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Rozsudek
PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE KOLLOKAS c. GRÈCE
(Requête no 10304/03)
ARRÊT
STRASBOURG
30 mars 2006
DÉFINITIF
30/06/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Kollokas c. Grèce,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Mme F. Tulkens, présidente,
M. C.L. Rozakis,
Mmes N. Vajić,
E. Steiner,
MM. K. Hajiyev,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Quesada, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 mars 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 10304/03) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant grec, M. Christos Kollokas (« le requérant »), a saisi la Cour le 17 mars 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par la déléguée de son agent, Mme G. Skiani, assesseur auprès du Conseil Juridique de l’Etat.
3. Le 28 janvier 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
4. Le requérant est né en 1935 et réside à Athènes. Il est avocat et professeur auprès de l’Etablissement Technologique d’Athènes (Τεχνολογικό Εκπαιδευτικό Ίδρυμα – ci-après TEI).
5. En vertu de la loi no 2188/1994, un poste de conseil juridique fut créé au sein du TEI d’Athènes. Cette loi prévoyait qu’un décret présidentiel devait fixer les modalités de nomination. Le 13 juin 1994, sur proposition du ministre de l’Education nationale, fut émis le décret présidentiel no 124/1994 fixant les modalités de recrutement. Le décret prévoyait entre autres que les candidats ne devaient pas être âgés de plus de 50 ans et que le titulaire serait choisi sur la base de la proposition d’un comité composé par un vice-président du TEI et deux fonctionnaires du ministère de l’Education nationale.
6. Le 23 août 1994, le requérant postula au poste en question. En vertu de la loi no 1649/1986, les avocats qui travaillent en secteur public et qui traitent de façon systématique les affaires juridiques d’un organisme étatique sont désignés d’office (αυτοδικαίως) aux postes juridiques de l’organisme sans recourir à la procédure ordinaire de nomination.
7. Le 13 septembre 1994, le TEI désigna le requérant d’office au poste proclamé, au motif qu’il avait pendant des années pris en charge les affaires juridiques du TEI et que, dès lors, il remplissait les conditions prévues par la loi no 1649/1986. Le TEI en informa le ministre de l’Education nationale, par courrier du 6 octobre 1994. Toutefois, celui-ci procéda à la proclamation du poste en question, conformément à la procédure prévue dans le décret présidentiel no 124/1994.
8. Le 28 juillet 1994, le TEI et le requérant se pourvurent en cassation. Ils affirmaient entre autres que le décret présidentiel n’aurait pas dû fixer les qualifications des candidats et que le ministre de l’Education nationale n’aurait pas dû avoir autant de compétences dans la nomination des candidats.
9. Le 17 décembre 1997, le Conseil d’Etat annula le décret présidentiel, dans la mesure où il instaurait un âge limite et prévoyait que le comité de nomination était composé de deux fonctionnaires du ministère de l’Education nationale, en considérant que ces derniers n’avaient pas les connaissances juridiques requises pour évaluer les candidats. La haute juridiction rejeta les autres moyens soulevés par les demandeurs (arrêt no 5088/1997).
10. Entre-temps, le 15 mai 1995, un autre candidat fut nommé au poste litigieux (décision no E5/1458).
11. Le 29 août 1995, le requérant saisit à nouveau le Conseil d’Etat d’un recours en annulation de la décision no E5/1458 susmentionnée. Il affirmait notamment que le décret présidentiel no 124/1994 était inconstitutionnel et que les dispositions de la loi no 1649/1986 devaient prévaloir.
12. Entre-temps, le 5 juillet 1996, le requérant fut licencié de son poste de professeur au sein du TEI, pour avoir atteint la limite d’âge. Suite à une procédure engagée devant la cour administrative d’appel d’Athènes, qui lui donna gain de cause (arrêt no 1155 du 27 avril 1999), le requérant réintégra son poste de professeur, le 14 octobre 1999.
