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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
16.9.2003
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 36378/02
présentée par Abdul-Vakhab SHAMAYEV et 12 autres
contre la Géorgie et la Russie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 16 septembre 2003 en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
L. Loucaides,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
M. Ugrekhelidze,
A. Kovler, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 4 octobre 2002,

Vu la mesure provisoire indiquée le 4 octobre 2002 au gouvernement géorgien en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour et prorogée le 5 novembre 2002,

Vu la mesure provisoire indiquée le 17 juin 2003 au gouvernement russe en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour,

Vu les observations et informations soumises par les gouvernements défendeurs et celles présentées en réponse par les représentantes des requérants,

Vu l’audience sur la recevabilité de la requête qui s’est tenue
le 16 septembre 2003 au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg,

Vu les observations orales présentées par les parties au cours de cette audience et leurs commentaires en réponse aux questions des juges,

Après en avoir délibéré le 16 septembre 2003, rend la décision que voici, adoptée à cette dernière date :

EN FAIT

Les requérants sont treize personnes d’origines tchétchène et kist[1] qui prétendent se nommer MM. Abdul-Vakhab Shamayev, Ruslan Mirjoev alias Ruslan Gelogayev, Adlan (Aldan) Usmanov alias Akhmed Magomadov, Islam Khashiev alias Rustam Elikhadjiev alias Bekkhan Mulkoev, Khamzad(t) Movlievich Isiev (Isaev) alias Khamzat Movlitgalievich Isaev, Ruslan Tepsaev alias Robinzon Margoshvili, Timur (Ruslan) Baemurzaev (Baimurzaev) alias Khusein Alkhanov, Khusein Khadjiev (Khadjaev, Khajiev), Husein Aziev, Seibul (Feisul) Baisarov alias Giorgi Kushtanashvili, Rizvan (Rezvan) Visitov, Aslan Khanoev alias Aslanbeg Khanchukayev et Adlan (Aslan) Adaev (Adiev), nés respectivement en 1975, 1958, 1955, 1979, 1972, 1967, 1975, 1975, 1973, 1976, 1977, 1981 et 1968. (La Cour se référera aux noms de famille cités en premier ci-après).

Les requérants Shamayev, Khadjiev, Aziev, Visitov et Adaev, extradés le 4 octobre 2002 de la Géorgie vers la Russie, furent placés les 17 et 18 octobre 2002 dans une prison d’instruction préparatoire (« SIZO », ci-dessous) de la ville A, région de Stavropol. Le lieu de leur détention entre les 4 et 17-18 octobre 2002 demeure inconnu. Le 26 juillet 2003, les requérants Shamayev, Khadjiev, Visitov et Adaev furent transférés dans une SIZO de la ville B de la région de Stavropol. Selon le gouvernement russe, à une date indéterminée, le requérant Aziev aurait également été transféré et placé dans la même SIZO. Toutefois, tel qu’il ressort de certaines pièces du dossier, le requérant Azeiv n’aurait pas fait l’objet du transfert et demeurerait détenu toujours dans la SIZO de la ville A.

Les requérants Mirjoev, Usmanov, Khashiev, Isiev, Baemurzaev, Baisarov et Khanoev, sept requérants n’ayant pas été extradés en Russie le 4 octobre 2002, sont maintenus en détention dans la prison no 5 de Tbilissi (Géorgie). M. Tepsaev, sixième requérant non extradé, fut libéré sur-le-champ suite au prononcé du jugement d’acquittement du 8 avril 2003. Il est actuellement soumis à un contrôle judiciaire.

Les requérants sont représentés devant la Cour par Mes Mukhashavria et Dzamukashvili, avocates associées.

Les pouvoirs émis au nom de Mes Mukhashavria et Dzamukashvili par les requérants non extradés sont datés du 4 octobre 2002 et signés par ces requérants. Le 4 août 2003, en vue de l’audience sur la recevabilité, ces mêmes requérants, à l’exception du requérant Tepsaev, émirent des pouvoirs au nom de Me Kintsurashvili également.

A. La genèse de l’affaire et la procédure devant la Cour

Le 4 octobre 2002, onze personnes d’origine tchétchène, se nommant à cette époque Abdul-Vakhab Shamayev, Ruslan Mirjoev, Adlan (Aldan) Usmanov, Islam Khashiev, Khamzad(t) Isiev (Isaev), Ruslan Tepsaev, Timur (Ruslan) Baemurzaev (Baimurzaev), Khusein Khadjiev (Khadjaev, Khajiev), Husein Aziev, Seibul (Feisul) Baisarov et Rizvan (Rezvan) Visitov, détenus à Tbilissi (Géorgie) et représentées par Mes Mukhashavria et Dzamukashvili, saisirent la Cour d’une requête préliminaire contestant leur extradition en cours vers la Russie. Les requérants soutenaient que leur extradition serait contraire aux articles 2 et 3 de la Convention. Ils demandèrent qu’en application de l’article 39 du règlement de la Cour, la procédure de leur extradition soit suspendue, que leur requête soit examinée et que la Cour demande aux autorités russes de fournir des informations concernant leur sort en cas d’extradition.

Le 4 octobre 2002, le vice-président de la deuxième section de la Cour, à laquelle l’affaire a été attribuée, décida d’indiquer au gouvernement géorgien, en application de l’article 39 du règlement de la Cour, qu’il était souhaitable, dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure devant la Cour, de ne pas extrader les requérants vers la Russie avant que la chambre ait la possibilité d’examiner la requête à la lumière des informations que le gouvernement géorgien fournirait. Celui-ci fut invité à soumettre, avant le 14 octobre 2002, des informations quant aux motifs de l’extradition des requérants, ainsi qu’aux mesures que le gouvernement russe prendrait à leur égard. Il fut également décidé de communiquer la requête en urgence au gouvernement russe en vertu de l’article 40 du règlement. Le 8 octobre 2002, le vice-président de la deuxième section informa celle-ci de sa décision du 4 octobre 2002 qui fut approuvée par la chambre à l’unanimité.

Le 9 octobre 2002, les conseils des requérants confirmèrent que leur requête visait tant la Géorgie que la Russie. Elles informèrent également la Cour que le soir même du 4 octobre 2002, l’extradition de cinq requérants avait eu lieu et que, sur le fondement de la décision de la Cour, la procédure d’extradition des autres avait été suspendue. Le 9 octobre 2002, M. Aslan Khanoev, douzième personne détenue à Tbilissi, ainsi que M. Adlan (Aslan) Adaev (Adiev), extradé le 4 octobre 2002, saisirent également la Cour d’une requête du même contenu. Leurs plaintes furent jointes au dossier des autres requérants. Le 22 octobre 2002, les représentantes des requérants soumirent à la Cour, conformément à l’article 47 du règlement, un formulaire de requête dirigée contre la Géorgie et la Russie.

Le 23 octobre 2002, la Cour invitait le gouvernement russe à soumettre le nom et l’adresse du lieu de détention des requérants extradés. Dans sa lettre en réponse datée du 1er novembre 2002, le représentant de la Fédération de Russie soutenait que l’information concernant le lieu de détention des requérants extradés était confidentielle et serait ultérieurement communiquée à la Cour. En échange, celle-ci devrait « assumer la responsabilité des conséquences négatives que la révélation non autorisée de cette information pourrait entraîner ». Ainsi, le gouvernement russe requit de la Cour des garanties écrites que l’adresse du lieu de détention des requérants extradés ne serait pas « indûment dévoilée ». Selon lui, de telles précautions auraient été indispensables pour garantir la sécurité des requérants lors de l’instruction préparatoire.

Le 5 novembre 2002, la Cour décida de proroger, à l’égard de huit requérants détenus à Tbilissi, la mesure provisoire accordée aux requérants le 4 octobre 2002 jusqu’à ce que la Cour ait la possibilité d’examiner l’affaire après sa mise en état. Il fut également décidé de communiquer la requête aux gouvernements défendeurs, de la traiter par priorité conformément à l’article 41 du règlement de la Cour et de confier au Président de section la responsabilité personnelle pour protection de la confidentialité des informations à soumettre par le gouvernement russe concernant le lieu de détention de cinq requérants extradés. Le gouvernement russe fut à nouveau invité à soumettre, avant le 24 novembre à minuit, le nom et l’adresse précis du lieu de détention des requérants extradés, ainsi que les coordonnées de leurs avocats.

Le 11 novembre 2002, le gouvernement russe soumit à la Cour les photocopies des photographies des requérants extradés. A la demande de la Cour, le 23 novembre 2002, il produisit leurs originaux. Le 14 novembre 2002, dans les conditions de stricte confidentialité et aux soins personnels du Président de section, le gouvernement russe soumit à la Cour l’adresse précise de la SIZO de la ville A, région de Stavropol, où tous les cinq requérants extradés étaient détenus à ce moment.

Le 19 novembre 2002, le gouvernement russe soumit à la Cour ses engagements vis-à-vis des requérants extradés, ainsi que vis-à-vis des huit requérants détenus à Tbilissi au cas où ils seraient extradés. Le gouvernement russe s’engagea que la peine de mort ne leur serait pas infligée, que leurs sécurité et santé seraient protégées, que l’accès à des traitements et consultations médicaux leur serait garanti sans aucune entrave, que l’accès à l’assistance et la consultation juridiques leur serait garanti sans aucune entrave, que l’accès à la Cour, ainsi que la libre correspondance avec elle, leur serait garanti sans aucune entrave, que l’accès aux requérants serait garanti à la Cour sans aucune entrave, y compris la libre correspondance avec les requérants et une éventuelle mission d’inspection.

Dans ses observations déposées les 23 et 25 novembre 2002, le gouvernement géorgien demanda la levée de la mesure provisoire estimant qu’il disposait de toutes les garanties nécessaires de la part du gouvernement russe en ce qui concernait le sort de huit requérants en cas de leur extradition. Le gouvernement géorgien soutint que l’identification des requérants détenus à Tbilissi était toujours en cours. Il produisit les photographies de ces requérants. En revanche, le gouvernement géorgien soutint que les photographies des requérants extradés figuraient dans des dossiers transmis aux autorités russes au moment de l’extradition et ne pouvaient pas être soumises à la Cour.

Au vu des garanties offertes par le gouvernement russe le 19 novembre 2002 et considérant que la question du respect de ces engagements, ainsi que les questions relatives à la procédure de l’extradition en Géorgie seraient appréciées lors de l’examen ultérieur de la requête, le 26 novembre 2002, la Cour décida de ne pas proroger l’application de l’article 39 du règlement. Vu la sensibilité de l’affaire, ainsi que son impact politique et l’intérêt porté à la requête par différents particuliers et journalistes, il fut également décidé de reconnaître la confidentialité vis-à-vis du public pour l’ensemble du dossier.

Le 6 décembre 2002, les requérants Mirjoev, Khashiev et Baemurzaev saisirent la Cour d’une demande d’application de l’article 39 du règlement visant la suspension de leur extradition, décidée le 28 novembre 2002. Le jour même, le Président de section intérimaire décida de ne pas indiquer au gouvernement géorgien la mesure provisoire sollicitée.

Le 17 juin 2003, la Cour décida de tenir une audience sur la recevabilité de la requête. Les 20 et 21 août 2003, le gouvernement géorgien et les représentantes des requérants soumirent à la Cour des documents en vue de l’audience. Le 21 août 2003, le gouvernement russe informa la Cour « qu’il n’était pas possible de soumettre à la Cour, avant l’audience, les documents à invoquer par les comparants, mais qu’il n’était pas exclu que ces documents apparaîtraient en cours de l’audience ». Toutefois, les 1er, 5 et 15 septembre, le gouvernement soumit des documents requis.

B. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties peuvent se résumer comme suit.

Le gouvernement géorgien soutient qu’entre les 3 et 5 août 2002, deux groupes de treize personnes d’origine tchétchène franchirent illégalement la frontière russo-géorgienne. Arrêtés par la police des frontières géorgienne au poste de contrôle du village de Guirevi, ces personnes furent soumises à un contrôle d’identité. Les noms des requérants qui prétendaient se nommer Abdul-Vakhab Shamayev, Ruslan Mirjoev, Adlan (Aldan) Usmanov, Islam Khashiev, Khamzad(t) Isiev (Isaev), Ruslan Tepsaev, Timur (Ruslan) Baemurzaev (Baimurzaev), Khusein Khadjiev (Khadjaev, Khajiev), Husein Aziev, Seibul (Feisul) Baisarov, Rizvan (Rezvan) Visitov, Aslan Khanoev et Adlan (Aslan) Adaev (Adiev) furent ainsi relevés. Au moment de l’arrestation, les requérants Shamayev, Visitov et Adaev auraient été en possession de leurs passeports russes.

Les requérants, qui portaient sur eux des mitraillettes et des grenades, auraient volontairement rendu les armes à la police des frontières géorgienne. Ils furent mis en examen par les autorités géorgiennes du chef de violation des règles douanières (article 214 § 4 du code pénal), de port illégal et de trafic d’armes (article 236 §§ 1, 2 et 3 du même code) et de franchissement illégal de frontière (article 344 § 2 du même code). Transférés à Tbilissi, les requérants séjournèrent d’abord à l’hôpital pénitentiaire central et furent détenus par la suite au ministère de la Sécurité de Géorgie. L’instruction fut conduite par la direction d’investigation de ce ministère.

Les 6 et 7 août 2002, saisi par l’autorité d’instruction du ministère de la Sécurité, le tribunal de première instance de Tbilissi prononça le placement en détention préventive des requérants pour trois mois. C’est à ce moment-là également que le transfert des requérants à la prison no 5 de Tbilissi fut ordonné par le tribunal. Aux termes des ordonnances de placement en détention préventive, les requérants seraient tous de nationalité russe. Cette mesure de détention préventive fut plusieurs fois prolongée à l’égard des requérants non extradés jusqu’à la clôture de l’information.

