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DEUXIÈME SECTION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 19324/02
présentée par Lucien LEGER
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 21 septembre 2004 en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
L. Loucaides,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
Mme W. Thomassen
M. M. Ugrekhelidze, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 6 mai 2002,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, Lucien Léger, est un ressortissant français, né en 1937 et actuellement détenu au centre de détention de Bapaume. Il était représenté devant la Cour par Me Adeline Pichard, avocate au Barreau de Paris.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
En juillet 1964, le requérant fut poursuivi pour l’enlèvement et le meurtre de Luc Taron, un garçon âgé de onze ans.
Le requérant signa des aveux lors d’une garde à vue, le 5 juillet 1964, et s’en tint à ces aveux pendant les dix premiers mois de l’instruction. Il fut placé à cette date en détention provisoire. Le juge d’instruction l’interrogea à plusieurs reprises sur les raisons de sa conduite qui ne correspondait pas à ses aveux, mais le requérant refusa de s’expliquer.
Le 21 décembre 1964, un premier collège d’experts en neuropsychiatrie rendit un rapport : ils firent valoir l’absence de démence au moment des faits et avancèrent que les anomalies physiologiques relevées et psychiques couplées à la perte de mémoire alléguée par le requérant au moment de l’acte d’homicide « ne permettraient pas d’éliminer l’apparition éventuelle d’une manifestation d’ordre épileptique avec état crépusculaire et obscurcissement de la conscience. ». Ils conclurent que le requérant est « dangereux » et « accessible à une sanction pénale » et que les anomalies organiques constatées ne relèveraient que d’une thérapeutique palliative et contraindraient à n’envisager sa réadaptabilité sociale qu’avec la plus grande réserve ».
Un second rapport fut déposé le 30 avril 1965. Le rapport conclut que le requérant « n’est pas un malade mental, il ne doit pas être interné dans un hôpital psychiatrique. Il est capable de se défendre. Il doit rendre compte de ses actes devant la justice. Il est dangereux pour la sécurité publique. »
Le 11 juin 1965, le requérant revint sur ses aveux, mais refusa de préciser ses explications confuses et circonscrites. Depuis lors, le requérant soutient être innocent.
Par un arrêt du 7 mai 1966 de la cour d’assises de Seine et Oise, le requérant fut reconnu coupable d’enlèvement suivi de meurtre, avec des circonstances atténuantes. La cour d’assises exclut la qualification d’assassinat. Alors que le ministère public n’avait requis aucune peine, le requérant fut condamné à la réclusion criminelle à perpétuité mais sa peine ne fut assortie d’aucune période de sûreté. Le verdict ayant été énoncé par le président de la cour d’assises, le requérant affirma qu’une erreur judiciaire avait été commise, et donna le nom d’une personne qui, selon lui, était le coupable.
Un pourvoi en cassation de la partie civile fut rejeté le 29 novembre 1966.
L’épouse du requérant décéda, dans des conditions non élucidées, en janvier 1970, après lui avoir écrit qu’elle le savait innocent et qu’elle avait été menacée de mort par un des deux vrais coupables.
Le 17 juin 1971, le requérant, par l’intermédiaire de son avocat qui avait pourtant plaidé sa culpabilité, présenta une première demande de révision de son procès, qui ne fut apparemment pas instruite.
Au mois d’août 1974, le requérant accepta de s’expliquer et révéla les faits, leur prescription étant acquise. Il réaffirma son innocence.
Le 6 septembre 1974, l’avocat du requérant déposa un second recours en révision auprès du garde des sceaux. Cette demande fut instruite et les résultats de l’enquête devaient être communiqués à cet avocat. Ce dernier décéda avant le dépôt du rapport et les résultats de l’enquête ne furent jamais transmis au requérant. Quelques mois plus tard, le rejet du recours fut notifié oralement au requérant.
Le 5 juillet 1979, à l’expiration d’un délai d’épreuve de 15 ans, le requérant devint « libérable ».
Il sollicita chaque année une libération conditionnelle qui lui fut systématiquement refusée.
Le 5 juin 1981, son conseil sollicita pour la première fois la grâce du requérant. Cette demande, tout comme la suivante, ne reçut aucune réponse.
Le requérant reçut, en 1984, le soutien du président de la ligue des droits de l’homme. La partie civile menaça alors de mort le requérant si celui-ci venait à sortir de prison.
De nombreuses demandes de libération conditionnelle du requérant furent rejetées pour sa sécurité, malgré un « dossier favorable », comme l’expliqua M. Toubon, garde des sceaux de 1995 à 1997, dans un article paru dans la presse le 8 juin 2000.
Le 23 avril 1992, le requérant sollicita à nouveau une grâce présidentielle.
En 1998, le requérant déposa un nouveau recours en grâce. Cette demande fut rejetée à la suite de l’expertise médicale diligentée et concluant à la compatibilité de son état de santé avec la détention.
Le 18 mars 1999, un avocat du barreau de Lille sollicita sa libération conditionnelle. L’avis de la commission d’application des peines fut favorable, mais la requête fut ajournée au dépôt d’un nouveau rapport d’expertise qui intervint le 4 octobre 1999.
Ce rapport observait :
« (...) Les expertises antérieures
Nous avons notamment, pris connaissance, parmi les documents consultés, des rapports d’expertises des psychiatres suivants :
Docteurs Behague, Cenac et Dublineau du 21 décembre 1964 ;
Docteurs Petit-Dutaillis, Heuyer et Roumajon du 5 avril 1965 ;
Docteurs Follin et Roumajon du 13 décembre 1984 ;
Docteur Bornstein du 24 novembre 1989 ;
Docteur Cayet du 13 mai 1997 (...)
Discussion
Nous avons lu l’arrêt de renvoi de la chambre d’accusation ainsi qu’un certain nombre d’expertises. Les docteurs Roumajon et Follin, dans leur rapport daté du 13 décembre 1984, notaient qu’il existait chez Lucien Léger une déformation intellectuelle de la réalité voisine du processus de la paranoïa. Ils relevaient son orgueil, son goût de la publicité et son besoin de valorisation. Ils faisaient état de l’épais dossier administratif de Lucien Léger dont les incarcérations avaient été émaillées de nombreux aléas. Les deux experts avaient insisté sur le fait que Lucien Léger tenait absolument à faire publier sa version des faits. Ils en concluaient que l’on pouvait s’attendre à un très considérable scandale. Sa libération risquait d’engendrer un trouble important de l’ordre public et ils estimaient que l’on pouvait craindre un geste publicitaire.
Le docteur Boissenin, qui n’avait pu examiner Lucien Léger qui s’y était refusé, estimait dans son rapport sur dossier en date du 18 mai 1985, que l’éventualité d’une sortie était hasardeuse.
Le 13 mai 1997, le docteur Denis Cayet relevait dans son rapport que les possibilités intellectuelles de Lucien Léger étaient demeurées intactes. Il relatait, en dépit d’une allure assez cordiale, la persistance de traits de personnalité paranoïaques centrés sur une méfiance, un tempérament soupçonneux et procédurier, un vécu général persécutif, une difficulté à se remettre en cause, une rigidité sous-jacente, une surestimation personnelle, accompagné d’un sens latent de la manipulation et de la provocation. Le docteur Denis Cayet en concluait que Lucien Léger n’avait guère évolué depuis l’expertise des docteurs Follin et Roumajon, le trouvant toujours aussi combatif et interprétatif, paraissant déterminé à manifester dans l’avenir et par tous les moyens ce qu’il estime être son bon droit et l’expression de la vérité.
Pour le docteur Cayet, la question de sa libération était très délicate à apprécier, compte tenu du trouble de l’ordre public et du retentissement médiatique auquel on pouvait s’attendre.
Lors de nos examens, Lucien Léger a établi avec nous un bon contact. L’impression générale qui s’en dégage semble plus nuancée que celle qui était relevée par les précédents experts.
Une phrase a retenu notre attention : « J’ai continué à me structurer en prison ». Il semble que ce soit effectivement le cas, mais il est impossible d’apprécier l’aptitude actuelle de Lucien Léger à maintenir cette relative stabilisation à sa libération, dans l’hypothèse où celle-ci serait décidée.
Lucien Léger nous est apparu bien informé de l’actualité. Il s’est montré fort habile dans son auto-plaidoyer, au demeurant sans passion excessive, sans pression sur les interlocuteurs, au point d’ailleurs que l’on peut soulever la question de l’intensité de son désir actuel de libération. Au demeurant, après trente-cinq d’incarcération, une telle ambivalence n’est pas étonnante. Nul doute que l’idée de sortir d’un système organisé, contraignant et frustrant, mais, rassurant par sa monotonie même, avec quelques éléments particuliers, telle une certaine considération de la part de la majorité du personnel de surveillance, entraîne chez lui des interrogations bien naturelles sur une vie d’homme libre à laquelle il n’est plus habitué : gestion du temps et des espaces, accès aux soins, responsabilité professionnelle, habiletés sociales...
La version des faits qu’il a soumise aux trois experts est superposable à ses écrits, ainsi qu’à celle qu’il a fournie aux précédents experts successifs. Il ne nous appartient pas de porter un jugement sur sa crédibilité. S’agit-il d’une construction mythomaniaque ? Quelle est la part de vérité contenue dans sa version actuelle des faits ? S’agit-il d’un pur et simple système de défense ? S’agit-il, au départ, d’une construction défensive para-délirante ? Toutes ces dimensions sont d’ailleurs susceptibles d’être intriquées.
Quoi qu’il en soit, il se dégage de la lecture de ces différents documents une certaine évolution. On pourrait schématiquement relever trois temps dans son parcours :
Lucien Léger apparaît d’abord comme ayant une personnalité très mal structurée, avec une aptitude aux constructions mythomaniaques, avec une vantardise assez naïve.
Puis ce fut la phase des revendications multiples et d’une structuration défensive proche de la paranoïa.
Actuellement, il semblerait que l’on puisse observer un assouplissement relatif de sa cuirasse caractérielle, sans préjuger toutefois de l’impact de la « protection pénitentiaire » et de sa réaction face au « vide de la libération ».
Notre impression globale est donc plus nuancée.
En résumé, [le requérant] a donc été incarcéré à l’âge de 27 ans. Il présentait alors une personnalité mal structurée (...). Trente-cinq ans plus tard, l’essentiel de sa vie s’est déroulée en prison. (...) Certes, on retrouve quelques traits d’allure paranoïaque, mais ils sont relativement bien contenus. Ces traits semblent essentiellement une construction de défense caractérielle face aux accusations, une réaction de survie psychique pour (...) "ne pas décrocher de la réalité". On n’observe pas chez lui de fausseté systématique du jugement, de manichéisme généralisé, de grande méfiance, de vécu persécutif actuel... du moins dès que l’on s’éloigne de l’affaire en question. (...)
Toujours à l’encontre de l’hypothèse d’une authentique paranoïa, on relèvera le maintien d’un certain humour, d’une syntonie à l’ambiance et d’un certain sens de la nuance ».
Ce rapport conclut :
« La présente expertise se centre donc exclusivement sur les aspects de sa personnalité, dans un registre strictement psychiatrique et médico-légal. Et dans ce registre, il n’apparaît pas actuellement de contre-indication formelle à une mesure de libération. »
Ce rapport souligna également que les précédents experts avaient déjà estimé que le risque de récidive sur la personne d’un enfant ne paraissait pas présent et que seul le risque d’une flambée paranoïaque et revendicative les avait retenus.
« Cette éventualité ne peut être totalement éliminée, bien qu’un certain nombre d’éléments cliniques plaident en faveur d’un assouplissement de ses modalités de réaction. Dans l’hypothèse d’une libération conditionnelle, laquelle n’est pas contre-indiquée par les éléments qui se dégagent de l’examen clinique, c’est en définitive la continuité, la cohérence et la solidité des repères qui lui seront proposés qui devrait éviter une réaction de déstabilisation psychologique après une si longue incarcération. Au moins dans un premier temps, il serait utile qu’il puisse être soutenu par des entretiens psychologiques. »
Les experts rapportèrent que le requérant envisageait de bénéficier de tels entretiens.
Le 7 février 2000, le juge de l’application des peines rendit un avis :
« M. Léger est soutenu par la famille Bernhard qui vient régulièrement le voir au parloir depuis une vingtaine d’années. M. et Mme Bernhard proposent d’héberger [le requérant]. Ils ont déjà accueilli d’autres personnes en difficulté au sein de leur famille. D’autre part, M. Bernhard exploite la société « le pain de nos ancêtres ». Il emploiera le détenu à des tâches administratives. [Le requérant] ne sera pas en mesure de présenter un autre projet compte tenu de son âge (63 ans) et de son isolement familial (veuf et sans enfant). L’expertise psychiatrique collégiale récemment diligentée conclut à un assouplissement de son caractère, le maintien de ses capacités intellectuelles et son contact avec la réalité. Le risque de récidive criminelle sur la personne d’un enfant ne paraît pas présent. La libération correctionnelle n’est pas contre-indiquée par les éléments qui se dégagent de l’examen clinique. La solidité des repères proposés devra éviter une réaction de déstabilisation psychologique après une si longue incarcération. Il serait utile qu’il soit soutenu par des entretiens psychologiques dans un premier temps d’après les experts.
Je transmets le dossier du requérant car je pense qu’après bientôt 35 ans d’incarcération il convient d’examiner de nouveau sa situation et d’apprécier ainsi le sens de sa peine. Une libération conditionnelle permettrait de soumettre l’intéressé à une obligation de soins médico-psychologiques et de cadrer sa remise en liberté, contrairement à une mesure de grâce individuelle ».
En raison de la réforme du droit de l’application des peines et notamment la procédure d’octroi des libérations conditionnelles pour les longues peines, par la loi du 15 juin 2000, la ministre de la justice rejeta la demande de libération conditionnelle et s’en remit aux juridictions nouvellement créées.
Le 16 janvier 2001, le requérant déclencha cette nouvelle procédure juridictionnelle. Dans son dossier, le requérant attesta une nouvelle fois que des amis lui assureraient, dès sa sortie, un logement dans l’une des dépendances de leur maison ainsi qu’un emploi dans leur boulangerie.
Le 5 février 2001, la commission de l’application des peines rendit un avis favorable et unanime à la demande de libération conditionnelle. Le conseiller d’insertion et de probation du requérant émit un avis très favorable à cette demande.
A l’audience de la juridiction régionale de la libération conditionnelle (ci-après JRLC), l’avocat général requit un rejet de la demande du requérant compte tenu de « l’absence d’amendement » du requérant par rapport aux faits ayant entraîné sa condamnation.
Par une décision du 6 juillet 2001, la juridiction régionale de la libération conditionnelle de Douai, relevant que le requérant contestait avoir commis les faits pour lesquels il avait été condamné, le débouta de sa demande aux motifs que :
« (...) Que ces faits d’une extrême gravité que l’intéressé conteste avoir commis ont été sanctionnés par la peine de la réclusion criminelle à perpétuité ;
Que les experts psychiatres ayant examiné [le requérant] (en 1965, en 1984, en 1989 et dernièrement en 1999) n’excluent pas une dangerosité potentielle et un risque de récidive qui ne pourraient être écartés que dans l’hypothèse d’un travail ou d’un soutien psychothérapiques qui supposent par nature l’adhésion du sujet ;
Attendu que la position [du requérant] à l’égard des faits commis et de l’appréciation que peuvent faire des psychiatres sur l’état mental d’une personne excluent tout travail de cet ordre et empêchent de considérer qu’il manifeste des "efforts sérieux de réadaptation sociale" (...) en dépit d’un projet de sortie cohérent sur le plan de l’hébergement et du travail ».
