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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
29.1.2004
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE HALIL DOĞAN c. TURQUIE

(Requête no 49503/99)

ARRÊT

STRASBOURG

29 janvier 2004

DÉFINITIF

14/06/2004

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Halil Doğan c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

  1. G. Ress, président,

I. Cabral Barreto,
L. Caflisch,
P. Kūris,
R. Türmen,
B. Zupančič,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 janvier 2004,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 49503/99) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, Halil Doğan (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 mai 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me A.B. Çağlar, avocat à Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.

3. Le 28 novembre 2000, la Cour (première section) a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer le restant de la requête au Gouvernement.

4. Par une lettre du 29 juillet 2002, la Cour a informé les parties qu'elle se prononcerait, en application de l'article 29 §§ 1 et 3 de la Convention, tant sur la recevabilité que sur le fond de la requête.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5. Le requérant, Halil Doğan, est un ressortissant turc né en 1981. Lors de l'introduction de la requête, il était détenu à la prison d'Ankara.

6. Le 12 juillet 1996, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue par des policiers de la section anti-terrorisme de la Direction de sûreté d'Ankara.

7. Le 23 juillet 1996, il fut interrogé par la police. Il ressort du dossier qu'il ne répondit à aucune question et s'abstint de signer le procès-verbal établi en conséquence.

8. Le 25 juillet 1996, après avoir été entendu par le procureur de la République près la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara (« le procureur » – « la cour de sûreté de l'Etat »), le requérant fut traduit devant le juge assesseur de cette juridiction, lequel ordonna sa mise en détention provisoire.

9. Par un acte d'accusation du 12 août 1996, le procureur inculpa le requérant pour appartenance à une bande armée, le TIKB (Union des communistes révolutionnaires de Turquie). Il requit à son encontre l'application des articles 168 § 2 du code pénal et 5 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme.

10. Par un arrêt du 10 mars 1998, la cour de sûreté de l'Etat, composée de trois magistrats de carrière dont l'un relevant de la magistrature militaire, déclara le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés. Elle le condamna à une peine d'emprisonnement de quatorze ans, cinq mois et dix jours.

11. Le 28 décembre 1998, la Cour de cassation confirma l'arrêt attaqué.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

12. Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans les arrêts Özel c. Turquie (no 42739/98, §§ 20-21, 7 novembre 2002) et Gençel c. Turquie (no 53431/99, §§ 11-12, 23 octobre 2003).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

13. Le requérant allègue que la cour de sûreté de l'Etat qui l'a jugé et condamné ne constitue pas un « tribunal indépendant et impartial » qui eût pu lui garantir un procès équitable en raison de la présence d'un juge militaire en son sein.

Par ailleurs, dans ses observations écrites du 16 septembre 2002, le requérant se plaint de n'avoir pas pu interroger un témoin à charge.

Il y voit une violation de l'article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention qui, en ses parties pertinentes, se lit ainsi :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)

(...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

(...) »

A. Sur la recevabilité

1. Sur l'indépendance et l'impartialité de la cour de sûreté de l'Etat

14. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter, pour non-respect du délai de six mois prévu à l'article 35 de la Convention, le grief relatif au manque d'indépendance et d'impartialité de la cour de sûreté de l'Etat. Il fait valoir que la décision interne définitive, concernant ce grief, est celle rendue par la cour de sûreté de l'Etat. A cet égard, il soutient que la Cour de cassation n'était nullement habilitée à se prononcer sur celui-ci, et, de ce fait le pourvoi ne constituait pas un recours interne efficace pour remédier à la situation dénoncée. Il en conclut que le requérant aurait dû introduire sa requête dans les six mois à partir de la date à laquelle l'arrêt de la cour de sûreté de l'Etat a été rendu, à savoir le 10 mars 1998. Or, il souligne que la requête a été introduite le 28 mai 1999. Il fait référence à la jurisprudence de la Cour (entre autres, Bayram et Yıldırım c. Turquie (déc), no 38587/97, 29 janvier 2002, et Irfan Kalan c. Turquie (déc), no 73561/01, 2 octobre 2001).