Le 6 août 2002, M. Oustinov, Procureur général de la Fédération de Russie se rendit en urgence à Tbilissi et rencontra son homologue géorgien. Il déposa auprès des autorités géorgiennes une demande d’extradition de treize Tchétchènes arrêtés. Ces personnes étant mises en examen en Géorgie et la documentation présentée par les autorités russes à l’appui de la demande de leur extradition ayant été jugée insuffisante par le Parquet général géorgien, celui-ci refusa d’extrader les requérants. Notamment, il fut considéré que la demande d’extradition ne satisfaisait pas aux exigences de la loi géorgienne et du droit international dans le domaine de l’assistance mutuelle dans les affaires criminelles. Le Parquet général géorgien requit que le côté russe présente des documents à l’appui de sa demande, ainsi qu’une lettre de garanties concernant la non-application de la peine capitale à l’égard des extradés, ainsi que le respect de leurs droits à ne pas être soumis à une torture ou à un traitement inhumain ou dégradant.

Les 12, 19 août et 30 septembre 2002, les autorités russes fournirent à leurs homologues géorgiens les documents requis. A savoir, l’ordonnance de mise en examen des requérants par le service déconcentré du Parquet général fédéral en Tchétchénie (1), l’avis de recherche des requérants émis par les autorités russes (2), la décision judiciaire de mise en détention préventive des requérants (3), ainsi que des extraits de l’affaire pénale diligentée contre les requérants et faisant état des charges retenues contre eux (4). Le gouvernement géorgien soumet à la Cour les copies des documents précités, sauf ceux énumérés au point 4. Selon lui, les documents concernant la procédure pénale engagée contre les requérants auraient été classés « confidentiels » par les autorités russes en vue de la bonne administration de la justice.

Tel qu’il ressort des pièces du dossier, les poursuites pénales contre les requérants auraient été engagées par le Parquet général russe le 28 juillet 2002. Selon les documents soumis par le gouvernement géorgien, c’est le 8 août 2002, soit après l’arrestation des requérants en Géorgie, que ceux-ci auraient été mis en examen par les autorités russes du chef de violation de la frontière de la Fédération de Russie perpétrée en juillet 2002 avec utilisation de violence et de menace de violence, du chef de participation aux groupes armés illégalement institués, du chef de meurtre et d’atteinte à l’intégrité physique des membres des forces armées fédérales russes, commis également en juillet 2002, ainsi que du chef d’achat, de transfert, de vente, de recel, de transport ou de port illégal d’armes commis par un groupe. Le 16 août 2002, le tribunal de première instance de Staropromislovsk de la ville de Grozniy prit des ordonnances de mise en détention préventive à l’égard de chacun des requérants individuellement. Le 22 septembre 2002, les chefs d’accusation retenus contre les requérants le 8 août 2002, furent redéfinis et élargis par les autorités russes. Ils furent également mis en examen du chef de terrorisme.

Le 27 août 2002, M. Zaytsev, adjoint du Procureur général russe adressa une lettre au Procureur général géorgien dans laquelle il soutint que le moratoire quant à la peine capitale était en vigueur en Fédération de Russie et que, conformément à la décision de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie en date du 2 février 1999, dans aucune entité fédérale, nul ne pouvait être condamné à mort par aucun tribunal.

Par lettre du 27 septembre 2002, M. Kolmogorov, le Procureur général russe par intérim informait le Procureur général géorgien que les requérants étaient mis en examen en Fédération de Russie du chef d’atteinte à l’intégrité physique des agents des organes d’ordre public (passible de la réclusion perpétuelle ou de la peine de mort, voir ci-dessous, l’article 317 du code pénal russe), d’organisation des formations illégales armées et participation à ses formations dans des circonstances aggravantes (passible d’une privation de liberté jusqu’à cinq ans, l’article 208 § 2 du même code), de trafic d’armes dans des circonstances aggravantes (passible d’une privation de liberté de deux à six ans, l’article 222 § 2 du même code) et de franchissement illégal des frontières de la Fédération de Russie dans des circonstances aggravantes (passible d’une privation de liberté jusqu’à cinq ans, l’article 322 § 2 du même code). Outre ces chefs, les requérants étaient également inculpés d’avoir commis des actes de terrorisme et de banditisme dans des circonstances aggravantes (passibles d’une privation de liberté de huit à vingt ans, articles 205 § 3 et 209 § 2 du code pénal russe). Le Procureur général russe soutint dans la même lettre que « le Parquet général de la Fédération de Russie garantissait à la partie géorgienne que, conformément aux normes du droit international, ces personnes bénéficieront de tous les droits de défense prévus par la loi, dont du droit à l’assistance d’un avocat, ne seraient pas soumis à la torture ou à des traitements ou peines cruels, inhumains ou portant atteinte à la dignité humaine ». Il rappelait aux autorités géorgiennes que, « depuis 1996, le moratoire était appliqué à l’exécution de la peine capitale, ce qui garantissait aux personnes à extrader de ne pas être condamnées à mort ».

Suite à l’examen des documents soumis par les autorités russes, des informations fournies par le ministère de la Sécurité de Géorgie, ainsi que des preuves saisies au moment de l’arrestation, le Parquet général de Géorgie identifia, en premier lieu, les cinq requérants : Abdul-Vakhab fils d’Akhmed Shamayev, Khosiin fils de Khamid Khadjaev, Husein fils de Muhamed Aziev, Rezvan fils de Vakhid Visitovv et Adlan fils de Lechi Adaev (l’orthographe des noms est celle figurant sur les décisions d’extradition du 2 octobre 2002). Vu la gravité des charges retenues contre ces personnes en Fédération de Russie, le 2 octobre 2002, le vice-procureur général de Géorgie prit la décision de leur extradition. La procédure d’extradition de huit autres détenus revendiqués par la Russie resta pendante. Le 3 octobre 2002, le Parquet général géorgien demanda au département pénitentiaire du ministère de la Justice de remettre aux autorités russes cinq personnes concernées. Leur transfert de la prison fut prévu pour le 4 octobre 2002 à 9 heures. Or, les avocats, les proches et les représentants de la minorité tchétchène de Géorgie obstruèrent les alentours de la prison et organisèrent une manifestation. Le 3 octobre 2002, un avocat des requérants apparut à la télévision pour appeler à l’opposition au processus d’extradition. Afin d’éviter un désordre public, ainsi qu’une confrontation entre les forces de sécurité et les manifestants, les autorités géorgiennes durent prendre des mesures spéciales de sécurité. Ainsi, ce n’est qu’à 22h 10 du soir du 4 octobre 2002 que les cinq requérants précités furent extradés vers la Russie.

Par lettre du 8 octobre 2002, le Procureur général russe informait le représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour que les autorités russes avaient fourni à leurs homologues géorgiens toutes les garanties nécessaires quant au sort des requérants en cas de leur extradition. Selon le Procureur général russe, « cinq sur treize terroristes tchétchènes ayant été transmis » le 4 octobre 2002, « le côté géorgien prolongeait l’extradition des autres personnes revendiquées sans fondement et au seul motif que leur identité devait être établie ».

Le 16 octobre 2002, le vice procureur général de la Fédération de Russie remerciait le Parquet général de Géorgie « pour avoir donné la suite favorable à l’extradition de cinq terroristes ». Il l’informait que, à leur arrivée en Fédération de Russie, les extradés avaient été examinés par les médecins et « leur état de santé était reconnu satisfaisant », que des avocats avaient été « admis », que les actes d’instruction étaient conduits « dans les conditions de stricte conformité avec les exigences de la législation de procédure pénale de la Fédération de Russie et qu’il existait des documents prouvant leur nationalité russe ». Le vice procureur général russe soutenait dans sa lettre que « le côté géorgien pourrait envoyer à la Cour Européenne des Droits de l’Homme les documents pertinents relatifs à la demande d’extradition sans pour autant suspendre la procédure d’extradition des autres détenus ». Il réitérait la garantie, « maintes fois fournie aux autorités géorgiennes, que les requérants ne seraient pas condamnés à la peine capitale, ne feraient pas l’objet de tortures, de traitements ou peines inhumains, cruels ou dégradants, conformément aux articles 2 et 3 de la Convention et au Protocole no 6 ». Le vice procureur général russe informait son homologue géorgien qu’une procédure d’identification des requérants détenus à Tbilissi avait été conduite en Russie par moyen de photographies et que ces requérants avaient été identifiés en tant qu’auteurs de l’attaque armée contre la garde des frontières russe ayant eu lieu le 27 juillet 2002 dans le district d’Itoum-Kalinsk de la République de Tchétchénie. Le vice procureur général russe garantissait que « d’autres procédures d’identification exhaustives seraient entreprises dès leur extradition », ces mesures complémentaires d’identification n’ayant pu être accomplies en absence des requérants. En conclusion, le vice procureur général russe requérait de son homologue géorgien l’extradition des huit requérants détenus à Tbilissi en application des articles 56, 67 et 80 de la Convention du 22 janvier 1993 relative à l’assistance juridique et aux relations juridiques dans les affaires civiles, matrimoniales et pénales (dite la « Convention de Minsk »).

Le 28 octobre 2002, le Parquet général russe adressa à nouveau aux autorités géorgiennes les documents portant la mise en examen de MM. Mirjoev, Khashiev et Baemurzaev et requit leur extradition. Les avocates attirèrent l’attention de la Cour sur le fait que, à ce moment là, ces trois requérants avaient déjà démenti ces patronymes en affirmant qu’ils ne constituaient pas leurs vrais noms.

Le 29 octobre 2002, M. Gabrichidzé, Procureur général de Géorgie répondit à son homologue russe et soutint que les ordonnances de mise en détention préventive prises par les autorités russes à l’égard de huit requérants détenus à Tbilissi mentionnaient des noms qui ne constituaient pas leurs vrais noms et que, par conséquent, les autorités géorgiennes s’emploieraient d’abord à établir leurs identités avant de consentir à leur extradition. M. Gabrichidzé affirmait que, « à la différence de cinq personnes extradées le 4 octobre 2002 », les noms de six personnes, revendiquées par la partie russe, « suscitaient de sérieux doutes » chez les organes d’enquête géorgiens. Il mettait également son homologue au courant du fait que les demandes d’extradition de deux des détenus étaient rédigées au nom de Tepsaev et de Baisarov, alors que les personnes revendiquées sous ces noms s’appelaient en réalité Margoshvili et Kushtanashvili. Ils étaient nés en Géorgie et non pas en Tchétchénie. Enfin, le Procureur général géorgien regrettait que « les autorités russes insistassent sur l’extradition de MM. Tepsaev et Baemurzaev, alors qu’elles savaient que « Tepsaev » n’était pas Tepsaev et que « Baemurzaev » n’était pas Baemurzaev ». Pour lui, ce fait jetait également un doute sur la véracité des données fournies par les autorités russes au sujet des autres personnes revendiquées.

Entre les 1er et 4 novembre 2002, la Cour régionale de Tbilissi prolongea la détention préventive des requérants détenus à Tbilissi jusqu’aux 6 et 7 février 2003.

Le 21 novembre 2002, les requérants Mirjoev, Usmanov, Khashiev, Isiev, Baemurzaev, Baisarov et Khanoev s’adressèrent au Président de Géorgie et à la Présidente du Parlement de Géorgie en demandant de ne pas être extradés vers la Fédération de Russie. Ils soutinrent qu’ils étaient « absolument sûrs qu’ils seraient soumis à une torture et à des traitements inhumains par les autorités russes, militaires et autres, et qu’ils seraient fusillés sans aucun tribunal ».

Mes Mukhashavria et Dzamukashvili soupçonnent que deux des requérants extradés sont décédés dans des conditions inconnues peu après leur arrivée en Fédération de Russie. Les proches des requérants prétendument décédés auraient sollicité en vain la remise des corps par les autorités russes. Dans la formule de requête, les avocates font mention d’un certain Husein Yusupov, personne d’origine tchétchène, qui, détenu au ministère de la Sécurité de Géorgie jusqu’à la fin septembre, aurait disparu par la suite. Selon les autorités géorgiennes, il aurait été libéré. Selon les avocates, fin septembre, M. Yusupov aurait appelé sa mère pour qu’elle vienne le retrouver à la sortie de la prison. Venue au rendez-vous, la mère n’aurait pas vu son fils sortir de la prison. Selon les avocates, il se pourrait que M. Yusupov ait été remis aux autorités russes « hors-circuit » et serve à « remplacer » un des requérants prétendument décédés.

Le 15 octobre 2002, le ministère des Affaires étrangères de « la République tchétchène d’Itchkérie » fit une déclaration affirmant que, le 5 octobre 2002, M. Husein Aziev, un des requérants extradés, avait trouvé la mort suite aux sévices infligés.

En réponse, dans sa lettre du 18 octobre 2002 adressée au Président de la Cour, le représentant de la Fédération de Russie démentit cette information et soutint que tous les requérants extradés, dont M. Aziev, étaient sains et saufs et en bonne santé et qu’ils étaient détenus dans de bonnes conditions dans une des SIZO de la région de Stavropol. Le 23 octobre 2002, la greffière de section demanda au gouvernement russe l’adresse exacte de cet établissement en vue de correspondre directement avec les requérants concernés.

Le 24 octobre 2002, les mères de huit requérants détenus à Tbilissi adressèrent à la Cour une pétition et demandèrent que leurs fils ne soient pas extradés vers la Russie. Elles considèrent qu’en cas d’extradition, ils seront soumis « aux tortures et à la cruauté de la part des autorités russes, ce qui ne nécessite point d’être prouvé aux yeux du monde entier ».