Estimant que cette décision avait posé l’aveu comme nouvelle condition à une libération, le requérant interjeta appel auprès de la juridiction nationale de la libération conditionnelle (JLNC). Son conseil fit observer que le requérant disposait d’un travail et d’un logement assurés à sa sortie et que le dernier rapport d’expertise psychiatrique déposé le 4 octobre 1999 par un collège d’experts, n’émettait aucune contre-indication à une mesure de libération conditionnelle, le risque de récidive n’apparaissant pas présent. Invoquant l’article 3 de la Convention, l’avocat du requérant assimila à une condamnation à une peine de mort lente le fait de conditionner la libération du requérant à la formulation d’aveux.
Le 12 novembre 2001, les amis du requérant certifièrent que leur proposition de logement et d’emploi, réaffirmée depuis dix-sept ans, était valide malgré la cession, en cours, de leur boulangerie à une SARL constituée par leurs enfants. En effet, un autre négoce existe à leur domicile.
La juridiction nationale de la libération conditionnelle se prononça le 23 novembre 2001. Elle confirma la décision attaquée au motif que :
« les propositions d’emploi et d’hébergement dont fait état le condamné, au soutien de sa demande et comme justification d’un projet de réinsertion sociale, sont intimement liées et sont actuellement remises en cause par la liquidation judiciaire prononcée à l’égard de l’auteur de ces propositions ; qu’en outre, les tendances paranoïaques encore relevées par le dernier expert, supposeraient la mise en place d’un suivi psychologique, qui n’est pas envisagé par le condamné ».
B. Le droit interne et européen pertinent
1. Au jour du prononcé de l’arrêt de condamnation, la législation en vigueur prévoyait que le meurtre emporte la peine de mort, s’il est précédé, accompagné ou suivi d’un autre crime et, en tout autre cas, est puni de la réclusion criminelle à perpétuité (peines afflictives et infamantes - articles 6, 7 et 304 du code pénal). A cette époque, la condamnation a perpétuité ne pouvait être assortie d’aucune période de sûreté, la création de cette dernière datant de 1979.
L’article 132-23 du nouveau code pénal prévoit que la durée de la période de sûreté est la moitié de la peine, ou s’il s’agit d’une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, de dix-huit ans. La cour d’assises peut toutefois, par décision spéciale, soit porter ces durées jusqu’aux deux tiers de la peine ou, s’il s’agit d’une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, jusqu’à vingt-deux ans. En cas de condamnation à une peine privative de liberté, non assortie du sursis, dont la durée est égale ou supérieure à dix ans, le condamné ne peut bénéficier pendant la période de sûreté des dispositions concernant la libération conditionnelle.
La peine de mort a été abolie le 9 octobre 1981.
2. Les dispositions du code de procédure pénale concernant la libération conditionnelle telles qu’en vigueur avant le 16 juin 2000 prévoient qu’elle n’est pas applicable pendant la période de sûreté prévue à l’article 132-23 du code pénal précité (article 720-2 du CPP). Lorsque le condamné présente des gages sérieux de réadaptation sociale, le juge de l’application des peines peut, à titre exceptionnel et dans les conditions de l’article 722, saisir la juridiction du lieu de détention, de même degré que celle qui a prononcé la condamnation pour qu’il soit mis fin à l’application de tout ou partie des dispositions de l’article 720-2 ou pour que la durée de la période de sûreté soit réduite. Dans le cas où la cour d’assises a décidé qu’aucune des mesures énumérées à l’article 132-23 du code pénal ne pourrait être accordée au condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, le juge de l’application des peines peut, à l’expiration d’une période de trente ans suivant la condamnation, saisir un collège de trois experts médicaux désignés par le bureau de la Cour de cassation qui se prononce sur l’état de dangerosité du condamné. Une commission composée de cinq magistrats de la Cour de cassation détermine, au vu de l’avis de ce collège, s’il y a lieu de mettre fin à l’application de la décision de la cour d’assises mentionnée à l’alinéa précédent (article 720-4 du CPP). Auprès de chaque établissement pénitentiaire, le juge de l’application des peines détermine pour chaque condamné les principales modalités du traitement pénitentiaire. Dans les limites et conditions prévues par la loi, il accorde la libération conditionnelle, ou il saisit la juridiction compétente pour aménager l’exécution de la peine. Ces mesures ne peuvent être accordées sans une expertise psychiatrique préalable à une personne condamnée pour meurtre ou assassinat d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie (article 722 du CPP). Les condamnés ayant à subir une ou plusieurs peines privatives de liberté peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle s’ils présentent des gages sérieux de réadaptation sociale.La libération conditionnelle peut être accordée aux condamnés ayant accompli la moitié de leur peine (article 729 du CPP). Selon l’article 730 du CPP, le droit d’accorder cette libération appartient soit au juge de l’application des peines soit au ministre de la justice si la durée de détention excède cinq années à compter du jour de l’incarcération.
3. Des modifications ont été apportées aux articles du code de procédure pénale portant sur la libération conditionnelle par la loi no 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et le droit des victimes.
Auprès de chaque établissement pénitentiaire, le juge de l’application des peines détermine pour chaque condamné les principales modalités du traitement pénitentiaire. Dans les limites et conditions prévues par la loi, il accorde la libération conditionnelle (avec expertise psychiatrique préalable pour une personne condamnée pour meurtre ou assassinat d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures). Celle-ci est accordée par décision motivée du juge de l’application des peines saisi d’office, sur la demande du condamné ou sur réquisition du procureur de la République. Cette décision est rendue, après avis du représentant de l’administration pénitentiaire, à l’issue d’un débat contradictoire tenu en chambre du conseil, au cours duquel le juge de l’application des peines entend les réquisitions du ministère public et les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celle de son avocat ; elle peut être attaquée par la voie de l’appel par le condamné, par le procureur de la République et par le procureur général, dans le délai de dix jours à compter de sa notification. L’appel est porté devant la chambre des appels correctionnels (Article 722). Les autres dispositions pertinentes sont les suivantes.
Article 722-1
« Les mesures de libération conditionnelle qui ne relèvent pas de la compétence du juge de l’application des peines sont accordées, ajournées, refusées ou révoquées par décision motivée de la juridiction régionale de la libération conditionnelle, saisie sur la demande du condamné ou sur réquisition du procureur de la République, après avis de la commission d’application des peines.
Cette juridiction, établie auprès de chaque cour d’appel, est composée d’un président de chambre ou d’un conseiller de la cour d’appel, président, et de deux juges de l’application des peines du ressort de la cour d’appel, dont, pour les décisions d’octroi, d’ajournement ou de refus, celui de la juridiction dans le ressort de laquelle est situé l’établissement pénitentiaire dans lequel le condamné est écroué (...).
La juridiction régionale de la libération conditionnelle statue par décision motivée, à l’issue d’un débat contradictoire tenu en chambre du conseil, au cours duquel elle entend les réquisitions du ministère public, les observations du condamné et, le cas échéant, celles de son avocat.
Les décisions de la juridiction peuvent faire l’objet d’un appel, dans les dix jours de leur notification par le condamné ou par le ministère public, devant la juridiction nationale de la libération conditionnelle (...). L’affaire doit être examinée par cette juridiction nationale au plus tard deux mois suivant l’appel ainsi formé, faute de quoi celui-ci est non avenu.
La juridiction nationale de la libération conditionnelle est composée du premier président de la Cour de cassation ou d’un conseiller de la cour le représentant, qui la préside, de deux magistrats du siège de la cour ainsi que d’un responsable des associations nationales de réinsertion des condamnés et d’un responsable des associations nationales d’aide aux victimes. Les fonctions du ministère public sont remplies par le parquet général de la Cour de cassation. La juridiction nationale statue par décision motivée qui n’est susceptible d’aucun recours, de quelque nature que ce soit. Les débats ont lieu et la décision est rendue en chambre du conseil, après que l’avocat du condamné a été entendu en ses observations (...). »
Article 729
« La libération conditionnelle tend à la réinsertion des condamnés et à la prévention de la récidive. Les condamnés ayant à subir une ou plusieurs peines privatives de liberté peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle s’ils manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment lorsqu’ils justifient soit de l’exercice d’une activité professionnelle, soit de l’assiduité à un enseignement ou à une formation professionnelle ou encore d’un stage ou d’un emploi temporaire en vue de leur insertion sociale, soit de leur participation essentielle à la vie de famille, soit de la nécessité de subir un traitement, soit de leurs efforts en vue d’indemniser leurs victimes.
Sous réserve des dispositions de l’article 132-23 du code pénal, la libération conditionnelle peut être accordée lorsque la durée de la peine accomplie par le condamné est au moins égale à la durée de la peine lui restant à subir. »
Article 730
« Lorsque la peine privative de liberté prononcée est d’une durée inférieure ou égale à dix ans, ou que, quelle que soit la peine initialement prononcée, la durée de détention restant à subir est inférieure ou égale à trois ans, la libération conditionnelle est accordée par le juge de l’application des peines selon les modalités prévues par l’article 722. Dans les autres cas, la libération conditionnelle est accordée par la juridiction régionale de la libération conditionnelle, selon les modalités prévues par l’article 722-1. Pour l’application du présent article, la situation de chaque condamné est examinée au moins une fois par an, lorsque les conditions de délai prévues à l’article 729 sont remplies (...). »
Article D525
« Dès lors qu’il remplit les conditions prévues par l’article 729, tout condamné peut, même s’il n’est pas sous écrou, être admis au bénéfice de la libération conditionnelle. »
4. La loi du 4 mars 2002 relative au droit des malades et à la qualité du système de santé a ajouté une disposition dans le code de procédure pénale (article 720-1-1) qui prévoit que la suspension de la peine peut être ordonnée, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n’a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention.
5. La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (en vigueur le 1er janvier 2005) poursuit la juridictionnalisation de l’exécution des peines. L’article 707 du CPP utilise les termes « d’individualisation de la peine » et de « suivi judiciaire » : « l’exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l’insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive. A cette fin, les peines peuvent être aménagées en cours d’exécution pour tenir compte de l’évolution de la personnalité et de la situation du condamné. L’individualisation des peines doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif du condamné à la liberté et éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire. »
Parmi les nombreuses modifications ou apports de la loi concernant l’exécution des peines, on note la création de nouvelles juridictions venant s’ajouter aux juges de l’application des peines (« JAP »). A partir du 1er janvier 2005, la JRLC est remplacée par le tribunal de l’application des peines (TAP). Les décisions en matière de libération conditionnelle doivent être motivées et précédées d’une procédure contradictoire. Néanmoins, le JAP peut, avec l’accord du procureur et celui du condamné ou de son avocat octroyer cette mesure sans procéder à un débat contradictoire. Le JAP et le TAP doivent également entendre l’avis d’un représentant de l’administration judiciaire (articles 712-6 et 712-7 du CPP à partir du 1er janvier 2005). Les décisions du JAP et du TAP sont portées devant la chambre de l’application des peines de la cour d’appel, dans un délai de dix jours. Cette chambre peut fixer un délai pendant lequel toute nouvelle demande tendant à l’octroi est irrecevable. Lors de l’examen de l’appel du jugement du TAP, la chambre est composée, outre du président et des deux conseillers assesseurs, d’un responsable d’une association de réinsertion des condamnés et d’un responsable d’une association d’aide aux victimes (article 712-13 du CPP à partir du 1er janvier 2005).
6. Recommandation Rec (2000) 22 du Comité des Ministres aux Etats membres concernant l’amélioration de la mise en œuvre des règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la Communauté (adoptée par le Comité des Ministres le 29 septembre 2000 lors de la 731e réunion des Délégués des Ministres)
« Modification de la Règle 5 des Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté
Aucune sanction ou mesure appliquée dans la communauté ne doit normalement être d’une durée indéterminée.
A titre exceptionnel, une sanction ou mesure d’une durée indéterminée peut être imposée aux délinquants qui, du fait d’une infraction grave, passée ou présente, associée à certaines caractéristiques personnelles, représentent manifestement une menace constante et sérieuse pour la vie, la santé ou la sécurité des membres de la communauté. Des dispositions législatives devront veiller à ce que l’imposition d’une telle sanction ou mesure de durée indéterminée fasse l’objet d’un réexamen régulier par un organe indépendant du pouvoir exécutif et habilité à cet effet par la loi.
La durée des sanctions et mesures appliquées dans la communauté doit être fixée par l’autorité chargée de prendre la décision, dans les limites et les conditions prévues par les dispositions légales en vigueur. »
7. La Recommandation Rec (2203) 22 du Comité des Ministres aux Etats membres concernant la libération conditionnelle a été adoptée le 24 septembre 2003, lors de sa 583e réunion du Comité des Ministres. Les dispositions pertinentes figurent en annexe de la décision.
8. La Recommandation Rec (2003) 23 du Comité des Ministres aux Etats membres concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée a été adoptée le 9 octobre 2003, lors de la 855e réunion des Délégués des Ministres. Les dispositions pertinentes figurent en annexe de la décision.
9. Le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, no2521, du 28 juin 2000, « La France face à ses prisons », dans ses parties pertinentes se lit comme suit (p. 122) :
« Or l’abolition de la peine de mort en 1981 impose que l’on réfléchisse à la façon de punir les crimes les plus odieux et à ce que l’on attend de la prison. Priver quelqu’un de liberté à perpétuité, c’est le faire mourir lentement ; l’opposition de principe à la peine de mort implique au contraire que la société envisage à terme la réintégration de ceux qui semblent définitivement exclus par l’atrocité ou la répétition de leurs crimes (...). L’abolition de la peine de mort doit dès lors se traduire par une conception exigeante de la société envers le système pénitentiaire. Il serait profondément hypocrite d’abolir la peine de mort sans changer les conditions de détention, sans envisager la réintégration sociale et sans accepter aussi les risques sociaux que suppose cette réintégration (...) ».
10. Dans sa partie concernant « l’absence de toute perspective pour les "longues peines" » le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur les conditions de détention, no449, du 28 juin 2000, « Prisons : une humiliation pour la République » se lit comme suit :
« Les prisons françaises abritent de plus en plus de détenus condamnés à de longues peines d’emprisonnement. Ceux-ci semblent privés de toute perspective et constituent, dans ces conditions, une population extrêmement difficile à gérer pour les personnels pénitentiaires.
Le projet d’exécution de peine, censé permettre l’individualisation de celle-ci, ne semble se mettre en place qu’avec difficultés tandis que les mesures d’aménagement de peine connaissent un retrait préoccupant. (...) La faiblesse actuelle de l’utilisation des mesures d’aménagement de peine explique la difficulté de mettre en place un véritable projet d’exécution de peine. La commission d’enquête a constaté aux Pays-Bas que les condamnés ont de réelles perspectives de bénéficier d’un aménagement de peine après un certain temps de détention, ce qui les incite à entrer pleinement dans une logique de réinsertion.
(...) Alors que la durée de la détention augmente, notamment parce que les condamnations prononcées sont de plus en plus lourdes, les aménagements de peine, singulièrement la libération conditionnelle, ne sont utilisés que de manière limitée.
(...) Dans le cadre de la loi renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, le Parlement a décidé de modifier profondément les règles d’octroi de la libération conditionnelle.
Les critères d’accès à cette mesure, considérés comme trop restrictifs, ont été élargis. Ainsi, la libération conditionnelle pourra être accordée aux condamnés manifestant des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment lorsqu’ils justifient soit de l’exercice d’une activité professionnelle. (...) Il reste qu’aujourd’hui, le système pénitentiaire paraît fort démuni face aux condamnés à de longues peines. »
GRIEFS
1. Invoquant l’article 5 § 1 a) de la Convention pris isolément et combiné avec l’article 14 de la Convention, le requérant se plaint que son maintien en détention est devenu arbitraire et discriminatoire. Il estime, d’une part, que son maintien en détention viole le droit interne. Il soutient, d’autre part, que son maintien en détention, détournant le sens du verdict de la cour d’assises de Seine et Oise et lui imposant une peine plus sévère que celle qui lui était applicable à l’époque des faits, ne présente plus un lien de causalité suffisant avec sa condamnation, ce qui révélerait le caractère arbitraire de sa détention prolongée. Il affirme, finalement, que les rejets de ses demandes de libération conditionnelle sont fondés sur un motif discriminatoire, en violation de l’article 14 de la Convention.
2. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint de ce que son maintien en détention correspond en réalité à une peine perpétuelle incompressible constitutive d’un traitement inhumain et dégradant.
Il expose également que son maintien en détention, violant son droit à la protection de sa vie privée et familiale, de sa liberté de penser et de s’exprimer, est disproportionné au regard des articles 8, 9 et 10 de la Convention. Il allègue notamment avoir, en 2001, attendu six mois avant de pouvoir consulter un dentiste suite à un abcès dentaire et soutient qu’en dépit d’un examen de l’œil qui révéla une tache sur la rétine ses demandes d’examen par un spécialiste sont restées vaines. Cette disproportion renforcerait le caractère inhumain et dégradant de la peine qu’il subit.
Le requérant ajoute que son maintien en détention peut également s’analyser en une peine de mort lente et déguisée, motivée par la nécessité d’éviter toute remise en cause de sa condamnation initiale. Il qualifie cette peine de pratique de torture, contraire à l’article 3 de la Convention.
EN DROIT
I. Invoquant l’article 5 § 1 a) de la Convention pris isolément et combiné avec l’article 14 de la Convention, le requérant se plaint de ce que son maintien en détention est devenu arbitraire et discriminatoire.
Ces articles se lisent respectivement :
Article 5 :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ; (...) »
Article 14 :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
1. Observations du Gouvernement
a) Le Gouvernement soulève tout d’abord une exception tirée de l’incompatibilité ratione temporis partielle de la requête.
Il rappelle que, selon les principes du droit international généralement reconnus, la Convention ne gouverne, pour chaque partie contractante, que les faits postérieurs à son entrée en vigueur à l’égard de celle-ci.
Dès lors, la détention provisoire qui s’est écoulée de juillet 1964 à mai 1966 échappe à la compétence de la Cour, de même que la peine de réclusion perpétuelle prononcée le 7 mai 1966 et la période de détention qui s’étend du mois de mai 1966 au 3 mai 1974.
Le Gouvernement ne conteste pas que l’emprisonnement du requérant postérieur au 3 mai 1974 entre dans le cadre de la compétence de la Cour. Il estime que la durée de la détention à prendre en considération s’écoule de cette date à celle de l’introduction de la requête le 12 novembre 2002, soit une période de vingt-huit ans, six mois et neuf jours.
b) Le Gouvernement observe que le requérant met en cause son maintien en détention par la JLRC et la JNLC. Dès lors que la Cour a posé une question sur le maintien en détention du requérant depuis 1964, il observe que la question embrasse l’ensemble des décisions relatives aux demandes de libération conditionnelle depuis son incarcération et qu’elle va au-delà des griefs explicitement soulevés par le requérant.
c) Le Gouvernement rappelle la jurisprudence de la Cour relative à l’article 5 § 1 a) de la Convention et les deux conditions dans lesquelles une privation de liberté est autorisée, à savoir qu’elle a lieu selon les « voies légales » et qu’elle s’avère « régulière ».
Quant à la seconde condition, elle implique d’abord la conformité de la privation de liberté au droit interne et suppose ensuite qu’elle soit conforme « au but des restrictions autorisées par l’article 5 » (arrêt Weeks c. Royaume-Uni du 2 mars 1987, série A no 114-A, § 42).
Le Gouvernement rappelle que l’adjectif régulier vise la conformité au droit interne et englobe à la fois la procédure et le fond. Sous cet angle, il rappelle qu’il y a un certain chevauchement entre la « régularité » et l’exigence du respect des « voies légales » (arrêt Winterwep c. Pays-Bas du 24 octobre 1979, série A no 33, § 39). Cette exigence suppose que les autorités nationales qui ont procédé à la privation de liberté aient respecté le droit interne, ce qui implique l’existence d’un corps de règles juridiques accessibles, précises et prévisibles (arrêt Amuur c. France du 25 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III) autorisant le recours à la détention. Elle implique également que la procédure soit équitable et adéquate, c’est-à-dire que tout « toute mesure privative de liberté doit émaner d’une autorité qualifiée, être exécutée par une telle autorité et ne pas revêtir un caractère arbitraire » (arrêt Winterwep précité, § 45). Si la loi interne satisfait à cette double obligation, la Cour recherche si la procédure prescrite par la loi nationale a été observée dans le cas du requérant et la Cour fonde sa démarche sur le renvoi expresse de l’article 5 « au droit interne ».
Au-delà du respect des règles du droit interne au sens littéral du terme, le Gouvernement rappelle que l’exigence de régularité impose en outre que l’action des autorités nationales se conforme « au but des restrictions autorisées par l’article 5 » c’est-à-dire que la privation de liberté ne soit pas arbitraire. En conséquence, faute de correspondre à l’une des hypothèses de détention visées aux alinéas a) à f) du § 1 de l’article 5 et d’en respecter l’esprit, une détention peut être qualifiée d’arbitraire. En outre, dès l’instant où la détention n’est plus justifiée ou plus autorisée par rapport à l’une des situations visées par l’article 5, la personne doit être libérée et les autorités nationales doivent faire preuve de célérité pour rendre sa liberté à l’intéressé, sous peine de violer cette disposition (arrêt Labita c. Italie, [GC], no 26772/95, CEDH 2000-IV).
Le cas prévu à l’alinéa a) concerne la détention « après condamnation par un tribunal compétent ». Il vise principalement l’emprisonnement en tant que peine. La Cour a détaillé le sens de cette disposition. Elle a défini le concept de condamnation, approfondi la notion de tribunal compétent et a précisé que l’adverbe « après » impose l’existence d’un lien entre la détention litigieuse et ladite condamnation. Ce dernier n’implique pas un simple ordre chronologique mais vise en plus un lien de causalité. Il sert à désigner une « détention » qui se produit « par suite » et non simplement « à la suite » de la décision du juge pénal (arrêt X c. Royaume-Uni du 5 novembre 1981, série A no 46). La Cour a développé cette jurisprudence en ce qui concerne le régime de l’exécution des peines, et notamment des décisions de réincarcération ou de non élargissement : « le rapport juridique formel entre une condamnation et une réincarcération ne suffit pas à justifier une détention au regard de l’article 5 § 1 a) » (arrêt Weeks précité, § 49) ; le lien de causalité qu’exige cet alinéa entre « décisions de non-élargissement ou de réinternement et le jugement ou arrêt initial se distend peu à peu avec l’écoulement du temps. Il risquerait de se rompre à la longue si lesdites décisions en arrivaient à se fonder sur des motifs étrangers aux objectifs du législateur et du juge ou sur une appréciation déraisonnable au regard de ces objectifs. En pareil cas, un internement régulier à l’origine se muerait en une privation de liberté arbitraire et, dès lors, incompatible avec l’article 5 » (arrêts Van Droogenbroeck c. Belgique du 24 juin 1982, série A no 50, § 40 et Weeks précité, § 49). En d’autres termes, « il incombe à la Cour de rechercher s’il existe un lien suffisant, aux fins de l’article 5, entre ladite décision et la privation de liberté en cause » (arrêt Van Droogenbroeck, § 39). Dans cette perspective, la Cour s’attache à « la nature et au but de la peine » infligée à l’occasion de la condamnation initiale invoquée comme fondement de la détention (arrêt Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 66 CEDH 2002-IV). Le Gouvernement souligne que la Cour a fait principalement application de cette jurisprudence dans les affaires concernant le Royaume-Uni, relatives à des cas de peines perpétuelles indéterminées frappant des individus à qui le bénéfice d’une libération conditionnelle était refusé ou retiré.
d) Le Gouvernement considère que la jurisprudence concernant le Royaume-Uni n’est pas transposable en l’espèce. A la différence des affaires britanniques, la peine du requérant n’est pas à durée indéterminée. La peine de réclusion criminelle perpétuelle sanctionne les crimes les plus graves et poursuit un double objectif de rétribution et de punition. Ces deux aspects sont constants tout au long de la peine. Certes, le condamné peut solliciter une libération conditionnelle après avoir effectué quinze ans de détention ; mais une telle mesure dépend des efforts de réinsertion du détenu. L’élément rétributif reste présent et la peine perpétuelle vise à écarter le condamné de la société. Il en découle que le maintien en détention du requérant du fait des décisions des JRLC et JNLC se produit toujours « par suite » de la peine prononcée par la cour d’assises.
i. Sur la régularité de la détention et le respect du droit interne
Le maintien en détention du requérant à compter du 23 novembre 2001 s’inscrivait dans le cadre de la procédure prescrite par la loi du 15 juin 2000, constitutive d’un corps de règles correspondant aux critères fixés par la jurisprudence de la Cour. En effet, la nouvelle procédure applicable à la libération conditionnelle n’est pas contraire à la Convention et les conditions d’examen des demandes de libération conditionnelle sont équitables et adéquates : au plan procédural, la décision d’octroi ou de refus d’une libération est prise par le JAP ou la JRLC, autorités qualifiées et instaurées par le législateur avec débat contradictoire et recours possible devant la JNLC ; au fond, les critères pour prendre cette décision sont parfaitement définis de sorte que tout risque d’arbitraire est écarté.
Reste à examiner la question de savoir si cette procédure a été observée dans le cas du requérant (arrêt Winterwep précité). Le Gouvernement conteste l’affirmation du requérant selon laquelle la JRLC et la JNLC ont ajouté au texte de l’article 729 du CPP en prenant en compte les aveux comme condition supplémentaire d’octroi de la libération conditionnelle. Il découle de ce texte que le condamné doit justifier « d’efforts sérieux de réadapation sociale », lequel illustre d’ailleurs cette notion par une série d’exemples. En outre, elle signifie qu’une libération conditionnelle ne peut être accordée lorsque le comportement du condamné ou sa personnalité font apparaître des risques de récidive. C’est la raison pour laquelle la loi impose une expertise psychiatrique préalable pour les détenus incarcérés à la suite de certaines infractions graves et qui sollicitent un aménagement de peine (article 722 alinéa 5 du CPP). Dans ce contexte, les magistrats tenus par le constat de culpabilité découlant du jugement de condamnation examinent l’attitude du détenu par rapport aux faits pour lesquels il a été condamné. Ainsi pour caractériser les « efforts sérieux de réadaptation », les juges prennent nécessairement en compte les dénégations ou les aveux du détenu qui sollicite la libération conditionnelle. Le Gouvernement cite une série de décisions judiciaires des juges de l’application des peines qui font expressément référence aux aveux et qui témoignent, selon lui, qu’il n’y a pas l’introduction d’une condition supplémentaire. Il se réfère également au rapport 2001 de la Cour de cassation dans sa partie relative à la JNLC qui indique : « la lecture des décisions montre que la juridiction nationale attache une importance particulière, en se fondant notamment sur les observations faites en détention ainsi que sur les expertises psychiatriques et psychologiques, à la prise en compte par le détenu, de la gravité des faits qui ont conduit à sa condamnation, à son souci de réparer et aux garanties qu’il offre quant à son évolution personnelle ainsi qu’à l’encadrement social et professionnel dont il pourrait bénéficier ».
Dès lors, et observant que l’article 5 « ne garantit pas le droit à la liberté conditionnelle » (arrêt Gerger c. Turquie, 8 juillet 1999), le Gouvernement considère que les Etats sont libres de prévoir une telle mesure et partant les critères auxquels elle doit répondre, en particulier en ce qui concerne les éléments de personnalité. Le Gouvernement précise que le constat d’aveux ou de dénégation ne joue pas en tant que tel ; c’est ce que révèle une telle constatation sur la personnalité du détenu qui importe. Pour des faits très graves, des dénégations sont souvent révélatrices de l’absence de travail sur soi par rapport aux actes dont un individu a été reconnu coupable, étant entendu que l’importance d’un tel manque d’autocritique, dans un contexte où les éléments de personnalité ont une importance prépondérante, est crucial. Le Gouvernement fournit une série de référence de décisions allant dans ce sens. Il en découle, selon lui, que la prise en compte des dénégations du condamné dans une décision de rejet de demande de libération conditionnelle ne signifie pas que le juge sanctionne le défaut d’aveux de l’intéressé. Il en tire simplement la conséquence d’une absence d’évolution. Il n’y a là nulle interdiction de se dire innocent et le détenu dispose à cette fin d’une procédure spécifique qui est le recours en révision.
En l’espèce, le requérant présentait au JRLC une offre d’emploi et un justificatif de logement. La décision du 6 juillet refusant la libération conditionnelle admet que le projet de sortie est cohérent mais porte pour l’essentiel sur la personnalité de l’intéressé et sur le risque de récidive qui explique aisément qu’il ne pouvait être admis au bénéfice d’une telle mesure. C’est donc la personnalité du requérant qui constituait le critère déterminant. Le Gouvernement constate à cet égard que le dossier du requérant comportait plusieurs expertises psychiatriques échelonnées dans le temps, menées le plus souvent en collégialité par des médecins experts n’ayant globalement pas eu à connaître de l’affaire au moment du passage du requérant devant la cour d’assises. Les expertises pratiquées pendant l’instruction s’attachèrent à démontrer si oui ou non le requérant était en état de démence ou pas au moment des faits et se sont attachées à élucider si le requérant avait pu être pris d’une crise épileptique suggérée par lui à la fois à travers son évocation d’une perte de connaissance au moment du crime et à travers le récit de chutes inexpliquées au cours des épisodes passés de sa vie. Cinq expertises psychiatriques ont été diligentées dans le cadre des différents recours déposés par le requérant pour mettre fin à l’exécution de sa peine, la dernière datant de 1999 et concluant à l’absence de contre-indication formelle à une mesure de libération. Le Gouvernement explique que les différentes expertises présentent des constantes mais révèlent également l’absence de consensus sur tel ou tel point. L’existence de tendances paranoïaques est retenue par une majorité d’experts de sorte que l’on peut parler dans le cas du requérant d’une personnalité pathologique caractérisé non par des symptômes mais par un comportement mal adapté et rigide. En affirmant de manière condensée que les experts ayant examiné le requérant en 1965, 1984 et 1989 et 1999 n’excluent pas une dangerosité potentielle, la JLRC prenait acte des réserves qui résultaient à ses yeux des conclusions de ces praticiens, à la lumière du dossier de celui-ci. Certaines étaient pu favorables, d’autres l’étaient davantage. Mais même celles-là n’excluaient pas formellement toute dangerosité de la part de ce denier.
Eu égard à l’attitude du requérant et aux expertises dont certaines soulignent une évolution du requérant, mais faisaient dépendre sa dangerosité non seulement de facteurs propres à sa personnalité complexe mais aussi de facteurs qui ne relèvent pas d’une approche psychiatrique, les juges pouvaient, sans dénaturer le sens des conclusions des différents experts considérer que le requérant constituait un danger potentiel. Le Gouvernement en conclut que la JLRC n’a pas violé les dispositions de l’article 729 du code de procédure pénale en ajoutant une condition qui n’y figurerait pas. Il en est de même de la décision de la JLNC du 23 novembre 2001. Celle-ci met en lumière que le projet de sortie est sérieusement remis en cause sur le plan professionnel ; à lui seul cet état de fait justifiait le refus de la mesure sollicitée par l’intéressé ; le rôle d’une juridiction est de s’assurer que les conditions de sorties sont suffisamment précises et solides. Or aucun élément précis n’était versé au dossier sur les conditions dans lesquelles le requérant aurait pu être occupé autrement, le Gouvernement rappelle à cet égard que les derniers experts ont insisté sur la continuité, la cohérence et la solidité des repères indispensables après une incarcération si longue. S’agissant de la personnalité du requérant, la JLNC fait référence aux tendances paranoïaques de l’intéressé ; la critique du requérant sur les aveux est donc infondée en droit.
