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QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 22767/03
présentée par Consuelo GARCIA NAVARRO
contre l'Espagne
La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant le 19 octobre 2004 en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,
Mme V. Strážnická,
MM. J. Casadevall,
R. Maruste,
S. Pavlovschi,
J. Borrego Borrego,
L. Garlicki, juges,
M. M. O'Boyle, greffier de section,
assisté de Mme C. Morte Gomez, référendaire
et de M. M. O'Boyle, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 14 juillet 2003,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante, Mme Consuelo García Navarro, est une ressortissante espagnole, née en 1965 et résidant à Collado-Villalba (Madrid). Elle est représentée devant la Cour par Mes I. Aria Brizuela et R. Ferrer Ramírez, avocates à Madrid.
A. Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.
En 1992, la requérante et Mme Cepero étaient les partenaires et administratrices solidaires de Stregata S.L., laquelle gérait un « pub ». En novembre 1992 le « pub » fut mis en cession. M. Recio prit contact avec Mme Cepero, l'autre partenaire, alors que la requérante était en Suisse et, le 1er décembre 1992, fit un virement de trois millions de pesetas (environ 18 030 euros) sur le compte personnel de la requérante. Cette dernière vira la somme mentionnée sur le compte de Stregata S.L. Toutefois, quelques jours plus tard, M. Recio informa la requérante qu'il ne pouvait pas payer le restant du montant dû et lui réclama que la somme versée à titre d'acompte lui fût rendue. La requérante ne le fit pas.
Le 10 décembre 1992, M. et Mme Recio effectuèrent une réclamation extra-judiciaire du montant en cause, qui fut adressée par télégramme postal au domicile de la requérante à l'époque, au 4, rue des Baléares, à Madrid, et qui parvint à l'adresse indiquée le 12 décembre.
De retour à Madrid, le 19 janvier 1993, la requérante porta plainte au pénal en raison des menaces de mort reçues par téléphone effectuées au nom de M. Recio.
Le 29 janvier 1993, l'épouse de ce dernier déposa plainte au pénal contre la requérante pour appropriation indue de trois millions de pesetas. La plainte fut notifiée à la requérante au domicile qu'elle avait elle-même signalé à cette fin, au 4, rue des Baléares, à Madrid. Le juge d'instruction no 3 de Madrid décréta le non-lieu, qui fut confirmé par l'Audiencia provincial en appel. Cette dernière nota dans son arrêt que la partie demanderesse pouvait saisir les juridictions civiles des faits de l'espèce.
Entre-temps, la requérante avait quitté son appartement en location au 4, rue des Baléares, et était rentrée au domicile de ses parents au 18, rue Nuestra Señora del Pilar, à Leganés (Madrid).
Une procédure civile en réclamation d'un certain montant et en dommages et intérêts fut ensuite diligentée par M. et Mme Recio à l'encontre de la requérante, de sa partenaire et de Stregata S.L., devant le juge d'instance no 9 de Madrid. Cinq adresses correspondant aux divers domiciles de la requérante étaient indiquées aux fins de notification.
Le 8 mai 1995, une notification informant la requérante de la demande présentée à son encontre lui fut adressée au 4, rue des Baléares, à Madrid. Toutefois, le concierge de l'immeuble informa le greffier que la requérante n'habitait depuis plus d'un an à cette adresse.
Le 10 mai 1995, le juge d'instance adressa à Stregata S.L. au 7, rue Pío Baroja, à Madrid, une citation à comparaître. Ne trouvant pas sur place son représentant légal, la citation fut remise à un employé d'une société voisine, et puis retournée au tribunal par cette dernière, sans aucun résultat.
Le 30 octobre 1995, M. et Mme Recio demandèrent au juge de citer la requérante à « Urbanización El Mirador de la Sierra », batîment 8, à Collado-Villalba (Madrid). La procédure fut ensuite provisoirement classée, faute de l'avoué de la partie demanderesse d'avoir réussi à l'impulser.
Le 31 juillet 1996, M. et Mme Recio comparurent devant le juge et lui présentèrent la citation effectuée infructueusement à la requérante, à l'adresse indiquée à Collado-Villalba (Madrid), sollicitant qu'elle fût citée par edictos, c'est-à-dire, par voie de publication de la citation dans le journal officiel.
Le 19 septembre 1996, le juge ordonna que la requérante fût d'abord citée au siège social de Stregata S.L., ce qui fut fait le 15 octobre 1996, sans aucun résultat positif.
Le 30 octobre 1996, le juge d'instance cita donc la requérante, ainsi que ses co-défenderesses par edictos, lesquels furent publiés dans le journal officiel de la Communauté autonome de Madrid le 6 février 1997.
Suite à l'échec des assignations, la procédure, qui continua par défaut, s'acheva par un jugement du 11 mars 1998 du juge d'instance no 9 de Madrid. La requérante fut condamnée à verser à M. et Mme Recio le montant perçu plus les intérêts légaux, ainsi que, solidairement avec sa partenaire et Stregata S.L., une certaine somme pour dommages moraux. Le jugement fut notifié au moyen de sa publication dans le Journal Officiel de la Communauté autonome de Madrid.
