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Rozhodnutí
QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 48884/99
présentée par Mehmet Salih YAZICI
contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 8 décembre 2005 en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,
MM. J. Casadevall,
G. Bonello,
R. Türmen,
R. Maruste,
L. Garlicki,
J. Borrego Borrego, juges,
et de M. M. O’Boyle, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 28 mai 1999,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Mehmet Salih Yazıcı, est un ressortissant turc, né en 1954 et résidant à Silvan (Diyarbakır). Il est le frère de Ramazan Yazıcı, disparu le 22 novembre 1996 et retrouvé mort le 3 décembre 1996. Il est représenté devant la Cour par Mes M. Kılavuz, O. Baydemir et K. Sidar, avocats à Diyarbakır.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1. La disparition de Ramazan Yazıcı et la démarche de la famille
Le 22 novembre 1996 disparut Ramazan Yazıcı, l’un des frères du requérant, conducteur de minibus sur la ligne Diyarbakır-Silvan.
Le 25 novembre 1996, le requérant présenta au parquet près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır une demande visant à obtenir des informations sur le sort de son frère Ramazan.
Les 27 novembre, 2 et 9 décembre 1996, il s’adressa à nouveau au parquet près la cour de sûreté de l’Etat. Il soutint que le matin du 22 novembre 1996 vers 8 h 30, des policiers en tenue civile avaient arrêté son frère et l’avaient fait monter dans une voiture rouge de marque Şahin, immatriculée 21 DZ 490. Il demanda également les raisons pour lesquelles son frère avait été mis en garde à vue.
Le 4 décembre 1996, le requérant s’adressa à la préfecture de Diyarbakir en mentionnant les mêmes faits. Il demanda à être informé du sort de son frère.
Les 17, 19 et 24 décembre 1996, Nevzat Yazıcı, un autre frère, s’adressa à la préfecture de l’état d’urgence et au parquet de Diyarbakır afin de se renseigner sur le sort de son frère Ramazan. Il soutint avoir rencontré une personne prétendant avoir vu son frère dans les locaux de la direction de la sûreté pendant sa garde à vue.
Le 25 décembre 1996, Nevzat Yazıcı déposa une plainte à l’encontre des policiers de la section des affaires politiques pour arrestation illégale. Le même jour, le parquet recueillit sa déposition. Il indiqua que son frère Ramazan avait été arrêté par des policiers en tenue civile qui l’avaient fait monter dans une voiture immatriculée 21 DZ 490.
2. La procédure relative à la disparition de Ramazan Yazıcı
Le 26 décembre 1996, le parquet demanda à la direction de sûreté, à la direction de la lutte contre le terrorisme et au commandement central de gendarmerie de Diyarbakır si Ramazan avait été en garde à vue.
Le 27 décembre 1996, le parquet recueillit la déposition de Nevzat Yazıcı. Ce dernier réitéra le contenu de sa plainte du 25 décembre.
Le 4 janvier 1997, le commandement central de gendarmerie de Diyarbakır informa le parquet que Ramazan n’avait pas été placé en garde à vue dans leurs locaux ni dans ceux des unités rattachées.
Le 8 janvier 1997, la direction de la sûreté recueillit la déposition de Nevzat Yazıcı. Il réitéra ses précédentes allégations et indiqua qu’il s’était basé sur les dires de Hasan Demirtaş et d’autres collègues de son frère. Il précisa qu’il n’avait pas dit que les trois personnes étaient munies d’armes ; cette indication aurait été ajoutée par l’écrivain public qui a rédigé sa plainte.
Le 13 janvier 1997, Hasan Demirtaş déposa à la direction de la sûreté. Il affirma avoir vu trois hommes venus chercher Ramazan, qui était parti avec eux « d’un air plutôt souriant ». Il nia avoir dit que les trois hommes étaient armés et portaient des talkies-walkies. Il apposa son empreinte digitale au bas de sa déposition.
Le 14 janvier 1997, la direction de la sûreté recueillit les dépositions du requérant, de Seyithan Yazıcı et de Mahfuz Aktarlı. Le requérant affirma qu’il avait appris de Hasan Demirtaş que trois policiers en tenue civile, munis de talkies-walkies, étaient venus chercher son frère, que Seyithan Yazıcı lui avait indiqué le numéro de la plaque d’immatriculation et qu’il ne se souvenait plus qui lui avait parlé de la couleur de la voiture. Seyithan Yazıcı affirma qu’il avait reçu un appel téléphonique vers 9 heures le jour de l’incident alors qu’il se trouvait en compagnie de Mahfuz Aktarlı ; la personne au téléphone avait dit : « Trois policiers en tenue civile sont venus chercher Ramazan en voiture. » Mahfuz Aktarlı fit les mêmes déclarations que Seyithan Yazıcı.