Le Gouvernement conclut que les décisions litigieuses ne comportent aucune erreur manifeste de fait ou de droit et s’inscrivent dans le cadre classique du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. Le Gouvernement prie la Cour d’écarter le grief tiré du non respect des voies légales.
ii. Sur l’exigence de « régularité » de la détention et la conformité « au but des restrictions autorisées par l’article 5 »
Le Gouvernement soutient que la sanction infligée par la cour d’assises en 1966, bien que n’entrant pas dans le champ de compétence ratione temporis de la Cour, remplit les critères d’une « condamnation » au sens de la jurisprudence de la Cour (arrêt Guzzardi c. Italie du 6 novembre 1980, série A no 39, § 100). Il rappelle à cet égard qu’il n’appartient pas à la Cour de contrôler le bien-fondé de cette condamnation. Il observe par ailleurs que la cour d’assises est indéniablement un tribunal au sens de l’article 5.
Quant au lien de causalité entre le maintien en détention du requérant et la condamnation prononcée par la cour d’assises en 1966, il le considère incontestable. La cour d’assises a prononcé une sanction qui protégeait la société dont il fallait assurer la sécurité à long terme ; à cet égard, la dangerosité du requérant évoquée par les experts a sans doute été prise en compte.
Le Gouvernement en déduit que dans ce contexte, les décisions des 6 juillet et 23 novembre 2001 ne se fondaient pas sur des « motifs étrangers aux objectifs du législateur » et de la cour d’assises. Les arguments tirés des expertises psychiatriques et du comportement du requérant sont directement liés à la condamnation initiale ; les faits graves ayant entraîné sa condamnation justifiaient de se référer prioritairement à son profil psychologique et à son évolution en détention. Par ailleurs, l’accent mis sur le sérieux du projet professionnel présenté par le requérant s’expliquait par la nécessité de s’assurer un cadre permettant d’éviter la récidive. Cette démarche correspondait au souci de la cour d’assises qui souhaitait mettre la société à l’abri des méfaits potentiels de l’intéressé. Elle était conforme aux objectifs de la loi du 15 juin 2000, qui n’a pas abrogé la peine de réclusion perpétuelle mais visait à favoriser la réinsertion sociale des condamnés pour peu qu’ils présentassent des sérieux de réadaptation.
Le Gouvernement souligne que la présente affaire se distingue de l’affaire Stafford c. Royaume-Uni précitée mais voit des similitudes avec l’affaire Weeks précitée. Les magistrats ont eu la même démarche en se référant au comportement du requérant. Il souligne à cet égard que la Convention impose l’obligation de prendre des mesures propres à protéger le public contre les crimes violents (arrêt Osman c. Royaume-Uni du 28 octobre 1998, Recueil 1998‑VIII).
Le Gouvernement examine enfin si les motifs retenus par ces autorités reposaient « sur une appréciation raisonnable au regard des objectifs » du législateur et de la cour d’assises.
Soulignant la marge d’appréciation des Etats en la matière rappelé par la Cour dans les arrêts Weeks et Stafford précités, le Gouvernement considère qu’en l’espèce, le contrôle opéré par la Cour devrait être encore plus limité car les décisions (qui ne concernent pas une réincarcération) n’émanent pas de responsables politiques mais relèvent uniquement de l’autorité judiciaire.
Le Gouvernement ajoute que le seul fait que les décisions litigieuses soient contraires aux souhaits du requérant n’est pas en soi révélateur d’un arbitraire du juge. En l’espèce, il n’existe aucun indice de ce que les rejets prononcés par les autorités compétentes soient sous-tendues par un but illicite : la volonté de sanctionner le requérant pour le seul fait qu’il affirme son innocence. Le Gouvernement se réfère à ses explications précédentes sur le sens qu’il convenait de donner à cette référence aux aveux comme critère d’appréciation de la personnalité du requérant. Il rappelle que l’institution judiciaire n’a pas freiné les efforts du requérant pour faire valoir son innocence (le président de la cour d’assises avait dit : « si ce que vous dites exact, votre procès sera révisé ; la piste a été vérifiée ; la deuxième demande de recours en révision déposée par le requérant a fait l’objet de nombreuses investigations des services de la police judiciaire.
Le Gouvernement en conclut qu’il n’apparaît nul indice que les décisions des JRLC et JLNC soient guidées par la volonté de sanctionner le requérant pour le seul fait, comme tel, qu’il nie les faits.
Au total, il affirme que la détention de l’intéressé n’est pas irrégulière ou arbitraire et demande à la Cour de rejeter le grief tiré de l’article 5 § 1 comme étant manifestement mal fondé.
2. Observations du requérant
Le requérant, pour répondre aux points a) et b) précités, fait valoir qu’il ne demande pas à la Cour d’apprécier si sa condamnation en date du 7 mai 1966 était justifiée. Il indique qu’il en conteste toujours le bien-fondé et il expose en substance le contexte général de son affaire et les éléments de son dossier afin de permettre à la Cour d’apprécier globalement les faits dont elle est saisie. Il soutient que sa détention était régulière à l’origine mais qu’elle s’est muée avec le temps en une détention arbitraire contraire à l’article 5 § 1 a) de la Convention. Il demande que la Cour dise à partir de quand cette détention est devenue arbitraire parce que son lien de causalité avec les motifs de la détention et l’esprit de la loi était rompu. Il propose de faire porter son grief relatif à la violation de l’article 5 § 1 a) sur la période de détention allant du 23 novembre 2001, date de la décision de la JNLC au 6 juin 2002 date de la saisine de la Cour. Il demande donc de dire qu’à compter du 23 novembre 2001, sa détention est devenue irrégulière. Reste que pour apprécier la régularité de la période de détention considérée, il soutient que la Cour devra tenir compte de la durée globale de la peine déjà exécutée (trente-huit ans, dix mois et onze jours à la date des observations), du fait qu’il est sinon libérable du moins accessible à une libération conditionnelle depuis 1979, soit depuis vingt trois ans et qu’il a multiplié en vain tous les recours ouverts à lui pour obtenir sa libération.
Contrairement au Gouvernement, le requérant soutient que les jurisprudences Stafford, Weeks précitées et Wynne c. Royaume-Uni (arrêt du 18 juillet 1994, série A no 294-A) relative au régime de la peine perpétuelle obligatoire ou discrétionnaire au Royaume-Uni sont parfaitement transposables au régime existant en France.
Dans l’arrêt Stafford, la Cour a rappelé que « dans l’arrêt Weeks elle avait estimé que la peine perpétuelle discrétionnaire infligée à l’intéressé était une sentence à durée indéterminée, motivée expressément par sa dangerosité pour la société, élément susceptible de par sa nature même de varier au cours du temps » (§ 65) et que « dans l’arrêt Wynne, elle avait bien vu que les détenus purgeant une peine perpétuelle obligatoire ne passaient pas en réalité le reste de leur vie en prison » (§ 67). Elle a ensuite rappelé la pratique interne consistant à fixer un tarif représentant l’élément de dissuasion et de répression de la peine : « (...) Cette durée était généralement la période minimum de détention à purger avant qu’un délinquant puisse espérer être relâché. Il n’a jamais été prévu que les détenus purgeant des peines perpétuelles obligatoires resteraient en fait incarcérés toute leur vie, sauf cas exceptionnels » (§ 71). En outre, elle a jugé qu’au-delà du tarif, le maintien en détention devait être motivé par des considérations de risque et de dangerosité (§§ 79 et 80).
Le requérant affirme que, comme dans l’affaire Stafford, la réclusion criminelle à perpétuité est une peine à durée indéterminée qui ne signifie pas un enfermement à vie. En attestent le régime général de cette peine et la possibilité de l’assortir d’une période de sûreté ainsi que le sens de la peine en droit interne et européen.
Sur le premier point, il rappelle la création des peines de sûreté en 1979 et de la perpétuité dite « perpétuelle » réelle en 1994 (possibilité pour la cour d’assises de porter la durée de la période de sûreté à 30 ans ou même à vie en cas de meurtre sur mineur de 15 ans précédé ou accompagné de viol, tortures ou d’actes de barbarie - article 221-4 du code pénal). Il souligne ainsi le caractère abusif de la peine qui lui a été infligée puisque sa condamnation n’était assortie d’aucune période de sûreté et que sous l’empire du nouveau code pénal, il serait passible d’une période de sûreté de 18 à 22 ans. Il précise qu’il n’y a pas de trace dans la mémoire collective française d’une détention aussi longue ce que celle qu’il a déjà accomplie.
Sur le second point, et l’objectif de réinsertion sociale assigné à la peine privative de liberté par le législateur français, il rappelle que l’ensemble des dispositions internes et européennes démontrent qu’au-delà d’une période punitive qui correspond en droit interne à la durée du temps d’épreuve ou de la période de sûreté, le maintien en détention d’un condamné à perpétuité doit se justifier par des considérations de dangerosité et de sécurité publique au sens de la jurisprudence de la Cour précitée. C’est également le sens de l’article 729 du CPP qui subordonnait la libération conditionnelle du détenu à « des gages sérieux de réadaptation sociale » dans sa version antérieure à la loi du 15 juin 2000 devenus « efforts sérieux de réadaptation sociale » dans sa version postérieure.
Le requérant, à l’appui de ce rappel, estime que son maintien en détention (qui fait de lui le plus ancien prisonnier d’Europe) n’est pas motivé par des considérations de dangerosité mais par des considérations de pure opportunité et revêt un caractère abusif.
Il explique que depuis 1987, il a assorti ses demandes de libération conditionnelle d’un projet sérieux de sortie, cohérent et constant, chez les époux B. qui ont proposé de le loger et de lui fournir un travail dans leur entreprise. La mise en liquidation judiciaire de celle-ci quelques mois avant la décision de JLNC ne remettait pas en cause la qualité du projet de sortie car l’offre d’hébergement tenait toujours, les époux B. affirmaient pouvoir lui trouver un autre emploi, il pouvait faire valoir ses droits à la retraite et était assuré d’un revenu lui permettant de subvenir à ses besoins. Enfin, la réforme du 15 juin 2000 avait précisément pour objet d’élargir les critères d’admission à la libération conditionnelle et de permettre à des détenus dépourvus d’une promesse d’emploi de bénéficier néanmoins d’une mesure d’aménagement de peine. Dès lors, il estime que la liquidation judiciaire de l’entreprise ne suffisait pas à justifier à elle seule le refus de la mesure sollicitée.
Le requérant rappelle que le Gouvernement soutient que la pluralité des expertises psychiatriques n’a jamais complètement exclu une dangerosité potentielle et un risque de récidive. Il demande à la Cour d’examiner l’objectivité des expertises. Il fait valoir que des trois expertises psychiatriques pratiquées pendant l’instruction, il ressort qu’il n’était pas un mythomane mais un menteur donc un coupable « dangereux pour la sécurité publique » débordant largement le cadre de leur mission. Quant aux anomalies organiques, constatées par les collèges d’experts, elles n’ont jamais existé (certificat du 30 juillet 1997). S’agissant des expertises postérieures (1987, 1989, 1997, 1999), le requérant observe qu’elles avaient pour but d’analyser sa dangerosité dans le cadre de demande de libération conditionnelle. Il les considère approximatives.
Sur sa dangerosité, il fait valoir qu’aucun expert n’a jamais diagnostiqué la moindre maladie mentale ni préconisé le moindre traitement ou suivi psychologique. Il affirme que les juges et la commission d’application des peines n’ont jamais demandé ou suggéré un tel suivi et que son comportement observé par le personnel, les conseillers d’insertions et de probation et les juges de l’application des peines ne laissait craindre aucune dangerosité. C’est également ce dont il ressort du dernier rapport effectué en 1999. Il ajoute que dans une émission « le lieu du crime » plusieurs fois diffusée à la télévision, un des médecin expert l’ayant examiné en 1999 a dit que « l’on ne peut affirmer qu’il y a une contre indication psychiatrique à la libération ».
En conclusion, il affirme que tout le monde était favorable à sa libération conditionnelle et que les magistrats appelés pour la première fois à motiver le maintien en détention ont rendu, sous couvert d’opportunité ou de principe de précaution, une décision politique qui cache le vrai motif de la prolongation de la peine. Il conclut de ce fait au caractère arbitraire de son maintien en détention et à la rupture du lien de causalité entre celui-ci et sa condamnation initiale.
3. La Cour
La Cour observe que la Convention est entrée en vigueur à l’égard de la France le 3 mai 1974. Elle rappelle que cet instrument ne régit pour chaque partie contractante que les faits postérieurs à son entrée en vigueur à l’égard de cette partie.
Quant à la violation alléguée de l’article 5, la Cour observe que le requérant se plaint de l’absence de causalité entre la condamnation perpétuelle prononcée contre lui par la cour d’assises le 7 mai 1966 et son maintien en détention aujourd’hui. Au moment de la ratification de la Convention par la France, le requérant n’avait pas obtenu la révision de son procès et la peine litigieuse continue à produire ses effets. Partant, la Cour est compétente ratione temporis pour examiner ce grief à partir de la date de ratification (voir, mutatis mutandis Ilascu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, 8 juillet 2004, § 407). La période de détention sur laquelle l’examen du grief doit porter est donc de trente ans. Par ailleurs, la Cour prend acte de la proposition du requérant d’examiner son grief tiré de sa détention arbitraire qu’à partir du 23 novembre 2001, c’est-à-dire du rejet par la JNLC de sa demande de libération conditionnelle. Il est vrai que cette dernière décision est particulièrement importante au regard de la légalité de la détention jugée par une juridiction spécialisée de l’exécution de la peine à la suite du changement de législation issu de la loi du 15 juin 2000. Il reste que la Cour doit tenir compte de l’ensemble des demandes faites en vue d’obtenir la libération pour examiner le grief. Elle doit tenir compte du fait qu’au 3 mai 1974 le requérant, qui avait été placé en détention provisoire le 5 juillet 1964, était déjà en détention depuis près de dix ans (voir, par exemple, mutatis mutandis, Mansur c. Turquie, arrêt du 8 juin 1995, série A no 319-B, p. 49, § 51).
La Cour en déduit en conséquence qu’il lui appartiendra de décider si en particulier à partir du 23 novembre 2001, le maintien en détention du requérant en vertu de la peine perpétuelle infligée par la cour d’assises en 1966 est conforme aux exigences de l’article 5 § 1 de la Convention.
Sur ce point, la Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
II. Le requérant se plaint du défaut de soins dentaires et ophtalmologiques sous l’angle des articles 3 et 8 de la Convention. Il expose également que son maintien en détention viole son droit à la liberté de penser et de s’exprimer et invoque les articles 9 et 10 de la Convention.
L’article 3 se lit ainsi :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Les articles 8, 9 et 10 garantissent, entre autre, respectivement le droit au respect de sa vie privée et familiale, la liberté de pensée, de conscience et de la religion, et la liberté d’expression.