Les 4 et 5 décembre 2002, les avocates des requérants réitéraient leur doute concernant le décès du requérant Aziev. Elles demandèrent à la Cour de dévoiler l’adresse du lieu de détention des requérants extradés afin qu’elles puissent leur rendre visite. Les avocates attirèrent en outre l’attention de la Cour sur le fait que, suite à la violence subie dans la nuit du 4 octobre 2002, le requérant Baemurzaev aurait été hospitalisé avec une fracture de la mâchoire, alors que le requérant Usmanov souffrirait de la déchirure de l’oreille. Quant au requérant Aziev, extradé par la suite, ne voulant pas quitter la cellule, il aurait été battu sans merci par les Spetsnaz (forces à désignation spéciale) géorgiens. Tout ensanglanté, le requérant Aziev aurait été « traîné dans le couloir à coups de bâtons et d’électrochoc » et il aurait été « grièvement blessé à l’oeil ».

Les avocates attirent l’attention de la Cour sur le fait que, malgré la garantie fournie par le gouvernement russe à la Cour, elles, avocates des requérants extradés, n’ont toujours pas accès à leurs clients et ne connaissent même pas l’adresse du lieu de leur détention. Selon elles, le fait que le gouvernement russe exige de garder dans le secret l’adresse du lieu de détention des requérants extradés jette un doute sur l’affirmation qu’ils sont « en bonne santé et détenus dans de bonnes conditions ». Aux yeux des avocates, le fait d’exiger de la Cour de rendre l’adresse du lieu de détention des requérants extradés confidentielle va à l’encontre des garanties fournies par le gouvernement russe et les vide de sens. Aussi, les avocates se disent sérieusement préoccupées par le sort du requérant Aziev qui n’était pas apparu à la télévision, alors même que les séquences de l’extradition avaient été diffusées par les media. Elles estiment qu’il aurait pu trouver la mort pendant ou juste après l’extradition.

C. Identités des requérants

Le 11 novembre 2002, le gouvernement russe informa la Cour qu’au jour de l’arrestation par les autorités géorgiennes, six requérants détenus à Tbilissi s’appelaient Khanoev Aslan Suleymanovich (1), Mirjoev Ruslan Magomedovich (2), Usmanov Adlan Lechievich (3), Baimurzaev Timur Sultanovich (4), Khashiev Islam Sultanovich (5) et Isaev Khamzat Golidokovich (6). C’est lors de la finalisation des documents relatifs à leur extradition que la défense aurait modifié les noms de ces requérants en leur attribuant respectivement les noms suivants : Khanchukayev Aslanbeg Atuevich (1), Gelogayev Ruslan Akhmedovich (2), Magomadov Akhmed Lechievich (3), Alkhanov Khusein Mauladinovich (4), Elikhadjiev Rustam Osmanovich (5) et Isaev Khamzat Movlievich (6). Selon le gouvernement russe, ceci confirme le fait que ces requérants, introduisant une requête à la Cour, ne tendaient pas à faire respecter leurs droits et libertés, mais à induire les autorités géorgiennes et russes en erreur afin de rejeter la responsabilité pénale leur incombant.

Le 1er novembre 2002, tout en faisant référence à la double identité de six requérants, le Parquet général russe requérait à nouveau des autorités géorgiennes leur extradition, au motif que ces personnes étaient de nationalité russe, qu’en Fédération de Russie, une procédure pénale était en cours à leur encontre, et qu’une mesure de mise en détention préventive avait été prononcée à leur égard.

A ce propos, les requérants Mirjoev et Baemurzaev informèrent la Cour que, lors de leur placement dans la prison no 5 de Tbilissi le 7 août 2002, ils avaient été photographiés. Ensuite, lorsque les pièces de leurs dossiers pénaux constitués en Russie leur furent apportés par les avocats en prison, sur « le Protocole en vue de l’identification de la personne recherchée», ils virent figurer ces mêmes photographies du 7 août 2002. Me Mukhashavria a également expressément relevé ce fait lors de l’audience du 16 septembre 2003. Elle attira également l’attention de la Cour sur le fait que les noms, les dates de naissance et autres éléments d’identité des requérants tels qu’ils figuraient sur les demandes réitérées de leur extradition, ainsi que sur les documents délivrés par les autorités russes (les mandats d’arrêts internationaux, décisions de mise en examen et autres) changeaient au fil du temps et évoluaient, entre août et novembre 2002, selon les noms que donnaient les requérants eux-mêmes. Ceci ressort également des documents produits par le gouvernement géorgien aux différents moments. Les avocates affirment que, vu l’origine des requérants, leurs noms et prénoms n’avaient aucune importance, qu’ils étaient d’emblée considérés comme des tueurs et terroristes par les autorités russes et devaient leur être absolument transmis.

Selon le requérant Khashiev, « dès qu’un Tchétchène franchit la frontière russo-géorgienne, les autorités géorgiennes en informent leurs homologues russes qui, elles, s’empressent d’envoyer en Géorgie un dossier pénal fabriqué au nom de la personne concernée ».

Les avocates attirent en outre l’attention de la Cour sur le fait que les ordonnances de mise en examen prises par les autorités russes à l’encontre de chaque requérant séparément sont entièrement identiques. Seuls les noms des inculpés diffèrent. Les requérants non extradés y figurent sous leurs noms inventés qu’ils démentirent peu après l’extradition de cinq d’entre eux. Ainsi, aux yeux des avocates, les autorités russes auraient mis en examen des personnes qui leur avaient fourni des noms inventés. Aussi, tel qu’il ressort des lettres des requérants résumées ci-dessous, le Parquet général russe aurait soumis aux autorités géorgiennes pour identification les photographies des requérants prises antérieurement par ces mêmes autorités géorgiennes et envoyées à Moscou.

1. Le requérant Tepsaev alias Margoshvili demeurant en Géorgie

Les avocates soumettent à la Cour une lettre du 13 novembre 2000 écrite en géorgien et signée par le requérant Tepsaev qui affirme qu’il s’appelle en réalité Robinzon Margoshvili et qu’il est de nationalité géorgienne. Il soutient qu’en août 2002, il avait été blessé dans les pâturages frontaliers, alors qu’il surveillait ses moutons. Il avait été transporté par des bergers dans une hutte d’abord et ensuite à l’hôpital de Tbilissi. C’est là qu’un enquêteur lui aurait rendu visite et lui aurait fait signer une déposition affirmant qu’il avait été armé au moment de l’arrestation. Transféré à l’hôpital pénitentiaire, il se vit infliger une mesure de détention préventive. Le requérant Tepsaev affirme qu’il n’était pas armé au moment de l’arrestation, qu’il ne commit aucune infraction ni sur le territoire géorgien ni sur celui de la Russie et s’oppose à son extradition.

Entre les 28 octobre et 1er novembre 2002, une délégation du Parlement européen effectua une visite en Géorgie et en Fédération de Russie afin d’étudier la situation dans la vallée de Pankissi (région frontalière entre la Géorgie et la République tchétchène de la Fédération de Russie). Les membres de la délégation se rendirent à l’hôpital pénitentiaire de Tbilissi et visitèrent un des huit requérants non extradés. Le requérant se présenta comme M. Margoshvili. Il soutint qu’il avait été berger du village de Drouissi dans la vallée de Pankissi et qu’il était d’origine kist. Il ne portait apparemment pas de traces de violence.

2. Le requérant Isiev alias Isaev détenu à Tbilissi

Dans sa lettre adressée à la Cour, le requérant Isiev soutient qu’il est de nationalité russe d’origine tchétchène, mais qu’il ne peut pas rentrer en Fédération de Russie vu « le génocide du peuple tchétchène auquel procède la Russie à l’échelle de tout le pays ». Il s’oppose à son extradition, puisque « ceci vaudrait sa mort », mais si l’extradition s’imposait, il souhaite être extradé vers « n’importe quel pays démocratique où règne un Etat de droit » et qui ne le transmettra pas aux autorités russes. M. Isiev affirme qu’il s’appelle en réalité Isaev Khamzat Movlitgalievich et qu’il avait modifié le nom de son père Movlitgali, ainsi que sa date de naissance et son adresse pour ne pas mettre en danger sa famille restée en Russie.

M. Isiev relate que, le 4 octobre 2002, il franchit la frontière tchétchéno-géorgienne. Il était accompagné des requérants Aziev, Visitov, Shamayev et Khadjiev. Blessés, les requérants auraient demandé aux habitants locaux d’appeler au secours la garde des frontières géorgienne. M. Isiev soutient que lui-même nécessitait une aide médicale d’urgence. Les requérants auraient rendu leurs armes à la garde des frontières géorgienne qui les aurait transférés à Tbilissi. M. Isiev aurait été opéré et transféré par la suite dans la prison no 5. Mi-septembre, des agents du parquet lui auraient apporté des papiers à signer sans qu’il n’ait le temps d’en prendre connaissance. En réponse à son refus de signer, il aurait été menacé d’être renvoyé en Russie. L’assistance d’un avocat lui aurait été refusée.

M. Isiev soutient qu’à 3 heures du matin le 4 octobre 2002, il avait été ordonné aux requérants de quitter leur cellule. Vu qu’ils le refusaient, un groupe de Spetsnaz aurait investi la cellule et, en utilisant la force, les en aurait sortis. Le lendemain, M. Isiev aurait appris par les media que cinq de ses codétenus avaient été extradés. Parmi eux, il reconnut à la télévision les requérants Adaev, Visitov, Khadjiev et Shamayev. Il affirme que le requérant extradé Aziev n’apparut pas à la télévision.

3. Le requérant Baemurzaev alias Alkhanov détenu à Tbilissi

Dans sa lettre adressée à la Cour, le requérant Timur Baemurzaev affirme s’appeler Khusein Alkhanov et se dit de nationalité russe d’origine tchétchène. Il soutient, à l’instar du requérant Isiev, que dans le cas de son extradition, il risque « l’anéantissement physique vu le génocide perpétré contre le peuple tchétchène en Russie ». Il affirme avoir délibérément changé son nom pour ne pas mettre sa famille en danger.

M. Baemurzaev soutient qu’il franchit la frontière géorgienne avec les requérants Khasheiv, Khanoev, Mirjoev, Usmanov et Adaev et rendit ses armes aux autorités géorgiennes. Celles-ci avaient transféré deux requérants blessés à l’hôpital et les autres en prison. A un moment indéterminé, ces six requérants avaient été placés dans une cellule de la prison no 5. Quant au matin du 4 octobre 2002, M. Baemurzaev expose les mêmes faits que les requérants Baisarov et Khanoev (voir les points 4 et 5 ci-dessous). Il affirme également qu’à la télévision (dont les requérants disposaient dans leur cellule), il vit les requérants extradés à l’exception du requérant Aziev.

4. Le requérant Baisarov alias Kushtanashvili détenu à Tbilissi

Dans sa lettre datée du 13 novembre 2002, le requérant Baisarov informe la Cour qu’il se nomme en réalité Giorgi Kushtanashvili et qu’il est de nationalité géorgienne. Il relate que, le 4 octobre 2002 à 5 heures du matin, le chef de la prison était venu voir les détenus tchétchènes et leur avait ordonné de sortir de leur cellule pour une fouille. Les requérants s’étonnèrent qu’une « fouille » ait lieu en pleine nuit et affirmèrent qu’ils ne quitteraient leur cellule qu’en présence de leurs avocats. Le chef de la prison répondit qu’il n’y aurait « ni avocat ni enquêteur et qu’il fallait sortir de la cellule de pleine gré avant qu’il n’utilise la force ». Vu le refus des requérants, un groupe de Spetsnaz fut appelé. M. Baisarov soutient que, la veille, les requérants avaient entendu à la télévision que « les détenus tchétchènes seraient extradés ». Les requérants ignoraient pour autant quels détenus parmi eux étaient concernés. Souhaitant voir leurs avocats pour connaître les détails de la décision du parquet, ainsi que pour envisager différents moyens juridique ou politique pour éviter l’extradition, les requérants refusaient de quitter la cellule. Le chef de la prison continuait d’assurer qu’il s’agissait d’une fouille. Finalement, les noms des requérants à extrader furent annoncés. Ceux-ci refusaient de quitter la cellule, mais le Spetsnaz y entra armé « de bâtons en caoutchouc et d’électrochoc » et les sortit tous dans le couloir. M. Baisarov témoigne que le requérant Aziev avait été violemment frappé à la tête, que le sang coulait sur le front et qu’un oeil lui était pratiquement sorti de l’orbite. Quand M. Baisarov l’entrevit la dernière fois, un membre de Spetsnaz « le traînait dans le couloir tel un cadavre ». M. Baisarov estime que, ainsi battu, le requérant Aziev pourrait être déjà mort.

5. Le requérant Khanoev alias Khanchukayev détenu à Tbilissi

Le requérant Khanoev Aslan soutient qu’il s’appelle en réalité Khanchukayev Aslanbeg et qu’il est de nationalité russe d’origine tchétchène. Il attire l’attention de la Cour sur le fait qu’il ne peut pas rentrer en Fédération de Russie vu « le génocide du peuple tchétchène auquel procède la Russie à l’échelle de tout le pays ». Il s’oppose à son extradition vers ce pays, puisque ceci vaudrait sa mort. Si l’extradition était tout de même inévitable, il souhaite être extradé vers « n’importe quel pays démocratique où règne un Etat de droit ». M. Khanoev affirme qu’il avait dissimulé son vrai nom pour que ses parents restés en Fédération de Russie « ne soient mis en danger par les autorités russes ».

M. Khanoev soutient qu’il franchit la frontière géorgienne avec les requérants Khasheiv, Baemurzaev, Mirjoev, Usmanov et Adaev et avait rendu ses armes aux autorités géorgiennes. Celles-ci avaient transféré deux requérants blessés à l’hôpital et les autres en prison. A un moment indéterminé, ces six requérants furent placés dans une cellule de la prison no 5 de Tbilissi où sept autres requérants étaient déjà détenus. Un jour, ils auraient été tous visités par les agents du Parquet général qui avaient exigé d’eux la signature d’un certain nombre de documents. Dans le cas de refus de signature, les requérants avaient été menacés d’extradition. Ils n’auraient pas pu consulter les papiers qu’ils signèrent. Aucun des requérants n’aurait été mis au courant qu’une décision d’extradition avait été prise. Peu avant le 4 octobre 2002, ils auraient appris par la télévision que « les détenus tchétchènes allaient être extradés ». Le matin du 4 octobre 2002, les requérants auraient été sortis de leur cellule « par les Spetsnaz en cagoule à coups de bâtons et d’électrochoc ». Ils auraient été collés sur le sol et, sous les coups, leurs noms leur étaient demandés. C’est ainsi que les requérants à extrader auraient été choisis. Les autres auraient été mis à l’isolement séparément dans différentes cellules. Le lendemain, les requérants restés à Tbilissi auraient vu à la télévision leurs codétenus extradés à l’exception du requérant Aziev.

