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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
22.3.2005
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION FINALE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 60176/00
présentée par Ebru et Tayfun Engin ÇOLAK
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 22 mars 2005 en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
V. Butkevych,
M. Ugrekhelidze,
Mmes E. Fura-Sandström,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 10 juillet 2000,

Vu la décision partielle du 13 mars 2003,

Vu les observations présentées par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, Mlle Ebru Çolak (la mère) et M. Tayfun Engin Çolak (l'enfant), sont des ressortissants turcs, nés respectivement en 1973 et 1991, et résidant à Bursa. Ils sont représentés devant la Cour par Me F. Bakırcı Efe, avocate à Istanbul.

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

Le 2 avril 1992, la requérante, agissant en son nom propre et en celui de son fils, assigna Emrah İpek, un chanteur populaire, devant le tribunal de grande instance d'Istanbul (« le tribunal ») afin de le faire déclarer le père naturel de son enfant.

Le 18 février 1994, le tribunal désigna l'institut de médecine légale de l'université d'Istanbul en qualité d'expert.

Le rapport établi le 24 octobre 1994 par l'Institut médico-légal du ministère de la Justice (« l'Institut »), après examen sanguin et expertise génétique, indiqua que la paternité d'Emrah İpek était certaine à 99,77 %.

Le 19 décembre 1994, statuant à la lumière des résultats des analyses et de l'ensemble des éléments du dossier, le tribunal conclut à la paternité d'Emrah İpek et ordonna à l'officier d'état civil de modifier l'acte de naissance de l'enfant afin d'y substituer le nom d'Emrah İpek à celui de la mère.

Le 30 mai 1995, la Cour de cassation confirma ce jugement.

Le 7 février 1996, la Cour de cassation, saisie d'une demande en rectification de l'arrêt, infirma le jugement du 19 décembre 1994 au motif que les juges du fond s'étaient fondés sur un rapport d'expertise établi par un autre institut que celui désigné, à savoir l'Institut médicolégal de l'université d'Istanbul, et qu'il était nécessaire de procéder à des examens complémentaires. Elle renvoya l'affaire devant la juridiction de première instance.

Le 24 avril 1996, le tribunal décida de consulter l'Institut concernant les modalités de l'expertise et reporta l'audience.

Le 3 juin 1996, le tribunal accorda un délai aux représentants des parties pour consulter leur client respectif quant à la date de l'expertise et prononça le report de l'audience.

Le 1er juillet 1996, le tribunal invita les parties à se rendre à l'Institut le 24 juillet 1996 afin de se soumettre aux tests et ordonna à la partie défenderesse de régler les frais d'expertise.

Le 23 septembre 1996, le tribunal constata que la partie défenderesse ne s'était pas acquittée des frais d'expertise et fixa un nouveau rendez-vous au 28 octobre 1996. La partie défenderesse ne s'y rendit pas.

Le 20 novembre 1996, le tribunal fixa le rendez-vous suivant au 16 décembre 1996 et informa l'Institut que la partie défenderesse avait réglé les frais d'expertise.

Les 23 décembre 1996, le tribunal releva que l'Institut n'avait pas répondu à sa correspondance et reporta l'audience.

Le 19 février 1997, le tribunal décida de rayer l'affaire du rôle au motif que les parties ne s'étaient pas présentées à l'audience.

Le 26 février 1997, faisant suite à la demande de la requérante, le tribunal décida de reprendre l'examen de l'affaire.

Les 24 mars, 1er mai et 2 juin1997, le tribunal décida d'attendre la réponse de l'Institut.

Le 30 mai 1997, l'Institut informa le tribunal que les équipements nécessaires pour procéder aux tests complémentaires seraient disponibles fin août et que les parties pouvaient se présenter pendant le mois d'octobre pour se soumettre aux tests.

Le 14 juillet 1997, le tribunal accusa réception de la réponse de l'Institut, dont il fit lecture et qu'il versa au dossier. A la lumière des informations contenues dans cette lettre, il fixa un nouveau rendez-vous au 6 octobre 1997. Emrah İpek informa le tribunal qu'il serait absent ce jour-là.

