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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
22.2.2005
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 10226/03
présentée par Mehmet YUMAK et Resul SADAK
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 22 février 2005 en une chambre composée de

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
R. Türmen,
K. Jungwiert,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 1er mars 2003,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, MM. Mehmet Yumak et Resul Sadak, sont des ressortissants turcs, nés respectivement en 1962 et 1959 et résidant à Şırnak. Ils sont représentés devant la Cour par Me T. Elçi, avocat à Diyarbakır.

A. Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

Au mois de septembre 2002, les requérants, candidats du parti politique DEHAP (Parti démocratique du peuple), dans le département de Şırnak, aux élections législatives anticipées, débutèrent leur campagne électorale.

Au cours de celle-ci, ils se seraient heurtés à de nombreuses entraves et le déroulement des élections aurait été entaché de nombreuses irrégularités, telles que menaces et pressions sur les électeurs et les candidats, et vote ouvert.

Le 22 octobre 2002, le DEHAP obtint l'autorisation d'organiser un meeting politique à Şirnak le 27 octobre 2002.

Selon les requérants, le 27 octobre 2002, le convoi de véhicules formé par les membres du parti se rendant de Cizre à Şirnak pour le meeting en question fut arrêté sur la route, à divers points de contrôle. En raison du retard occasionné par ces arrêts, le meeting n'eut pas lieu.

Le 28 octobre 2002, la présidence départementale du DEHAP saisit l'organisme électoral d'une nouvelle demande tendant à l'organisation d'un meeting, demande à laquelle il fut fait droit.

Le jour même, l'organisme électoral informa la direction de la sûreté de Şırnak de l'autorisation accordée au DEHAP et demanda la mise en place d'un dispositif de sécurité.

Toujours le même jour, la direction de la sûreté informa l'organisme électoral que des mesures de sécurité particulières avaient été adoptées pour les journées des 28 et 29 octobre, en raison de la fête nationale de la République devant avoir lieu le 29 octobre. Certaines routes devaient ainsi être fermées à la circulation. Elle précisa que le dispositif de sécurité sollicité pour le meeting ne pourrait être assuré et demanda que celui-ci eût lieu après le 29 octobre.

Pour ces motifs, l'organisme électoral porta au 30 octobre 2002 la date du meeting politique en question.

Le 3 novembre 2002, les requérants se présentèrent aux élections législatives anticipées. Au terme de ces dernières, le DEHAP recueillit dans le département 47 449 voix sur les 103 111 suffrages exprimés, soit environ 45,95 % des suffrages.

Le DEHAP n'ayant toutefois pas dépassé le seuil de 10 % au niveau national, les requérants ne furent pas élus. Par conséquent, les trois sièges attribués au département de Şırnak ont été repartis comme suit : deux sièges au AKP, qui a obtenu 14,05 % des votes (soit 14 460 voix), et un siège à M. Tatar, candidat indépendant qui a obtenu 9,69 % des votes (soit 9 914 voix).

B. Le droit et la pratique internes pertinents

1. La Constitution

L'article 67 § 6 de la Constitution, tel que modifié le 23 juillet 1995, dispose :

« Les lois électorales doivent concilier la juste représentation et la stabilité gouvernementale. »

L'article 125 de la Constitution énonce :

« Tout acte ou décision de l'administration est susceptible d'un contrôle juridictionnel (...)

L'administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. »

2. Le système électoral

La loi no 2939 relative à l'élection des députés, publiée au Journal officiel du 13 juin 1983, définit quant à elle les modalités du système électoral en vigueur pour les élections législatives.

L'Assemblée nationale turque est composée de cinq cent cinquante députés, élus dans quatre-vingt-cinq circonscriptions. Les élections sont à un seul degré. Elles ont lieu sur l'ensemble du territoire national, le même jour, à la représentation proportionnelle, au suffrage libre, égal, universel et au vote secret. Le dépouillement du scrutin ainsi que l'établissement des procès-verbaux y afférents sont publics. Chaque département constitue une circonscription électorale.

L'article 33 de la loi no 2939, tel que modifié le 23 mai 1987, est ainsi libellé :

« Lors de l'élection générale, les parties ne peuvent obtenir de siège que s'ils dépassent le seuil de 10 % des votes valablement exprimés au plan national (...) Un candidat indépendant inscrit sur la liste d'un parti politique ne peut être élu que si la liste de ce parti dépasse le seuil de 10 % au plan national (...). »

La méthode D'Hont est appliquée dans la répartition des sièges en fonction des résultats du scrutin.

