Přehled
Rozhodnutí
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 24632/02
présentée par Kaan ÜNSAL
contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 18 octobre 2005 en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
R. Türmen,
K. Jungwiert,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 12 juin 2002,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Citoyen turc, M. Kaan Ünsal, né en 1968, était détenu à la maison d’arrêt de Sincan, à Ankara, lors de l’introduction de la requête. Il est représenté devant la Cour par Mes S. Kozağaçlı, Z. Rüzgar, B. Vangölü, K. Arslan et E. Olkun, avocats à Ankara.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le 24 février 1997, le requérant avait été condamné par la cour de sûreté de l’Etat de Konya à une peine de douze ans et six mois d’emprisonnement, ce qui avait été confirmé le 25 juin 1998 par la Cour de cassation. Il était recherché depuis pour l’exécution de sa peine.
Le 12 septembre 2000, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue dans les locaux de la direction de la sûreté de Sivas. Il ressort des éléments du dossier que lorsqu’il fut arrêté, le requérant était muni d’une fausse carte d’identité. En outre, des documents relatifs aux camps d’entraînement de DHKP-C (Parti révolutionnaire du salut du peuple - Front, extrême gauche, armée), se trouvant en Grèce, ainsi que d’autres matériaux (téléphone portable, adresses, etc.) furent saisis sur le requérant.
Conformément à la législation en vigueur à l’époque des faits, le requérant ne put être assisté d’aucun avocat pendant sa garde à vue. Pendant cette période, celui-ci refusa de déposer.
Le 14 septembre 2000, le requérant fut entendu par le procureur de la République de Sivas. Il nia tout lien avec une organisation illégale depuis 1994. Il dit se servir de la fausse carte d’identité afin d’échapper au mandat de recherche délivré à son encontre pour sa condamnation. Il soutint, en outre, avoir fait l’objet de mauvais traitements durant sa garde à vue.
Il ressort du dossier que l’examen médical du requérant effectué à l’issue de sa garde à vue révéla que l’intéressé ne présentait aucune trace de violence sur son corps.
Le même jour, il fut déféré devant le juge près du tribunal de police de Sivas. Dans ses dépositions devant le juge, le requérant rejeta les charges pesant à son encontre et ne reconnut qu’être en possession d’une fausse carte d’identité et d’un téléphone portable lors de son arrestation. Il nia également le contenu du rapport médical. Le juge près du tribunal de police ordonna son placement en détention provisoire et il fut incarcéré à la prison de Sivas.
A une date inconnue, le parquet de Sivas déclina sa compétence et transmit le dossier au procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat d’Erzurum (« le procureur de la République »).
Le 26 septembre 2000, le procureur de la République inculpa le requérant du chef d’appartenance à une organisation illégale, en application de l’article 168 § 2 du code pénal.
Le 29 septembre 2000, la cour de sûreté de l’Etat d’Erzurum (« la cour de sûreté de l’Etat ») établit un procès-verbal de préparation d’audience. Elle ordonna que la déposition du requérant soit recueillie sur commission rogatoire, étant donné qu’il se trouvait détenu à la prison de Sivas. Un des juges du tribunal s’opposa à l’établissement de la déposition du requérant sur commission rogatoire, considérant que de telles méthodes ne se conciliaient pas avec le principe du contradictoire.
Lors de l’ensemble des neuf audiences tenues entre le 24 octobre 2000 et le 22 mai 2001, le requérant, incarcéré à la prison de Sivas, ne comparût jamais, faute de citation.
A l’audience du 27 février 2001, les dépositions d’un certain M.K. furent versées au dossier. Il en ressortit que celui-ci, à partir de photographies du requérant, le reconnût comme étant un dirigeant d’un camp d’entraînement de l’organisation incriminée, se trouvant en Grèce.
Le 2 mars 2001, le procureur de la République présenta un acte d’accusation additionnel par lequel il demanda la condamnation du requérant - toujours en vertu de l’article 168 § 2 du code pénal - en qualité du dirigeant du camp d’entraînement en Grèce.
Les 27 mars et 24 avril 2001, la cour de sûreté de l’Etat tint deux audiences lors desquelles il fut décidé d’accorder un délai supplémentaire au requérant, qui était représenté par son avocat, pour préparer sa défense.
Le 22 mai 2001, la cour de sûreté de l’Etat tint une audience, toujours en l’absence du requérant. Elle y entendit le représentant du requérant présenter ses dernières observations, dans lesquelles celui-ci soutenait que les accusations ne pouvaient se fonder uniquement sur les éléments contenus dans les déclarations de M.K., un repenti, d’autant plus que l’identification du requérant n’avait été effectuée que d’après une seule photographie, avec les risques d’erreur que cela comportait. A l’issue de cette audience, la cour de sûreté de l’Etat condamna le requérant à douze ans et six mois d’emprisonnement en application de l’article 168 § 2 du code pénal.