6-8. Les requérants Mirjoev alias Gelogayev, Usmanov alias Magomadov et Khasheiv alias Elikhadjiev alias Mulkoev, détenus à Tbilissi

Le requérant Mirjoev présente à la Cour une copie de sa carte de réfugié établie le 1er février 2002 par les autorités géorgiennes au nom de Ruslan Gelogayev, son vrai patronyme, avec une validité d’un an. Selon ce document, M. Mirjoev est de nationalité russe.

Les requérants Usmanov Adlan (1), Khashiev Islam alias Elikhadjiev Rustam (2) et Mirjoev Ruslan (3) soutiennent qu’ils s’appellent en réalité Magomadov Akhmed (1), Mulkoev Rustam (Mukoev Bekkhan, selon les données recueillies lors de l’audience du 16 septembre 2003) (2) et Gelogayev Ruslan (3) et qu’ils sont de nationalité russe d’origine tchétchène. Ils attirent l’attention de la Cour sur le fait qu’ils ne peuvent pas rentrer en Fédération de Russie vu « le génocide du peuple tchétchène auquel procède la Russie à l’échelle de tout le pays ». Ils s’opposent à leur extradition vers ce pays, puisque ceci vaudrait leur mort. Si l’extradition s’imposait tout de même, ils souhaitent être extradés vers « n’importe quel pays démocratique où règne un Etat de droit ». Les trois requérants informent la Cour qu’ils dissimulèrent leurs vrais noms pour éviter le danger à leurs familles et proches restés en Russie.

Le requérant Khasheiv expose les mêmes faits que le requérant Khanoev en ce qui concerne le matin du 4 octobre 2002 en prison (voir le point 5 ci-dessus). Il affirme également ne pas avoir vu le requérant Aziev à la télévision, alors que certains moments de l’extradition de ses codétenus avaient été diffusés par les media géorgiens. De surcroît, il se dit persuadé que les requérants extradés ne sont point des terroristes, mais que « les autorités russes qualifient tout Tchétchène de terroriste et, par moyen de papiers fabriqués, réussissent à démontrer facilement sa culpabilité ». Aux yeux de M. Khasheiv, « la seule culpabilité des requérants extradés consiste à être Tchétchènes ».

Le requérant Mirjoev relate les événements du matin du 4 octobre 2002 tels qu’exposés dans la lettre du requérant Khanoev (voir le point 5 ci-dessus). De surcroît, il informe la Cour que, parmi les cinq Tchétchènes extradés, quatre seulement étaient détenus dans la cellule avec eux et que le requérant Adaev avait été extradé à partir de l’hôpital pénitentiaire. Le fait que le requérant Adaev ne fut pas transféré à l’aéroport à partir de la prison transparaît également des lettres des autres requérants qui citent parmi leurs codétenus extradés seulement les requérants Shamayev, Visitov, Khadjiev et Aziev.

Lors de l’audience du 16 septembre 2003, le gouvernement géorgien soutint que, suite aux recherches et travaux d’identification, les vrais noms de la grande majorité des requérants non extradés avaient été établis. Ainsi, selon le gouvernement géorgien, les requérants Ruslan Tepsaev et Seibul Baisarov s’appellent en réalité Robinzon Margoshvili et Giorgi Kushtanashvili. Ils sont de nationalité géorgienne. Les requérants Timur Baemurzaev, Ruslan Mirjoev et Aslan Khanoev s’appellent respectivement Husein Alkhanov, Ruslan Gelogayev et Aslanbeg Khanchukayev. Les requérants Khamzat Isiev et Adlan Usmanov s’appellent respectivement Khamzat Isaev et Akhmed Magomagov. Les requérants Isaev, Khanoev alias Khanchukayev, Baemurzaev alias Alkhanov, Usmanov alias Magomadov et Mirjoev alias Gelogayev sont des personnes d’origine tchétchène, probablement de nationalité russe.

Quant au requérant Islam Khashiev, il avait prétendu s’appeler d’abord Ruslan Elikhadjiev et, plus tard, Bekkhan Mulkoev. La détermination de sa véritable identité serait toujours en cours. Le 24 août 2003, le Parquet général de Géorgie informait les représentantes des requérants que les documents pertinents concernant le requérant Khashiev alias Elikhadjiev alias Mulkoev avaient été envoyés au Parquet général russe en vue de l’identification définitive de cette personne.

Lors de l’audience, Me Mukhashavria soumit également les noms ci-dessus en qualité de vrais noms de ses clients non extradés.

Le gouvernement géorgien produit un témoignage du procureur du Département des relations internationales du Parquet général de Géorgie à qui le requérant Khanoev aurait expliqué qu’il était entré en Géorgie en août 2002 afin de s’y réfugier et que, à cause de son arrestation, il n’avait pas eu le temps de s’enregistrer auprès des autorités chargées des questions de réfugiés. Quant au requérant Usmanov, il aurait affirmé qu’il bénéficiait d’un statut de réfugié en Géorgie de 1999 à 2001, mais que, au moment de l’enregistrement obligatoire des réfugiés en avril 2002, le ministère des Réfugiés lui avait refusé le renouvellement de ce statut pour cause d’insuffisance de documents.

9-13. Les requérants Shamayev, Adaev, Aziev, Visitov et Khadjiev extradés vers la Fédération de Russie le 4 octobre 2002

Le 15 novembre 2002, l’instructeur Kourbanov, chargé d’affaires « particulièrement importantes » prit des ordonnances relatives à « l’établissement de l’identité de l’accusé » à l’égard des requérants extradés, Adaev, Aziev, Visitov et Khadjiev séparément. Aux termes de ces ordonnances, formulées en des termes identiques, « lors de l’enquête, ont été reçus des documents dont les passeports » prouvant que les accusés en question sont Adaev Aslan Lechievich, né le 22 juillet 1968 dans le village d’Orekhovo du district d’Atchkhoy-Martan ; Aziev Khusein Mukhidovich né le 28 septembre 1973 dans le village de Rochni-Tchou du district d’Ourous-Martan ; Visitov Rizvan Vakhidovich, né le 1er octobre 1977 dans le village de Goyty du district d’Ourous-Martan, et Khadjiev Khusein Khamitovich, né le 8 novembre 1975 dans le village de Smachki du district d’Atchkhoy-Martan. « Ces données furent en outre confirmées par les accusés eux-mêmes, ainsi que par d’autres pièces des dossiers ». Par conséquent, il fut décidé de « considérer Adaev Adlan Lecheevich, accusé, comme Adaev Aslan Lechievich » ; de « considérer Aziev Khusein Mukhamedovich, accusé, comme Aziev Khusein Mukhidovich », de « considérer Visitov Rezvan Vakhidovich, accusé, comme Visitov Rizvan Vakhidovich (...) », et de « considérer Khadjaev Khosein Khamidovich, accusé, comme Khadjiev Khusein Khamitovich », Le gouvernement russe ne soumet pas le même type de document qui aurait été établi dans le cas du requérant Shamayev, première personne extradée.

A l’audience du 16 septembre 2003, le gouvernement russe soutint que les vrais noms des requérants extradés se présentaient comme suit : Shamayev Abdul-Vakhab Akhmedovich né en 1975 en République tchétchène (Fédération de Russie), Adayev Aslan Lechievich né en 1968 en République tchétchène, Aziyev Khusein Mukhidovich né en 1973 en République tchétchène, Visitov Rizvan Vakhidovich né en 1977 en République tchétchène, et Khadjiyev Khusein Khamitovich né en 1975 en République tchétchène. Ils sont de nationalité russe. Le gouvernement russe n’estime pas qu’il soit en outre nécessaire de rechercher leur origine ethnique. Les identités telles que présentées ci-dessus seraient établies à l’aide des passeports de ces requérants, de leurs propres dépositions lors des interrogatoires, ainsi que des dépositions de différents témoins.

Quant au gouvernement géorgien, lors de l’audience du 16 septembre 2003, il affirma que les identités de cinq requérants extradés, telles qu’elles avaient été établies avant leur extradition, ne prêtaient à aucun doute. Il produisit devant la Cour un grand nombre de documents relatifs à tous les requérants, y compris la correspondance avec la partie russe et l’historique de l’évolution de chacune des treize affaires d’extradition. Parmi ces documents, figurent des copies des passeports russes des requérants extradés Abdul-Vakhab Shamayev, Aslan Adaev et Rezvan Visitov. Tel qu’il ressort des « protocoles d’identification des personnes » dressés par les autorités russes en date des 13, 15 et 17 août 2002, différentes photographies des personnes de sexe masculin ont été soumises à des militaires russes et à deux habitants de Grozniy, capitale tchétchène, en vue de l’identification de certains requérants. Ces personnes indiquèrent qu’elles identifiaient sur ces photographies quatre boyeviks (combattants) tchétchènes qu’elles avaient déjà vus. Dans trois cas sur quatre, elles furent en mesure d’indiquer uniquement leurs prénoms. Dans le quatrième cas, elles identifièrent un boyevik sans pouvoir indiquer ni son nom ni son prénom. Les protocoles conclurent par conséquent que des personnes d’origine tchétchène nommés Adaev, Aziev, Visitov et Khadjiev avaient été identifiées sur les photographies présentées. Les copies de ces photographies dont dispose la Cour étant de très mauvaise qualité, il est quasiment impossible de les comparer avec les photographies des requérants soumises à la Cour par les deux gouvernements défendeurs.

D. La représentation des requérants

Les requérants non extradés devant la Cour

En vertu des pouvoirs datés des 4 octobre 2002, les huit requérants non extradés sont dûment représentés devant la Cour par Mes Mukhashavria et Dzamukashvili. En vertu des pouvoirs datés du 4 août 2003, ces requérants, à l’exception du requérant Tepsaev, sont également représentés par Me Kintsurashvili.

La représentation des requérants extradés devant la Cour

Jusqu’au 4 octobre 2002, jour de leur extradition, les requérants Khadjiev, Adaev et Aziev étaient représentés devant les juridictions géorgiennes par Me G. Gabaïdzé, le requérant Visitov par Me R. Khidjakadzé et le requérant Shamayev par Me G. Tchkhatarashvili. Ces avocats étaient rémunérés par la présidence de la communauté tchétchène-kist de Géorgie (voir, les contrats d’assistance juridique des 5 et 6 août 2002).

Dans leurs lettres adressées à la Cour, Mes Gabaïdzé, Khidjakadzé et Tchkhatarashvili exposent que, le 4 octobre 2002 à 9 heures du matin, ils apprirent par la télévision que leurs clients tchétchènes étaient menacés d’extradition. Ils s’empressèrent de les rencontrer, mais l’administration pénitentiaire leur dénia l’accès à la prison. « Ne sachant pas comment agir devant la Cour de Strasbourg », Mes Gabaïdzé, Khidjakadzé et Tchkhatarashvili demandèrent à Mes Mukhashavria et Dzamukashvili de saisir la Cour européenne des Droits de l’Homme au nom de leurs clients. Or, Mes Mukhashavria et Dzamukashvili ne furent pas admises non plus en prison pour prendre des pouvoirs émis à leurs noms. Par conséquent, en urgence et en accord avec la présidence de la communauté tchétchène-kist de Géorgie, Mes Gabaïdzé, Khidjakadzé et Tchkhatarashvili établirent des actes de délégation du pouvoir au profit de Mes Mukhashavria et Dzamukashvili.

Le 22 novembre 2002, affirmant que les requérants extradés n’avaient pas d’avocats de leur choix en Fédération de Russie, Mes Mukhashavria et Dzamukashvili envoyèrent par télécopie des pouvoirs établis à leurs noms. Les signatures sur les pouvoirs auraient été apposées par les requérants eux-mêmes le 22 novembre 2002 et obtenues à l’aide des personnes d’origine tchétchène vivant en Russie ou, dans certains cas, apposées par les membres de la famille de ces requérants vivant en Russie.

Les avocates exposent que, le 28 octobre 2002, elles s’adressèrent à l’Ambassade de la Fédération de Russie en vue de l’obtention des visas pour pouvoir rendre visite à leurs clients extradés. Elles furent verbalement informées que, pour obtenir un visa, il leur fallait une invitation écrite de l’établissement pénitentiaire où leurs clients étaient détenus. Le 29 octobre 2002, les avocates s’adressèrent à M. Laptev, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour, en sollicitant son aide. Il leur fut expliqué qu’aucune réponse ne s’ensuivrait sans indication de la Cour. Les avocates demandèrent alors à la Cour de leur communiquer l’adresse du lieu de détention des requérants et d’intervenir auprès des autorités russes pour que celles-ci leur octroient un visa. Les avocates réitérèrent la même demande le 13 janvier 2003 soutenant qu’elles ne disposaient toujours d’aucune information concernant leurs clients extradés.

