Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
4.10.2005
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 30413/03
présentée par Ramazan SALCAN et Hüseyin GÖK
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 4 octobre 2005 en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
R. Türmen,
K. Jungwiert,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström, juges,

et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 25 août 2003,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, MM. Ramazan Salcan et Hüseyin Gök, sont des ressortissants turcs, nés respectivement en 1955 et 1956, et résidant à Antalya. Ils sont représentés devant la Cour par Me S. Binbir, avocate à Izmir.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

Les 5 janvier et 3 février 1981 respectivement, les requérants furent arrêtés et placés en garde à vue par des policiers de la direction de la sûreté d’Antalya, dans le cadre d’une opération menée contre une organisation armée illégale d’extrême gauche, à savoir le THKP-C Eylem Birliği (Parti - Front de la libération du peuple de Turquie), à laquelle ils étaient soupçonnés d’appartenir. D’après les procès-verbaux de la police en date des 13 janvier et 12 février 1981, les requérants reconnurent leur appartenance à cette organisation.

Les 24 et 26 février 1981 respectivement, les requérants furent entendus par le procureur de la République près la cour martiale d’Izmir, devant lequel ils nièrent toute appartenance à ladite organisation illégale ainsi que leur participation à toute activité au nom de celle-ci. Ils alléguèrent notamment que leurs aveux avaient été recueillis sous la contrainte lors de leur garde à vue.

Le 5 mars 1981, après avoir entendu les requérants qui réitérèrent leurs dépositions faites devant le procureur de la République, le juge près la cour martiale ordonna leur mise en détention provisoire.

D’après les éléments du dossier, plusieurs actions pénales furent engagées conjointement ou séparément devant différentes juridictions à l’encontre des requérants et de leurs camarades pour des actes qu’ils avaient commis entre 1978 et 1981 au nom et pour le compte de l’organisation illégale en cause. Toutefois, ces actions furent jointes sur le fond à l’affaire no 1980/957 pendante devant la cour martiale d’Istanbul.

Par un acte d’accusation supplémentaire no 1981/1397-2091 en date du 5 novembre 1981, le procureur de la République près la cour martiale d’Istanbul engagea une action pénale à l’encontre des requérants et de cent quatre-vingt dix-sept autres personnes sur le fondement de plusieurs dispositions du code pénal, essentiellement l’article 146 § 1 qui réprime toute tentative de changer ou de modifier entièrement ou partiellement la Constitution de la République de Turquie. Il leur reprochait notamment d’appartenir à l’organisation armée illégale THKP-C Eylem Birliği et de participer à des actions illégales, au nom et pour le compte de celle-ci, contraires à l’article 146 § 1 du code pénal. L’affaire fut inscrite sous le no 1981/940, puis également jointe sur le fond à l’affaire no 1980/957.

La cour martiale ordonna la libération provisoire d’Hüseyin Gök le 10 février 1984 et celle de Ramazan Salcan le 20 juin 1984. Ce dernier ne put toutefois être relâché du fait de l’existence d’autres chefs d’accusation pesant sur lui.

Le 8 novembre 1984, après avoir entendu les parties, la cour martiale déclara les requérants, ainsi que cent vingt-sept autres personnes incriminées dans l’acte d’accusation du 5 novembre 1981, coupables des faits qui leur étaient reprochés. Elle condamna Ramazan Salcan à la peine de mort, commuée en une peine d’emprisonnement à perpétuité, sur le fondement des articles 146 § 1 et 59 du code pénal, assortie d’une interdiction à vie d’occuper une fonction publique. Elle condamna Hüseyin Gök à une peine d’emprisonnement de quatre ans, un mois et dix jours sur le fondement des articles 169 et 350 § 3, combinés avec l’article 74, du code pénal et de l’article 17 § 1 de la loi no 1402, assortie d’un placement sous surveillance judiciaire d’un an et quatre mois sur le fondement de l’article 173, dernier paragraphe, du code pénal ainsi que d’une interdiction d’exercer la fonction publique pendant quatre ans.

