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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
30.3.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de 10 requêtes présentées
contre la Turquie

nos 19312/02, 19313/02, 19314/02, 19315/02, 19316/02, 19317/02, 19319/02, 19320/02, 19482/02 et 13548/02

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 30 mars 2006 en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
R. Türmen,
C. Bîrsan,
Mmes A. Gyulumyan,
R. Jaeger, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu les requêtes susmentionnées introduites les 1er mars et 15 avril 2002,

Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond des affaires,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, dont les noms figurent en annexe, sont des ressortissants turcs. Ils sont représentés devant la Cour par Mes H. D. Deyar et B. Deyar, avocats à Diyarbakır.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1. La version des faits des requérants

a) Requêtes introduites par des habitants du village de Ziyaret : nos 19312/02, 19313/02, 19314/02, 19315/02, 19316/02, 19317/02, 19319/02, 19320/02 et 19482/02

A l’époque des faits, les requérants habitaient le village de Ziyaret, dans le district de Lice (Diyarbakır). Entre 1994 et 1995, ce village fut évacué et leurs biens détruits lors d’opérations des forces de l’ordre, à la suite desquelles ils furent contraints de quitter leur village.

Le 25 décembre 2001, les habitants du village, parmi lesquels figuraient certains requérants, présentèrent une requête devant le ministre de l’Intérieur, indiquant que leurs biens avaient été détruits lors des opérations des forces de l’ordre et qu’ils avaient été contraints de quitter leur village. Ils se plaignaient de n’avoir pas accès à leurs biens et de la violation de leur droit au respect de ceux-ci, tel que garanti par l’article 1 du Protocole no 1. Ils demandaient la réparation des préjudices subis et exprimaient le souhait de retourner dans leur village.

Le 25 décembre 2001, les mêmes personnes déposèrent une plainte devant le procureur de la République de Lice à l’encontre des forces de l’ordre responsables de la destruction de leurs biens et se plaignaient d’avoir été privés de l’exercice de leur droit de propriété.

Le 17 janvier 2002, le procureur de la République se déclara incompétent ratione materiae et transféra le dossier au parquet militaire de Diyarbakır.

Les requérants ont produit une note d’information datée du 9 septembre 2001 émanant du commandement de la brigade de Lice à l’attention des muhtar (les élus du village) concernés. Ce document indique que le village des requérants ne figure pas parmi ceux où le retour a été autorisé, et qu’il est possible pour ses habitants de s’y rendre uniquement dans la journée et à la condition d’en informer préalablement la gendarmerie compétente. La note précise que les villageois ne se conformant pas à cette obligation peuvent être conduits à la gendarmerie pour interrogatoire.

b) Requête introduite par des habitants du village de Güçlü : no 13548/02

A l’époque des faits, les requérants habitaient le village de Güçlü, dans le district de Lice (Diyarbakır). En mars et mai 1994, leurs maisons furent incendiées au cours d’opérations des forces de l’ordre, à la suite desquelles ils furent contraints de quitter leur village.

Le 13 novembre 2001, les habitants du village, parmi lesquels figuraient certains requérants, déposèrent une plainte devant le procureur de la République de Lice à l’encontre des forces de l’ordre responsables de la destruction de leurs biens. Ils se plaignaient d’avoir été privés de l’exercice de leur droit de propriété.

Le 27 novembre 2001, les mêmes personnes présentèrent une requête devant le ministre de l’Intérieur, indiquant que leurs biens avaient été détruits lors des opérations des forces de l’ordre et qu’ils avaient été contraints de quitter leur village. Ils se plaignaient de n’avoir pas accès à leurs biens et de la violation de leur droit au respect de ceux-ci, tel que garanti par l’article 1 du Protocole no 1. Ils demandaient la réparation des préjudices subis et exprimaient le souhait de retourner dans leur village.

Le 17 janvier 2002, le procureur de la République se déclara incompétent ratione materiae et transféra le dossier au parquet militaire de Diyarbakır.

Les 4 et 17 juillet 2002, faisant suite aux demandes des requérants Fayik Ay, Hasan Ay, Hasan Konuklu, Halil Demir, Selim Demir, Hüseyin Konuklu et Mahmut Canbuldu, le tribunal d’instance de Lice ordonna une expertise aux fins de constatation des dégâts causés sur leurs biens. Le procès-verbal de constatation, dressé le même jour, indiquait que les intéressés seraient indemnisés à hauteur du montant fixé par les experts. Ces derniers déposèrent leur rapport respectivement les 10 et 12 juillet 2002.