3. La jurisprudence constitutionnelle

Dans un arrêt du 18 novembre 1995 (E. 1995/54, K. 1995/59), la Cour constitutionnelle a eu l'occasion de se prononcer sur la constitutionnalité de l'article 34/A de la loi no 2939 avec la Constitution. Cet article, se référant à l'article 33, imposait également le seuil électoral de 10 % dans la répartition des sièges de députés élus dans « la circonscription nationale ».

Les juges constitutionnels ont annulé les dispositions établissant la circonscription nationale, en considérant toutefois que le seuil national de 10 % peut passer pour compatible avec l'article 67 de la Constitution.

Les passages pertinents de cet arrêt peuvent se lire comme suit :

« (...) la Constitution établit la forme de l'Etat turc comme étant une République (...) La construction constitutionnelle de l'Etat s'appuyant sur la souveraineté nationale, [a] pour source la volonté nationale, et [comme] intermédiaire des élections libres. Ce choix, souligné dans les différents articles de la Constitution, fut mis en évidence de manière intensive et précise dans l'article 67 intitulé « droit de vote, d'éligibilité et de se livrer à des activités politiques ». Le paragraphe 6 modifié de l'article prévoit que les lois électorales doivent être établies de manière à concilier les principes de « justice dans la représentation » et de « stabilité dans l'administration ». Le but : que la volonté électorale se reflète dans la mesure du possible [au sein] de l'organe législatif. (...) choisir le système comportant les méthodes les plus adaptées pour permettre que les volontés et choix collectifs se reflètent dans l'organe législatif, (...) en établissant les dispositions législatives au regard des circonstances du pays et des nécessités constitutionnelles, il convient d'adopter [le système] qui est le plus conforme à la Constitution ou d'abandonner celui qui y est contraire.

L'impact des démocraties représentatives dans différents domaines est visible par ses effets. Les systèmes injustes adoptés en pensant qu'ils allaient assurer la stabilité ont des conséquences qui entravent de façon importante les développements sociaux (...) Dans la représentation, le poids de la justice est la condition principale de la stabilité dans l'administration. La justice assure la stabilité. Toutefois, l'idée de stabilité, en l'absence de justice, crée l'instabilité. « Le principe de justice dans la représentation » dont la Constitution veut le [respect] se résume par les éléments de [suffrage] libre, égal, secret, à un tour, universel, [avec] décompte et dépouillement public et se concrétise par un nombre de représentants proportionnel au voix. « Le principe de stabilité dans l'administration » est perçu [quant à lui] comme les méthodes devant refléter les voix [au sein de] l'organe législatif de manière à assurer la force de l'exécutif. « La stabilité dans l'administration » qui veut être assurée par le seuil de suffisance dénommé « barrage », tout comme la justice dans la représentation (...) prennent place dans la Constitution. Lors des élections (...), il faut donner de l'importance à la conjonction de ces deux principes qui apparaissent antinomiques dans certaines situations de façon [à ce qu'ils] s'équilibrent et se complètent (...)

Pour atteindre le but de la Constitution de « stabilité dans l'administration », un [seuil] national est prévu (...)

Il est clair que le [seuil] de 10 % des voix au niveau national prévu par l'article 33 de la loi no 2839 (...) est entré en vigueur avec l'appréciation de l'organe législatif. A côté de la conformité (...) des systèmes électoraux aux principes constitutionnels, il est inévitable que certains comportent des conditions impératives. Les seuils qui ont pour source la nature des systèmes et [s'expriment] en pourcentage, [qui] au regard du pays, restreignent le droit de vote et d'éligibilité, peuvent être appliqués, être acceptés (...) tant qu'ils ne vont pas au-delà de mesures anormales (...) Il reste que le [seuil] de 10 % est conforme au principe de stabilité dans l'administration et en conformité avec le principe de justice dans la représentation (...) »

Trois juges constitutionnels se sont opposés à l'argumentation de la majorité, considérant que le seuil national de 10 % ne se concilie pas avec l'article 67 de la Constitution.

4. Les infractions électorales

Les articles 133 à 180 de la loi no 298 portant élections et registres des élections, publiée au Journal officiel du 2 mai 1961, régissent les infractions électorales. Il s'agit des dispositions répressives qui couvrent l'ensemble des actes pouvant affecter le bon déroulement des élections. Tout acte commis dans le but d'entraver le processus électoral peut être l'objet d'une plainte pénale.

