Přehled
Rozsudek
DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE MEHMET KILINÇ[1] c. TURQUIE
(Requête no 28169/02)
ARRÊT
Cette version a été rectifiée conformément à l’article 81
du règlement de la Cour le 14 septembre 2006.
STRASBOURG
11 avril 2006
DÉFINITIF
11/07/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Mehmet Kılınç[2] c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
V. Butkevych,
Mme D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 mars 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 28169/02) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Mehmet Kılınç1 (« le requérant »), a saisi la Cour le 27 mai 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me M. Türkmen, avocat à Gaziantep. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.
3. Le 18 mars 2004, la Cour (troisième section) a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer le restant de la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire.
4. Le 1er novembre 2004 la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1927 et réside à Gaziantep.
6. En 1999, pour la construction du barrage de Birecik, le ministère de l’Energie et des Ressources naturelles (« l’administration ») procéda à l’expropriation du terrain appartenant au requérant.
7. Une commission d’experts de l’administration ayant fixé la valeur du terrain exproprié à 1 942 500 000 livres turques (TRL) [environ 5 210 euros (EUR)], ce montant fut versé au requérant à la date du transfert de propriété.
8. Le 8 février 1999, en désaccord sur le montant payé, le requérant introduisit un recours en augmentation de l’indemnité d’expropriation auprès du tribunal de grande instance de Nizip.
9. Par un jugement du 30 décembre 1999, le tribunal donna partiellement gain de cause au requérant et condamna l’administration à lui verser une indemnité complémentaire de 8 557 500 000 TRL [environ 15 510 EUR].
10. Par un arrêt du 24 avril 2000, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance.
11. Le 10 décembre 2001, l’administration versa au requérant la somme de 8 557 500 000 TRL [environ 7 085 EUR] au titre du complément d’indemnité.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
12. Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans les arrêts Akkuş c. Turquie (9 juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, pp. 1305-1306, §§ 13-16) et Aka c. Turquie (23 septembre 1998, Recueil 1998‑VI, pp. 2674‑2676, §§ 17-25).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
13. En invoquant l’article 1 du Protocole no 1, le requérant se plaint d’une perte de valeur de l’indemnité complémentaire d’expropriation en raison du versement tardif de celle-ci par l’administration. Il dénonce l’absence d’intérêt moratoire et rappelle à cet égard le taux d’inflation très élevé en Turquie.
A. Sur la recevabilité
14. Selon le Gouvernement, le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes comme l’exige l’article 35 de la Convention, faute d’avoir engagé la procédure d’exécution forcée.
15. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle il n’est pas opportun de demander à un individu, qui a obtenu une créance contre l’Etat à l’issue d’une procédure judiciaire de devoir par la suite engager la procédure d’exécution forcée afin d’obtenir satisfaction (Metaxas c. Grèce, no 8415/02, § 19, 27 mai 2004, et Karahalios c. Grèce, no 62503/00, § 23, 11 décembre 2003). Il s’ensuit que l’exception soulevée par le Gouvernement à cet égard ne saurait être retenue.
16. La Cour estime, à la lumière des critères qui se dégagent de sa jurisprudence (voir notamment Akkuş, précité) et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, que le restant de la requête doit faire l’objet d’un examen au fond. Elle constate en effet que celle-ci ne se heurte à aucun motif d’irrecevabilité.
B. Sur le fond
17. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d’espèce et constaté la violation de l’article 1 du Protocole no 1 (voir Akkuş, précité, p. 1317, § 31, et Aka, précité, p. 2682, §§ 50-51).
18. La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle constate que le retard pris dans le paiement de l’indemnité complémentaire accordée par les juridictions internes est imputable à l’administration expropriante, qui a fait subir au propriétaire un préjudice distinct s’ajoutant à l’expropriation de son bien. C’est ce retard qui amène la Cour à considérer que le requérant a eu à supporter une charge spéciale et exorbitante qui a rompu le juste équilibre devant régner entre les exigences de l’intérêt général et la sauvegarde du droit au respect des biens.
19. Par conséquent, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
20. Le requérant se plaint que la durée des procédures judiciaires a méconnu l’article 6 § 1 de la Convention.
A. Sur la recevabilité
21. La Cour estime que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
B. Sur le fond
22. Eu égard à la conclusion formulée sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner la question séparément sous l’angle de l’article 6 § 1.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
23. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel et moral
24. Le requérant affirme devoir être dédommagé pour un préjudice matériel qu’il évalue à 22 000 dollars américains (USD). Il réclame en outre la réparation d’un dommage moral qu’il chiffre à 2 000 USD.
25. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
26. Considérant le mode de calcul adopté dans l’arrêt Akkuş (précité, p. 1311, §§ 35-36 et 39) et à la lumière des données économiques pertinentes, la Cour accorde 8 750 EUR au requérant à titre de dommage matériel.
Quant au préjudice moral, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante.
B. Intérêts moratoires
27. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare le restant de la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;
4. Dit que le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral ;
5. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 8 750 EUR (huit mille sept cent cinquante euros) pour dommage matériel, plus tout montant pouvant être dû au titre de taxes, droits de timbres et charges fiscales exigibles au moment du versement, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement :
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 avril 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président
[1]. Rectifié le 14 septembre 2006. Le nom du requérant était libellé comme suit : « Mehmet Kılıç ».
[2]. Rectifié le 14 septembre 2006. Le nom du requérant était libellé comme suit : « Mehmet Kılıç ».