Le même jour, Nevzat Yazıcı fut à nouveau convoqué par la direction de la sûreté en raison de contradictions dans ses dépositions. Il réitéra que le requérant lui avait parlé de la couleur de la voiture et Mahfuz Aktarlı des talkies-walkies. Il exposa qu’il ne savait pas pour quelle raison ces derniers disaient le contraire.
En février 1997 (jour non précisé), la direction de la sûreté de Diyarbakır informa le parquet que Ramazan n’avait pas été placé en garde à vue par elle.
Par une lettre du 12 mars 1997 adressée au parquet de Diyarbakır, Nevzat Yazıcı réitéra sa demande visant à obtenir des informations au sujet de la disparition de son frère.
Le 17 mars 1997, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır rendit une décision d’incompétence ratione materiae et transféra le dossier au parquet de Diyarbakır.
Le même jour, le parquet de Diyarbakır demanda à celui de Silvan de lui présenter Nevzat Yazıcı, Hasan Demirtaş, Mahfuz Aktarlı, Mehmet Salih Yazıcı, Seyithan Yazıcı, ainsi que Ramazan Yazıcı, la personne disparue. Il demanda également au bureau de la circulation routière régionale les renseignements concernant la voiture incriminée. Le 5 mai 1997, il réitéra sa demande au parquet de Silvan.
Le 26 mai 1997, le parquet de Diyarbakır entendit le requérant, Seyithan Yazıcı et Mahfuz Aktarlı. Ceux-ci réitèrent leurs dépositions antérieures.
Le 12 juin 1997, le parquet réitéra sa demande au parquet de Silvan de lui présenter Nevzat Yazıcı et Hasan Demirtaş.
Le 17 juillet 1997, le parquet de Diyarbakır se déclara incompétent ratione loci concernant la plainte déposée par Nevzat Yazıcı (dossier nos 1996/2056 et 1997/275) et transmit le dossier (concernant le meurtre de Ramazan et de quatre autres personnes) au parquet d’Adıyaman, considérant que les crimes, dont les auteurs étaient inconnus, avaient été commis dans ce département.
Le 22 juillet 1997, le parquet de Diyarbakır demanda à celui de Silvan de lui présenter Hasan Demirtaş, Mehmet Salih Yazıcı et Seyithan Yazıcı.
Le 28 juillet 1997, le commandement de la gendarmerie établit un procès-verbal constatant que Hasan Demirtaş n’habitait pas dans le village indiqué et qu’aucun renseignement quant à son adresse n’avait pu être recueilli.
Le 9 octobre 1997, le parquet de Diyarbakır demanda à la direction de la sûreté de cette ville de mener une enquête au sujet de la disparition de Ramazan Yazıcı, qui aurait été enlevé par des personnes armées et munies de talkies-walkies dans une voiture immatriculée 21 DZ 490. Il demanda également d’identifier les personnes se trouvant sur le lieu de l’incident.
Le 27 octobre 1997, le commissariat de police de Mardinkapı informa la direction de la sûreté de Diyarbakır que le numéro d’immatriculation en question ne figurait pas sur les registres et que les trois personnes incriminées n’étaient pas connues au terminus de minibus situé dans le quartier Melikahmet.
Le 4 novembre 1997, le parquet de Diyarbakır demanda à nouveau à la direction de la sûreté des informations concernant le propriétaire du véhicule ou les personnes l’ayant utilisé.
Le 1er décembre 1997, la direction de la sûreté informa le parquet que ledit numéro était annulé depuis le 16 avril 1996 et ne figurait plus sur les registres.
Le 18 décembre 1997, le parquet de Diyarbakır réitéra sa demande au parquet de Silvan de lui présenter le requérant et Seyithan Yazıcı.
Le 5 février 1998, le parquet d’Adıyaman se déclara incompétent ratione loci concernant la plainte déposée par Nevzat Yazıcı (dossier nos 1998/204 et 1998/19) et transmit le dossier au parquet Diyarbakır.