1. Observations du Gouvernement
a) Le Gouvernement note que le requérant se plaint, dans son formulaire de requête des carences suivantes. Concernant la période allant du mandat de dépôt jusqu’à 1974, le requérant se plaint de céphalées depuis 1957 dues à une sinusite chronique jamais soignée et d’un infarctus du myocarde non soigné en 1973. Concernant la période postérieure, il se plaint d’une interruption de son traitement médical en 1975 à la suite de son transfert dans un autre établissement pénitentiaire, cause de nouveaux malaises cardiaques à répétition et d’une nouvelle interruption du traitement intensif dont il bénéficia lors de son séjour à la maison d’arrêt de Fresnes en 1976. S’agissant de la période récente d’incarcération, le requérant se plaint d’avoir dû attendre six mois pour consulter un dentiste, de ne pas avoir eu accès à un prothésiste pour la réparation de son appareil dentaire et de l’absence d’examen médical alors qu’une tâche a été découverte sur sa rétine.
b) Le Gouvernement soulève une exception d’incompatibilité ratione materiae du grief avec l’article 8 de la Convention. Il rappelle que la sphère privée couvre l’intégrité physique et morale d’une personne (N.F c. Italie, no 37119/97, § 39, CEDH 2001-IX). C’est ainsi que la Cour a été amenée à se prononcer sur la problématique des soins médicaux au regard de l’article 8 de la Convention (Bensaid c. Royaume-Uni, no 44599/98, CEDH 2001-I). Il résulte de cette décision que l’interruption de soins psychiatriques du fait d’une expulsion est susceptible de constituer une ingérence au regard de l’article 8 à condition qu’il en découle des conséquences sur les liens sociaux de la personne concernée. En l’espèce, le Gouvernement considère que les manquements dont se plaint le requérant ne constituent pas une ingérence. Subsidiairement, il n’en découle aucune conséquence pour le maintien ou le développement de ses relations sociales. On ne peut pas voir davantage, selon le Gouvernement, dans les carences alléguées la violation d’une obligation positive découlant de l’article 8. Une telle obligation de soins est du reste déjà imposée par l’article 3 s’agissant des détenus. Le Gouvernement considère que le respect de la vie privée ne va pas jusqu’à contraindre les Etats à dispenser des soins. Partant, il n’existe, selon le Gouvernement, aucune obligation découlant de l’article 8 dans la présente affaire.
c) Sur la recevabilité du grief en tant qu’il concerne les articles 3 et 8 concomitamment, le Gouvernement considère que la partie de la requête ayant trait aux soins médicaux nécessaires au requérant pour la période antérieure à 1974 échappe à la compétence ratione temporis de la Cour. En outre, il observe plus globalement que la requête est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.
Il soutient que soit l’état de santé du requérant était grave et il pouvait demander le bénéfice d’une libération conditionnelle pour raisons médicales ou encore une suspension de peine (article 720-1-1 du CPP), soit celui-ci ne justifiait pas une libération et il lui revenait de mettre en cause la responsabilité de l’administration (voir, par exemple, CA Marseille 30 mars 2000, no 97MA01825 ; CA de Nantes 29 juin 2001, no 99NT00014).
d) A titre subsidiaire, il soutient que la requête est partiellement irrecevable pour dépassement du délai de six mois. Le Gouvernement considère que le requérant est forclos à se plaindre de l’essentiel des manquements dont il dit avoir été victime. Sa requête ayant été déposée le 6 mai 2002, seules les prétendues carences postérieures au 6 novembre 2001 peuvent faire l’objet d’un examen par la Cour.
e) Sur le bien-fondé des griefs, et à la lumière notamment des arrêts Kudla c. Pologne ([GC], no 30210/96, CEDH 2000-XI) et Mouisel c. France (no 67263/01, § 37, 14 novembre 2002), le Gouvernement soutient que les faits allégués ne constituent ni une torture ni des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 3 de la Convention.
Il observe qu’en l’espèce, depuis le 1er avril 2001, la prise en charge sanitaire des personnes détenues au centre de détention de Bapaume a été reprise par le centre hospitalier d’Arras. Dans ce contexte, il précise que le requérant a été vu pour la première fois le 6 août 2001. Certes, quelques délais de mis en place ont été nécessaires mais depuis cette date, le requérant a été suivi régulièrement pour les soins dentaires selon un rythme de une à deux fois par mois jusqu’à la réalisation d’une prothèse définitive. Le médecin inspecteur a rencontré M. Léger en décembre 2002 et ce dernier s’est dit tout à fait satisfait d’avoir eu le 21 novembre 2002 un appareil dentaire conforme à ses besoins.
Au plan ophtalmologique, le gouvernement relève que le requérant a été examiné le 14 février 2000 par un ophtalmologue qui a noté : « cataracte bilatérale débutant à revoir dans six mois ». Le 28 août 2001, le médecin de l’unité de l’UCSA demandait en urgence une consultation d’ophtalmologie ; le rendez vous était prévu le 11 septembre 2001. Le Gouvernement ajoute que le requérant a refusé d’être examiné en présence du personnel pénitentiaire, refus qu’il réitéra à plusieurs reprises.
Le Gouvernement fait encore valoir que la prise en charge cardio-vasculaire a toujours été correcte et que le requérant se contente de la mettre en cause sans caractériser de carence précise.
Plus généralement, il affirme que le recours en grâce déposé par l’intéressé a donné lieu à une expertise médicale dont il résulte que l’état de santé du requérant est compatible avec une détention à Bapaume où il bénéfice d’un traitement approprié.
Enfin, le Gouvernement n’estime pas, à la lumière des observations faites au regard de l’article 3 de la Convention, qu’il y ait des éléments suffisants pour permettre de constater que le traitement reproché a entraîné sur l’intégrité physique ou mentale de l’intéressé des effets néfastes de nature à constituer une ingérence dans le droit au respect de sa vie privée tel que garanti par l’article 8 de la Convention.
2. Observations du requérant
Le requérant ne répond pas en particulier aux observations du Gouvernement sur ce point et se contente de dire, sous l’angle de la violation alléguée de l’article 3 du fait de son maintien en détention (voir point III ci-dessous), que quoi qu’il n’ait pas subi de lésion physique et soit traité au quotidien comme tous les autres détenus, notamment quant à la carence, aux dysfonctionnements et à l’absence de confidentialité des soins en prison, ces faits n’atteignent pas en eux-mêmes le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3.
3. La Cour
La Cour observe que le requérant ne répond pas aux observations du Gouvernement sur la violation alléguée des articles 3 et 8 de la Convention quant aux soins nécessaires à son état de santé. Elle note en outre qu’il considère que le traitement dont il bénéficie en prison pour ses soucis de santé n’atteint pas le seuil de gravité exigé par l’article 3 de la Convention.
Dans ces conditions, elle n’estime pas nécessaire d’examiner les exceptions soulevées par le Gouvernement à la fois sur la compatibilité du grief avec la Convention et sur l’épuisement des voies de recours internes car elle est d’avis que le grief, insuffisamment étayé, n’est assorti d’aucune précision lui permettant de s’assurer que les conditions de l’article 35 § 1 de la Convention sont remplies et que le seuil de gravité nécessaire à l’application de l’article 3 précité est atteint. Au demeurant, elle observe que le Gouvernement fait état de soins prodigués que le requérant ne conteste pas. Dans ces conditions, et incluant également la violation très généralement alléguée des articles 8, 9 et 10 de la Convention comprise dans le grief tiré des conditions de détention, la Cour considère que celui-ci doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. Le requérant allègue une violation de l’article 3 quant aux rejets successifs des demandes de libération conditionnelle.
1. Observations du Gouvernement
a) A titre principal, le Gouvernement soulève une exception de tardiveté et considère que seules les décisions de la JRLC et de la JNLC sont intervenues moins de six mois avant le dépôt de la requête.
b) A titre subsidiaire, le grief est manifestement mal fondé.
(i) Le Gouvernement indique que le requérant ne s’est vu infliger ni période de sûreté ni peine incompressible. De telles modalités d’exécution de la peine découlent du reste de lois postérieures aux faits que le requérant a commis. Elles ne lui sont pas donc pas applicables. Il estime que la peine du requérant n’est pas davantage incompressible en fait. Il se réfère à la jurisprudence Einhorn v. France ((dec.), no 71555/01, ECHR 2001-XI) et déduit de la citation « l’accès d’une personne condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité (...) au bénéfice de la libération conditionnelle est restreint. Il n’est cependant pas permis d’en déduire qu’en cas de condamnation à vie à l’issu d’un (...) procès (...) le requérant se trouverait dans l’impossibilité de bénéficier d’une telle mesure » qu’elle est parfaitement transposable à la situation de M. léger avant la loi du 15 juin 2000.
Le Gouvernement indique que le rapport annuel d’activité 2000 édité par l’administration pénitentiaire énonce que les condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité sont rarement admis au bénéfice de la libération conditionnelle (quinze arrêtés de libération conditionnelle en 2000 et treize en 1999) et que sur 265 décisions défavorables en 2000, 35 % concernaient des cas d’homicide volontaire, assassinat ou meurtre sur mineur de 15 ans. C’est dans ce contexte que le requérant s’est vu refuser une libération conditionnelle. Il reste que, pour être réduite, la possibilité d’un tel aménagement de peine n’en était pas moins réelle. On ne peut donc affirmer que sa peine était devenue incompressible.
Qui plus est, il n’apparaît pas finalement, pour le Gouvernement, pertinent de se référer aux décision prises avant la loi du 15 juin 2000. Le transfert de l’ensemble du contentieux de la libération conditionnelle aux magistrats de l’ordre judiciaire a complètement transformé la situation du requérant. On observe depuis ce changement une augmentation des mesures de libération conditionnelle accordées aux personnes purgeant de lourdes sanctions : ainsi, trente trois mesures de libérations conditionnelles ont été accordées en 2001 à des personnes condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité. Dès lors, toute prise en compte des décisions antérieures à la loi du 15 juin 2000 s’avère inadéquate et toute hypothèse émise sur le sort d’une future demande d’individualisation de la peine du requérant relève de la spéculation.
Certes, la demande de celui-ci a été rejetée mais on ne peut pas en tirer de conséquences définitives. Si le nombre de libérations conditionnelles a augmenté du fait de l’activité des JRLC en première instance, le nombre de décisions favorables rendues en appel par la JLNC est très peu élevé. Le fait que cette juridiction ne connaisse que les cas des personnes qui ont à subir les peines les plus lourdes qui n’ont par voie de conséquence pu bénéficier de mesures probatoires préalables, telles que le travail à l’extérieur ou la permission de sortir, rend particulièrement délicat l’examen de ces situations et expliquent pour partie le faible taux des infirmations prononcées. Il en résulte que la décision du JLNC ne traduit pas une sévérité particulière à son égard. Surtout, le Gouvernement considère que rien ne permet de préjuger des décisions de la JRLC et de la JLNC en cas de nouvelle demande.
Au-delà des éléments chiffrés, le Gouvernement estime que l’on ne peut en aucune façon parler de peine incompressible dans le cas du requérant. Une telle modalité d’exécution de la peine trouve sa justification dans la gravité des faits et l’émotion profonde qu’ils provoquent dans le corps social. Elle a un caractère purement rétributif et punitif de sorte que le condamné ne peut bénéficier d’aucune mesure d’aménagement de peine, quelle que soit son évolution psychologique. L’absence de prise en compte des éléments tirés de la personnalité au cours de la mise en œuvre de la sanction constitue le critère distinctif de la peine incompressible. Or, le Gouvernement réitère que le requérant peut déposer une demande de libération conditionnelle à tout moment et rappelle que les motifs retenus dans les décisions le concernant font principalement référence au manque d’évolution du requérant. L’emploi de ce critère d’appréciation démontre sans conteste, selon lui, que le maintien en détention de l’intéressé n’a précisément rien d’incompressible.
Il affirme qu’une décision favorable ne dépend que de lui et il doit poursuivre une démarche psychothérapeutique permettant d’attester qu’il prend en charge les tendances paranoïaques révélées chez lui, et qu’au delà de ses dénégations, il ne révèle plus de potentialité de danger. Le Gouvernement en conclut que la peine du requérant n’est pas incompressible en fait.
(ii) Le Gouvernement soutient que le maintien du requérant sous écrou n’est pas contraire à l’article 3 de la Convention.
Le Gouvernement rappelle la jurisprudence de la Cour relative à la peine, et en particulier celle énonçant que pour qu’une peine soit dégradante et enfreigne l’article 3, l’humiliation ou l’avilissement dont elle s’accompagne doivent se situer à un niveau particulier et diffère en tout cas de l’élément habituel et inévitable d’humiliation d’une peine (arrêt Tyrer c. Royaume-Uni du 25 avril 1978, série A no 26). L’appréciation du critère de gravité dépend de l’ensemble des données de la cause et il faut prendre en compte différents facteurs tels que la nature et le contexte de la peine, ses modalités d’exécution, sa durée, ses effets physiques ou mentaux ainsi parfois que le sexe, l’âge, et l’état de santé de la victime (arrêt Kudla précité).
A propos des peines perpétuelles, le Gouvernement cite l’arrêt Hussain c. Royaume-Uni du 21 février 1996 (Recueil 1996-I) dans lequel la Cour a considéré que d’être privé de sa liberté pour l’existence pour un jeune sans tenir compte des modifications qui interviennent avec la maturité pourrait poser problème au regard de l’article 3. Il se réfère également à l’arrêt V. c. Royaume-Uni ([GC], no 24888/94, CEDH 1999-IX) : « l’élément de rétribution inhérent au principe de la période punitive n’emporte pas en soi violation de l’article 3 (...) la Convention n’interdit pas aux Etats d’infliger à un enfant ou à un adolescent convaincu d’une infraction grave une peine de durée indéterminée permettant de maintenir le délinquant en détention ou de le réintégrer en prison à la suite de sa libération lorsque la protection du public l’exige » (§ 98).
Il en déduit qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour que l’article 3 ne prohibe ni les peines d’emprisonnement ni les peines perpétuelles en tant que telle. Une difficulté par rapport à l’article 3 naît potentiellement dans l’hypothèse où passé la période punitive des impératifs de sécurité publique liés à la personnalité du condamné n’imposent plus la détention.
En l’espèce, le Gouvernement considère que la détention du requérant n’emporte pas violation de l’article 3 eu égard à la gravité du crime pour lequel il a été condamné et à l’absence de garanties sur le plan psychologique pour être libéré. Il ajoute que la détention entraîne l’application des garanties de l’article 5 § 4. Si le maintien en détention s’accompagne de souffrances, elles ne sont que la conséquence de décisions parfaitement justifiées et ne dépassent pas le seuil de gravité exigé par l’article 3.
2. Observations du requérant
Le requérant soutient qu’il se voit appliquer dans les faits une peine de perpétuité incompressible puisqu’il ne dispose d’aucun recours efficace pour faire cesser sa détention après quarante ans. Par ailleurs, il affirme que dans les circonstances de l’espèce, compte tenu notamment du caractère arbitraire de sa détention, cette peine constitue un bien un traitement inhumain et dégradant.
Dans les décisions Einhorn précitée et Nivette c. France (déc.), no 44190/98, CEDH 2001-VII), la Cour a conclu qu’il n’était pas permis de déduire qu’en cas de condamnation à vie à l’issue d’un procès aux Etats-Unis, les requérants se trouveraient dans l’impossibilité de bénéficier d’une mesure de libération conditionnelle. Le requérant explique que dans ces deux affaires, la Cour se situait en amont de la condamnation et de l’exécution de la peine. Tel n’est son cas puisqu’il est dans sa quarantième année de détention sans avoir pu effectivement bénéficier de la moindre mesure d’aménagement de peine. Certes, il affirme qu’il peut continuer à multiplier ses demandes puisque sa peine n’est pas juridiquement incompressible mais il dit n’avoir aucune chance d’être libéré compte tenu de ses dénégations. Sous couvert de démarche psychothérapeutique et alors qu’aucun expert n’a jamais relevé la nécessité d’une telle démarche ni aucun intervenant judiciaire avant la juridiction nationale de la libération conditionnelle, on lui demande de reconnaître devant un médecin ce qu’il a refusé de reconnaître devant les juges. Encore faudrait-il que les possibilités de traitement existent réellement dans les établissements pénitentiaires et, même en cette hypothèse, rien ne garantirait qu’il soit libéré s’il se soumettait à cette nouvelle condition imposée par les juges dans sa trente-septième année de détention. Certes, il pourra également bénéficier en fin de vie d’une suspension de peine lorsque son pronostic vital sera engagé ou pour subir un traitement mais il soutient alors qu’on ne saurait considérer qu’un détenu incarcéré à l’âge de vingt sept ans et libéré la veille de sa mort n’aurait pas exécuté dans les faits une peine de perpétuité perpétuelle. Il demande donc à la Cour de reconnaître qu’il exécute bien dans les faits une peine de perpétuité incompressible sans possibilité effective de libération conditionnelle.