Le 5 décembre 2002, le gouvernement russe soutint devant la Cour que les pouvoirs émis par les requérants extradés au nom de Mes Mukhashavria et Dzamukashvili ne faisaient mention que de la Géorgie en qualité de l’Etat défendeur. Ainsi, ces avocates ne pouvaient pas prétendre être représentantes des requérants extradés devant la Cour dans la partie de la requête dirigée contre la Russie. En outre, le gouvernement russe releva que ces pouvoirs n’étaient pas certifiés par l’établissement pénitentiaire concerné et étaient, par ce simple fait aussi, nuls et non avenus. Le gouvernement russe informa la Cour du fait que, selon la législation russe, un avocat étranger n’avait la capacité d’accomplir ses fonctions de défense en Fédération de Russie ni lors de l’instruction préparatoire ni devant les juridictions judiciaires. Toutefois, ces avocates géorgiennes, « après avoir sollicité le Parquet général russe, pourraient, théoriquement, rendre visite aux requérants extradés ». Le gouvernement russe rappela que « la question était régie par la législation russe et ne pouvait pas faire l’objet de l’examen par la Cour européenne ». Il affirma que, « les prétendus conseils » L. Mukhashavria et M. Dzamukashvili qui « soutenaient les terroristes internationaux en Fédération de Russie n’étaient pas considérées par les autorités russes comme les représentantes des requérants devant la Cour et ne seraient pas contactées par les autorités russes en cette qualité ». En conclusion, le gouvernement russe demanda à la Cour de refuser à ces avocates le pouvoir de représenter les requérants devant elle. Le gouvernement russe réitéra ses garanties quant au libre accès à l’assistance des avocats donné aux requérants extradés et proposa « de fournir à la Cour tout bon service pour arranger les contacts avec les requérants extradés ».

Le 17 juin 2003, la Cour a décidé d’indiquer au gouvernement russe, en application de l’article 39 du règlement de la Cour, de donner aux avocates Mukhashavria et Dzamukashvili, le libre accès à cinq requérants détenus en Russie afin que ceux-ci leur donnent des instructions avant l’audience. L’accès aux requérants extradés ne fut pas donné à ces avocates.

Le 4 août 2003, Me Mukhashavria adressa au représentant de la Fédération de Russie une lettre en lui demandant de lui faciliter, en vertu de la décision de la Cour du 17 juin 2003, les démarches liées à l’obtention d’un titre d’entrée en Russie, ainsi qu’à la visite des requérants en prison.

En réponse, le 21 août 2003, le représentant de la Fédération de Russie informa la Cour que le gouvernement russe ne considérait pas Mes Mukhashavria et Dzamukashvili comme les représentantes des requérants extradés. Il soutint également que ces avocates pourraient solliciter leur admission à la défense auprès de la juridiction de jugement devant laquelle les requérants extradés étaient traduits et que le gouvernement lui-même ne pouvait entreprendre aucune démarche pour leur donner accès aux requérants détenus en Russie.

Le 22 août 2003, la Cour invita à nouveau le gouvernement russe à respecter la mesure provisoire indiquée le 17 juin 2003. Le 1er septembre 2003, le gouvernement russe répondit à nouveau qu’il ne reconnaissait pas Mes Mukhashavria et Dzamukashvili comme les représentantes des requérants extradés et qu’il était loisible à celles-ci de saisir la Cour régionale de Stavropol d’une demande d’admission à la défense de cinq requérants extradés.

La représentation des requérants extradés devant les juridictions russes

Le 11 novembre 2002, le gouvernement russe soumit à la Cour les noms des avocats des requérants extradés devant les juridictions russes. Suite à la demande réitérée de la Cour, le 19 novembre 2002, il soumit également leurs adresses. Le gouvernement russe fournit de nouveaux éléments à ce sujet avant l’audience du 16 septembre 2003.

Le requérant Shamayev

Le gouvernement russe informe la Cour que, le 15 novembre 2002, le requérant Shamayev refusa l’assistance de Me Zalugin qui lui avait été attribué le 5 octobre 2002 et demanda que « n’importe quel autre conseil lui soit attribué ». Cette demande, écrite à la main par M. Shamayev, figure au dossier. Le jour même, Me Kouchinskaya fut commise d’office sur le fondement de l’ordre de mission délivré à cette avocate par le directeur de l’office de consultation juridique de Minvody.

Depuis le 21 février 2003, M. Shamayev bénéficie de l’assistance d’un autre avocat, M. L. Timirgayev, avocat au barreau de la République tchétchène.

Les requérants Khadjiev et Visitov

Le gouvernement russe soumet à la Cour les ordres de mission émis le 5 octobre 2002 par les directeurs des offices de consultation juridique de Minvody et d’Essentouki qui chargent Mes Melnikova et Molochkov de représenter, lors de l’instruction préparatoire auprès du Parquet général de la Fédération de Russie, les requérants Khadjiev et Visitov respectivement.

Le gouvernement russe produit également la lettre manuscrite du requérant Khadjiev en date du 15 novembre 2002 par laquelle celui-ci sollicite que, suite à la longue absence de Me Melnikova, « n’importe quel autre avocat lui soit attribué ». L’ordre de mission émis le 15 novembre 2002 par le directeur de l’office de consultation juridique de Minvody attribue à Me Koutchinskaya la tâche de défendre le requérant Khadjiev.

Le requérant Adaev

Selon le gouvernement russe, le 5 octobre 2002, Me Zalugin fut commis d’office pour représenter le requérant Adaev devant les autorités d’instruction. Le 22 octobre 2002, le requérant Adaev refusa l’assistance de cet avocat et demanda que « n’importe quel autre conseil lui soit attribué ». Les 16 et 21 octobre 2002, les proches du requérant Adaev auraient retenu Me Lebedev (cabinet d’avocats « Novatsia » du Barreau de Moscou) et Me Khoroshev (association des avocats « Isk » du district d’Odintsovo de la région de Moscou) pour défendre ses intérêts. Seul figure au dossier le pouvoir établi au nom de l’avocat Lebedev avalisé par le directeur du cabinet d’avocats « Novatsia ».

Le requérant Aziev

L’ordre de mission établi le 5 octobre 2002 par le directeur de l’office de consultation juridique d’Essentouki attribue à Me Molochkov la défense du requérant Aziev auprès du Parquet général de la Fédération de Russie. Un autre pouvoir fut établi le 21 octobre 2002 au nom de l’avocat Khoroshev.

Depuis le 31 janvier 2003, le requérant Aziev bénéficie de l’assistance de M. I. Timishev, avocat au barreau de la République de Kabardino-Balkarie.

Le 20 novembre 2002, le greffe informa Mes Molochkov, Kouchinskaya Khoroshev et Lebedev que, le 4 octobre 2002, leurs clients avaient tenté d’introduire une requête à la Cour. Il leur fut demandé de contacter leurs clients pour que ceux-ci confirment ou infirment leur intention de saisir la Cour. Les avocats ne répondirent pas.

En revanche, le 9 décembre 2002, le représentant de la Fédération de Russie informait la Cour que ces avocats « protestaient contre les tentatives de la Cour de les contacter ».

Par conséquent et vu l’autorisation du Président de section, le 10 décembre 2002, le greffe envoya des lettres du même contenu avec accusé de réception aux requérants extradés directement à l’adresse de la SIZO de la ville A. Le 16 janvier 2003, le Président de section reçut les cinq accusés de réception signés par la chef du secrétariat (начальник канцелярии) de la prison en date du 24 décembre 2002. Or, ces requérants ne répondirent jamais à la Cour pour confirmer ou infirmer leur intention du 4 octobre 2002 de saisir la Cour.

Avant l’audience du 16 septembre 2003, le gouvernement russe produisit un certificat délivré à une date indéterminée par un responsable de l’administration pénitentiaire des SIZO de la région de Stavropol, selon lequel aucune lettre de la Cour adressée aux requérants extradés ne serait parvenue à la SIZO de la ville A où tous les requérants étaient détenus à l’époque.

Le 22 janvier 2003, le gouvernement russe informait la Cour que « les avocats de cinq requérants extradés bénéficiaient d’un accès illimité à leurs clients ». Par exemple, depuis le 4 octobre 2002, les requérants Visitov et Aziev auraient eu trois rencontres avec Me Molochkov, leur avocat. Le requérant Adaev aurait eu sept rencontres avec ses avocats, Mes Lebedev et Khoroshev. Le requérant Khadjiev aurait rencontré trois fois son défenseur, Me Kouchinskaya. Le requérant Shamayev aurait eu deux rencontres avec Me Kouchinskaya, son conseil. A l’appui de cette affirmation, le gouvernement russe soumet une lettre du chef du lieu de détention des requérants en date du 14 janvier 2003.

Le 26 août 2003, Mes Molochkov et Koutchinskaya répondirent à la lettre du greffe du 20 novembre 2002. Ils soutinrent qu’ils représentaient devant les autorités russes les requérants Shamayev, Khadjiev et Visitov et que l’un d’eux avait également représenté le requérant Aziev au stade initial de la procédure. Selon eux, ces requérants ne se seraient jamais plaints de la violation de leurs droits garantis par la Convention et ils n’auraient jamais exprimé le souhait de saisir la Cour. Ainsi, n’ayant pas d’indication de leurs clients à cet égard, les avocats affirment ne pas avoir eu le droit de s’adresser à la Cour de leur propre initiative. Ils soutiennent qu’ils ont toujours eu le temps et les facilités nécessaires à la préparation de la défense de leurs clients, ainsi que la possibilité de les rencontrer sans assistance des gardiens.

Les autres avocats russes ne répondirent jamais à la lettre de la Cour.

E. Photographies des requérants

Le 23 novembre 2002, le gouvernement russe soumit à la Cour les originaux des photographies de cinq requérants extradés. Le 22 janvier 2003, il produisit leurs nouvelles photographies, prises le 15 janvier 2003. Le 25 novembre 2002, le gouvernement géorgien soumit à la Cour les photographies de huit requérants détenus à Tbilissi. Les avocates des requérants doutent de la véracité des photographies des requérants extradés soumises par le gouvernement russe.

Le 20 août 2003, le gouvernement géorgien produisit en vue de l’audience les photographies des cellules de la prison no 5 de Tbilissi où les requérants non extradés furent et demeurent (à l’exception du requérant Tepsaev) détenus. Les 1er, 5 et 15 septembre 2003, le gouvernement russe produisit en vue de l’audience les photographies des cellules da la SIZO de la ville B, région de Stavropol, où les requérants extradés Shamayev, Khadjiev, Visitov et Adaev sont détenus depuis le 26 juillet 2003, date de leur transfert de leur précédent lieu de détention (SIZO de la ville A, région de Stavropol). Le gouvernement russe soumit en même temps les photographies de la cellule du requérant extradé Aziev qui, selon ses photographies, serait la seule personne parmi les extradés à ne pas avoir été transférée dans la ville B et demeurerait toujours dans la SIZO de la ville A. Le 15 septembre 2003, le gouvernement russe produisit également les photographies de chacun des requérants extradés, prises dans leurs cellules respectives.

F. Etat de santé des requérants extradés

Le 14 novembre 2002, dans les conditions de stricte confidentialité, le gouvernement russe soumit à la Cour les certificats médicaux de ces requérants établis le 4 novembre 2002, soit un mois après leur extradition. Selon le médecin de la prison, les requérants extradés « ne présentent aucune plainte quant à leur état de santé et sont, en principe, en bonne santé ». Le 22 janvier 2003, le gouvernement russe soumit à la Cour de nouveaux certificats médicaux des requérants extradés. Ils sont établis le 15 janvier 2003 et signés par les cardiologue, neurologue, thérapeute et chirurgien de l’hôpital de la ville A, région de Stavropol. Le 1er septembre 2003, le gouvernement russe soumit en vue de l’audience de nouveaux certificats médicaux des requérants extradés établis le 11 août 2003.

Le requérant Visitov

Selon les certificats médicaux des 4 novembre 2002 et 15 janvier 2003, le requérant Visitov se serait plaint de sécheresse de la gorge et de toux sèche. Une couleur blême de la peau, un pouls 90/mn, des contractions cardiaques rythmiques et légèrement sourdes, un ventre doux et sans douleur à la palpation furent constatés. Son état fut jugé « satisfaisant objectivement ». Le suivi par le service médical fut recommandé.

Selon le certificat médical du 11 août 2003, M. Visitov ne présente pas de plaintes quant à son état de santé. Il ne présente aucune lésion corporelle. Il souffre d’une cataracte de l’œil gauche. En juillet 2003, la fracture de l’os du nez avait été constatée. L’expertise psychiatrique du 13 février 2003 avait constaté sa bonne santé psychique. Les images médicales des 18 octobre 2002 et 24 juillet 2003 n’avaient révélé aucune pathologie au niveau du thorax. Lors de sa détention, ni dans la SIZO de la ville A, ni dans la SIZO de la ville B, M. Visitov ne sollicita aucune aide médicale.

Le requérant Khadjiev

Selon les certificats médicaux des 4 novembre 2002 et 15 janvier 2003, au jour du 15 janvier 2003, le requérant Khadjiev aurait été malade depuis deux jours. Il se serait plaint de bouffées de chaleur, de toux et de frissons. Un pouls de 95/mn et les contractions cardiaques rythmiques et accélérées furent constatés. En revanche, il fut constaté dans les poumons des murmures vésiculaires majorés. L’infection virale respiratoire aiguë (ORVI) compliquée de trachéo-bronchite fut constatée, ainsi qu’une éventuelle pneumonie du côté droit. Son état fut jugé « satisfaisant objectivement ». La radiographie des poumons et d’autres analyses, dont une analyse de sang, lui furent prescrites. Le traitement au service médical fut jugé nécessaire.

Selon le certificat médical du 11 août 2003, lors du premier examen médical suite à son placement dans la SIZO de la ville A le 18 octobre 2002, M. Khadjiev ne présenta aucune plainte quant à son état de santé. Son dossier médical fait apparaître une ancienne marque de fracture de l’os du nez, une opération de l’appendice en 1998, et une blessure avec une arme à feu dans la hanche droite datant de juillet 2002. L’expertise psychiatrique du 13 février 2003 avait constaté sa bonne santé psychique. Les images médicales des 18 octobre 2002 et 24 juillet 2003 n’avaient révélé aucune pathologie au niveau du thorax. M. Khadjiev avait sollicité une aide médicale les 20 février (infection virale respiratoire aiguë (ORVI) et 3 avril 2003 (laryngite aigu). En dehors de ces demandes, ni dans la SIZO de la ville A, ni dans la SIZO de la ville B, M. Khadjiev ne sollicita aucune aide médicale.

