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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE LE BECHENNEC c. FRANCE
(Requête no 28738/02)
ARRÊT
STRASBOURG
28 mars 2006
DÉFINITIF
28/06/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Le Bechennec c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mme D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 mars 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 28738/02) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Jean-Michel Le Bechennec (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 juillet 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me H. Laigo, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Edwige Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Le 15 mars 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant réside à Theix.
5. En décembre 1988, il fut engagé par l’office public d’aménagement et de construction (OPAC) Sarthe Habitat en qualité d’agent contractuel, pour assurer la fonction de directeur technique. Le 30 octobre 1995, l’OPAC lui indiqua ne pas vouloir renouveler son contrat de travail, qui devait s’achever le 31 décembre 1995. Il lui fut demandé de ne plus se présenter à son poste dès le 6 novembre 1995. Son départ fut annoncé par une lettre circulaire dès le 3 novembre. Par une lettre du 7 décembre 1995, le requérant contesta les mesures prises. L’OPAC n’y répondit pas.
6. Le 24 mai 1996, le requérant saisit le tribunal administratif de Nantes. Par un jugement du 12 janvier 1998, le tribunal annula la décision de l’OPAC de ne pas renouveler le contrat du requérant, mais rejeta ses demandes d’indemnisation.
7. Le requérant fit appel le 18 mars 1998. Le 26 mai 1998, parut dans la presse un article que le requérant jugea diffamatoire à son égard. Il demanda à l’OPAC un droit de réponse. Par un mémoire complémentaire adressé à la cour administrative d’appel, le requérant sollicita une indemnisation du préjudice causé par cet article. Un article contenant la réponse du requérant parut finalement le 9 mai 1999. Par une ordonnance du 19 février 2001, le président de la cour administrative d’appel de Nantes déclara l’appel irrecevable, car tardif.
8. Le 12 avril 2001, le requérant saisit le Conseil d’Etat lui demandant d’annuler sans renvoi l’ordonnance « par laquelle le président de la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté sa requête tendant, d’une part, à l’annulation du jugement du 12 janvier 1998 (...), en tant qu’il a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l’[OPAC] à lui verser diverses sommes en réparation des préjudices résultant de la décision de l’office refusant de renouveler le contrat qui le liait à cet établissement public et, d’autre part, à la condamnation de l’office à lui verser lesdites sommes (...) ». Par une décision du 13 mars 2002, notifiée le 30 avril 2002, le Conseil d’Etat annula l’ordonnance et, statuant au fond, rejeta les demandes indemnitaires du requérant.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
9. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
10. Le Gouvernement estime que le « délai raisonnable », au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, n’a pas été respecté et s’en remet à la sagesse de la Cour quant à l’appréciation de la durée de la procédure.
11. La période à considérer a débuté le 24 mai 1996 par la saisine du tribunal administratif et s’est terminée 30 avril 2002 par la notification de l’arrêt du Conseil d’Etat. Elle a donc duré près de six ans pour trois instances.
A. Sur la recevabilité
12. Le Gouvernement ne soulève aucune exception d’irrecevabilité.
13. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
B. Sur le fond
14. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
15. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).
16. La Cour constate que le délai de la procédure prise dans son ensemble n’apparaît pas manifestement déraisonnable. Toutefois, elle observe un délai particulièrement long de trois années, qui n’est pas imputable au requérant, entre l’appel, le 18 mars 1998, et l’ordonnance du président de la cour administrative d’appel de Nantes du 19 février 2001. Par ailleurs, la Cour note que le Gouvernement estime que le délai raisonnable de l’article 6 § 1 de la Convention n’a pas été respecté et s’en remet à la sagesse de la Cour quant à l’appréciation de la durée de la procédure. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, et notamment de celle exigeant une diligence particulière pour le contentieux du travail (Ruotolo c. Italie, arrêt du 27 février 1992, série A no 230-D, p. 39, § 17 ; Wiot c. France, no 43722/98, § 29, 7 janvier 2003), la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION SOUS L’ANGLE DE L’ÉQUITÉ DE LA PROCÉDURE
17. Le requérant se plaint d’une violation de son droit à un procès équitable par le Conseil d’Etat. Il dénonce l’absence de motivation de la décision portant sur la réparation de son préjudice moral lié à son éviction et l’absence de réponse à sa demande d’indemnisation du préjudice lié à la parution de l’article diffamatoire. Le requérant allègue en outre en substance que le Conseil d’Etat n’a pas examiné son préjudice né d’une violation des droits de la défense ; il se plaint de manière très vague de la non communication de certains dossiers. Il invoque à cet effet l’article 6 § 1 de la Convention précité.
18. La Cour rappelle tout d’abord que si l’article 6 § 1 de la Convention oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, cette obligation ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument (voir, notamment, García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 26, CEDH 1999‑I). Elle souligne également qu’il ne ressort pas du mémoire en cassation que le requérant ait porté la question de son préjudice lié à la parution d’un article diffamatoire devant le Conseil d’Etat. Quant à la violation des droits de la défense, compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour considère que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 ET 14 DE LA CONVENTION
19. Le requérant se plaint enfin d’une discrimination fondée sur la qualité de salarié du secteur public ou du secteur privé quant à l’obtention d’une indemnisation pour non respect de la procédure disciplinaire. Il invoque à cet effet les articles 6 (précité) et 14 combinés de la Convention. Ce dernier article est ainsi libellé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
20. La Cour constate d’emblée que le requérant a présenté ce grief dans une requête complémentaire le 30 décembre 2002. Or, la notification de l’arrêt du Conseil d’Etat du 13 mars 2002, dernière décision interne définitive, est intervenue le 30 avril 2002. Par conséquent, le grief a été présenté plus de six mois après la connaissance par le requérant de la date de la décision interne définitive. Il s’ensuit que ce grief est tardif et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
21. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
22. Le requérant réclame 4 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et 15 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.
23. Le Gouvernement conteste ces prétentions et propose la somme de 2 500 EUR.
24. La Cour estime que le prolongement de la procédure litigieuse au delà du délai raisonnable dans un domaine exigeant une célérité particulière a causé au requérant un tort moral certain justifiant l’octroi d’indemnité. Toutefois, elle considère que le montant qu’il réclame n’est pas en lien avec la violation alléguée. Statuant en équité, elle décide de lui accorder 2 500 EUR au titre du préjudice subi.
B. Frais et dépens
25. Le requérant demande également 5 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour. Il présente à cet effet une convention d’honoraire.
26. Le Gouvernement conteste ces prétentions et propose la somme de 1 500 EUR.
27. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 1 500 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
28. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare, la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit,
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros) pour le préjudice subi et 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 mars 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Naismith A.B. Baka
Greffier adjoint Président