, d’allouer la somme de 500 EUR au requérant pour frais et dépens (cf. Marie-Louise Loyen et autre c. France, no 55929/00, §§ 73-74, 5 juillet 2005).

C. Intérêts moratoires

40. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare, la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 6 § 1 et 13 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit, qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

4. Dit,

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 6 000 EUR (six mille euros) pour dommage moral et 500 EUR (cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 avril 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé I. Cabral Barreto
Greffière Président