Le 12 avril 1988, sur pourvoi des requérants, la Cour de cassation militaire (Askerî Yargıtay) infirma le jugement du 8 novembre 1984 et renvoya l’affaire devant la cour martiale. Elle considéra notamment que, compte tenu de l’état des preuves, les infractions reprochées à l’encontre des requérants ne pouvaient passer pour établies.

Le 11 juin 1990, la cour martiale ordonna la libération provisoire de Ramazan Salcan.

Le 17 août 1990, s’alignant sur l’arrêt de la Cour de cassation militaire, la cour martiale jugea Ramazan Salcan coupable de certains chefs d’accusation qui lui étaient reprochés et le condamna à une peine d’emprisonnement de dix ans sur le fondement de l’article 146 § 3 du code pénal et une interdiction d’exercer la fonction publique pour une durée illimitée ; elle l’acquitta pour le restant. Quant à Hüseyin Gök, elle l’acquitta au motif de la prescription de l’action publique engagée à son encontre en application des articles 102 § 4 et 104 § 2 du code pénal.

Le 4 janvier 1994, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi no 3953 portant modification de la loi no 1402, l’affaire en cause fut transmise à la Cour de cassation civile (Sivil Yargıtay), en sa neuvième chambre pénale, qui, par un arrêt du 25 janvier 1995, déclina sa compétence sur le fondement de la loi no 4053 relative à la Cour de cassation. L’affaire fut renvoyée devant la onzième chambre pénale de la Cour de cassation.

Par un arrêt du 18 avril 1995, celle-ci accepta de connaître de l’affaire litigieuse et rejeta le jugement du 17 août 1990 en raison d’une erreur d’appréciation matérielle des faits et de l’application des peines. L’affaire fut renvoyée devant la cour d’assises d’Űsküdar, laquelle tint sa première audience le 16 août 1995.

Entre 1995 et 2004, plusieurs audiences publiques eurent lieu devant cette cour d’assises. A l’audience du 31 décembre 2004 notamment, l’affaire fut reportée au 16 mai 2005.

Dans l’état actuel du dossier présenté à la Cour, et d’après les derniers éléments fournis par les requérants, l’affaire est toujours pendante devant la cour d’assises qui ne s’est pas encore prononcée sur le bien-fondé des accusations portées contre les requérants.


GRIEFS

1. Invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de leur détention provisoire.

2. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, ils se plaignent également de la durée de la procédure pénale dans son ensemble, qui est toujours pendante devant la cour d’assises d’Űsküdar.

EN DROIT

1. Les requérants se plaignent que la durée de la procédure pénale dans son ensemble ne répond pas aux exigences du « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

2. Les requérants se plaignent que leur droit d’être jugés ou libérés dans un délai raisonnable, au sens de l’article 5 § 3 de la Convention, n’a pas été respecté.

La Cour relève en premier lieu que le juge près la cour martiale d’Izmir a ordonné le placement en détention provisoire des deux requérants par une décision du 5 mars 1981. Elle note ensuite que Ramazan Salcan a été libéré le 11 juin 1990. Dès lors, celui-ci aurait dû saisir la Cour dans les six mois à compter de cette décision, conformément à l’article 35 § 1 de la Convention. Toutefois, il ne l’a fait que le 25 août 2003, soit plus de six mois après. Partant, cette partie de la requête est tardive et doit être rejetée conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Quant à Hüseyin Gök, celui-ci a été libéré le 10 février 1984. Nonobstant le fait qu’il aurait dû saisir la Cour dans les six mois à compter de cette date, la Cour rappelle qu’elle ne peut connaître que des griefs postérieurs au 28 janvier 1987, date à laquelle a pris effet la déclaration par laquelle la Turquie a reconnu le droit de recours individuel (voir Şahiner c. Turquie, no 29279/95, §§ 19-22, CEDH 2001IX). Partant, cette partie de la requête est incompatible ratione temporis avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen du grief des requérants tiré de la durée de la procédure pénale engagée à leur encontre ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président