Le requérant Shamayev

Selon les certificats médicaux des 4 novembre 2002 et 15 janvier 2003, le requérant Shamayev se serait plaint de faiblesse générale, de douleurs aiguës dans les hanches, de sécheresse de la gorge et de la bouche, ainsi que de toux sèche. Une semaine avant le 15 janvier 2002, il avait souffert de l’infection virale respiratoire aiguë (ORVI). Une couleur blême de la peau, un pouls 86/mn, des contractions cardiaques rythmiques et sonores, un ventre doux et sans douleur à la palpation, des murmures vésiculaires normaux dans les poumons, ainsi qu’une cholécystite (inflammation de la vésicule biliaire) chronique en rémission furent constatés. Son état fut jugé « satisfaisant objectivement ».

Selon le certificat médical du 11 août 2003, lors du premier examen médical suite à son placement dans la SIZO de la ville A le 18 octobre 2002, M. Shamayev ne présenta pas de plaintes quant à son état de santé. Son dossier médical révèle un hématome au niveau de l’épaule gauche. L’expertise psychiatrique du 13 février 2003 avait constaté sa bonne santé psychique. Les images médicales des 18 octobre 2002 et 24 juillet 2003 n’avaient révélé aucune pathologie au niveau du thorax. Lors de sa détention, ni dans la SIZO de la ville A, ni dans la SIZO de la ville B, M. Shamayev ne sollicita aucune aide médicale.

Le requérant Adaev

Selon les certificats médicaux des 4 novembre 2002 et 15 janvier 2003, le requérant Adaev ne présenterait aucune plainte. Une couleur normale de la peau, un pouls de 90/mn, des contractions cardiaques rythmiques et accélérées, un ventre doux et sans douleur à la palpation, ainsi que les murmures vésiculaires normaux dans les poumons furent constatés. Son état fut jugé « satisfaisant objectivement ».

Selon le certificat médical du 11 août 2003, lors du premier examen médical suite à son placement dans la SIZO de la ville A le 17 octobre 2002, M. Adaev ne présenta pas de plaintes quant à son état de santé. Son dossier médical révèle un hématome rose pâle au niveau de la poitrine, une blessure avec une arme à feu au niveau de l’épaule gauche datant de 1994, un traumatisme du coccyx datant de 1986. L’expertise psychiatrique du 13 février 2003 avait constaté sa bonne santé psychique. Les images médicales des 13 mars et 24 juillet 2003 n’avaient révélé aucune pathologie au niveau du thorax. Le 9 décembre 2002, M. Adaev avait été examiné par un médecin à cause d’une hypertension, ainsi que de la névrite post-traumatique de l’épaule gauche. Par ailleurs, il avait fait l’objet d’un traitement médical les 21 février et 17 mars 2003. En dehors de ces consultations et traitements médicaux, ni dans la SIZO de la ville A, ni dans la SIZO de la ville B, M. Adaev ne sollicita aucune aide médicale.

Le requérant Aziev

Selon les certificats médicaux des 4 novembre 2002 et 15 janvier 2003, le requérant Aziev ne présenterait aucune plainte. Une couleur normale de la peau, un pouls de 86/mn, des contractions cardiaques rythmiques et sonores, un ventre doux et sans douleur à la palpation, ainsi que des murmures vésiculaires normaux dans les poumons furent constatés. Son état fut jugé « satisfaisant objectivement ».

Selon le certificat médical du 11 août 2003, M. Aziev ne présente aucune plainte. Placé dans la SIZO de la ville A le 17 octobre 2002 où il demeure actuellement, M. Aziev ne sollicita jamais d’aide médicale. Il est objectivement en bonne santé.

G. Etat de santé des requérants non extradés

Selon un certificat médical produit par le gouvernement géorgien en vue de l’audience, depuis leur arrestation, ces requérants avaient fait l’objet d’un suivi médical régulier au sein du service médical de la prison
no 5 ou, dans des cas justifiés, à l’hôpital pénitentiaire. Ainsi, le 25 janvier 2003, le requérant Usmanov avait été transféré à l’hôpital avec une commotion cérébrale, une lésion au niveau de l’œil gauche et une fracture du coude gauche. Après les soins appropriés et la guérison complète, le 2 mai 2003, il était retourné en prison. Les requérants Khashiev, Baemurzaev, Khanoev, Baisarov et Isiev présentaient différents égratignures et hématomes sur différentes parties du corps et avaient été soignés en prison. Le requérant Mirjoev avait séjourné à l’hôpital juste après son arrestation, du 8 août au 31 août 2002. En janvier 2003, un traumatisme crânien, une commotion cérébrale, ainsi qu’une fracture de doigt ayant été constatés, ce requérant avait été soigné jusqu’à sa guérison complète.

H. Contenu de la cassette vidéo soumise par les requérants

Les avocates soumettent à la Cour une cassette vidéo avec un montage de différents journaux télévisés de la chaîne géorgienne « Roustavi-2 », diffusés le soir du 4 octobre 2002. L’enregistrement présente quatre requérants montés dans l’avion par les Spetsnaz géorgiens. Ceux-ci leur remontent brutalement les mentons devant les caméras. A l’aide des photographies soumises à la Cour par les autorités russes, les requérants Shamayev, Adaev, Visitov et Khadjiev peuvent être identifiés. En revanche, le requérant Aziev n’y apparaît à aucun moment. Le requérant Khadjiev présente une blessure sur le nez, ainsi que des taches rouges autour des mâchoires. Le requérant Visitov porte une blessure à l’œil gauche. Toutefois, à partir de cet enregistrement, il n’est point possible d’évoluer la gravité de ces blessures. L’enregistrement fait également état de l’arrivée des requérants en Fédération de Russie. Ils sont descendus de l’avion par des personnes en tenues militaires couvertes de cagoules qui, se tenant de chaque côté des requérants, tiennent leurs bras croisés sur le dos et les courbent en deux, têtes précipitées vers le sol.

L’enregistrement montre également la communauté kist de Géorgie qui, s’opposant à l’extradition des requérants, manifeste devant la prison à Tbilissi avec des slogans tels : « la Russie ogresse, la Géorgie traîtresse ».

Un journaliste conclut : « Alors que la procédure d’identification n’était pas terminée, le Parquet général décida, sans juge ni avocat, de l’extradition des personnes tchétchènes réclamées par les autorités russes ». « (...) Si les autorités géorgiennes ne réussissent pas à démontrer sous peu qu’elles n’ont pas transmis à la Russie les personnes innocentes et non identifiées, il sera clair que l’extradition des Tchétchènes du 4 octobre 2002 fut un cadeau offert à Putin pour lui faire plaisir la veille du sommet de la CEI à Chişinău (tenu dans la capitale moldave les 6 et 7 octobre 2002) ».

Un autre journaliste ajoute : « Le Parquet général de Géorgie se trouve face à un casse-tête, il se doit de démontrer qu’il avait identifié les personnes tchétchènes avant de les extrader ». Selon le même journaliste, le Parquet général géorgien détiendrait les passeports des personnes extradées.

Selon les journalistes de « Roustavi-2 », les autorités géorgiennes auraient fait préalablement parvenir les photographies des requérants aux autorités russes. Celles-ci auraient retourné ces mêmes photographies aux autorités géorgiennes avec demande d’identifier les Tchétchènes arrêtés en août 2002 en vue de leur extradition. Ainsi, les autorités géorgiennes auraient aidé leurs homologues russes à créer les affaires pénales à l’encontre de ces personnes et à motiver leur demande d’extradition.

L’enregistrement comporte plusieurs interviews.

Un avion russe accompagné des agents de force et de la sécurité intérieure atterrit à l’aéroport de Tbilissi le soir du 4 octobre 2002. Un de ces agents russes affirme « espérer que les autres huit membres de la bande criminelle seront extradés prochainement ». Il refuse de nommer les personnes extradées « dans les intérêts de l’investigation et vu le fait que ces personnes ont délibérément changé leurs noms et peuvent les changer encore plusieurs fois en cours d’instruction ». En revanche, Me Gabaïdzé, avocat des requérants devant les juridictions géorgiennes, soutient dans son interview que c’est la défense, en accord avec ses clients, qui a mis en œuvre ce stratagème de faux noms. Pour ne pas être réclamés par les autorités russes, ses clients d’origine tchétchène, lorsqu’ils se sont rendus volontairement aux autorités géorgiennes, auraient fourni à celles-ci des noms inventés. C’est donc à l’encontre des personnes qui « n’existent pas dans la nature que les autorités russes auraient rendu des ordonnances de mise en examen et auraient envoyé des demandes d’extradition ». Aux yeux de cet avocat, « les autorités géorgiennes ne mirent pas à leur profit cet atout considérable afin de faire face à la demande d’extradition parvenue des autorités russes ». En réponse, le Procureur général géorgien soutient dans son interview que les autorités dont il a la charge disposaient « des informations certaines prouvant que les personnes extradées avaient commis des crimes particulièrement graves sur le territoire de la Fédération de Russie ». Le journaliste affirme que, même après l’extradition, « la défense ignore toujours les motifs de la demande d’extradition de ses clients et n’a pas eu la connaissance des dossiers soumis par les autorités russes ».

I. Le déroulement de la procédure devant les juridictions géorgiennes et russes après la levée de la mesure provisoire par la Cour

Après avoir établi que les requérants Baemurzaev, Mirjoev et Khasheiv s’appelaient respectivement Alkhanov Khusein Mauladinovich, Gelogayev Ruslan Akhmedovich et Elikhadjiev Rustam Osmanovich et qu’ils étaient de nationalité russe, le 28 novembre 2002, le Procureur général de Géorgie consentit à leur extradition vers la Russie. Dans la décision d’extradition, il était expressément ordonné que celle-ci soit notifiée aux requérants concernés et qu’il leur soit explicité qu’une voie de recours leur était ouverte devant les tribunaux.

Le 5 décembre 2002, le tribunal de première instance de Krtsanissi-Mthatsminda de la ville de Tbilissi confirma la décision du Parquet général d’extrader vers la Russie ces trois requérants. Leur moyen tiré de l’usage de faux noms tchétchènes dans la demande de leur extradition, conférant à celle-ci un caractère illégal, fut rejeté. Le 25 décembre 2002, la Cour suprême de Géorgie infirma cette décision et renvoya l’affaire devant la première instance. Le 13 mars 2003, la juridiction de renvoi jugea légale l’extradition des requérants Khashiev et Mirjoev. En revanche, elle décida que le requérant Baemurzaev ne pouvait pas être transmis aux autorités russes, puisqu’il bénéficiait d’un statut de réfugié sur le territoire géorgien. Le tribunal reconnut illégale la lettre confidentielle du 20 novembre 2002 adressée par le ministre géorgien de l’Intérieur au ministre géorgien des Réfugiés à propos de l’annulation du statut de réfugié de M. Baemurzaev. Le 16 mai 2003, la Cour suprême confirma le jugement du 13 mars 2003 en ce qu’il concernait l’extradition de M. Baemurzaev. Elle ordonna la suspension de l’extradition de M. Mirjoev jusqu’au 5 juin 2003 en vue de l’examen de la validité de son titre de réfugié. Quant au requérant Khashiev, la Cour suprême suspendit son extradition au motif que son identité n’était pas établie. En effet, la défense aurait soumis à la Cour suprême une copie du passeport selon laquelle M. Khashiev ne se nommerait en réalité ni Khashiev ni Elikhadjiev, mais Mulkoev. A la demande du Parquet général géorgien, les autorités russes avaient déjà vérifié l’authenticité de cette copie et, le 6 mai 2003, avaient informé leurs homologues géorgiennes qu’un tel passeport n’avait jamais été délivré. Nonobstant ce fait, la Cour suprême conclut à la suspension de l’extradition du requérant Khashiev alias Elikhadjiev alias Mulkoev.

Tel qu’il ressort des documents soumis par le gouvernement géorgien et les représentantes des requérants, les requérants Khanoev et Usmanov furent traduits devant la cour régionale de Tbilissi pour être jugés du chef de violation de frontière en méconnaissance des normes douanières et furent acquittés le 15 juillet 2003, au motif de l’absence du corps du délit dans leurs actions. Notamment, il fut établi que ces requérants avaient été contraints de violer la frontière russo-géorgienne dans un état « d’extrême nécessité » consistant à fuir une confrontation avec les forces armées russes et à trouver refuge sur le territoire géorgien afin de ne pas périr. La cour considéra donc qu’ils avaient été poussés à commettre un délit n’ayant pas d’autre issue et que « le bien violé (sécurité nationale, frontière, etc.) avait été naturellement considéré par ces personnes moins important que le bien sauvé - leurs propres vies ». La cour annula également les mesures de détention préventive à l’égard de ces requérants. Or, ceux-ci ne purent pas être libérés, étant donné qu’ils étaient parallèlement mis en examen dans une seconde affaire pénale relative aux actes de violence commis sur les agents pénitentiaires dans la nuit du 4 octobre 2002 et que, le 18 décembre 2002, une mesure de détention préventive avait été décidée à leur égard.

Pour ce qui est des requérants Baisarov et Tepsaev, ressortissants géorgiens, le 8 avril 2003, ils furent en partie acquittés dans l’affaire concernant le port, le transport et le recel illégaux d’armes, alors que l’autre partie de cette affaire (violation de frontière, violation de règles douanières) fut renvoyée aux organes d’enquête pour un complément d’information. Leur détention préventive fut également commuée en une mesure de contrôle judiciaire et ils furent libérés sur-le-champ. Or, le 20 mai 2003, M. Baisarov fut à nouveau arrêté, étant donné la décision de sa mise en examen dans l’affaire de violence commise contre les agents pénitentiaires dans la nuit du 4 octobre 2002, ainsi que la mesure de la détention préventive décidée à son égard le 28 février 2003.