Afin de parvenir à la culpabilité du requérant, la cour de sûreté de l’Etat se fonda notamment sur le fait que celui-ci avait été arrêté en possession d’une fausse carte d’identité et de documents de l’organisation illégale. En outre, elle considéra le fait que M.K., un témoin à charge, le reconnût à partir de sa photo en tant que chef militaire du camp d’entraînement de l’organisation incriminée en Grèce.
Par un arrêt du 6 décembre 2001, prononcé le 12 décembre 2001, la Cour de cassation confirma l’arrêt de première instance.
B. Le droit interne pertinent
L’article 226 § 4 du code de procédure pénale à l’époque des faits était ainsi libellé :
« (...) Lorsqu’un accusé est détenu ou purge sa peine dans une maison d’arrêt située en dehors du ressort du tribunal qui le juge, la déposition peut être établie par le tribunal du lieu de la maison d’arrêt (...). »
GRIEFS
1. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant prétend avoir subi des mauvais traitements lors de sa garde à vue dans les locaux de la police de Sivas et se plaint du défaut d’enquête à ce sujet.
2. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant prétend avoir subi, à maints égards pendant la poursuite pénale engagée contre lui, un déni de procès équitable et des atteintes aux droits de la défense.
a) Tout d’abord, il soutient n’avoir pas pu valablement discuter du bien-fondé des accusations pénales portées à son égard devant la cour de sûreté de l’Etat d’Erzurum, étant donné qu’il ne fut jamais présent aux audiences et que sa déposition fut recueillie sur commission rogatoire.
b) Ensuite, il soutient qu’il n’a pas pu disposer du temps et des facilités nécessaires pour présenter sa défense au réquisitoire supplétif du 2 mars 2001.
c) Par ailleurs, il dit que son droit à interroger les témoins à charge a été violé, dès lors que la déposition du principal témoin à charge, à savoir M.K., a été établie par commission rogatoire sans qu’il y ait confrontation et qu’il eût la possibilité de lui poser des questions.
d) Enfin, il se plaint de ne pas avoir bénéficié de l’assistance d’un défenseur au stade de l’instruction.
EN DROIT
1. Le requérant soutient n’avoir pas pu valablement discuter du bien-fondé des accusations pénales portées à son égard devant la cour de sûreté de l’Etat d’Erzurum, étant donné qu’il ne fut jamais présent aux audiences et que sa déposition fut recueillie sur commission rogatoire. En outre, il dit que son droit à interroger les témoins à charge a été violé, dès lors que la déposition du principal témoin à charge, à savoir M.K., a été établie par commission rogatoire sans qu’il y ait confrontation et qu’il eût la possibilité de lui poser des questions. Il invoque l’article 6 de la Convention.
Toujours invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant soutient n’avoir pas pu disposer du temps et des facilités nécessaires pour présenter sa défense au réquisitoire supplétif du 2 mars 2001 et il se plaint de ne pas avoir bénéficié de l’assistance d’un défenseur au stade de l’instruction.
En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.
2. Le requérant soutient avoir subi des mauvais traitements emportant violation de l’article 3 de la Convention et se plaint du défaut d’enquête à ce sujet.
La Cour note d’emblée que le rapport médical délivré à l’issue de la garde à vue du requérant fait état d’absence de trace de violence. Par ailleurs, lorsque celui-ci a dénoncé les actes dont il était prétendument victime devant le procureur de la République et le juge du tribunal de police, il n’a pas donné de détails quant à la nature ou à la durée des traitements, ce qui aurait pu permettre aux magistrats d’approfondir leur enquête.
Par conséquent, la Cour ne trouve aucun élément dans le dossier qui pourrait constituer un début de preuve de ce grief (voir, entre autres, Barbaros Hayrettin Yılmaz c. Turquie (déc.), no 50743/99, 30 mai 2000).
Quant à l’allégation tirée de la passivité des autorités judiciaires face à ses allégations, la Cour estime que le requérant ne pouvait pas légitimement escompter que des investigations approfondies soient menées sans que lui-même ou son avocate fournisse aux autorités un fondement plus solide au sujet de ses doléances, lesquelles, aux yeux de la Cour, ne sauraient d’ailleurs passer pour « défendables » (voir, entre autres, Edip Berk et autres c. Turquie (déc.), no 41973/98, le 26 mai 2005).
Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Ajourne l’examen des griefs du requérant tirés de l’article 6 de la Convention ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président