Le 22 mai 1998, le parquet de Diyarbakır se déclara incompétent ratione loci concernant la plainte déposée par Nevzat Yazıcı (dossier nos 1996/8670 et 1998/274) et transmit l’affaire au parquet d’Adıyaman, considérant que les faits étaient similaires à ceux du dossier qui avait été transmis au même parquet par la décision d’incompétence du 17 juillet 1997.
Le 5 juin 1998, le parquet d’Adıyaman se déclara incompétent ratione loci concernant la plainte déposée par Nevzat Yazıcı (dossier nos 1998/1230 et 1998/106) et transmit l’affaire au parquet Diyarbakır, en rappelant sa décision dans le même sens du 5 février 1998.
Les 27 août et 20 octobre 1998, le parquet de Diyarbakır demanda à la direction de la sûreté d’effectuer des recherches pour trouver qui aurait emmené Ramazan le 22 novembre 1996.
3. La procédure relative au meurtre de Ramazan Yazıcı
Le 3 décembre 1996 vers 9 heures, un berger trouva un cadavre près de la route Idil-Midyat, entre les villages de Sarıköy et Mağara appartenant au district d’Idil, dans le département de Şırnak, et en informa la gendarmerie.
Le même jour vers 9 h 30, les gendarmes accompagnés d’un villageois se rendirent sur les lieux. Le procès-verbal dressé à cet égard fit état de ce qu’un corps humain de sexe masculin avait été trouvé. La mort était survenue à la suite d’un tir dans la tête d’une seule balle de revolver, retrouvée près du corps. Il était mentionné que le corps avait été transporté par une voiture, eu égard aux traces de pneus. Un sous-officier de gendarmerie établit un croquis détaillé de la topographie des lieux et de la disposition du corps.
Le même jour vers 12 heures, le procureur de la République et un médecin se rendirent sur les lieux et un procès-verbal de l’examen médical et de l’autopsie fut établi. Aucun document permettant l’identification du corps n’ayant été trouvé, des photographies furent prises sous divers angles. Un orifice causé par l’entrée de la balle fut constaté environ 3 cm au-dessous de l’oreille gauche. La bouche était bâillonnée avec du ruban adhésif et les mains attachées dans le dos par une corde de tissu. Il fut estimé que la mort était survenue huit ou neuf heures plus tôt, c’est-à-dire à 4 heures du matin environ.
Le médecin légiste, ayant confirmé les constatations du procureur de la République, conclut que la mort était due à une insuffisance respiratoire et circulatoire.
Le procureur mentionna également qu’une accumulation de sang était constatée près du corps dans laquelle une balle de calibre 9 mm avait été trouvée. Relevant que la mort était due à une insuffisance respiratoire et circulatoire résultant de la balle, dont l’entrée et la sortie avaient été déterminées, il jugea inutile de procéder à une autopsie classique.
Le 2 mars 1998, le procureur de la République d’İdil demanda à la direction du laboratoire criminalistique régional de police de Diyarbakır de procéder à l’examen balistique de la balle trouvée près du corps non identifié.
Le rapport balistique du 3 mars 1998 indiqua que les caractéristiques de la balle de calibre 9 mm de type Parabellum[1] trouvée le 3 décembre 1996 près du corps non identifié étaient similaires à celles d’une balle trouvée le même jour à 17 h 30 sur la route de Silopi (Cizre), là où deux autres corps, l’un d’un homme et l’autre d’une femme, avaient été trouvés. Il conclut que les deux balles avaient été tirées de la même arme.
Le 7 novembre 1998, Osman Baydemir, l’un des conseils du requérant, se rendit à la direction de la sûreté de Diyarbakır pour assister l’un de ses clients lors de l’identification de deux corps trouvés morts le 3 décembre 1996. Il fut informé par le procureur de la République qu’un autre corps avait été trouvé le même jour. Ce dernier prit une des photos du corps et la compara avec celles des registres des personnes portées disparues tenus par l’Association des Droits de l’Homme. Par la suite, le requérant et l’épouse de Ramazan Yazıcı furent appelés pour identifier le corps de Ramazan au moyen de ladite photo.
Le 19 novembre 1998, l’avocat Osman Baydemir se rendit au cimetière d’Idil afin de récupérer le corps de Ramazan. Etant donné l’absence de registre concernant l’enterrement des corps non identifiés, il ne put le faire.
