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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
6.4.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MAZZEI c. ITALIE

(Requête no 69502/01)

ARRÊT

STRASBOURG

6 avril 2006

DÉFINITIF

06/07/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Mazzei c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mmes A. Gyulumyan,
R. Jaeger, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 24 février 2005 et 16 mars 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 69502/01) dirigée contre la République italienne et dont deux ressortissants de cet Etat, Mme Bianca Lucia Mazzei et M. Francesco Edmondo Mazzei (« les requérants »), ont saisi la Cour le 10 mars 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Me M. Graziani, avocat à Milan. Le gouvernement défendeur est représenté par son agent, M. I.M. Braguglia, et son coagent, M. F. Crisafulli.

3. Le 24 février 2005, la Cour a déclaré la requête recevable.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Les requérants sont nés respectivement en 1966 et 1963 et résident à Campagnano de Rome.

5. Les requérants sont propriétaires d’un appartement à Rome, qu’ils avaient loué à M. T.

6. Par une lettre recommandée envoyée à une date non précisée, les requérants informèrent le locataire de leur intention de mettre fin à la location à l’expiration du bail, soit le 31 décembre 1987, et le prièrent de libérer les lieux avant cette date.

7. Par un acte notifié le 17 juin 1986 les requérants réitérèrent l’avis de congé et assignèrent l’intéressé à comparaître devant le juge d’instance de Rome.

8. Par une ordonnance du 11 décembre 1986, ce dernier confirma formellement le congé du bail et décida que les lieux devaient être libérés au plus tard le 31 décembre 1988. Cette décision devint exécutoire le 11 décembre 1986.

9. Le 4 novembre 1994, les requérants signifièrent au locataire le commandement de libérer l’appartement.

10. Le 22 novembre 1994, ils lui signifièrent l’avis que l’expulsion serait exécutée le 13 décembre 1994 par voie d’huissier de justice.

11. Entre le 13 décembre 1994 et le 28 novembre 2000, l’huissier de justice procéda à vingt-deux tentatives d’expulsion. Ces tentatives se soldèrent toutes par un échec, l’échelonnement de l’exécution des décisions d’expulsion ne permettant pas aux requérants de bénéficier du concours de la force publique.

12. Le 28 novembre 2000, les requérants récupérèrent leur appartement.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

13. Le droit et la pratique internes pertinents figurent dans les arrêts Mascolo c. Italie (no 68792/01, §§ 14-44, 16.12.2004) et Lo Tufo c. Italie, (no 64663/01, §§ 16-48, 21.04.2005).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 ET DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

14. Les requérants se plaignent que l’impossibilité prolongée de récupérer leur appartement, faute d’octroi de l’assistance de la force publique, constitue une atteinte à leur droit de propriété, tel que reconnu à l’article 1 du Protocole no 1, qui dispose :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

15. Les requérants allèguent aussi un manquement à l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente dispose :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

16. La Cour a déjà traité à maintes reprises des affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d’espèce et a constaté la violation des articles 1 du Protocole no 1 et 6 § 1 de la Convention (voir Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 46-75, CEDH 1999V, Lunari c. Italie, no 21463/96, §§ 34-46, 11 janvier 2001, et Palumbo c. Italie, no 15919/89, §§ 33-48, 30 novembre 2000).

17. La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle constate que les requérants ont dû attendre environ plus de cinq ans et onze mois à compter de la première tentative d’expulsion de l’huissier de justice avant de pouvoir récupérer leur appartement.

18. Par conséquent, dans cette affaire, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

19. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage matériel

20. Les requérants réclament en premier lieu la réparation du préjudice matériel subi et le chiffrent de la manière suivante :

- 61 364 euros (EUR) correspondant à la différence entre le loyer qu’ils ont perçu et celui qu’ils auraient pu percevoir au prix du marché. En effet ils font valoir que de 1987 à 2000 ils ont perçu de leur ancien locataire la somme globale d’environ 10 412 EUR alors que la somme qu’ils auraient pu demander au prix du marché aurait pu être de 71 775 EUR ;

- 3 495 848 lires (1 805,45 EUR) correspondant aux frais de la procédure d’exécution ; ils ont produit une note d’honoraires pour la somme de 1 836 000 lires (948,21 EUR).