Quant à la compatibilité de cette peine avec l’article 3, le requérant considère qu’il est inhumain et dégradant en soi de le maintenir arbitrairement en prison alors que sa peine a atteint une durée jamais égalée en France. Quoi qu’il n’ait pas subi de lésion physique et soit traité au quotidien comme tous les autres détenus, notamment quant à la carence, aux dysfonctionnements et à l’absence de confidentialité des soins en prison dont le requérant reconnaît qu’ils n’atteignent pas en eux-mêmes le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3, il affirme que son châtiment porte atteinte à la protection des buts principaux de l’article 3, à savoir la dignité et l’intégrité morale de la personne. Il considère que la justice l’enferme dans un labyrinthe dont il ne pourrait sortir que par l’abandon de son droit à faire valoir son innocence. Il y voit une humiliation qui va bien au-delà du seuil toléré par l’article 3. Il s’agit d’une souffrance morale aigue aux fins de l’intimider ou de le faire taire à tout jamais en lui infligeant une peine de mort lente : la mort à petit feu par l’enfermement à vie sans espoir de sortie.
3. La Cour
Sur l’exception de tardiveté soulevée par le Gouvernement, la Cour réaffirme (voir point I ci-dessus) qu’elle va examiner, en particulier, la compatibilité du maintien en détention du requérant à partir du 23 novembre 2001, soit à la date de la décision de la JLNC qui est intervenue six mois avant la date d’introduction de la requête. Toutefois, cet examen n’empêchera pas de prendre en compte les éléments du dossier antérieurs à cette date. Dans ces conditions, l’exception du Gouvernement doit être rejetée.
Pour le reste, la Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
IV. Le requérant allègue qu’il est détenu dans un couloir de la mort, ce qui constitue une violation de l’article 3 de la Convention.
1. Les observations du Gouvernement
a) Le maintien en détention dans un prétendu couloir de la mort et l’allégation de traitement inhumain et dégradant
Le Gouvernement réitère l’incompatibilité ratione temporis du grief dans la mesure où la peine de réclusion criminelle à perpétuité date de 1966. En outre, il considère que le grief constitue une critique générale de la peine perpétuelle et demande à la Cour de déclarer irrecevable ce grief pour cette raison. A défaut, il le considère mal fondé.
Il rappelle la jurisprudence relative au traitement dégradant et affirme en résumé que c’est finalement l’humiliation ressentie par l’intéressé qui est sanctionnée par la Cour, le traitement critiqué devant atteindre en tout état de cause un minimum de gravité pour tomber sous le coup de l’article 3.
En l’espèce, le Gouvernement soutient que le requérant n’est pas maintenu dans « un couloir de la mort » dans des conditions contraires à l’article 3 : d’une part, et il l’a déjà démontré, la peine n’est pas incompressible ; d’autre part, il existe en France trois procédures différentes dont l’objet est précisément de permettre à un détenu de ne pas finir ses jours en détention. L’obtention d’un décret de grâce présidentielle est toujours possible. Par ailleurs, depuis la loi du 15 juin 2000, la libération conditionnelle peut être accordée pour des raisons médicales ; l’article 729 du CPP dispose désormais qu’elle peut être accordée lorsque le condamné justifie « de la nécessité de subir une traitement ». Enfin, la suspension de peine pour raisons médicales prévue par la loi du 4 mars 2002, soit avant le dépôt de la requête, élargit encore les possibilités. Toutes ces dispositions introduisent, selon le Gouvernement, un véritable droit à ne pas mourir en prison. Dès lors, si l’on ne peut estimer le temps qu’il restera encore détenu, il reste que le requérant dispose d’un recours efficace pour ne pas terminer sa vie en prison. La solution adoptée dans l’arrêt Soering ne serait dès lors pas transposable à la présente espèce.
Le Gouvernement ajoute que les déceptions subies par le requérant ne constituent pas des violations de l’article 3. Ces déceptions ne sauraient être qualifiées de traitement inhumain (Kotälla c. Pays-Bas, requête no 7994/77, DR 14, p. 244). Le Gouvernement accepte que le requérant a pu nourrir l’espoir d’être libéré, en particulier depuis la loi du 15 juin 2000, mais sa déception générée par le rejet de sa demande de libération conditionnelle ne saurait constituer une violation de l’article 3. En dehors de circonstances spéciales imputables aux autorités et non rapportées en l’espèce, l’angoisse du requérant ne caractérise pas une souffrance dépassant le seuil requis par l’article 3. Le Gouvernement rappelle un courrier du requérant au JAP en date du 17 janvier 2001 qui comporte le passage suivant : « je suis en pleine forme physique et psychologique, comme a bien voulu le constater aimablement Mme le présidente.... »
En toute hypothèse, le Gouvernement estime que la réclusion perpétuelle ne peut être assimilée à la peine de mort. A l’heure actuelle, la compatibilité de la peine de mort en temps de paix avec l’article 3 pose sérieusement problème. Toutefois, aucune conséquence ne peut en être déduite en matière d’emprisonnement à vie. De fait, la prison à vie n’est nullement comparable à une peine de mort à laquelle le requérant a précisément échappé.
Il relève que le requérant est détenu non dans une maison centrale mais dans un centre de détention, lequel comporte un régime plus libéral orienté principalement vers la resocialisation des condamnés. A sa demande, il a été maintenu à l’isolement jusqu’au 4 juillet 1999. A cette date, il a rejoint un quartier classique de détention. Mais dès 1995, il avait accepté de travailler au service général, ce qui lui permettait d’avoir des contacts avec d’autres détenus. Il est actuellement placé en cellule individuelle, dans un bâtiment qui héberge, outre les détenus les plus âgés, les détenus présentant des troubles psychologiques ou psychiatriques ou pouvant être soumis à des pressions importantes. Il fréquente régulièrement la bibliothèque. Il a fait l’objet d’un suivi médical pour ses problèmes cardiaques. Il reçoit la visite d’un couple d’amis une fois par mois, peut correspondre avec les personnes de son choix et a pu s’entretenir avec des journalistes. Enfin, il a pu faire des études et s’adonner à quelques loisirs. Aussi, si M. Léger n’a pas la vie qu’il aurait s’il jouissait de sa liberté, sa détention n’a pas entraîné une mort intellectuelle et sociale.
Surtout, le Gouvernement soutient que la réclusion perpétuelle n’est pas prohibée par l’article 3. Il cite l’affaire Kotälla précitée ainsi que l’affaire V. c. Royaume-Uni précitée dans laquelle la Cour a fait référence à l’arrêt Hussain précité où elle a estimé que « la détention à vie d’un jeune pourrait poser des problèmes au regard de l’article 3 mais non de l’article 5 § 1) ». Une interprétation a contrario permettrait de conclure que la détention à vie d’une personne adulte ne pose pas de difficultés au regard de l’article 3.
Ainsi, tant qu’une détention est conforme à l’article 5 § 1 a) et est susceptible d’être examinée conformément à l’article 5 § 4, et eu égard aux obligations positives pesant sur l’Etat de protéger la vie des personnes, une appréciation d’ensemble sur le terrain de l’article 3 conduit à constater que la réclusion à perpétuité ne viole pas le juste équilibre à ménager entre les intérêts en jeu, ceux des détenus et ceux de la société. On ne saurait obliger les Etats à libérer les détenus sur le fondement de l’article 3 alors qu’un risque de récidive n’est pas exclu. Tel serait précisément le cas en l’espèce.
b) Le maintien en détention du requérant et l’allégation de torture
Le Gouvernement rappelle la jurisprudence de la Cour sur la notion de torture et l’infliction intentionnelle d’une douleur ou de souffrances aigues aux fins d’obtenir notamment des renseignements, de punir ou d’intimider (arrêt Selmouni c. France [GC], no 25803/94, CEDH 1999‑V). En l’espèce, il affirme qu’aucun élément ne permet de caractériser une quelconque volonté des autorités françaises d’infliger intentionnellement une douleur ou des souffrance aigues au requérant.
Le Gouvernement ne relève par ailleurs aucune existence d’un mobile, exigée par la notion de torture. Le requérant soutient être maintenu en détention pour obtenir des aveux de sa part et l’empêcher de contester sa condamnation par un recours en révision. Toutefois, le Gouvernement considère que la mention des dénégations dans la décision de la JRLC ne révèle pas la volonté de lui soustraire des aveux et ne se confond pas avec l’intention d’inciter le requérant à revenir sur ses rétractations.
Le Gouvernement soutient enfin que la souffrance psychologique, plus que la souffrance physique doit correspondre à un degré particulièrement élevé de gravité pour tomber dans le champ d’application de la notion de torture. Tel n’est pas le cas en l’espèce.
2. Le requérant
Le requérant ne présente pas d’observations autres que celle présentées sous le point III ci-dessus.
3. La Cour
La Cour rappelle qu’elle a considéré au point I de la présente décision qu’elle est compétente ratione temporis pour examiner le grief tiré de l’article 5 de la Convention ; il ne saurait en être autrement dans le cadre de l’examen de la requête sous l’angle de l’article 3.
La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare recevables, tous moyens de fond réservés, les griefs du requérant concernant la violation alléguée des articles 5 § 1 a) et 3 de la Convention du fait de son maintien en détention depuis sa condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité par la cour d’assises de Seine et Oise le 7 mai 1966 ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
S. Dollé A.B. Baka
Greffière Président
ANNEXE
Recommandation Rec (2003) 22 du Comité des Ministres aux Etats membres concernant la libération conditionnelle
« (...)Reconnaissant que la libération conditionnelle est une des mesures les plus efficaces et les plus constructives pour prévenir la récidive et pour favoriser la réinsertion sociale des détenus dans la société, selon un processus programmé, assisté et contrôlé ;
Considérant que son usage devrait être adapté aux situations individuelles et conforme aux principes de justice et d’équité ; (...)
Recommande aux gouvernements des Etats membres :
D’orienter leur législation, leur politique et leur pratique concernant la mesure de libération conditionnelle selon les principes énoncés à l’annexe de la présente recommandation ; (...)
Annexe à la Recommandation Rec (2003)22 (...)
II. Principes généraux
3. La libération conditionnelle devrait viser à aider les détenus à réussir la transition de la vie carcérale à la vie dans la communauté dans le respect des lois, moyennant des conditions et des mesures de prise en charge après la libération visant cet objectif et contribuant à la sécurité publique et à la diminution de la délinquance au sein de la société.
4.a. Afin de réduire les effets délétères de la détention et de favoriser la réinsertion des détenus dans des conditions visant à garantir la sécurité de la collectivité, la législation devrait prévoir la possibilité pour tous les détenus condamnés, y compris les condamnés à perpétuité, de bénéficier de la libération conditionnelle. (...)
IV. Octroi de la libération conditionnelle
Système de libération discrétionnaire
16. La période minimale que les détenus doivent purger avant de pouvoir prétendre à la libération conditionnelle devrait être définie en conformité avec la loi.
17. Les autorités compétentes devraient engager la procédure nécessaire pour que la décision concernant la libération conditionnelle puisse être rendue dès que le détenu a purgé la période minimale requise.
18. Les critères que les détenus doivent remplir pour pouvoir bénéficier de la libération conditionnelle devraient être clairs et explicites. Ils devraient également être réalistes en ce sens qu’ils devraient tenir compte de la personnalité des détenus, de leur situation socio-économique et de l’existence de programmes de réinsertion.
19. L’absence de possibilité d’emploi au moment de la libération ne devrait pas constituer un motif de refus ou de report de la libération conditionnelle. Des efforts devraient être déployés pour trouver d’autres formes d’activité. Le fait de ne pas disposer d’un logement permanent ne devrait pas non plus constituer un motif de refus ou de report de la libération conditionnelle. Il conviendrait plutôt de trouver une solution provisoire d’hébergement. (...)
VIII. Garanties procédurales
32. Les décisions relatives à l’octroi, au report ou à la révocation de la libération conditionnelle, ainsi qu’à l’imposition ou la modification des conditions et des mesures qui lui sont associées, devraient être prises par des autorités établies par disposition légale et selon des procédures entourées des garanties suivantes:
a. les condamnés devraient avoir le droit d’être entendus en personne et de se faire assister comme le prévoit la loi ; b. l’instance de décision devrait accorder une attention soutenue à tout élément, y compris à toute déclaration, présenté par les condamnés à l’appui de leur demande ; c. les condamnés devraient avoir un accès adéquat à leur dossier ; d. les décisions devraient indiquer les motifs qui les sous-tendent et être notifiées par écrit.
33. Les condamnés devraient pouvoir introduire un recours auprès d’une instance de décision supérieure indépendante et impartiale, établie par disposition légale contre le fond de la décision ou le non-respect des garanties procédurales. (...)
XI. Recherche et statistiques
43. Afin d’obtenir davantage d’informations sur la pertinence des systèmes de libération conditionnelle en vigueur et leur perfectionnement, des évaluations devraient être effectuées et des données statistiques compilées pour recueillir des éléments d’information sur le fonctionnement de ces systèmes et leur capacité à atteindre les objectifs premiers de la libération conditionnelle. (...)
Exposé des motifs de la Recommandation
II. Principes généraux
Paragraphe 4
La libération conditionnelle peut offrir une possibilité d’assurer une transition contrôlée, personnalisée et progressive de la vie carcérale à la vie en liberté. Les taux élevés de récidive et les nombreuses difficultés liées à la réintégration sociale des détenus qui ont purgé la totalité de leur peine illustrent la nécessité de faire bénéficier d’une telle transition un nombre maximum de condamnés. Par conséquent, tous les détenus condamnés devraient avoir la possibilité de bénéficier de la libération conditionnelle, quelles que soient la durée de leur peine et la nature de l’infraction ayant motivé leur condamnation.
Il ne faut pas ôter aux détenus condamnés à vie l’espoir d’obtenir une libération. Tout d’abord, parce qu’on ne peut pas raisonnablement soutenir que tous les condamnés à perpétuité resteront toujours dangereux pour la société. En second lieu, parce que la détention de personnes qui n’ont aucun espoir d’être libérées pose de graves problèmes de gestion, qu’il s’agisse de les inciter à coopérer et à brider leur comportement perturbateur, de proposer des programmes de développement personnel, d’organiser la planification de la peine ou d’assurer la sécurité. Ainsi, les pays dont la législation comporte des peines effectives de prison à vie devraient créer des possibilités de réexamen de la peine après un certain nombre d’années et à intervalles réguliers, afin de décider si un(e) détenu(e) condamné(e) à perpétuité peut purger le reste de sa peine au sein de la communauté et dans quelles conditions et avec quelles mesures de prise en charge. (...)