Le 23 octobre 1997, le tribunal fixa un rendez-vous au 10 décembre 1997 conformément à l'accord des parties. Emrah İpek négligea à nouveau de s'y rendre.

Le 24 décembre 1997, faisant suite à la demande du représentant de la requérante, le tribunal délivra un mandat d'amener à l'encontre d'Emrah İpek pour le contraindre à se soumettre aux examens le 21 janvier 1998.

Le 7 janvier 1998, le tribunal transmit le mandat d'amener à la direction de la sûreté d'Istanbul en y mentionnant les trois adresses de l'intéressé, toutes situées à Istanbul.

Le 16 janvier 1998, le commissariat de quartier de Kızıltoprak informa la direction de la sûreté de Kadıköy qu'Emrah İpek ne résidait pas à l'adresse indiquée et que sa nouvelle adresse était inconnue.

Le 21 janvier 1998, Emrah İpek omit à nouveau de se présenter au rendez-vous.

Le 3 février 1998, la direction de la sûreté d'Istanbul transmit au tribunal la copie de la lettre du 16 janvier 1998.

Le 18 février 1998, le tribunal renouvela le mandat d'amener délivré à l'encontre d'Emrah İpek et fixa un nouveau rendez-vous au 12 mars 1998. L'intéressé négligea à nouveau de s'y rendre.

Le 25 mars 1998, le commissariat du quartier d'Etiler informa la direction de la sûreté de Beşiktaş qu'Emrah İpek avait déménagé dans le quartier de Levent.

Le 25 mars 1998, le tribunal fixa un nouveau rendez-vous au 15 mai 1998 conformément à l'accord des représentants des parties et renouvela le mandat d'amener. Emrah İpek informa le tribunal qu'il serait absent ce jour-là.

Le 13 avril 1998, le commissariat du quartier d'Ortaköy informa la direction de la sûreté de Beşiktaş qu' Emrah İpek ne résidait pas à l'adresse indiquée.

Le 20 mai 1998, le commissariat du quartier de Levent informa la direction de la sûreté de Beşiktaş que le mandat d'amener concernant le rendez-vous du 12 mars 1998 n'avait pas été exécuté en raison d'une transmission tardive, à savoir le 26 mars 1998.

Le 27 mai 1998, le tribunal accusa réception de la réponse de la direction de la sûreté et fixa un nouveau rendez-vous au 30 juin 1998. Il réitéra le mandat d'amener.

Le 30 juin 1998, Emrah İpek omit à nouveau de se présenter au rendez-vous.

Le 16 juillet 1998, la requérante déposa une plainte contre les agents de police chargés d'exécuter le mandat d'amener pour négligence dans l'exercice de leur fonction.

Le 16 septembre 1998, le tribunal fixa un nouveau rendez-vous au 2 novembre 1998. Emrah İpek ne s'y présenta pas.

Le 5 novembre 1998, le tribunal constata qu'il n'avait pas reçu de réponse à ses demandes faites auprès de la direction de la sûreté et demanda à être informé à ce sujet. Il décida en outre de notifier aux policiers chargés d'exécuter le mandat d'amener qu'ils verraient leur responsabilité engagée pour manquement à leur fonction si le mandat n'était pas exécuté. Il fixa un nouveau rendez-vous au 12 novembre 1998 et reporta l'audience. L'avocate de la requérante souligna qu'Emrah İpek ne s'était présenté à aucune des convocations du tribunal et qu'il demeurait introuvable. Elle demanda en conséquence au tribunal de statuer sur la paternité d'Emrah İpek en l'absence de réaction de celui-ci à une dernière injonction.

Le 12 novembre 1998, le tribunal releva qu'Emrah İpek se trouvait à l'étranger en raison d'une tournée et versa au dossier les justificatifs présentés à cet effet par son représentant.