Au 8 août 2003, l’affaire pénale diligentée contre le requérant Isiev du chef de violation de frontière était pendante devant la Cour régionale de Tbilissi. A la même date, l’affaire pénale diligentée contre les requérants Baisarov et Tepsaev du chef de violation de frontière était pendante devant la Cour suprême de Géorgie.

En ce qui concerne les requérants extradés, le gouvernement russe informa la Cour que, « depuis l’été 2003 », les requérants Shamayev, Khadjiev, Aziev et Adaev étaient traduits devant la Cour régionale de Stavropol pour y être jugés et que le requérant Aziev était traduit devant le même tribunal depuis le 26 août 2003.

J. La procédure pénale diligentée contre les requérants non extradés suite aux événements de la nuit du 4 octobre 2002

Le 4 octobre 2002 à 9 heures, M. R. Markelia, instructeur, en présence de deux témoins, établit un état des lieux de la cellule no 88 où tous les requérants étaient détenus avant l’extradition de cinq d’entre eux. Les dégâts, notamment le mobilier démonté et les murs endommagés, y furent constatés. Selon les témoignages de M. Dalakishvili, gardien opérationnel de la prison travaillant d’astreinte dans la nuit du 4 octobre 2002 et de M. Tskitishvili, inspecteur principal du service de la sécurité de la prison no 5, lorsqu’ils se rendirent devant la cellule et observèrent les requérants par le judas, ceux-ci avaient retourné leurs lits et essayaient de les démonter. Ils appelèrent les requérants à se calmer. Le groupe d’agents pénitentiaires appelé au secours était armé de bâtons en caoutchouc et ne s’estimait pas suffisamment nombreux pour pouvoir rentrer dans la cellule. Après l’arrivée d’un groupe d’appoint, armé également de bâtons en caoutchouc, les agents pénitentiaires et membres de forces à désignation spéciale investirent la cellule, en sortirent les requérants par force, mais furent eux-mêmes blessés à coups de morceaux de métal, pièces de lits et de robinetterie, ainsi que de lances fabriquées à partir des morceaux de briques enveloppés dans des draps et vêtements.

Le gouvernement géorgien produit les certificats médicaux datés du 4 octobre 2002, ainsi que les rapports d’expertise médicale rendus le 8 novembre 2002 suite à l’examen de cinq agents pénitentiaires (MM. Samadashvili, Buchukuri, Dalakishvili, Kovziridze et Kerdikoshvili) et d’un membre des forces à désignation spéciale (M. Sheshberidze). Les documents font état de blessures ouvertes, hématomes sur différentes parties du corps, marques de coups, qualifiés de « lésions n’ayant pas occasionné de graves problèmes de santé ».

A la demande de l’administration pénitentiaire, les requérants furent également examinés. Selon les certificats médicaux datés du 4 octobre 2002, le requérant Usmanov, Isiev et Mirjoev présentaient de nombreux hématomes, égratignures et marques de coups sur différentes parties du corps, qualifiés de « lésions n’ayant pas occasionné de graves problèmes de santé ». En revanche, les requérants Khashiev et Baemurzaev ne présentaient aucune plainte ou marque de coup ou de violence.

Le 9 octobre 2002, l’action publique fut mise en mouvement.

Le 1er novembre 2002, le Parquet général de Géorgie soumit à une expertise un certain nombre d’objets afin que ceux-ci soient identifiés et qu’il soit établi s’ils avaient fait partie du mobilier de la cellule no 88. Le rapport d’expertise rendu le 25 décembre 2002 conclut qu’il s’agissait : des pièces en métal en forme de bâtons et des disques en métal qui avaient été arrachées par voie mécanique des grilles de la fenêtre et des lits superposés de la cellule no 88 ; du pied du ventilateur appartenant à la même cellule ; des morceaux de briques enlevés des murs de la même cellule et placés dans un jean noué à l’entrejambe ; une cuillère aiguisée fixée dans le corps d’un briquet en plastique formant ainsi un couteau ; une cuillère à soupe aiguisée d’un seul côté, et autres objets ayant fait partie de la cellule, ainsi que de son mobilier.

Les 29, 30 novembre et 16 décembre 2002, tous les requérants non extradés, à l’exception du requérant Tepsaev, furent mis en examen du chef de résistance préméditée avec usage de force commise par un groupe de détenus contre les agents de l’administration pénitentiaire et du ministère de la Justice, ainsi que du chef de refus d’obtempérer aux ordres légaux des agents pénitentiaires en vue d’entraver le fonctionnement de l’établissement pénitentiaire. Les 30 novembre et 16 décembre 2002, les ordonnances de mise en examen avec leurs traductions russes furent notifiées aux requérants.

K. Position des autorités russes

Le gouvernement russe

Aux termes de la lettre du représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour adressée au Président de la Cour, au Président de section et à la greffière de section le 8 octobre 2002, « les autorités russes considèrent que les garanties qu’elles fournirent par écrit au gouvernement géorgien constituent une base suffisante et solide pour la conduite appropriée de l’affaire devant la Cour ».

Dans sa lettre du 14 octobre 2002 adressée au Président de la Cour, le représentant de la Fédération de Russie attira l’attention de la Cour sur le fait que la décision de la Cour d’appliquer l’article 39 de son règlement entravait la mise en œuvre des accords mutuels auxquels les autorités russes et géorgiennes étaient parvenues.

Dans sa lettre du 14 octobre 2002 adressée à la greffière de section, le représentant de la Fédération de Russie informa la Cour que la Russie n’estimait pas être Etat défendeur dans la présente affaire, puisque les requérants n’avançaient aucun argument quant à la violation alléguée de leurs droits par la Russie. Se référant seulement théoriquement aux violations potentielles qui pourraient avoir lieu dans un futur quelconque, les requérant se plaignaient in abstracto. Ceci pourrait conduire, selon lui, à des situations absurdes où n’importe quelle personne pourrait se plaindre contre n’importe quel Etat signataire en se référant seulement à une possibilité abstraite d’une violation. Selon lui, les représentants des requérants avaient le droit de les représenter seulement dans la partie de la requête dirigée contre la Géorgie, mais non pas dans celle dirigée contre la Fédération de Russie. Le représentant de la Fédération de Russie soutint ensuite que, malgré tout cela, la Fédération de Russie était désireuse de participer à la procédure dans la présente requête, mais seulement en qualité de tierce partie, comme ceci avait été le cas dans l’affaire K.K.C. c. Pays-Bas (no 58964/00). Il informa également la Cour que les cinq requérants extradés avaient la possibilité de faire valoir leurs droits par des conseils habilités.

Dans sa lettre du 18 octobre 2002 adressée au Président de la troisième section de la Cour, le représentant de la Fédération de Russie releva que la décision de la Cour du 4 octobre 2002 était contraire à sa propre jurisprudence, puisque l’article 39 du règlement ne devait être appliqué que dans les cas où le pays de destination n’était pas Etat membre du Conseil de l’Europe. Plus loin, il soutint que la Russie était prête à fournir à la Cour toutes les garanties nécessaires concernant le respect des droits des requérants consacrés par la Convention et ses Protocoles.

Dans ses télécopies du 25 octobre 2002 adressées au Président de la Cour et à la greffière de section, le représentant de la Fédération de Russie « insista » que la Cour « révise sa décision de suspendre la procédure d’extradition des terroristes tchétchènes pour que l’affaire soit conduite dans les conditions de la bonne administration de la justice conformément à la loi russe et dans le respect des droits garantis par la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ».

La Douma de la Fédération de Russie

Le 1er novembre 2002, la Douma d’Etat de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie adopta une déclaration publique concernant la décision de la Cour du 4 octobre 2002. La Douma déclara « être sérieusement préoccupée par la position de la Cour européenne des Droits de l’Homme dans l’affaire de onze terroristes tchétchènes, accusés d’avoir commis des crimes particulièrement graves sur le territoire de la Fédération de Russie ». Selon la Douma, « ayant appliqué l’article 39 de son règlement (...) et demandé des informations supplémentaires, la Cour entreprit une tentative de prolongation de l’examen du problème et, en substance, bloqua la réalisation des accords russo-géorgiens conclus en matière de la lutte contre le terrorisme international. La Cour commit de nombreuses erreurs de procédure dont la majeure consiste en absence de la motivation de sa décision ». Les députés de la Douma se dirent « convaincus que de telles décisions de la Cour européenne créent chez les terroristes une illusion d’impunité et les incitent à continuer de commettre des actes terroristes semblables à la prise d’otages à Moscou des 23 et 26 octobre 2002 ». Les députés de la Douma considérèrent que « la décision de la Cour européenne va à l’encontre de la Résolution du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies 1373 (2001) du 28 septembre 2001. Le caractère mal fondé de cette décision est par ailleurs confirmé par la Résolution subséquente du Conseil de sécurité 1440 (2002) en date du 24 octobre 2002. La Douma d’Etat soutient avec détermination la protestation de la Fédération de Russie adressée à la Cour contre la décision du 4 octobre 2002 ».

Le jour même, la Douma prit la décision de publier cette déclaration au « Journal du Parlement », de l’adresser au Président de la Fédération de Russie, au gouvernement russe, au Conseil de sécurité de l’ONU, au Parlement européen, à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, au Président de la Cour européenne des Droits de l’Homme et aux juges de la Cour européenne des Droits de l’Homme.

L. Le droit et la pratique internes pertinents

A. Le droit interne pertinent géorgien

Les dispositions pertinentes de l’article 256 §§ 1, 2, 4, 6 et 7 du code de procédure pénale géorgien (« CPP » ci-dessus) sont ainsi rédigées :

« 1. Sur le fondement d’un accord international relatif à l’assistance juridique, un Etat étranger peut demander l’extradition de son ressortissant qui se trouve sur le territoire géorgien si cette personne est soupçonnée d’avoir commis un crime sur le territoire de son pays ou si elle est condamnée par un tribunal de son pays pour avoir commis un crime ou si elle a commis un crime dirigé contre son pays sur le territoire géorgien.

2. La demande d’extradition doit être en conformité avec les exigences définies par l’accord international correspondant et doit émaner d’un organe compétent.

4. Si le Procureur général de Géorgie estime la demande d’extradition fondée et légale, il donne l’indication en vue de son exécution et peut solliciter, le cas échéant, l’aide du ministère des Affaires étrangères de Géorgie.

6. (...) Si la personne dont l’extradition est demandée est mise en examen pour avoir commis un crime sur le territoire géorgien, son extradition peut être reportée jusqu’à ce que le jugement soit rendu à son égard ou jusqu’à ce que la peine soit purgée ou, pour une autre raison légale, jusqu’à ce qu’elle soit libérée.

7. Dans les cas prévus au paragraphe 6 du présent article, la Cour suprême de Géorgie peut, à la demande des organes compétents de l’Etat étranger, décider de remettre temporairement à celui-ci son ressortissant. Si la personne ainsi extradée se voit infliger dans son pays une peine plus sévère ou une peine égale à celle qui lui restait à purger en Géorgie, il purgera sa peine dans son pays et ne sera pas retournée ».

L’article 242 §§ 1 et 3 du CPP est ainsi rédigé :

« 1. Il peut être contesté par voie judiciaire l’action et la décision de l’enquêteur, de l’organe d’enquête, de l’instructeur ou du procureur que l’intéressé juge mal fondée ou illégale, lorsqu’il s’agit de : a). l’ordonnance de classement de l’affaire sans suite, prise par l’organe d’enquête, l’instructeur et le procureur ; b). l’ordonnance de non- lieu, prise par l’organe d’enquête, l’instructeur et le procureur

3. Les parties au procès ont le droit de saisir un tribunal d’une plainte contre l’action ou la décision de l’enquêteur ou de l’instructeur une fois que cette plainte fut rejetée par le procureur ou que le délai prévu par l’article 239 du présent code a expiré sans que le procureur ne donne sa réponse ».

L’article 259 § 4 du CPP dispose :

« La personne sujette à l’extradition a le droit de saisir un tribunal pour défendre ses droits ».

L’article 13 § 4 de la Constitution dispose :

« Il est interdit d’extrader un ressortissant géorgien vers un Etat étranger, sauf dans les cas prévus par un accord international. La décision d’extradition du ressortissant géorgien peut être contestée devant les tribunaux ».

Aux termes de l’article 257 § 1 du CPP :

« Il est interdit d’extrader un étranger si un refuge politique lui fut octroyé en Géorgie ».

B. La jurisprudence de la Cour suprême de Géorgie

Dans son arrêt du 28 octobre 2002 rendu dans l’affaire Aliev, le collège des affaires pénales de la Cour suprême dit :

« (...) conformément à l’article 259 § 4 du code de procédure pénale, la personne sujette à l’extradition a le droit de défendre ses droits par voie judiciaire. Or, le code de procédure pénale ne définit pas la procédure à suivre lors de l’examen d’une telle requête. (...) Il appartient donc à la Cour suprême de définir la procédure de la réalisation de ce droit. (...) Le collège considère que la requête de M. Aliev doit être examinée en vertu de l’interprétation par analogie de l’article 242 du code de procédure pénale, selon lequel, l’action ou la décision de l’enquêteur, de l’instructeur ou du procureur peuvent être contestées par voie judiciaire si l’intéressé la juge mal fondée ou illégale. Vu que la décision d’extradition de M. Aliev fut prise par le Parquet général, sa requête doit être examinée par le tribunal de première instance de Krtsanissi-Mthatsminda de Tbilissi, juridiction territorialement compétente ».

C. Le droit interne pertinent russe

L’article 20 § 2 de la Constitution de la Fédération de Russie du 12 décembre 1993 dispose :

« La peine de mort, jusqu’à ce qu’elle ne soit abolie, peut être prévue par une loi fédérale en tant qu’une peine appliquée à titre exceptionnel dans le cas de crimes particulièrement graves perpétrés contre la vie humaine et en attribuant à l’accusé le droit de voir son affaire examiner par une cour d’assises ».