13. Suite à douze ajournements, l’audience devant le Conseil d’Etat eut lieu le 21 septembre 2000. Par un arrêt avant dire droit, la troisième chambre de la haute juridiction renvoya l’affaire devant la formation plénière (arrêt no 3092/2001).
14. Le 19 septembre 2002, la formation plénière du Conseil d’Etat annula la décision attaquée, au motif qu’elle avait été rendue sur la base des deux dispositions du décret présidentiel no 124/1994 précédemment annulées par l’arrêt no 5088/1997. La haute juridiction rejeta les autres moyens soulevés par le requérant (arrêt no 2458/2002).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE
15. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
1. Sur l’objet du grief
16. La Cour note d’emblée que le requérant considère les deux procédures qu’il a introduites devant le Conseil d’Etat comme un ensemble et se plaint de leur durée globale. Toutefois, la Cour ne saurait suivre le requérant dans son raisonnement, car les procédures litigieuses portaient sur l’annulation d’actes bien distincts.
17. Dès lors, pour autant que le requérant vise la première procédure devant le Conseil d’Etat, la Cour note que cette procédure prit fin le 17 décembre 1997, avec l’arrêt no 5088/1997, donc plus de six mois avant l’introduction de la présente requête.
18. Il s’ensuit que ce volet du grief tiré de la durée de la procédure est tardif et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention. Ne reste donc en jeu que la procédure engagée par le requérant le 29 août 1995 contre la décision no E5/1458.
2. Sur l’exception préliminaire du Gouvernement
19. Le Gouvernement, qui a été invité à présenter des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la seconde procédure engagée par le requérant devant le Conseil d’Etat, affirme que la requête est tardive. Il note que l’arrêt no 2458/2002 du Conseil d’Etat a été rendu le 19 septembre 2002, donc plus de six mois avant l’introduction de la présente requête, que le Gouvernement situe au 6 janvier 2004, date à laquelle la Cour a reçu le formulaire de la requête.
20. Le requérant combat cette thèse.
21. La Cour note que la requête a été introduite le 17 mars 2003, date à laquelle le requérant a envoyé à la Cour la première lettre dans laquelle il exposait suffisamment l’objet de la requête (voir, Kavakçi c. Turquie (déc.), no 71907/01, 30 juin 2005). Il s’ensuit que, pour autant qu’elle porte sur la procédure qui prit fin avec l’arrêt no 2458/2002 du Conseil d’Etat, la requête n’est pas tardive. Partant, il convient de rejeter l’exception du Gouvernement.
22. La Cour constate par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
23. Le Gouvernement affirme que le requérant n’a pas cherché à accélérer la procédure devant le Conseil d’Etat. Il considère qu’en tout état de cause la durée de la procédure a profité au requérant puisque entre-temps, celui-ci a pu gagner son procès devant la cour administrative d’appel et réintégrer son poste en tant que professeur auprès du TEI.
24. Le requérant s’oppose à ces thèses et affirme que son affaire connut une durée excessive.
25. La période à considérer a débuté le 29 août 1995, avec la saisine du Conseil d’Etat et s’est terminée le 19 septembre 2002, avec l’arrêt no 2458/2002 de la formation plénière de la haute juridiction. Elle a donc duré sept ans et vingt-trois jours, pour une instance.
26. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
27. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).
28. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
29. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint en outre qu’à ce jour, l’administration refuse de se conformer aux arrêts nos 5088/1997 et 2458/2002 du Conseil d’Etat. Il affirme qu’en vertu de ces arrêts, sa nomination au poste litigieux par décision du TEI du 13 septembre 1994 entre à nouveau en vigueur et que l’administration doit procéder à tous les actes nécessaires pour régulariser sa situation. Il se plaint aussi que le Conseil d’Etat n’aurait pas dû rejeter ses autres moyens tirés de la prétendue inconstitutionnalité du décret présidentiel no 124/1994.