Le 10 décembre 1998, le tribunal décida de porter plainte devant le procureur de la République à l'encontre des agents chargés d'exécuter le mandat d'amener pour abus de pouvoir. Il décida également de notifier à Emrah İpek que le fait de se soustraire aux tests d'ADN serait interprété comme un aveu de paternité.

Le 11 février 1999, le tribunal tint une audience en présence des deux parties. Présent pour la première fois, Emrah İpek fit valoir qu'il avait été empêché d'assister aux précédentes audiences en raison d'une tournée à l'étranger.

Le 3 mars 1999, le procureur de la République d'Istanbul rendit une ordonnance de non-lieu concernant la plainte déposée pour non-exécution du mandat d'amener.

Le 13 avril 1999, le tribunal décida d'attendre le retour du dossier de l'Institut et prononça le report de l'audience.

Le 17 juin 1999, le tribunal accusa réception de courrier de l'Institut demandant aux parties de se présenter à nouveau pour subir les examens nécessaires. Il fixa un rendez-vous définitif au 15 juillet 1999 conformément à la proposition de l'avocat d'Emrah İpek.

Les 14 septembre et 27 octobre 1999, le tribunal constata que le dossier n'était pas revenu de l'Institut et décida de l'interroger à ce sujet.

Le 8 novembre 1999, l'Institut indiqua qu'il devait procéder à une nouvelle prise de sang pour effectuer les tests demandés.

Le 16 décembre 1999, le tribunal fixa un nouveau rendez-vous au 17 janvier 1999. Il décida de notifier à l'Institut que le dossier était dans l'attente de son rapport depuis environ un an, que la présentation des parties avait été requise à plusieurs reprises et que, cette fois, tous les tests devaient être effectués de manière définitive. Dans le cas contraire, les membres concernés de l'Institut seraient dénoncés au procureur de la République pour manquement à leur mission judiciaire et au ministère de la Justice en vue d'engager des poursuites administratives.

Le rapport établi le 28 février 2000 par l'Institut à la suite d'examens complémentaires conclut à la paternité d' Emrah İpek à 99,99 %.

Par un jugement du 17 mai 2000, le tribunal statua sur la paternité.

Par un arrêt du 18 janvier 2001, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance. Le 3 mai 2001, elle rejeta la demande de rectification de cet arrêt après avoir relevé le désistement des parties.

Pendant toute la durée de la procédure, le procès fut largement couvert par la presse eu égard à la célébrité d'Emrah İpek.

GRIEFS

Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, les requérants allèguent que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable ».

Invoquant l'article 8 de la Convention, les requérants soutiennent que la durée de la procédure a porté atteinte à leur droit au respect de leur vie familiale et privée. Ils exposent que, pendant toute cette période, ils ont été la cible des médias en raison de la célébrité d' Emrah İpek et que l'absence de pension alimentaire a privé l'enfant du bénéfice d'une vie et d'une scolarité meilleures. Ils dénoncent finalement les troubles psychologiques causés à l'enfant par l'incertitude qui a pesé quant à sa filiation et l'impossibilité pour eux d'avoir une vie familiale normale.

Invoquant l'article 13 de la Convention, les requérants se plaignent de ne pas avoir disposé de recours au travers duquel ils auraient pu faire valoir leur grief tiré de la durée de la procédure.

EN DROIT

Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, les requérants allèguent que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable ».

Invoquant l'article 8 de la Convention, les requérants soutiennent que la durée de la procédure a porté atteinte à leur droit au respect de leur vie familiale et privée.

Invoquant l'article 13 de la Convention, les requérants se plaignent de ne pas avoir disposé de recours au travers duquel ils auraient pu faire valoir leur grief tiré de la durée de la procédure.

Le Gouvernement a présenté ses observations, lesquelles n'ont pas été versées au dossier faute d'avoir respecté le délai imparti.

La Cour estime que les griefs du requérant posent de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s'ensuit que ces griefs ne sauraient être déclarés manifestement mal fondés, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d'irrecevabilité n'a été relevé.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

Déclare le restant de la requête recevable, tous moyens de fond réservés.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président