Les requérants ont produit une note d’information datée du 9 septembre 2001 émanant du commandement de la brigade de Lice à l’attention des muhtar (les élus du village) concernés. Ce document indique que le village des requérants ne figure pas parmi ceux où le retour a été autorisé, et qu’il est possible pour ses habitants de s’y rendre uniquement dans la journée et à la condition d’en informer préalablement la gendarmerie compétente. La note précise que les villageois ne se conformant pas à cette obligation peuvent être conduits à la gendarmerie pour interrogatoire.

2. La version des faits du Gouvernement

Les habitants de ces villages les ont évacués en raison des activités terroristes intenses qui avaient lieu dans la région et des menaces proférées par le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), une organisation terroriste, à l’encontre des villageois. Les forces de sécurité n’ont pas contraint les requérants ou les autres habitants à quitter leur village.

Rien ne s’oppose actuellement au retour des villageois chez eux. Des personnes ayant quitté leur village à cause du terrorisme ont déjà commencé à y rentrer et à y reprendre leurs activités.

Le 14 juillet 2004, la Grande Assemblée nationale adopta la loi sur l’indemnisation des dommages résultant d’actes de terrorisme ou de mesures de lutte contre le terrorisme (« loi sur l’indemnisation »), qui entra en vigueur le 27 juillet 2004. Cette loi offre un recours suffisant pour redresser les griefs fondés sur la Convention émanant de personnes qui se sont vu refuser l’accès à leurs biens dans leur village.

A cette fin, des commissions d’évaluation et d’indemnisation des dommages furent créées dans 76 départements. Les personnes victimes d’un préjudice en raison du terrorisme ou de mesures prises par les autorités pour combattre le terrorisme peuvent présenter une demande d’indemnisation auprès de la commission compétente.

Le nombre de personnes qui se sont adressées à ces commissions s’élève déjà à 170 000 environ. De plus, 800 personnes dont les requêtes sont pendantes devant la Cour ont également saisi les commissions d’indemnisation. De nombreux villageois ont déjà reçu un dédommagement pour le préjudice qu’ils ont subi.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

Le droit et la pratique interne pertinents sont décrits dans l’arrêt Doğan et autres c. Turquie (nos 8803-8811/02, 8813/02 et 8815-8819/02, §§ 3135, CEDH 2004...) et dans la décision İçyer c. Turquie (no 18888/02, 12 janvier 2006).

GRIEFS

Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 combiné avec l’article 13 de la Convention, les requérants se plaignent de ne pas avoir accès à leurs biens et de l’impossibilité d’en disposer.

Invoquant l’article 3 de la Convention, ils se plaignent de la destruction de leurs objets personnels lors de l’incendie de leur habitation et de ne pas avoir accès à leurs biens.

Invoquant l’article 6 de la Convention combiné avec l’article 13, ils se plaignent de s’être vu dénier un recours effectif, judiciaire ou autre, qui leur aurait permis de contester la destruction de leurs biens et l’impossibilité de retourner dans leur village.

Invoquant l’article 8 de la Convention combiné avec l’article 13, ils se plaignent de leur expulsion forcée et de l’impossibilité de retourner dans leur village.

EN DROIT

A. Griefs tirés des articles 3 et 8 de la Convention et 1 du Protocole no 1

Les requérants allèguent que leur expulsion forcée, la destruction de leurs biens ainsi que le refus des autorités de les laisser retourner dans leur village et sur leurs terres ont emporté violation des articles 3 et 8 de la Convention et 1 du Protocole no 1, qui disposent en leurs passages pertinents :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale [et] de son domicile (...)

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 1 du Protocole no 1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

Le Gouvernement affirme que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes en ce qu’ils n’ont pas usé du nouveau recours instauré par la loi d’indemnisation du 27 juillet 2004. A cet égard, il soutient que le mécanisme mis en place à la suite de l’arrêt Doğan et autres du 29 juin 2004 est de nature à redresser les griefs des requérants et présente des perspectives raisonnables de succès.

Les requérants contestent les arguments du Gouvernement. Selon eux, le nouveau recours créé par la loi d’indemnisation ne saurait passer pour effectif.

La Cour observe que selon la loi sur l’indemnisation du 27 juillet 2004, il est possible pour les personnes telles que les requérants dont les requêtes sont pendantes devant la Cour de saisir jusqu’au 3 janvier 2007 les commissions d’indemnisation pour demander réparation du dommage qu’ils ont subi en raison de leur éviction forcée, de la destruction de leurs biens et de l’impossibilité d’accéder à ceux-ci.