La partie adverse demanda alors à ce que le jugement fût exécuté. Par une ordonnance du 18 novembre 1998, le juge accorda la saisie de l'immeuble propriété de la requérante et de ses comptes bancaires, ce qui lui fut aussi notifié par edictos.
La requérante eut connaissance de la saisie de ses comptes le 21 juillet 1999, lorsqu'elle tenta d'utiliser sa carte de crédit.
Elle présenta alors une demande devant le juge d'instance no 9 de Madrid, tendant à ce que la procédure fût déclarée nulle, seul remède possible lorsque le jugement intervenu était déjà définitif. Elle faisait valoir que son domicile était fixé chez ses parents à Leganés (Madrid), tel qu'il figurait dans sa carte d'identité et dans son passeport, et fournit une attestation d'inscription, aux fins du recensement, dans la municipalité de Leganés entre le 1er mars 1991 et le 20 avril 1998. Par une décision du juge de première instance no 9 de Madrid du 8 octobre 1999, la demande en nullité fut rejetée.
Le 28 octobre 1999, la requérante saisit le Tribunal constitutionnel d'un recours d'amparo. Par un arrêt du 20 janvier 2003, la haute juridiction rejeta le recours, rappelant dans son arrêt que, pour conclure à une violation de l'article 24 de la Constitution en l'espèce (droit à un procès équitable), une mauvaise application de la part des juridictions internes d'une règle de procédure ne suffisait pas, et qu'il était nécessaire, d'une part, que cette règle ait privée la personne à laquelle la notification était adressée de la possibilité effective de se défendre et, d'autre part, que cette impossibilité de se défendre ne soit pas le résultat d'un manque de diligence de sa part. La haute juridiction observa que la requérante n'avait pas été citée à l'adresse de Leganés, laquelle était l'une des adresses indiquées par la partie demanderesse, mais constata qu'elle avait était citée tant à l'adresse qu'elle même avait signalée aux fins de notifications dans le cadre de la plainte au pénal entamée contre elle par les mêmes demandeurs, qu'au siège social de la société dont elle était l'administratrice solidaire et l'une des deux partenaires, ou encore à l'adresse de l'appartement dont elle était la propriétaire. Le Tribunal constitutionnel rappelait dans son arrêt qu'un devoir spécial de diligence pesait sur le commerçant qui cessait dans son activité commerciale, et qu'il était tenu de faciliter les voies de communication exigibles conformément à la bonne foie contractuelle, aux fins de permettre sa localisation par ceux qui avaient maintenu avec lui de rapports commerciaux. Il estima qu'en l'espèce, l'exercice de l'activité commerciale étant effectuée directement par la requérante sous le voile formel de la personnalité juridique d'une personne morale, une diligence spéciale lui était encore plus exigible. Le Tribunal constitutionnel conclut que la requérante, en méconnaissant l'obligation de faciliter la communication de la société, a rendu plus difficile sa citation personnelle, créant un obstacle dont le juge ne saurait être tenu pour responsable, étant donné qu'elle ne s'est pas conduite avec la diligence que lui était exigible ni a démontré que les demandeurs aient agi de façon frauduleuse.
B. Le droit interne pertinent
1. La citation par « edictos »
La citation par « edictos » se fait par l'affichage de la citation sur le tableau de l'organe juridictionnel responsable et, le cas échéant, par sa publication dans le Journal officiel de la province.
2. Article 269 du Code de procédure civile
« Lorsque le domicile de la personne devant être notifiée ne figure pas au dossier, ou que ce dernier est inconnu en raison d'un changement d'adresse, bonne note sera prise dans un document (diligencia), et le juge ordonnera que la notification soit fixée dans l'endroit public accoutumé et insérée dans le « journal d'avis » si cela existe, ou dans le « Journal officiel » de la province.
Le juge pourra aussi ordonner que la notification soit publiée dans le « Journal officiel » de Madrid, lorsqu'il l'estime nécessaire. »
GRIEFS
Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint d'une violation de son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, dans la mesure où les tribunaux espagnols ont décidé sur ses droits et obligations de caractère civil sans qu'elle ait été informée de la procédure diligentée à son encontre, faute d'avoir été citée correctement. Elle fait valoir qu'elle avait élu domicile chez ses parents, à Leganés (Madrid), et qu'elle était propriétaire de l'appartement à Collado-Villalba - où la citation avait été incorrectement effectuée – nonobstant le fait qu'elle n'y habitait plus. Elle concède que la société n'avait pas été dissoute et figurait encore au registre des sociétés comme ayant son siège à l'adresse de la rue Pío Baroja, mais note qu'à ce registre figurait aussi son domicile personnel à Leganés. Elle soutien qu'après le non-lieu de la plainte déposée au pénal à son encontre, elle ne pouvait pas s'attendre à une réclamation civile sur le même montant.
La requérante estime aussi que ses droits à être informée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre elle, à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, à se défendre elle-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et à interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ont été méconnus, en violation de l'article 6 § 3 a), b), c) et d) de la Convention.
