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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
4.4.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE GÜZEL c. TURQUIE (No 1)

(Requête no 54479/00)

ARRÊT

STRASBOURG

4 avril 2006

DÉFINITIF

04/07/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Güzel c. Turquie (no 1),

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
V. Butkevych,
Mme D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 20 septembre 2005 et 14 mars 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 54479/00) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Hasan Celal Güzel (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 décembre 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me H.A. Özhan, avocat à Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.

3. Le requérant alléguait en particulier le manque d’indépendance et d’impartialité de la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara, le défaut d’équité de la procédure devant celle-ci et le défaut de notification de l’avis du procureur général près la Cour de cassation.

4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

5. Par une décision du 20 septembre 2005, la Cour (deuxième section) a déclaré la requête partiellement recevable.

6. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement).

7. Le 14 mars 2006, la Cour a rejeté la demande du requérant de tenir une audience.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8. Le requérant est né en 1945 et réside à Ankara.

9. A l’époque des faits, le requérant, ancien ministre et député, était président du Parti de la Renaissance (Yeniden Doğuş Partisi).

10. Le 3 septembre 1997, il tint un discours public lors d’une conférence organisée à Kayseri.

11. Le 10 mars 1998, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara inculpa le requérant du chef d’incitation à la haine et à l’hostilité sur la base d’une distinction fondée sur l’appartenance à une religion, infraction prévue par l’article 312 de l’ancien code pénal.

12. Le 23 février 1999, la cour de sûreté de l’Etat, composé de deux juges civils et d’un juge militaire, reconnut le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à un an d’emprisonnement ainsi qu’à une amende de 860 000 livres turques.

13. Le 24 juin 1999, la Cour de cassation confirma l’arrêt de première instance. Le 19 juillet 1999, elle rejeta la demande en rectification de l’arrêt.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

14. Le droit et la pratique internes pertinents en vigueur à l’époque des faits sont décrits dans les arrêts Özel c. Turquie (no 42739/98, §§ 20-21, 7 novembre 2002) et Gençel c. Turquie (no 53431/99, §§ 11-12, 23 octobre 2003).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 DE LA CONVENTION

15. Le requérant allègue que la cour de sûreté de l’Etat qui l’a jugé et condamné ne constitue pas un « tribunal indépendant et impartial » qui eût pu lui garantir un procès équitable, en raison de la présence d’un juge militaire en son sein. Il se plaint en outre de la recevabilité comme preuve à charge d’un enregistrement vidéo obtenu à son insu et de l’impossibilité pour lui de faire interroger les témoins à décharge afin de contester l’authenticité de son contenu. Il dénonce enfin l’absence de communication de l’avis du procureur général près la Cour de cassation. Il y voit une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention qui, en ses parties pertinentes, se lit ainsi :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

(...)

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; (...) »

A. Sur l’indépendance et l’impartialité de la cour de sûreté de l’Etat

16. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Özel, précité, §§ 33-34, et Özdemir c. Turquie, no 59659/00, §§ 3536, 6 février 2003).

17. La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle constate qu’il est compréhensible que le requérant, qui répondait devant une cour de sûreté de l’Etat d’infractions relatives à la « sécurité nationale », ait redouté de comparaître devant des juges parmi lesquels figurait un officier de carrière appartenant à la magistrature militaire. De ce fait, il pouvait légitimement craindre que la cour de sûreté de l’Etat se laissât indûment guider par des considérations étrangères à la nature de sa cause. Partant, on peut considérer qu’étaient objectivement justifiés les doutes nourris par le requérant quant à l’indépendance et à l’impartialité de cette juridiction (Incal c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998IV, p. 1573, § 72 in fine).

18. La Cour conclut que, lorsqu’elle a jugé et condamné le requérant, la cour de sûreté de l’Etat n’était pas un tribunal indépendant et impartial au sens de l’article 6 § 1. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

B. Sur l’équité de la procédure pénale : la recevabilité des preuves et la non-communication de l’avis de procureur général

19. La Cour rappelle avoir déjà jugé dans des affaires similaires qu’un tribunal dont le manque d’indépendance et d’impartialité a été établi ne peut, en toute hypothèse, garantir un procès équitable aux personnes soumises à sa juridiction.

20. Eu égard au constat de violation du droit du requérant à voir sa cause entendue par un tribunal indépendant et impartial auquel elle parvient, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner les présents griefs (voir, entre autres, Çiraklar c. Turquie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VII, p. 3074, §§ 44-45).

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

21. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

22. Le requérant allègue avoir subi un préjudice matériel et moral qu’il évalue à 200 000 euros (EUR).

23. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

24. En ce qui concerne le dommage matériel allégué, la Cour ne saurait spéculer sur le résultat auquel la procédure devant la cour de sûreté de l’Etat aurait abouti si l’infraction à la Convention n’avait pas eu lieu. Il n’y a donc pas lieu d’accorder au requérant une indemnité à ce titre (Findlay c. Royaume-Uni, arrêt du 25 février 1997, Recueil 1997-I, p. 284, § 85).

25. Quant au préjudice moral, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante (Çiraklar, précité, p. 3074, § 49).

26. Toutefois, pour la Cour, lorsqu’un particulier, comme en l’espèce, a été condamné par un tribunal qui ne remplissait pas les conditions d’indépendance et d’impartialité exigées par la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (voir Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210 in fine, CEDH 2005...).

B. Frais et dépens

27. Le requérant demande 40 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et la Cour. A titre de justificatif, il fournit un décompte horaire.

28. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

29. Compte tenu des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, statuant en équité, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

30. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait du défaut d’indépendance et d’impartialité de la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara ;

2. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs tirés de l’article 6 de la Convention ;

3. Dit que le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral ;

4. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ou toutes autres charges fiscales exigibles au moment du versement, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 avril 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président