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Rozhodnutí
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 20868/02
présentée par Metin TURAN
contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 14 juin 2005 en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
V. Butkevych,
Mme D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 10 avril 2002,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Metin Turan, est un ressortissant turc, né en 1966 et résidant à Tunceli. Il est représenté devant la Cour par Mes H. Aygün et Ö.U. Kaplan, avocats à Tunceli.
A. Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
En 1999, alors qu'il était membre du parti politique local EMEP (le Parti du labeur), le requérant se porta candidat au poste de maire de Tunceli.
Le 10 août 2001, avec d'autres fonctionnaires du secteur public, le requérant fonda le syndicat Enerji-Yapı Yol Sen, rattaché à la Fédération des syndicats du secteur public (Kesk). Il en fut élu membre du conseil d'administration.
Le même jour, le préfet en fut informé.
Par une décision du 15 mars 2002, sur le fondement de la loi no 657 ainsi qu'à la demande de la direction générale du 11 mars 2002 et celle du préfet de la région soumise à l'état d'urgence du 5 octobre 2001, le requérant fut muté à Yozgat.
Le 27 mars 2002, la décision de mutation fut notifiée au requérant.
B. Le droit interne pertinent
Le droit interne pertinent relatif à la région où l'état d'urgence est en vigueur, et applicable à l'époque pertinente, est exposé dans les arrêts Ertak c. Turquie (no 20764/92, §§ 95-97, CEDH 2000‑V) et Çetin et autres c. Turquie (nos 40153/98 et 40160/98, §§ 24-32, CEDH 2003‑III).
A l'époque des faits, l'article 4 g) du décret-loi no 285 relatif à l'instauration de la préfecture de la région où l'état d'urgence est en vigueur conférait au gouverneur de cette région le pouvoir de demander, dans le but de protéger l'ordre public et la sécurité générale, la mutation du personnel du secteur public dans une ville située en dehors de cette région.
La loi no 657 relative aux fonctionnaires régit le statut et la carrière des fonctionnaires.
En vertu du décret-loi no 285, les décisions administratives prises par le préfet ne peuvent pas être attaquées devant les juridictions administratives. En outre, la responsabilité pénale ou civile de ce dernier et des préfets des départements de la région, en raison de ses décisions concernant la mutation du personnel du secteur public, n'est pas susceptible d'être soulevée devant les juridictions pénales ou civiles.
L'article 3 a) du décret-loi no 430 sur les mesures complémentaires à prendre dans le cadre de l'état d'urgence prévoit que le préfet de la région concernée peut demander la mutation de fonctionnaires de cette région pour des raisons de sécurité, de sûreté ou d'ordre public.
GRIEFS
Invoquant l'article 11 de la Convention, le requérant allègue que la décision de mutation litigieuse constitue une atteinte à son droit à la liberté d'association. Il se réfère également à l'article 5 de la Charte sociale européenne.
Invoquant l'article 6 de la Convention, le requérant se plaint de l'absence de recours effectif pour contester la décision en question devant les autorités judiciaires.
Invoquant l'article 7 de la Convention, le requérant affirme que la décision de mutation dont il a fait l'objet revêt le caractère d'une sanction sans qu'elle n'ait été prononcée par un tribunal.
Invoquant l'article 8 de la Convention, le requérant se plaint que la décision de mutation ne prend pas en compte sa situation personnelle dans la mesure où il est contraint de vivre loin de son épouse et de ses enfants.
Invoquant l'article 14 de la Convention, le requérant soutient que la décision de mutation a été prise en raison de ses activités syndicales et politiques.
EN DROIT
1. Le requérant allègue que la décision de mutation litigieuse constitue une atteinte à son droit à la liberté d'association et qu'elle a été prise en raison de ses activités syndicales et politiques. Il invoque les articles 11 et 14 de la Convention. La Cour examinera ces griefs sous l'angle de l'article 11 ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. (...) »
Le requérant se plaint de l'absence de recours effectif pour contester la décision de mutation en question devant les autorités judiciaires. Il invoque l'article 6 de la Convention. La Cour examinera ce grief sous l'angle de l'article 13, ainsi libellé dans sa partie pertinente :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
En l'état actuel du dossier, la Cour ne s'estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l'article 54 § 2 b) de son règlement.
2. Le requérant affirme que la décision de mutation dont il a fait l'objet revêt le caractère d'une sanction sans qu'elle ait été prononcée par un tribunal. Il invoque l'article 7 de la Convention ainsi libellé :
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise.
2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »
La Cour constate que le requérant a été muté en sa qualité de fonctionnaire. Il ressort des éléments du dossier qu'aucune procédure pénale n'a été engagée ni même de peine pénale prononcée à son encontre. Eu égard à la formulation de son grief, l'intéressé n'apporte aucune précision et son argumentation apparaît en ce sens nullement étayée.
Il s'ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l'article 35 § 4.
3. Le requérant se plaint que la décision de mutation ne prend pas en compte sa situation personnelle dans la mesure où il est contraint de vivre loin de son épouse et de ses enfants. Il invoque l'article 8 de la Convention ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
La Cour réitère que le statut de fonctionnaire du requérant prévoit, en principe, la possibilité de sa mutation dans un autre service ou dans une autre ville. Partant, la mesure dont se plaint le requérant relève de ses engagements contractuels et sa plainte d'un effet accessoire de sa mutation. Dans ces circonstances, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément ce grief (voir, mutatis mutandis, Öztürk c. Turquie [GC], no 22479/93, § 76, CEDH 1999‑VI, et Parti socialiste et autres c. Turquie, arrêt du 25 mai 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑III, p. 1259, § 57).
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Ajourne l'examen des griefs du requérant tirés d'une prétendue atteinte à son droit à la liberté d'association (article 11) et de l'absence de voie de recours pour contester la légalité de la décision de mutation litigieuse (article 13) ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président