15. La Cour rappelle qu'elle a rejeté une exception semblable dans l'affaire Özdemir c. Turquie (no 59659/00, § 26, 6 février 2003). Elle n'aperçoit aucun motif de déroger à sa précédente conclusion et rejette donc l'exception du Gouvernement.

16. La Cour estime, à la lumière des critères qui se dégagent de sa jurisprudence (voir notamment Çıraklar c. Turquie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998VII) et compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, que ce grief doit faire l'objet d'un examen au fond. Elle constate en outre que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.

2. Sur la non-interrogation d'un témoin à charge

17. La Cour relève, comme le souligne le Gouvernement, que le grief invoqué par le requérant ne lui a pas été soumis pour examen lors de l'introduction de la requête le 28 mai 1999. Il s'agit d'un nouveau grief formulé, en tant que tel, pour la première fois par le requérant dans ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête en date du 16 septembre 2002. Or, la Cour rappelle que la décision interne définitive, dans le cas d'espèce, est celle rendue par la Cour de cassation le 28 décembre 1998.

18. Il s'ensuit que la présentation de cette partie de la requête s'avère tardive et que celle-ci doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

B. Sur le fond

19. La Cour a traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 6 § 1 de la Convention (voir Özel précité, §§ 33-34, et Özdemir précité, §§ 3536).

20. La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n'a fourni aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle constate qu'il est compréhensible que le requérant, qui répondait devant une cour de sûreté de l'Etat d'infractions prévues et réprimées par le code pénal, ait redouté de comparaître devant des juges parmi lesquels figurait un officier de carrière appartenant à la magistrature militaire. De ce fait, il pouvait légitimement craindre que la cour de sûreté de l'Etat se laissât indûment guider par des considérations étrangères à la nature de sa cause. Partant, on peut considérer qu'étaient objectivement justifiés les doutes nourris par le requérant quant à l'indépendance et à l'impartialité de cette juridiction (Incal c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998IV, § 72 in fine).

21. La Cour conclut que, lorsqu'elle a jugé et condamné le requérant, la cour de sûreté de l'Etat d' Ankara n'était pas un tribunal indépendant et impartial au sens de l'article 6 § 1.

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

22. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage matériel et moral

23. Le requérant allègue avoir subi des préjudices matériel et moral qu'il évalue, respectivement, à 104 375 euros (EUR) et 50 000 EUR.

24. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

25. En ce qui concerne le dommage matériel allégué, la Cour ne saurait spéculer sur le résultat auquel la procédure devant la cour de sûreté de l'Etat aurait abouti si l'infraction à la Convention n'avait pas eu lieu. Il n'y a donc pas lieu d'accorder au requérant une indemnité à ce titre (Findlay c. Royaume-Uni, arrêt du 25 février 1997, Recueil 1997-I, § 85).

26. Quant au préjudice moral, la Cour estime que, dans les circonstances de l'espèce, le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante (Çıraklar précité, § 49).

27. Lorsque la Cour conclut que la condamnation d'un requérant a été prononcée par un tribunal qui n'était pas indépendant et impartial au sens de l'article 6 § 1, elle estime qu'en principe le redressement le plus approprié serait de faire rejuger le requérant en temps utile par un tribunal indépendant et impartial (Gençel précité, § 27).

B. Frais et dépens

28. Le requérant, sans toutefois chiffrer sa demande ni apporter de justificatifs, sollicite le remboursement de ses frais et dépens.

29. Le Gouvernement ne se prononce pas.

30. Compte tenu des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour, statuant en équité, accorde au requérant 1 500 EUR à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré du manque d'indépendance et d'impartilaité de la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en raison du manque d'indépendance et d'impartialité de la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara ;

3. Dit que le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral ;

4. Dit

a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ou toutes autres charges fiscales exigibles au moment du versement, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 janvier 2004 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Georg Ress
Greffier Président