Paragraphe 18
Dans un système à libération discrétionnaire, la décision la plus importante concerne l’établissement des critères servant à décider si un(e) détenu(e) peut être libéré(e) ou pas. Le principal objectif de ces critères devrait être l’identification des détenus qui ne peuvent pas être libérés sans représenter un risque intolérable pour la sécurité de la collectivité10. La réponse à la question si et lesquels de ces critères ont été remplis devrait également servir à déterminer les conditions ou mesures de prise en charge applicables. Il faut en outre toujours tenir compte de la personnalité et du profil socio-économique de l’intéressé(e).
Les critères devraient être clairs et explicites, de manière à éviter les erreurs ou les disparités dans les décisions. Cette exigence va également dans l’intérêt des détenus et du personnel pénitentiaire chargé de préparer la libération. L’absence de critères clairs et explicites risquerait en effet de nuire à la crédibilité du système et de décourager les détenus de participer activement à la préparation de leur libération conditionnelle.
On nuirait également à la confiance et à la motivation si les critères étaient perçus comme irréalistes ou, en d’autres termes, impossibles à respecter eu égard à l’ensemble des caractéristiques personnelles et sociales des détenus (âge, situation de famille, santé, qualifications professionnelles, etc.) et si des programmes de réinsertion n’étaient pas proposés. Lorsqu’un service pénitentiaire n’offre pas les conditions voulues pour préserver les liens familiaux, travailler durant l’exécution de la peine, acquérir une formation et surtout participer aux programmes de traitement en cas de comportement agressif ou répréhensible ou bien de problèmes résultant de la toxicomanie ou de l’alcoolisme, on ne saurait s’attendre à ce que les lacunes dans ces domaines soient comblées au cours de la détention. En conséquence, pour être réalistes, les critères relatifs à ces questions doivent ne pas être trop absolus et prendre en considération les moyens de remédier aux insuffisances pendant la détention ou après la libération. L’absence de telles possibilités en prison ou dans la collectivité ne devrait pas empêcher la libération conditionnelle.
Il faut veiller, en outre, à ne pas adopter de critères trop étroitement liés à la catégorie du délit commis ou à la dangerosité des délinquants au début de l’exécution de sa peine. Il ne faudrait pas oublier, en effet, que ces données ont déjà été utilisées pour déterminer la durée de la peine, son plan d’exécution et le classement des détenus. L’octroi de la libération conditionnelle doit dépendre de critères réalistes correspondant à la situation présente et aux perspectives des intéressés ».
Paragraphe 19
Les possibilités d’emploi et de logement permanent à la libération sont des facteurs essentiels pour une bonne réinsertion et sous-tendent certaines hypothèses fondamentales quant à la capacité des détenus à vivre dans le respect de la loi. C’est pourquoi, aucun effort ne doit être épargné pour faire en sorte que les détenus qui bénéficieront de la libération conditionnelle trouvent un emploi et un logement. Néanmoins, il serait irréaliste d’en faire une condition absolue. Eu égard à la situation économique et sociale d’ensemble, beaucoup d’entre eux ne trouvent pas d’emploi à leur sortie de prison et la recherche d’un logement permanent demande un certain temps. Dans ces circonstances, la condition relative à un contrat de travail peut fort bien être remplacée par l’obligation de suivre une formation ou de s’adonner à une occupation utile. Dans le même esprit, on devrait admettre les solutions temporaires en matière de logement.
Paragraphe 20
La libération devrait être octroyée à tous les détenus que l’on estime pouvoir libérer sans pour autant faire peser une grave menace sur la sécurité de la société11. En d’autres termes, le principal facteur à prendre en compte doit être l’absence de sérieuses contre-indications à la libération. Les critères de libération conditionnelle devraient se fonder sur la volonté de la personne détenue de se réadapter à la société et de devenir un citoyen respectueux des lois : fréquentation régulière d’un établissement d’enseignement ou d’une formation professionnelle, stage en entreprise, emploi temporaire, bonnes relations familiales, efforts pour indemniser la victime ou participation à des programmes de réadaptation dans le cas de détenus dépendants (toxicomanie, alcoolisme, etc.) ou ayant été condamnés pour des violences sexuelles.
à la lumière de ce qui précède, on peut constater que ce n’est pas aux détenus de démontrer que les critères pour la libération sont remplis mais qu’il appartient aux autorités de démontrer, le cas échéant, que les critères ne sont pas remplis.
Il ne suffit pas d’adopter des dispositions légales fixant les critères de sélection. Ceux-ci doivent être véritablement appliqués, conformément à l’esprit dans lequel ils ont été établis, par les autorités responsables. C’est pourquoi le paragraphe 38 de la Recommandation suggère l’organisation de séances d’information et de programmes de formation à l’intention des décideurs avec des contributions de juristes, de spécialistes des sciences sociales et de tous ceux qui participent à la réinsertion des détenus libérés sous condition.
XI. Recherches et statistiques
Paragraphe 43
Il convient de solliciter l’aide des universitaires dans le cadre de ces campagnes d’information et d’explorer les possibilités de collaboration avec l’appareil judiciaire sans compromettre son indépendance et son impartialité.
Le principal objectif de la libération conditionnelle est de promouvoir la réinsertion sociale des délinquants tout en réduisant les risques de récidive23. Jusqu’à présent, deux systèmes différents ont été élaborés à cette fin : le système de libération discrétionnaire et le système de libération d’office. Dans le premier, la date de libération dépend soit d’une décision discrétionnaire sur le point de savoir si un(e) détenu(e) peut être libéré(e) ou non, soit de l’absence de contre-indication, alors que dans le second, les détenus ont le droit d’être libérés à une date fixée par la loi.
Chacun des deux systèmes présente ses avantages, mais aucun n’est exempt de faiblesses. Faute de connaissances objectives sur leur efficacité comparée, il reste impossible de formuler une préférence dûment motivée pour l’un ou l’autre. À l’heure actuelle, aucun consensus ne se dégage sur la question de savoir lequel des deux est le plus approprié ou le plus efficace pour atteindre ses buts.
Une évaluation et un suivi appropriés du fonctionnement et de l’efficacité des systèmes existants s’imposent donc pour assurer la crédibilité et le renforcement ultérieur de la libération conditionnelle et se révéleront très utiles pour la définition, par les États membres, de leur future politique en la matière.
Bien qu’il faille évaluer tous les systèmes de libération conditionnelle en fonction de leurs taux de succès et d’échec, puis consigner les résultats de l’opération dans des recueils de statistiques appropriés, le suivi doit viser également à repérer d’éventuelles faiblesses dans chaque système et à indiquer la manière de les corriger.
En ce qui concerne les systèmes discrétionnaires, les faiblesses potentielles suivantes ont pu être identifiées :
– l’absence de critères explicites pour l’octroi de la libération conditionnelle rendant erratique le processus de décision ;
– des disparités entre les décisions lorsque plusieurs organismes sont appelés à statuer sur la libération conditionnelle ;
– les évaluations de la probabilité d’une récidive effectuées sans l’aide d’instruments scientifiques spécialisés pouvant manquer de fiabilité ;
– l’incertitude quant à la date de libération rendant difficile de prendre des dispositions pratiques en prévision de celle-ci ;
– le risque que les facteurs ci-dessus ébranlent la confiance dans le système, ainsi que la motivation des détenus à se montrer coopérants dans le respect des conditions et exigences de la prise en charge.
Quant aux systèmes de libération d’office, ils risquent de présenter les faiblesses suivantes :
– le fait de connaître avec certitude la date de la libération conditionnelle réduisant la motivation des détenus à prendre part aux cours et programmes conçus pour leur permettre de ne pas récidiver et, notamment, de ne plus se droguer ou commettre de crimes une fois libérés ;
– le fait de connaître avec certitude la date de leur libération amenant les détenus à se comporter plus mal pendant leur séjour en prison ;
– l’impossibilité de différer la libération conditionnelle entraînant une nette augmentation de la délinquance de la part des individus ayant bénéficié de cette mesure ;
– la libération automatique amenant les autorités judiciaires à imposer des peines de prison plus longues.
Recommandation Rec (2003) 23 du Comité des Ministres aux Etats membres concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée
« (...) Considérant que l’abolition de la peine de mort dans les Etats membres a entraîné une augmentation des condamnations à perpétuité;
Objectifs généraux
2. Les buts de la gestion des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée devraient être:
– de veiller à ce que les prisons soient des endroits sûrs et sécurisés pour les détenus et les personnes qui travaillent avec eux ou qui les visitent;
– d’atténuer les effets négatifs que peut engendrer la détention de longue durée et à perpétuité;
– d’accroître et d’améliorer la possibilité pour ces détenus de se réinsérer avec succès dans la société et de mener à leur libération une vie respectueuse des lois.
Principes généraux concernant la gestion des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée
3. Il faudrait prendre en considération la diversité des caractéristiques individuelles des condamnés à perpétuité et des détenus de longue durée, et en tenir compte pour établir des plans individuels de déroulement de la peine (principe d’individualisation).
4. La vie en prison devrait être aménagée de manière à être aussi proche que possible des réalités de la vie en société (principe de normalisation).
5. Il faudrait donner aux détenus l’occasion d’exercer des responsabilités personnelles dans la vie quotidienne en prison (principe de responsabilisation).
6. Une distinction claire devrait être faite entre les risques que les condamnés à perpétuité et les autres détenus de longue durée présentent pour la société, pour eux-mêmes, pour les autres détenus et pour les personnes qui travaillent dans la prison ou qui la visitent (principe de sécurité et de sûreté).
7. Il faudrait prendre en considération le fait que les condamnés à perpétuité et les autres détenus de longue durée ne devraient pas être séparés des autres prisonniers selon le seul critère de leur peine (principe de non-séparation).
8. La planification individuelle de la gestion de la peine à perpétuité ou de longue durée d’un détenu devrait viser à assurer une évolution progressive à travers le système pénitentiaire (principe de progression).
Planification de la peine
9. Pour atteindre les objectifs et principes généraux cités précédemment, il conviendrait d’élaborer des plans complets de déroulement de la peine pour chaque détenu. Ces plans devraient être préparés et élaborés dans la mesure du possible avec la participation active du détenu et, particulièrement vers la fin de la période de détention, en collaboration étroite avec les autorités assurant la prise en charge après la libération et les autres instances concernées.
10. Les plans de déroulement de la peine devraient comporter une évaluation des risques et des besoins de chaque détenu, et servir d’approche systématique pour:
- l’affectation initiale du détenu;- l’évolution progressive du détenu à travers le système pénitentiaire dans des conditions progressivement moins restrictives jusqu’à une étape finale, qui, idéalement se passerait en milieu ouvert, de préférence au sein de la société;- la participation au travail, à l’éducation, à la formation et à d’autres activités qui permettent de mettre à profit le temps en prison et de promouvoir les opportunités d’une bonne réinsertion après la libération;- l’intervention et la participation à des programmes conçus pour faire face aux risques et aux besoins, de manière à réduire les comportements perturbateurs en prison et la récidive après la libération; - la participation à des activités de loisirs et autres pour prévenir ou atténuer les effets néfastes de l’emprisonnement de longue durée;- les conditions et les mesures de prises en charge favorisant un mode de vie respectueux des lois, et l’adaptation à la communauté après une libération conditionnelle.
11. La planification de la peine devrait commencer aussi tôt que possible après l’entrée en prison et devrait être revue régulièrement et modifiée si nécessaire. (...)
Catégories spéciales de condamnés à perpétuité et d’autres détenus de longue durée
31. Une attention et des soins particuliers en termes de prise en charge devraient être apportés aux problèmes spécifiques posés par les détenus qui sont susceptibles de passer leur vie en prison. Il faudrait notamment que la planification de leur peine soit suffisamment dynamique et leur permette d’avoir accès à des activités constructives et à des programmes appropriés, incluant des interventions et un soutien psychosocial destinés à les aider à faire face à leur peine.
Préparation du retour à la société des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée
33. Pour aider les condamnés à la perpétuité et les autres détenus de longue durée à surmonter le problème particulier du passage d’une incarcération prolongée à un mode de vie respectueux des lois au sein de la société, leur libération devrait être préparée suffisamment à l’avance et prendre en considération les points suivants:
– la nécessité d’élaborer des plans spécifiques concernant la prélibération et la postlibération, prenant en compte des risques et des besoins pertinents;– la prise en compte attentive des possibilités favorisant une libération et la poursuite après la libération de tous programmes, interventions ou traitement dont les détenus auraient fait l’objet pendant leur détention;– la nécessité d’assurer une collaboration étroite entre l’administration pénitentiaire, les autorités assurant la prise en charge après la libération et les services sociaux et médicaux.
34. L’octroi et la mise en application de la libération conditionnelle pour les condamnés à la perpétuité et les autres détenus de longue durée devraient être guidés par les principes contenus dans la Recommandation Rec(2003)22 sur la libération conditionnelle. (...)
Projet d’exposé des motifs
Réclusion à perpétuité
11. Avec l’abolition de la peine de mort ou le moratoire sur celle-ci dans les Etats membres, la condamnation à perpétuité, qui est de durée indéterminée, est devenue la peine la plus lourde dont dispose le législateur. La perpétuité peut être appliquée dans la plupart des Etats membres, mais pas tous, pour les crimes graves qui portent atteinte à la vie et à la santé, ou à la sûreté de l’Etat (cf. paragraphe 10 ci-dessus). Dans la pratique, la mesure dans laquelle la perpétuité est prononcée dans les pays où cette peine existe varie considérablement. Malheureusement, le Comité n’a pas eu accès aux statistiques indiquant le nombre annuel de délinquants condamnés à la perpétuité chaque année sur une période de plusieurs années dans la majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe. De telles données ne sont pas disponibles non plus dans les statistiques comparatives internationales. Il est dès lors impossible de comparer les tendances qui se dégagent dans l’usage de la réclusion à perpétuité.
12. La condamnation à perpétuité est prévue par le droit de la majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe. La mesure dans laquelle ces peines peuvent être prononcées, et le sont effectivement, varie. La perpétuité n’implique pas nécessairement une incarcération pour le reste de la vie naturelle de la personne. La plupart des pays permettent de demander le réexamen des peines de prison à vie, et prévoient la possibilité d’accorder une libération. Ces possibilités sont exposées plus en détail ci-dessous. Le régime le plus élaboré en matière de condamnations à perpétuité est sans doute celui de l’Angleterre et du pays de Galles. La perpétuité y est obligatoirement prononcée en cas de meurtre (peine de perpétuité statutaire) et elle peut également l’être pour des crimes graves à l’encontre des personnes (peines de perpétuité discrétionnaires). Les peines de perpétuité statutaires sont assorties d’un "tariff" (période de sûreté) fixant le délai minimum avant qu’une libération conditionnelle puisse intervenir. Le "whole life tariff" signifie que la peine est trop longue pour être purgée au cours de la vie naturelle du détenu. De plus, depuis 1997, un délinquant déclaré coupable pour la deuxième fois de crimes sexuels ou violents graves est automatiquement condamné à perpétuité, à moins qu’il n’y ait des circonstances exceptionnelles justifiant d’y déroger (condamnation à perpétuité automatique).
13. A l’inverse, la législation de cinq pays d’Europe (Croatie, Norvège, Portugal, Slovénie et Espagne) ne prévoit pas de peines de prison à vie. En Croatie, la condamnation la plus lourde est une peine de 20 à 40 ans qui ne peut être infligée que dans des circonstances exceptionnelles. Une libération conditionnelle est envisageable quand la moitié ou, à titre exceptionnel, un tiers de la peine a été purgée. Seules trois personnes ont été condamnées à de telles peines exceptionnellement longues de 1998 à 2001. En Norvège, la peine la plus lourde est un emprisonnement d’une durée déterminée de 21 ans. La mise en liberté conditionnelle est possible après 12 ans. Au Portugal, la durée maximale d’une peine de durée déterminée est de 25 ans, voire 30 ans à titre exceptionnel. La législation slovène prévoit un maximum de 30 ans de prison, mais jamais une telle peine n’a encore été prononcée. Les détenus condamnés à plus de 15 ans peuvent bénéficier d’une mise en liberté conditionnelle après avoir purgé les trois-quarts de leur peine. En Espagne, la peine maximale est de 30 ans de prison. En Islande, la législation prévoit la réclusion à perpétuité, mais une telle peine n’a jamais été infligée depuis 1940.