La Cour a déjà examiné ce recours et a conclu qu’il était effectif pour présenter les griefs fondés sur le déplacement forcé, la destruction des biens et le refus des autorités de laisser accéder à ceux-ci dans les villages du sud-est de la Turquie. En particulier, elle a considéré que le nouveau recours était accessible et offrait des chances raisonnables de succès (İçyer, précitée, §§ 7387).

A la lumière de ce qui précède, la Cour considère qu’il n’y a aucune circonstance exceptionnelle de nature à dispenser les requérants de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes.

Il s’ensuit que ces griefs doivent être rejetés pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

B. Grief tiré des articles 6 et 13 de la Convention

Les requérants se plaignent de s’être vu dénier un recours effectif, devant une instance indépendante et impartiale, qui leur aurait permis de contester l’impossibilité de retourner dans leur village. Ils invoquent les articles 6 et 13 de la Convention,

La Cour estime opportun d’examiner ce grief sous l’angle de l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

Le Gouvernement combat cette allégation en soulignant qu’il existe des recours internes effectifs dont les requérants n’ont pas usé.

La Cour a déjà constaté que la loi d’indemnisation offre bien aux requérants un recours effectif qu’ils peuvent utiliser pour se plaindre de la destruction des biens et du fait qu’on leur aurait refusé l’accès à ceux-ci. Cette conclusion vaut également dans le contexte du grief tiré de l’article 13 de la Convention.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il y a lieu de le rejeter en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Décide de joindre les requêtes ;

Déclare les requêtes irrecevables.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président


ANNEXE

Liste des requérants

Requête no

Noms des requérants

Date d’introduction

1.

19312/02

Mehmet Ali Tanrıkulu

15 avril 2002

2.

19313/02

Ömer Tekinay

15 avril 2002

3.

19314/02

İhsan Tanrıkut

Aziz Tanrıkut

Abdurrahman Tanrıkut

Ömer Tanrıkut

Abdurrahim Tanrıkut

Fettah Tanrıkut

Hasip Tanrıkut

Mehmet Tanrıkut

15 avril 2002

4.

19315/02

Abdurrahim Tektaş

15 avril 2002

5.

19316/02

Bekir Ten

Hasan Ten

Reşit Ten

Ziya Ten

15 avril 2002

6.

19317/02

Kutbettin Turhan

Tevkif Turhan

Cemil Turhan

Mahmut Turhan

15 avril 2002

7.

19319/02

Abdurrahim Türkekul

Mehmet Şah Türkekul

Mehmet Ali Türkekul

Kıymet Türkekul

Feyzi Türkekul

Hasan Türkekul

15 avril 2002

8.

19320/02

Abdurrahman Tura

Ağıt Tura

Erhan Tura

Ayşe Tura

Ahmet Tura

Remzi Tura

Havva Tura

Abdullah Tura

Feryat Tura

Ömer Tura

Kadri Tura

Pakize Tura

Hüseyin Tura

Samet Tura

Salih Tura

Şefik Tura

Nasır Tura

Bahattin Tura

Ekrem Tura

Melahat Tura

Recep Tura

15 avril 2002

9.

19482/02

Asiye Türkan

Nesime Türkan

Hanım Türkan

Suna Türkan

Mehmet Türkan

Aynu Türkan

Dilber Türkan

Yeter Türkan

Kemal Türkan

Fahriye Türkan

Selim Türkan

15 avril 2002

10.

13548/02

Zübeyir Miran

Halil Miran

Mehmet Ali Miran

Şefika Ay

Aziz Ay

Mehmet Hadi Ay

Abdurrahman Ay

Hüseyin Ay

Sait Ay

Selim Ay

Salih Ay

Hasan Ay

Mehmet Ay

Faika Ay

Halide Ay (Fidancan)

Faik Ay

Mehmet Konuklu

Hasan Konuklu

Hüseyin Konuklu

Halil Konuklu

Fadıl Konuklu

Mehmet Ali Konuklu

Ali Konuklu

Meliha Konuklu

Muhittin Konuklu

Cemal Demir

Halil Demir

Selim Demir

Abdulvahap Demir

Hatun Ceylan (Ekmez)

Bedriye Ceylan (Miran)

Ali Ceylan

Abdulkerim Ceylan

Midriye Ceylan

Hava Ceylan (Güzel)

Ömer Ceylan

Hüsna Ceylan

Mahmut Canbuldu

Nezahat Ceylan (Mamuk)

Hakkı Akdemir

Ahmet Akdemir

Halime Can (Polat)

Bahri Ceylan

1er mars 2002