21. En tout cas, ils affirment que la possibilité de demander une indemnisation au locataire en vertu de l’article 1591 du code civil devrait être rejetée par la Cour au motif qu’il faut l’apprécier in concreto et non pas en théorie. Dans le cas d’espèce, le locataire n’était pas en condition de payer, une autre procédure précédente intentée contre lui afin d’obtenir un remboursement des frais et dépens concernant les parties communes de l’immeuble n’ayant permis de récupérer aucune somme. En outre, même à supposer qu’ils auraient pu saisir les juridictions civiles au sens de l’article 1591 du code civil, ils n’auraient rien pu obtenir pour une période allant de janvier à avril 1989, de janvier 1994 à octobre 1998 et de janvier à octobre 2000. En effet, pendant ces périodes, la suspension des procédures d’exécution avait été imposée par la loi. Les requérants affirment que, conformément à l’arrêt de la Cour constitutionnelle no 482 de 2000, il n’existait aucune possibilité d’obtenir une somme supplémentaire rapportée aux prix du marché, un plafonnement étant prévu par la loi no 61 de 1989. Partant, une somme au moins de 34 974 EUR doit être leur reconnue.

22. Le Gouvernement considère ces sommes excessives.

23. La Cour observe tout d’abord que le Gouvernement n’avance aucun argument au sujet de la possibilité qui semble avoir été développée dans la jurisprudence de la Cour de cassation d’engager une procédure en dommages-intérêts à l’encontre de l’Etat suite à l’absence, non justifiée, d’assistance de la force publique (voir Mascolo précité, §§ 34-44, et Lo Tufo précité, §§ 37-48).

24. La Cour note que les requérants peuvent saisir les juridictions civiles au sens de l’article 1591 du code civil en introduisant une demande en réparation contre leur ancien locataire afin d’obtenir le remboursement du préjudice subi suite à la restitution tardive de l’appartement.

25. En effet, il s’agit en l’espèce de dommages qui découlent du comportement illégal du locataire, qui, indépendamment de la coopération de l’Etat dans la mise en exécution de la décision judiciaire d’expulsion, se devait de restituer l’appartement au propriétaire. La violation du droit des requérants au respect de leur bien est avant tout la conséquence du comportement illégal de leur locataire. La violation que la Cour va déclarer de l’article 6 de la Convention de la part de l’Etat est d’ordre procédural et postérieure à la conduite du locataire.

26. La Cour constate par conséquent que le droit italien permet d’effacer les conséquences matérielles de la violation et estime qu’il y a lieu de rejeter la demande de satisfaction équitable en ce qui concerne le dommage matériel (voir Mascolo précité, § 55, et Lo Tufo précité, § 69).

27. S’agissant des frais de la procédure d’exécution, la Cour estime qu’ils doivent être remboursés en partie (Scollo c. Italie, arrêt du 28 septembre 1995, série A no 315-C, p. 56, § 50). Elle considère cependant que seuls les frais relatifs au retard dans l’expulsion doivent être remboursés : elle décide par conséquent d’accorder à chaque requérant la somme de 320 EUR pour dommage matériel.

B. Dommage moral

28. Les requérants demandent à titre de dommage moral la somme totale de 20 000 EUR (soit 10 000 EUR par requérant).

29. Le Gouvernement considère que le montant réclamé est excessif, tant pour la période à prendre en considération, qu’à la lumière des sommes normalement accordées par la Cour.

30. La Cour estime que les requérants ont subi un tort moral certain ; elle décide par conséquent, statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, d’accorder à chacun la somme de 3 000 EUR à ce titre.

C. Frais et dépens

31. Les requérants demandent également la somme globale de 8 734,46 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour.

32. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

33. Compte tenu des éléments en sa possession et de la jurisprudence en la matière, la Cour estime raisonnable la somme globale de 2 000 EUR pour la procédure devant la Cour.

D. Intérêts moratoires

34. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 320 EUR (trois cent vingt euros) à chaque requérant pour dommage matériel ;

ii. 3 000 EUR (trois mille euros) à chaque requérant pour dommage moral ;

iii. 2 000 EUR (deux mille euros) aux requérants conjointement pour frais et dépens ;

iiii. plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 avril 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président