Le même jour, le procureur d’Idil recueillit les dépositions du requérant et de Nevzat Yazıcı. Le requérant réitéra ses dépositions antérieures concernant la disparition de son frère : Hasan [Demirtaş] lui avait appris que son frère avait été interpellé par trois policiers en tenue civile, dont l’un portait des talkies-walkies ; une autre personne, qui n’avait pas décliné son identité, avait téléphoné et donné des renseignements sur la marque, la couleur et le numéro de la plaque d’immatriculation de la voiture des trois personnes incriminées. Le requérant affirma qu’il s’était adressé aux autorités compétentes pour se renseigner sur le sort de son frère, mais sans succès. Il n’avait plus revu le témoin oculaire de l’incident, Hasan [Demirtaş], après que les policiers eurent recueilli ses dépositions. Il prétendit également que les policiers les avaient menacés et leur avaient conseillé de ne plus poursuivre leurs démarches.
Nevzat Yazıcı confirma les déclarations du requérant et affirma que Mahfuz Aktarlı, le beau-frère des frères Yazıcı, et Hasan [Demirtaş], dont les dépositions avaient été recueillies, étaient des témoins oculaires.
Le 8 janvier 1999, le parquet d’İdil rendit une décision d’incompétence ratione materiae. Il constata des similitudes entre le meurtre de Ramazan et celui de F.M. et M.M. Il rappela qu’une enquête était en cours pour ces trois corps auprès du parquet de Diyarbakır. Par ailleurs, d’autres personnes avaient été enlevées de la sorte, dont les corps avaient été retrouvés sur la route d’Adıyaman-Hilvan, Şanlıurfa-Adıyaman en décembre 1996. L’examen des faits avait montré que les personnes décédées avaient été enlevées, que les auteurs s’étaient présentés comme des policiers, munis de talkies-walkies, circulant à bord de véhicules avec une fausse plaque d’immatriculation. L’une des personnes enlevées avait été conduite jusqu’au bâtiment de la direction de la sûreté. Ces actes avaient été commis par une bande visant à commettre des crimes. Il transmit donc le dossier d’instruction au procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır
Le 3 février 1999, le parquet d’İdil demanda à la direction de la sûreté d’İdil d’adresser le courrier au procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır, le dossier d’enquête lui ayant été transmis.
Le 8 mars 1999, le parquet de Diyarbakır prit également une décision d’incompétence ratione materiae du fait que le meurtre de Ramazan avait été commis par des inconnus faisant partie d’une bande visant à commettre des crimes et que de tels crimes relevaient de la compétence de la cour de sûreté de l’Etat. Il transmit le dossier d’instruction au procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır.
Le 27 avril 1999, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat Diyarbakır décida de joindre les deux dossiers d’instruction concernant le meurtre de Ramazan.
Le 5 mai 1999, prenant acte du fait que Ramazan ainsi que deux autres personnes avait été tuées par la même arme, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır demanda à la direction de la sûreté de Diyarbakır de mener une enquête pour retrouver les auteurs de l’acte et de l’informer de l’état de l’enquête tous les trois mois. La direction de la sûreté répondit, le 24 août 1999, que l’enquête se poursuivait.
Le 26 avril 2000, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır réitéra sa demande à la direction de la sûreté au sujet de la poursuite de l’enquête.
B. Le droit interne pertinent
La Cour se réfère à l’aperçu du droit interne livré dans d’autres arrêts, notamment Ertak c. Turquie (no 20764/92, §§ 94-106, CEDH 2000‑V), Kurt c. Turquie (arrêt du 25 mai 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑III, pp. 1169-1170, §§ 56-62), Tekin c. Turquie (arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998‑IV, pp. 1512-1513, §§ 25-29) et Çakıcı c. Turquie ([GC], no 23657/94, §§ 56-67, CEDH 1999-IV).
GRIEFS
1. Invoquant l’article 2 de la Convention, le requérant soutient que son frère a été tué par des agents de l’Etat ou des personnes ayant des relations avec eux ou se trouvant sous leur contrôle. Rappelant les similitudes avec d’autres faits survenus à la même époque, il prétend que les meurtres ont été commis d’une manière organisée. Selon lui, l’Etat a failli à son obligation de procéder à une enquête efficace pouvant conduire à l’identification des auteurs. Par ailleurs, en l’absence de registre établi par la mairie concernant l’endroit où le corps de son frère a été inhumé, il ne sait toujours pas où il est enterré.
2. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant prétend que son frère a été torturé avant d’être tué. Il rappelle à cet égard que, selon le rapport d’autopsie, ses mains étaient attachées et sa bouche bâillonnée, et son corps portait des traces de coups.
3. Invoquant l’article 5 de la Convention, le requérant se plaint que son frère a été détenu arbitrairement, qu’il n’a pas été informé des raisons de son arrestation, n’a pas été traduit devant un juge et n’a pu exercer de voie de recours internes lui permettant de mettre en cause la légalité de sa garde à vue.
4. Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, le requérant se plaint de l’absence d’une enquête effective sur la disparition et le meurtre de son frère, malgré ses plaintes. Il prétend que les parquets n’étaient pas dotés de pouvoirs suffisants pour effectuer des enquêtes pénales contre les forces de l’ordre, dans la région soumise à l’état d’urgence.
5. Invoquant l’article 14 de la Convention, le requérant prétend que son frère a été tué en raison de son origine ethnique.
EN DROIT
A. Exceptions du Gouvernement
Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes.
La Cour constate qu’il n’indique pas les recours que le requérant aurait dû exercer. Elle rejette donc l’exception.
Le Gouvernement soulève aussi une exception tirée du non-respect du délai de six mois. Il soutient que le requérant aurait dû introduire sa requête au plus tard le 22 mai 1997, six mois après l’enlèvement de son frère le 22 novembre 1996, ou le 19 mai 1999, six mois après la découverte du meurtre le 19 novembre 1998. Or, la requête a été introduite le 4 juin 1999, soit plus de six mois après la découverte du meurtre de son frère.
Le requérant conteste les arguments du Gouvernement. Il fait observer qu’il a introduit sa requête par une lettre du 23 avril 1999, arrivée à la Cour le 30 avril 1999, dans le délai de six mois à partir de la découverte du meurtre de son frère le 19 novembre 1998. Il soutient par ailleurs que l’enquête pénale était pendante lorsqu’il a introduit sa requête.
La Cour constate qu’une action pénale était pendante lorsque le requérant a introduit sa requête devant la Cour à la date du 28 mai 1999, de sorte que la présente affaire ne saurait être déclarée tardive. Partant, il y a lieu de rejeter l’exception.
B. Bien-fondé des griefs
Le requérant allègue que son frère a été tué, en raison de son origine ethnique, par des agents de l’Etat ou des personnes ayant des relations avec eux ou se trouvant sous leur contrôle. Il prétend en outre que son frère a été arrêté arbitrairement et torturé avant d’être tué. Selon lui, il n’a pas été informé des raisons de son arrestation, n’a pas été traduit devant un juge et n’a pu exercer de voie de recours internes lui permettant de mettre en cause la légalité de sa garde à vue. Il se plaint par ailleurs de l’absence d’une enquête effective sur la disparition et le meurtre de son frère et fait valoir qu’il ne dispose pas de recours effectif en raisons de l’insuffisance des pouvoirs du parquet à effectuer des enquêtes pénales contre les forces de l’ordre dans la région soumise à l’état d’urgence. Il invoque les articles 2, 3, 5, 6, 13 et de la Convention.
Le Gouvernement affirme que le frère du requérant n’a pas été arrêté par les forces de l’ordre le 22 novembre 1996 ni les jours suivants. Quant à l’enquête, il fait observer que les dépositions du requérant, de son frère Nevzat Yazıcı et d’autres témoins ont été recueillies. Selon lui, ces dépositions comportent des contradictions, et l’un des témoins principaux, Hasan Demirtaş, a déclaré avoir vu le frère du requérant partir avec les trois hommes en souriant. Ce témoin n’a par ailleurs pas identifié les trois hommes parmi les photographies des policiers de la direction de la sûreté. De plus, l’enquête serait en cours.
Le requérant réitère ses allégations. Il soutient qu’il a rencontré le témoin oculaire des faits, Hasan Demirtaş, qui lui a révélé que les policiers qui ont recueilli sa déposition seraient les personnes qui sont venues chercher son frère, et qu’il a reçu des menaces de leur part. Selon le requérant, Hasan Demirtaş a disparu depuis ce jour-là.
La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ces grief posent de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ces grief ne sauraient être déclarés manifestement mal fondés, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.
Michael O’Boyle Nicolas Bratza
Greffier Président
1. Pistolet automatique de fort calibre