Sur la recevabilité
30. La Cour rappelle que le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention serait illusoire, si l’ordre juridique interne d’un Etat contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie. L’exécution d’un jugement, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6. La Cour a déjà reconnu que la protection effective du justiciable et le rétablissement de la légalité impliquent l’obligation pour l’administration de se plier à un jugement ou arrêt prononcé par la plus haute juridiction administrative de l’Etat en la matière (voir Hornsby c. Grèce, arrêt du 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, pp. 510-511, § 40 et suiv.).
31. Toutefois, la Cour estime que, dans le cas d’espèce, il ne ressort d’aucun élément du dossier que les arrêts du Conseil d’Etat aient créé ou validé pour le requérant un droit d’être nommé conseiller juridique du TEI. Par conséquent, la Cour estime qu’il ne saurait être exigé de l’administration de remettre en vigueur la décision du TEI de nommer d’office le requérant au poste en question. Cela d’autant plus que le Conseil d’Etat ne s’est aucunement prononcé sur la validité de ladite décision et n’a aucunement examiné le fond du litige (voir, mutatis mutandis, Karnezis c. Grèce (déc.), no 68745/01, 5 juin 2003).
32. Quant au grief mettant en cause les conclusions de la haute juridiction, la Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I). Or, dans le cas d’espèce, la Cour ne décèle aucun indice d’arbitraire dans le déroulement de la procédure, qui a respecté le principe du contradictoire et au cours de laquelle le requérant a pu présenter tous les arguments pour la défense de sa cause.
33. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
34. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
35. Le requérant réclame 190 000 euros (EUR) au titre du dommage matériel qu’il aurait subi. Cette somme correspond aux montants qu’il aurait touchés s’il avait gardé son poste de conseiller juridique auprès du TEI. Il réclame en outre 300 000 EUR au titre du dommage moral.
36. Le Gouvernement affirme que la demande du requérant au titre du dommage matériel doit être écartée et qu’un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante au titre du dommage moral. Alternativement, il estime que la somme allouée au requérant à ce titre ne saurait dépasser 1 000 EUR.
37. La Cour estime qu’il n’existe pas de lien de causalité entre le préjudice matériel allégué et la durée de la procédure. En conséquence, rien ne justifie qu’elle accorde au requérant une indemnité de ce chef.
38. La Cour estime en revanche que le prolongement de la procédure litigieuse au-delà du « délai raisonnable » a causé au requérant un tort moral certain, justifiant l’octroi d’une indemnité. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle lui accorde 8 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
B. Frais et dépens
39. Le requérant demande également 10 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant le Conseil d’Etat et la Cour. Il ne produit aucune facture ou note d’honoraires.
40. Le Gouvernement affirme que les prétentions du requérant sont vagues et non justifiées.
41. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).
42. S’agissant des frais et dépens encourus en Grèce, la Cour a déjà jugé que la longueur d’une procédure pouvait entraîner une augmentation des frais et dépens du requérant devant les juridictions internes et qu’il convient donc d’en tenir compte (voir, entre autres, Capuano c. Italie, arrêt du 25 juin 1987, série A no 119-A, p. 15, § 37). Toutefois, dans le cas d’espèce, la Cour note que le requérant ne produit aucune facture en ce qui concerne les frais engagés devant le Conseil d’Etat. Il y a donc lieu de rejeter cette partie de ses prétentions. En ce qui concerne les frais exposés pour les besoins de la procédure devant elle, la Cour observe que les prétentions du requérant, qui n’était pas représenté par un conseil, ne sont ni détaillées ni accompagnées des justificatifs nécessaires. Il convient donc d’écarter sa demande sur ce point également.
C. Intérêts moratoires
43. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la seconde procédure engagée par le requérant devant le Conseil d’Etat et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 8 000 EUR (huit mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 mars 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Françoise Tulkens
Greffier adjoint Présidente