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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE ÖZGÜR ET TURHAN c. TURQUIE
(Requête no 28512/03)
ARRÊT
STRASBOURG
28 juin 2005
DÉFINITIF
28/09/2005
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Özgür et Turhan c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,
MM. G. Bonello,
R. Türmen,
K. Traja,
S. Pavlovschi,
L. Garlicki,
Mme L. Mijović, juges,
et de M. M. O’Boyle, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 juin 2005,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 28512/03) dirigée contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet Etat, Mme Emine Gülşen Özgür et M. Yaşar Turhan (« les requérants »), ont saisi la Cour le 8 août 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par Mes E. Kirmani, K. Ulaş, H. Bayrem, U. Ekinci et R. Tat, avocats à Kocaeli. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.
3. Le 14 juin 2004, la Cour (troisième section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire.
4. Le 1er novembre 2004 la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la quatrième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Les requérants sont nés respectivement en 1943 et 1952, et résident à Kocaeli.
6. Le 27 octobre 1999, pour la construction d’un port maritime, la commune de Dilova (« l’administration ») procéda à l’expropriation du terrain dont les requérants étaient copropriétaires.
7. Une commission d’experts de l’administration ayant fixé la valeur du terrain exproprié à 1 098 825 000 livres turques (TRL), ce montant fut versé aux requérants à la date du transfert de propriété.
8. Le 15 septembre 2000, en désaccord sur le montant payé, les requérants introduisirent un recours en augmentation de l’indemnité d’expropriation auprès du tribunal de grande instance de Gebze.
9. Par un jugement du 30 janvier 2001, le tribunal donna partiellement gain de cause aux requérants et condamna l’administration à leur verser une indemnité complémentaire de 8 719 725 000 TRL, assortie d’intérêts moratoires au taux légal à compter du 15 septembre 2000.
10. Le 10 avril 2001, à la demande des requérants, l’« office des poursuites des dettes » notifia à l’administration une injonction de payer demeurée infructueuse.
11. Par un arrêt du 5 février 2002, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance.
12. A ce jour, aucun paiement n’a été effectué par l’administration débitrice.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
13. En vertu de l’article 82 de la loi no 2004 du 9 juin 1932 sur la poursuite pour dettes et la faillite, les biens appartenant à l’Etat et les biens affectés à l’usage public sont insaisissables.
14. Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans les arrêts Akkuş c. Turquie (9 juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, pp. 1305-1306, §§ 13-16) et Aka c. Turquie (23 septembre 1998, Recueil 1998‑VI, pp. 2674‑2676, §§ 17-25).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
15. Les requérants se plaignent d’une atteinte à leur droit au respect de leurs biens en raison de l’absence de paiement par l’Etat de l’indemnité complémentaire d’expropriation allouée par une décision de justice. Ils invoquent à cet égard l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
16. La Cour estime, à la lumière des critères qui se dégagent de sa jurisprudence (voir notamment Akkuş, précité) et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, que la requête doit faire l’objet d’un examen au fond. Elle constate en effet que celle-ci ne se heurte à aucun motif d’irrecevabilité.
B. Sur le fond
17. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d’espèce et constaté la violation de l’article 1 du Protocole no 1 (voir Akkuş, précité, p. 1317, § 31, et Aka, précité, p. 2682, §§ 50-51).
18. La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle observe que les requérants, expropriés de leur terrain, ont entamé une action en augmentation de l’indemnité d’expropriation et obtenu gain de cause devant le tribunal de grande instance. Bien que ce jugement soit devenu définitif par l’arrêt de la Cour de cassation, l’administration expropriante n’a à ce jour pas procédé à son exécution. Cette situation s’analyse comme une ingérence dans le droit des requérants au respect de leurs biens au sens de l’alinéa premier de l’article 1 du Protocole no 1.
19. La Cour rappelle à cet égard sa jurisprudence selon laquelle la nécessité de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, p. 26, § 69) ne peut se faire sentir que lorsqu’il s’est avéré que l’ingérence litigieuse a respecté le principe de la légalité et qu’elle n’était pas arbitraire (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999‑II).
20. La Cour relève qu’en l’espèce, l’ingérence, caractérisée par la non-exécution d’un jugement définitif, était arbitraire et emportait la violation du principe de la légalité. Une telle conclusion la dispense dès lors de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels (Iatridis, précité, § 62, et Karahalios c. Grèce, no 62503/00, § 35, 11 décembre 2003).
21. Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
22. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel et moral
23. Les requérants affirment devoir être dédommagés pour un préjudice matériel qu’ils évaluent à 35 000 euros (EUR). Ils réclament en outre 17 500 EUR pour la réparation du préjudice moral qu’ils ont subi.
24. Le Gouvernement prétend que les sommes réclamées sont excessives et ne représentent pas le préjudice réellement subi.
25. Considérant le mode de calcul adopté dans l’arrêt Akkuş (précité, p. 1311, §§ 35-36 et 39) et à la lumière des données économiques pertinentes, la Cour accorde 13 000 EUR aux requérants conjointement à titre de dommage matériel.
26. La Cour estime par ailleurs que les requérants ont subi un préjudice moral du fait de l’incertitude provoquée par l’omission de l’administration de procéder au paiement de l’indemnité complémentaire fixée par les tribunaux. Statuant en équité, la Cour alloue 2 000 EUR à ce titre aux requérants conjointement.
B. Frais et dépens
27. Les requérants demandent 16 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour.
28. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
29. Compte tenu des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR tous frais confondus et l’accorde aux requérants conjointement.
C. Intérêts moratoires
30. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :
i. 13 000 EUR (treize mille euros) pour dommage matériel ;
ii. 2 000 EUR (deux mille euros) pour dommage moral ;
iii. 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens ;
iv. tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur lesdites sommes ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 juin 2005 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Michael O’Boyle Nicolas Bratza
Greffier Président