14. Les différences entre les pays qui autorisent l’application d’une condamnation à perpétuité et ceux qui ne le font pas résultent de différences dans la manière dont ces Etats ont choisi de formuler leur politique pénale. La principale raison invoquée pour justifier le recours aux condamnations à perpétuité est qu’un régime répressif doit non seulement satisfaire à des exigences de justice, de proportionnalité, de clarté, de prévisibilité et de cohérence, mais aussi offrir une protection contre les crimes graves. Ces pays considèrent que certains délinquants doivent être incarcérés pour une durée indéfinie, voire même pour le reste de leur vie naturelle, dans la mesure où il existe des raisons de croire qu’ils continueront de commettre des crimes abominables. Les opposants à ce choix de politique pénale font valoir que les délinquants devraient être punis pour les crimes qu’ils ont commis, mais non pour ceux qu’ils pourraient commettre à l’avenir. Etant donné que la prédiction du comportement futur n’est jamais absolument certaine, il y a forcément toujours des résultats faussement positifs. L’existence de tels résultats faussement positifs soulève des doutes et des conflits éthiques relatifs aux exigences fondamentales de la justice, qui veulent que la culpabilité soit démontrée au-delà du doute raisonnable. Les opposants à la condamnation à perpétuité estiment par ailleurs qu’il reste à prouver que cette peine présente de réels avantages par rapport aux peines de prison extrêmement longues, mais de durée déterminée. Ce qui est certain c’est que les choix de politique pénale et la manière dont ils sont mis en oeuvre ont des conséquences profondes sur le nombre et le pourcentage de condamnés à perpétuité dans la population carcérale, et sur la manière dont il faut les traiter. Ainsi, par exemple, l’éventualité d’une sortie de prison à l’issue d’une période relativement limitée d’incarcération implique un effort de préparation à la libération, tandis que la perpétuité assortie d’une période de sûreté, exclut une telle préparation mais appelle, à terme, une préparation au décès en détention.
15. Les pourcentages de détenus purgeant des peines à perpétuité ("à vie") dans certains Etats membres sont présentés séparément dans le tableau 6.2 de la Statistique pénale annuelle (SPACE, voir le document PC-CP (2001) 12). Parmi ces pays, l’Irlande, l’Ecosse (13% chacun) et l’Angleterre et le pays de Galles et le Luxembourg (9% chacun) ont de loin les pourcentages les plus élevés. Une catégorie moyenne de 2 à 6% est constituée par l’Albanie, la Belgique, l’Italie, la Suède et la Turquie. Les pourcentages les plus faibles - moins de 1% - sont relevés en Bulgarie, en Estonie, en Lettonie, en Lituanie, en Moldova, aux Pays-Bas, en Roumanie, en Slovaquie et en “ex-République yougoslave de Macédoine”. Cependant, ces proportions ne suffisent pas à décrire le phénomène. En effet, le calcul du pourcentage de condamnés à perpétuité dans la population carcérale est influencé par la taille de la population carcérale totale (c’est-à-dire le diviseur dans le calcul du pourcentage). Les pays qui ont une forte population carcérale peuvent ainsi afficher un pourcentage relativement faible de prisonniers de longue durée, à l’inverse des pays à faible population carcérale.
16. Les pourcentages de condamnés à perpétuité vont de moins de 1% à 13%. Les statistiques transversales présentées dans le document de la Statistique pénale annuelle (SPACE) ne peuvent fournir que des informations sommaires et incomplètes sur la prévalence et l’incidence de la criminalité dans les différents pays. Et on peut se demander si la criminalité qui affecte les Etats constitue la principale explication pour les écarts considérables dans les pourcentages de condamnés à perpétuité. L’explication la plus vraisemblable est que les idéologies criminologiques et les politiques pénales qui en résultent génèrent de nettes différences dans le recours à l’incarcération en général et à la perpétuité en particulier.
Principes généraux concernant la gestion des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée
39. Le principe de sécurité et de sûreté requiert un examen attentif de la nature et du degré du danger que représentent des détenus condamnés à perpétuité ou à de longues peines. On pense souvent à tort que ces détenus sont forcément dangereux. Si l’on part de cette hypothèse erronée, la gestion de ces détenus sera, inévitablement, loin d’être exemplaire. Il est essentiel de déterminer soigneusement si un détenu représente un danger pour lui-même, pour ses codétenus, pour le personnel pénitentiaire ou pour la société, compte tenu du principe de l’individualisation. Cette évaluation de la nature et du degré du danger éventuel permet de décider du niveau de sécurité de l’établissement auquel doit être affecté le détenu, du changement de régime pénitentiaire, ou du programme spécifique à proposer au détenu.
43. Par conséquent, les descriptions de personnalité faisant intervenir les notions de violence et de dangerosité devraient toujours prendre en compte les environnements ou situations spécifiques dans lesquels ces traits de caractère risquent ou non de s’exprimer. Dans le cadre de la gestion des condamnés à perpétuité ou à de longues peines, il convient de bien faire la distinction entre les risques pour la sécurité et la sûreté dans la prison et les risques pour la collectivité en cas d’évasion. Ces différents types de risques devraient être pris en considération lors de la classification et du placement des condamnés à perpétuité ou à de longues peines. Une re-classification et des changements de placement devraient, de même, être réalisés quand une évolution des niveaux des risques pour la sécurité et la sûreté le permet.
44. Le principe de la progression souligne l’importance d’essayer de garantir un parcours bénéfique à travers le système pénitentiaire à tous les condamnés à perpétuité ou à de longues peines. Pendant la détention, la progression peut être un puissant antidote à la dégénéresence mentale en proposant des objectifs précis pouvant être atteints dans un délai prévisible. La progression favorise l’exercice croissant de la responsabilité et vise, à terme, à permettre au détenu de passer plus facilement de la vie en milieu carcéral à la vie en milieu libre.
Evaluation des risques et des besoins
56. Il convient non seulement d’évaluer la nature des risques, mais aussi de tenter d’identifier les formes de comportements qui conduisent les délinquants à commettre une infraction ou à persévérer dans leur comportement criminel. Ces comportements sont donc appelés besoins criminogènes. Il peut s’agir, par exemple, d’une recherche maladive des drogues, de l’alcool ou d’un contact sexuel avec des enfants, du besoin de prendre des risques, de jouir de l’approbation d’un groupe antisocial, la tendance à réagir de manière impulsive plutôt que de réfléchir aux conséquences de ses actes, ou de réagir aux frustrations par l’agression. Tout mode de pensée et toute manière de ressentir les choses qui sont étroitement liés au comportement criminel sont des besoins criminogènes. Dans la mesure où ceux-ci constituent des motivations profondes et fortes des actes de délinquance, il incombe aux administrations pénitentiaires de proposer des moyens de les modifier. Selon les recherches en cours, les outils les plus efficaces pour identifier et traiter les besoins criminogènes sont les programmes fondés sur les théories de la psychologie cognitive et de l’apprentissage social. Les administrations pénitentiaires devraient, dans toute la mesure du possible, proposer des programmes permettant aux détenus de se rendre compte de leurs besoins criminogènes et de prendre des mesures pour les neutraliser. (...)
71. Dans ses arrêts, la Cour européenne des Droits de l’Homme a souligné que la dangerosité n’était pas nécessairement une caractéristique permanente d’un délinquant[1]. Cette règle s’applique aussi bien à la période d’incarcération qu’à tout renvoi en prison dû au non-respect des conditions de la libération conditionnelle. En conséquence, chaque fois que la notion de dangerosité est invoquée, il conviendrait de prendre des dispositions pour déterminer si le caractère dangereux se maintient ou diminue. La même règle est valable pour les besoins criminogènes. En effet, ces besoins ne sont pas nécessairement stables et permanents. La dangerosité et les besoins criminogènes peuvent changer au cours du temps, pour diverses raisons. Il arrive donc qu’une évaluation des risques et des besoins faite à un moment donné ne soit plus valable ultérieurement. Par conséquent, il conviendrait de répéter les évaluations périodiquement, ou lorsque les circonstances l’exigent. (...)
Préparation du retour à la société des condamnés à perpétuité et autres détenus de longue durée
130. Les principes régissant l’octroi et la mise en œuvre de la libération conditionnelle sont contenus dans la Recommandation Rec(2003)22 sur la libération conditionnelle. Cette recommandation et son exposé des motifs sont, pour les raisons données ci-dessous, un complément essentiel au présent projet de recommandation. En outre, la Règle 5 des Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté a récemment été amendée pour qu’une prise en charge de durée indéterminée puisse s’accompagner de garanties satisfaisantes pour assurer son application équitable[2]. La Règle 5 amendée est à l’évidence très pertinente pour la gestion des détenus condamnés à des peines de longue durée ou à la réclusion à perpétuité. Même les délinquants potentiellement dangereux peuvent être libérés et prises en charge à vie dans la collectivité. La prise en charge à vie peut être continue ou intermittente. Dans ce dernier cas, il s’agit d’une prise en charge qui peut reprendre si le comportement du détenu libéré soulève des inquiétudes.
131. La Recommandation Rec(2003)22 énonce le principe selon lequel tous les détenus, à l’exception de ceux purgeant des peines extrêmement courtes, devraient avoir la possibilité de bénéficier d’une libération conditionnelle. Ce principe s’applique aussi, selon les termes de la Recommandation, aux condamnés à perpétuité. Il convient cependant de noter qu’il s’agit seulement de la possibilité d’octroyer une libération conditionnelle aux condamnés à perpétuité, et que cela ne doit pas être systématique. La Recommandation contient également une disposition prévoyant que l’instance qui accorde ou refuse la liberté conditionnelle doit être une autorité ou institution mandatée par la loi et manifestement impartiale et indépendante. Une telle autorité est souvent désignée sous le nom d’organe « quasi-judiciaire ».
133. A l’heure actuelle, les mécanismes d’octroi de la libération conditionnelle aux condamnés à perpétuité sont les suivants. Tous les pays prévoient une libération des condamnés à perpétuité pour motif de compassion. Nous n’examinerons pas cette forme spéciale de libération dans le présent rapport. Dans la majorité des pays, les détenus peuvent être libérés pour des motifs autres que la compassion, par une mesure de clémence du chef de l’Etat, une décision du gouvernement ou d’un ministre du gouvernement, les conclusions d’une révision judiciaire ou la décision ou la recommandation d’un comité de libération conditionnelle, qui peut être ou non de nature quasi-judiciaire. L’octroi ou le refus de la libération conditionnelle peut aussi faire l’objet d’une décision judiciaire. La question de la garantie de la cohérence de la prise de décision est traitée dans la Rec(2003)xxx sur la libération conditionnelle.
134. Dans les pays où la décision formelle de libération appartient au Président ou à un monarque, elle est généralement prise à la demande du gouvernement. La pratique suivant laquelle un gouvernement ou un ministre du gouvernement prend une décision finale pour soustraire quelqu’un à la réclusion à perpétuité (ou exerce une influence décisive dans la prise de décision) a été critiquée par l’opinion publique de certains pays. Les détracteurs de ce système font valoir que les décisions de ce genre sont fréquemment influencées par la couleur politique du gouvernement au pouvoir. Un gouvernement ayant une politique de clémence peut succéder à un gouvernement ayant une politique restrictive, et vice versa. Il est également permis de se demander dans quelle mesure il est conforme à la Convention européenne des droits de l’homme[3] que ce soit l’exécutif et non un tribunal qui décide d’accorder une libération. Les détracteurs de ce système en concluent que la libération discrétionnaire des détenus, tout comme leur condamnation, est l’affaire des tribunaux et pas celle de l’exécutif. Ces courants d’opinion semblent être à l’origine de la décision de repenser la procédure de révision des condamnations à perpétuité.
135. Depuis le 1er juillet 2001, une nouvelle législation sur la libération conditionnelle des condamnés à perpétuité est entrée en vigueur au Danemark. Antérieurement, la décision finale de libérer les condamnés à perpétuité appartenait à la Couronne. La nouvelle législation vise à garantir que les condamnations à la perpétuité fassent l’objet d’une révision à intervalles réguliers et que, surtout dans certaines circonstances, la décision finale appartienne à un tribunal et non à une instance politique. La première révision doit intervenir après 12 ans d’incarcération. Elle est confiée aux services centraux de l’administration pénitentiaire qui tiennent compte des avis du parquet, de l’administration pénitentiaire locale et, pour l’évaluation de la dangerosité présumée, d’une commission de contrôle médical. Les décisions positives fixent la date de la libération conditionnelle et énoncent les conditions dont elle est assortie. Les décisions négatives exposent en détail les motifs pour lesquels la liberté conditionnelle ne peut être accordée. Toutefois, si après 14 ans d’incarcération ils n’ont pas bénéficié d’une décision leur accordant la liberté conditionnelle, les détenus ont le droit de demander qu’un tribunal révise leur situation. Le tribunal le plus proche de la prison où le détenu purge sa peine décide de la mise en liberté conditionnelle d’un détenu. Un tribunal régional peut examiner les décisions négatives en appel.
136. En Suède, la Commission sur la réclusion à perpétuité est en train d’étudier s’il convient d’amender la législation actuelle, qui permet au gouvernement de commuer les peines de prison à perpétuité en peines de durée déterminée. (Une fois que la condamnation à perpétuité a été commuée en peine à temps, les règles ordinaires de la libération conditionnelle s’appliquent, à savoir que la libération conditionnelle est automatiquement accordée une fois que le détenu a purgé les deux-tiers de sa peine). La commission a recommandé qu’en principe, tous les condamnés à perpétuité puissent être libérés. Elle a également recommandé qu’un tribunal, et non pas le gouvernement, décide de l’opportunité et du moment de la libération des condamnés à perpétuité. Cette recommandation prévoit aussi la possibilité d’interjeter appel auprès d’instances supérieures. Afin de garantir la cohérence des décisions, la commission a recommandé que seul le tribunal de première instance de Stockholm puisse décider de la libération conditionnelle des condamnés à perpétuité. La commission a également proposé que des critères spécifiques, devant être ancrés dans la législation, guident les prises de décision concernant la libération des détenus.
137. En Finlande, la Commission des peines carcérales a fait des propositions, en 2001, sur la libération conditionnelle des condamnés à perpétuité. La législation pour la mise en application de ces propositions sera présentée au Parlement en automne 2003. Le contenu de ces propositions est le suivant : Tout condamné à perpétuité devrait pouvoir prétendre à la libération conditionnelle. L’administration pénitentiaire soumettrait, peu avant que le détenu ait purgé douze ans de sa peine, un avis positif ou négatif à la Cour d’Appel d’Helsinki, qui déciderait de l’octroi de la libération conditionnelle. Une décision négative de la Cour donnerait lieu, après un intervalle de deux ans, à un nouvel avis de l’administration pénitentiaire et une nouvelle décision de la Cour.
[1] Jugements X c. Royaume Uni du 5 novembre 1981; Weeks c. Royaume Uni du 2 mars 1987; Thynne, Wilson et Gunnell c. Royaume Uni du 25 octobre 1990.
[2] Voir la Recommandation Rec(2000)22 concernant l’amélioration de la mise en œuvre des Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté et l’exposé des motifs relatif au nouveau libellé de la Règle 5.
[3] Cette question a fait l’objet du Jugement de la Cour européenne des droits de l’homme Stafford c. Royaume-Uni du 24 avril 2002.