EN DROIT
1. La requérante se plaint que les tribunaux espagnols ont décidé sur ses droits et obligations de caractère civil sans qu'elle ait été informée de la procédure diligentée à son encontre. Elle invoque l'article 6 § 1 de la Convention qui, dans sa partie pertinente, est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »
La Cour constate que le juge d'instance no 9 de Madrid a cité la requérante à plusieurs reprises au moyen de citations personnelles dans trois adresses différentes, parmi les cinq fournies par la partie demanderesse à la procédure, correspondant au 4, rue des Baléares, à Madrid, au siège social de la société dont elle était l'une des deux administratrices solidaires, et à l'adresse de l'appartement dont la requérante était la propriétaire, à Collado-Villaba.
La Cour estime que, bien que la requérante soit en droit de changer de domicile quand elle le souhaite, il est aussi vrai qu'il ne saurait être considéré comme relevant des tâches du tribunal d'instance de suivre cette dernière dans ses déplacements, d'autant plus qu'il ne semble pas déraisonnable d'avoir effectué la première citation à l'adresse indiquée par la requérante elle-même aux fins de notifications dans le cadre de la procédure pénale entamée contre elle par les demandeurs pour l'appropriation de la même somme d'argent qui était maintenant réclamée au civil. Pour ce qui est de Stregata, S.L. la Cour observe que celle-ci avait été le destinataire final de la somme que M. Recio avait d'abord virée sur le compte bancaire personnel de la requérante, en tant qu'acompte du prix à payer pour la cession du local litigieux.
La requérante fut ensuite citée à l'adresse de son appartement à Collado-Villalba, sans que le fait que la notification en cause fût ou non correctement effectuée puisse entrer en ligne de compte, puisque comme la requérante le soutient elle-même, elle n'y habitait pas. Elle fut enfin citée infructueusement au siège de la société dont elle était l'une des administratrices et partenaires.
La Cour relève qu'en l'espèce, la réclamation civile objet de la présente affaire avait comme origine une prétendue appropriation indue, par la requérante, d'une certaine somme, qui avait été virée ensuite sur le compte de Stregata S.L., dont la requérante et Mme Cepero, aussi condamnée par le jugement du 11 mars 1998, étaient les partenaires et les administratrices solidaires. Or l'affirmation de la requérante qui prétend ne pas pouvoir s'attendre à une réclamation civile suite au non-lieu de la plainte pénale déposée à son encontre ne saurait être prise en compte pour justifier son manque de diligence, d'autant plus que l'arrêt de l'Audiencia Provincial rendu dans le cadre de la plainte pénale y faisait référence. Comme le Tribunal constitutionnel l'a constaté dans son arrêt rendu en amparo, l'exercice de l'activité commerciale en cause étant effectuée directement par la requérante sous le voile formel de la personnalité juridique d'une personne morale, une diligence spéciale lui était exigible. La requérante, en méconnaissant l'obligation de communication avec des tiers ayant entretenu de rapports commerciaux avec Stragata S.L., a rendu plus difficile sa citation personnelle, créant un obstacle dont le juge d'instance ne saurait être tenu pour responsable, d'autant plus qu'elle n'a pas démontré que les demandeurs aient agi de façon frauduleuse. Par ailleurs, étant donné que le local en cession était géré par Stregata S.L, et que le montant réclamé par la partie demanderesse correspondait à une transaction commerciale effectuée par les partenaires de la société en tant que telles, la Cour estime qu'il ne saurait être reproché au juge d'instance le fait de ne pas avoir cité la requérante dans la quatrième voire la cinquième adresse personnelle fournie par les demandeurs, après l'avoir tenté d'abord à trois autres adresses différentes et, en particulier, au siège de la société à responsabilité limité administratrice du « pub » mis en cession et à l'origine de la réclamation.
Au vu de ce qui précède, la Cour constate que le juge d'instance no 9 de Madrid a procédé à citer la requérante à comparaître à plusieurs reprises et, tenant compte de la condition de commerçante de celle-ci, elle estime que rien dans le dossier ne permet de déceler une quelconque apparence de violation par les juridictions espagnoles du droit à un procès équitable, tel que reconnu à l'article 6 § 1 de la Convention.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l'article 35 § 3 de la Convention.
2. Dans la mesure où la requérante allègue, sans aucun développement ultérieur, la violation de son droit à ce que sa cause soit examinée publiquement dans un délai raisonnable, la Cour relève qu'elle a omis, dans le cadre de la procédure devant le Tribunal constitutionnel, de soulever expressément ou même en substance les griefs qu'elle présente maintenant devant la Cour et n'a pas, dès lors, satisfait à la condition de l'épuisement des voies de recours internes, conformément à l'article 35 § 1 de la Convention.
Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée en application de l'article 35 § 4 de la Convention.
3. Pour ce qui est des griefs de la requérante portant sur les droits de la défense garantis par l'article 6 § 3 de la Convention, la Cour note que la procédure en cause ne concerne pas le bien-fondé d'une accusation en matière pénale dirigée contre la requérante, au sens de l'article 6 § 3 de la Convention.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention, et doit être rejetée en application de l'article 35 § 4.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Michael O'Boyle Nicolas bratza
Greffier Président