GRIEFS

Invoquant l'article 3 du Protocole no 1, les requérants estiment que le fait qu'un seuil électoral de 10 % soit imposé lors des élections législatives porte atteinte à la libre expression du peuple sur le choix du corps législatif.

Ils se plaignent également des entraves auxquelles ils se seraient heurtés au cours de leur campagne électorale, consistant notamment dans le refus d'autoriser la tenue d'un meeting politique. Ils allèguent par ailleurs avoir fait l'objet de pressions et menaces diverses tout comme les électeurs, lesquels auraient été contraints de procéder à un vote ouvert.

EN DROIT

1. Les requérants se plaignent d'une prétendue atteinte à la libre expression du peuple sur le choix du corps législatif du fait du seuil électoral de 10 % imposé lors des élections législatives. Ils invoquent l'article 3 du Protocole no 1.

En l'état actuel du dossier, la Cour ne s'estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l'article 54 § 2 b) de son règlement.

2. Invoquant toujours l'article 3 du Protocole no 1, les requérants se plaignent des entraves auxquelles ils se seraient heurtés au cours de leur campagne électorale, consistant notamment dans le refus d'autoriser la tenue d'un meeting politique. Ils allèguent par ailleurs avoir fait l'objet de pressions et menaces diverses tout comme les électeurs, lesquels auraient été contraints de procéder à un vote ouvert.

La Cour observe d'emblée que les griefs concernant les prétendues entraves dénoncées ci-dessus ont une portée générale et sont peu précis. Par ailleurs, elle considère qu'il ne ressort pas du dossier que les requérants ont porté l'ensemble des entraves alléguées à la connaissance des autorités internes pour que celles-ci engagent, le cas échéant, une enquête pénale, étant donné que ces actes constituent, selon la loi portant élections et registres des élections, des infractions électorales.

Quant au grief tiré de l'impossibilité de tenir un meeting avant l'élection du 3 novembre 2002, la Cour observe que, faisant suite aux demandes déposées par les requérants, les autorités ont successivement fixé trois dates, à savoir les 22, 27 et 30 octobre 2002, pour l'organisation de cet événement. Il est vrai que ce rassemblement n'a pas eu lieu aux deux premières dates ; toutefois, les requérants n'expliquent pas en quoi il n'aurait pas été réalisé le 30 octobre, dernière date fixée par l'organisme électoral. Au demeurant, il ne ressort pas du dossier que les requérants ont contesté les refus allégués de l'administration devant une quelconque instance nationale.

Par conséquent, à supposer que les requérants aient épuisé les voies des recours internes, compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, la Cour n'a relevé aucune apparence de violation de l'article 3 du Protocole no 1 résultant des entraves alléguées. Dès lors, cette partie de la requête s'avère manifestement dénuée de fondement et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

Ajourne l'examen du grief des requérants tiré d'une prétendue atteinte à la libre expression du peuple sur le choix du corps législatif résultant du seuil électoral de 10 % imposé lors de l'élection législative à laquelle ils se sont présentés ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président


ANNEXE I

Résultats de l'élection des députés du 3 novembre 2002

Noms des partis politiques

Voix obtenus

%

Nombres de députés

Demokratik Sol Parti (DSP)

384.009

1,22

Demokratik Halk Partisi (DEHAP)

1.960.660

6,22

Yurt Partisi (YP)

294.909

0,94

Milliyetçi Hareket Partisi (MHP)

2.635.787

8,36

Doğru Yol Partisi (DYP)

3.008.942

9,54

Millet Partisi (MP)

68.271

0,22

Büyük Birlik Partisi (BBP)

322.093

1,02

Anavatan Partisi (ANAP)

1.618.465

5,13

Liberal Demokrat Parti (LDP)

89.331

0,28

Saadet Partisi (SP)

785.489

2,49

Bağımsız Türkiye Partisi (BTP)

150.482

0,48

Özgürlük ve Daşanışma Partisi (ÖDP)

106.023

0,34

Türkiye Komünist Partisi (TKP)

59.180

0,19

Genç Parti (GP)

2.285.598

7,25

İşçi Partisi (İP)

159.843

0,51

Cumhuriyet Halk Partisi (CHP)

6.113.352

19,39

178

Adalet ve Kalkınma Partisi (AKP)

10.808.229

34,28

363

Yeni Türkiye Partisi (YTP)

363.869

1,15

Indépendants

314.251

1,00

9