Aux termes de l’article 317 du Chapitre 32 (« Crimes contre l’ordre administratif ») du code pénal russe,

« L’atteinte portée à la vie d’un agent de l’ordre public, d’un militaire, ainsi que de leurs proches, soit dans le but de mettre obstacle à leurs activités légales destinées à assurer l’ordre et la sécurité publics soit pour se venger de ces activités, est passible de la privation de liberté de douze à vingt ans ou de la peine de mort ou de la réclusion perpétuelle ».

Les dispositions pertinentes de l’Ordonnance présidentielle du 16 mai 1996 relative à la suppression graduelle de l’application de la peine de mort suite à l’accession de la Fédération de Russie au Conseil de l’Europe sont ainsi rédigées :

« Conformément à la Recommandation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et vu l’article 20 de la Constitution de la Fédération de Russie portant sur le caractère provisoire de l’application de la peine de mort en tant que peine appliquée à titre exceptionnel dans le cas de crimes particulièrement graves perpétrés contre la vie humaine, j’ordonne :

1. Au gouvernement de la Fédération de Russie de préparer, dans un délai d’un mois, un projet de loi fédérale relative à l’adhésion de la Fédération de Russie au Protocole no 6 du 22 novembre 1984 à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales du 4 novembre 1950, en vue de sa présentation à la Douma du Rassemblement fédéral ;

2. Aux chambres du Rassemblement fédéral de la Fédération de Russie d’accélérer l’adoption du code pénal de la Fédération de Russie, du code de procédure pénale de la Fédération de Russie et du code d’exécution des décisions pénales ; (...) ; de traiter, lors de l’examen du projet du code pénal, la question de réduction du nombre de délits dont la commission peut entraîner l’application de la peine de mort. »

Les dispositions pertinentes de l’arrêt constitutionnel de la Fédération de Russie en date du 2 février 1999 sont ainsi rédigées :

« (...) 5. A partir de l’entrée en vigueur du présent arrêt et avant l’instauration des cours d’assises sur tout le territoire de la Fédération, la peine capitale ne peut être appliquée ni par une cour d’assise ni par une chambre formée de trois juges professionnels ou d’un juge unique et de deux assesseurs ( ...) ».

D. Accords internationaux entre les deux Etats

Les articles 56 et 80 de la Convention du 22 janvier 1993 relative à l’assistance juridique et aux relations juridiques dans le cadre des affaires civiles, matrimoniales et pénales (dite « la Convention de Minsk ») sont ainsi rédigés :

L’obligation d’extradition

« Les Parties contractantes s’engagent à se transmettre, dans les conditions définies par la présente Convention et à la demande de l’une des Parties, des personnes se trouvant sur leur territoire en vue de leur poursuite pénale ou de l’exécution d’un jugement prononcé à leur égard.

L’extradition en vue de la poursuite pénale s’effectue dans le cas d’une action ou d’une omission qui est sanctionnée par la loi de la Partie demanderesse et celle de la Partie sollicitée, et dont la commission est passible d’une peine de privation de liberté de plus d’un an ou d’une peine plus lourde.

L’extradition en vue de l’exécution d’un jugement s’effectue dans le cas d’une action ou d’une omission qui est sanctionnée par la loi de la Partie demanderesse et celle de la Partie sollicitée, et pour laquelle, la personne dont l’extradition est demandée a été condamnée à une privation de liberté de plus de six mois ou à une peine plus lourde. »

Modalités particulières de relations

« Les relations concernant les questions d’extradition et de poursuite pénale s’effectuent par l’intermédiaire des Procureurs généraux (procureurs) des Parties contractantes.

Les relations relatives à l’accomplissement de différentes procédures ou d’autres actes nécessitant l’aval (« sanction ») d’un procureur ou d’un tribunal s’effectuent par l’intermédiaire des organes du parquet selon les modalités définies par les Procureurs généraux (procureurs) des Parties contractantes ».

GRIEFS

Dans leur requête préliminaire introduite le 4 octobre 2002, les requérants soutiennent que, en cas de leur extradition de la Géorgie vers la Russie, ils seront exposés à un danger réel de mort, en violation de l’article 2 de la Convention, et risquent d’être soumis à la torture et à des peines ou traitements contraires à l’article 3 de la Convention.

Dans la formule de requête soumise à la Cour le 22 octobre 2002, les représentantes des requérants invoquent les articles 2 et 3 de la Convention contre la Géorgie et la Russie. Elles estiment que l’extradition vers la Russie expose les requérants à un danger de condamnation à la peine capitale, à l’extermination physique, à la torture, à des peines ou traitements inhumains et dégradants en prison. Les avocates se plaignent que les requérants extradés sont détenus dans des conditions de stricte confidentialité, ce qui renforce, à leurs yeux, le doute raisonnable de croire qu’ils sont soumis à des traitements contraires à la Convention. Elles soulignent à cet égard l’importance de l’information, dont la véracité demeure impossible à apprécier, concernant la mort du requérant Aziev en cours d’extradition suite aux sévices infligés.

Les avocates estiment que les garanties déposées auprès de la Cour par le gouvernement russe ne sont qu’un papier signé et rappellent que le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants avait lui-même reconnu dans une de ses déclarations que la Russie ne respectait pas les engagements qu’elle signait.

Les 4 et 5 décembre 2002, les avocates soulevèrent contre la Géorgie un nouveau grief tiré de l’article 3 de la Convention. Elles soutinrent que, dans la nuit du 4 octobre 2002, les requérants avaient fait l’objet de violence de la part de l’administration pénitentiaire et des forces à désignation spéciale géorgiens. Par conséquent, le requérant Baemurzaev aurait été hospitalisé avec une fracture de la mâchoire, alors que le requérant Usmanov souffrirait de la déchirure de l’oreille. Quant au requérant Aziev qui refusait d’être extradé, il aurait été battu sans merci « à coups de bâtons et d’électrochoc ». Tout ensanglanté et grièvement blessé à l’œil, il aurait été traîné dans le couloir « tel un cadavre » et acheminé vers l’aéroport.

Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention contre la Géorgie, les requérants soutiennent qu’ils ne furent informés ni de la demande de leur extradition déposée par les autorités russes le 6 août 2002 ni de la décision de leur extradition prise le 2 octobre 2002 par le Parquet général de Géorgie. Les avocates ajoutent que la législation géorgienne en matière d’extradition est très floue. Celle-ci dépendant de la seule volonté du Procureur général, les requérants extradés n’avaient pas la possibilité de disposer d’un recours effectif devant une instance nationale pour contester la décision de leur extradition. Les avocates soutiennent que le fait d’avoir disposé de la décision de l’extradition de cinq requérants une fois leur extradition accomplie, emporte la violation de l’article 13 de la Convention.

Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention contre la Russie, les avocates exposent que les proches des requérants extradés ne savent pas où ces personnes sont détenues. Ces mêmes proches soutiendraient que les requérants extradés ne bénéficient pas de l’assistance des avocats de leur choix. L’attribution des avocats commis d’office à des personnes gardées dans des conditions d’isolation totale, ne peut pas être, selon les avocates, considérée comme conforme à l’article 6 § 3 de la Convention. Par conséquent, elles demandent à la Cour de se rendre dans la région de Stravropol pour visiter les requérants extradés, constater en premier lieu leur état de santé, ainsi que pour vérifier les affirmations du gouvernement russe quant à l’attribution des conseils de leur choix à ces requérants.

EN DROIT

A. Les exceptions préliminaires soulevées par le gouvernement russe

1. Moyens tirés du caractère anonyme et abusif de la requête

Dans ses observations orales, le gouvernement russe affirme soutenir fermement sa position exposée par écrit dans ses différents mémoires.

Le gouvernement russe estime qu’en l’espèce, il s’agit d’une requête anonyme, étant donné qu’elle est introduite non pas par les requérants extradés eux-mêmes, mais par des personnes qui, prétendant être leurs représentantes, soumettent à la Cour des pouvoirs avec des signatures falsifiées (voir, au point 3 ci-dessous, les conclusions du rapport d’expertise graphologique). Selon lui, l’usage de faux en matière des signatures témoigne que l’auteur de la requête est inconnu et que, par conséquent, la requête elle-même est anonyme.

Le gouvernement russe attire l’attention de la Cour sur le fait que les pouvoirs des requérants extradés ont été télécopiés à la Cour à partir d’une machine de télécopie installée dans la ville de Kaliningrad, ce qui rendrait la naissance du cas d’espèce suffisamment louche. L’initiation de la requête serait en effet imputable non pas aux requérants extradés, mais à M. Kh. Aldamov, représentant de la République tchétchène en Géorgie.

Le gouvernement russe conclut que la requête au nom des requérants extradés a été introduite par des personnes non habilitées à cet effet et sans que ces requérants eux-mêmes aient été préalablement consultés.

Quant aux requérants non extradés, le gouvernement russe estime qu’une requête introduite par des personnes fournissant plusieurs noms ou de faux noms constitue une requête anonyme. Il rappelle à ce propos l’origine étymologique du mot « anonyme » dérivant du grec et voulant dire « sans nom ».

Quant au caractère abusif de la requête, le gouvernement russe considère que le but visé par les requérants n’est pas la protection de leurs droits et libertés garantis par la Convention, mais de se soustraire à la justice. Les requérants ne démontrant pas en quoi ils sont victimes des violations de la Convention et leurs prétendues représentantes faisant référence aux éventuelles violations de la Convention, il s’agirait, en l’espèce, d’une plainte in abstracto et de l’abus du droit de recourir devant la Cour.

La Cour rappelle que les requérants sont treize individus l’ayant saisie en indiquant leurs pseudonymes. Directement ou par l’intermédiaire de leurs représentantes, ils informèrent la Cour qu’ils étaient d’origine tchétchène et que, derrière les noms fictifs fournis, se trouvaient les personnes qui avaient été arrêtées entre les 3 et 5 août 2002 sur la frontière russo-géorgienne, qui avaient été transférées à l’hôpital pénitentiaire de Tbilissi d’abord et placées ensuite dans la cellule no 88 de la prison no 5 de Tbilissi. Ils informèrent également la Cour qu’ils étaient les personnes qui, à partir du mois d’août 2002, avaient été revendiquées par les autorités russes sous leurs différents noms et que, le 2 octobre 2002, le Parquet général de Géorgie avait consenti à l’extradition de cinq d’entre elles. Plus tard, les requérants non extradés, au nombre de huit, soumirent à la Cour des noms différents affirmant qu’il s’agissait de leurs vrais patronymes. Ils expliquèrent que, dans le contexte du conflit armé en République tchétchène de la Fédération de Russie, ils étaient obligés de ne pas dévoiler leurs vrais noms afin de protéger ainsi leurs familles et proches restés en Fédération de Russie. A l’exception de leurs vrais noms, les requérants fournirent un grand nombre d’éléments factuels et juridiques permettant à la Cour de les identifier par rapport aux faits litigieux et aux griefs invoqués.

La Cour ne conteste pas que les requérants introduisirent leur requête en lui indiquant des surnoms et qu’ils ne fournirent que plus tard leurs vrais patronymes. Même si la véracité de ceux-ci reste encore, dans certains cas, à prouver, la Cour ne met pas en doute le fait que, derrière les tactiques de dissimulation des vraies identités pour des raisons que l’on peut comprendre, se trouvent des personnes réelles, concrètes et identifiables par un nombre suffisant d’indices, autres que leurs noms.

Par ailleurs, la Cour relève que le recoupement des éléments produits par les deux gouvernements défendeurs (résultats de recherches d’identification, photographies, etc.), avec les informations fournies par les représentantes des requérants, permet de conclure à l’existence d’un lien suffisamment étroit entre les requérants et les événements en cause dans le cadre du cas d’espèce.

La Cour rejette donc l’exception préliminaire du gouvernement russe tirée du caractère anonyme de la requête.

Quant au caractère prétendument abusif de la requête, la Cour rappelle que, sauf cas exceptionnels, une requête ne peut être rejetée comme étant abusive que si elle a été fondée sciemment sur des faits controuvés (voir, entre autres, Varbanov c. Bulgarie, arrêt du 5 octobre 2000, Recueil des arrêts et décisions 2000-X, § 37 ; Akdivar et autres c. Turquie, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1206, §§ 53-54 ; I.S. c. Bulgarie (déc.), no 32438/96, 6 avril 2000 ; Aslan c. Turquie, requête no 22497/93, décision de la Commission du 20 février 1995, Décisions et rapports 80-B, p. 138). La Cour juge que tel n’est pas le cas, les griefs des requérants selon lesquels leurs droits garantis par la Convention ont été prétendument violés reposant sur des faits réels dont certains ne sont d’ailleurs contestés par aucun des deux gouvernements défendeurs.

L’exception du gouvernement russe tiré du caractère abusif de la requête est donc rejetée.

2. Moyen tiré de l’absence d’intention des requérants extradés de saisir la Cour

Le gouvernement russe soutient que les requérants extradés n’ont jamais souhaité saisir la Cour. Cette affirmation reposerait en partie sur le fait que, le 26 août 2003, la Cour reçut les lettres de Mes Koutchinskaya et Molochkov, avocats de trois requérants extradés devant les juridictions russes, qui considèrent que leurs clients n’ont jamais eu l’intention d’introduire une requête à la Cour. Ceux-ci n’auraient jamais demandé non plus à ces avocats de saisir la Cour à leur nom. Le gouvernement russe estime que, dans ces conditions, les personnes extradées ne sauraient être qualifiées de requérants au sens de la Convention.

Le gouvernement russe relève que les pouvoirs soumis par Mes Mukhashavria et Dzamukashvili ne font pas mention de la Russie dans la case réservée à l’intitulé de l’Etat défendeur. Il estime par conséquent que l’Etat russe n’est pas visé par la présente requête.

La Cour rappelle qu’à aucun moment, les requérants extradés, eux-mêmes ou par l’intermédiaire des avocats, ne confirmèrent ni infirmèrent valablement leur intention initiale d’introduire une requête devant la Cour. La Cour n’eut elle-même aucune possibilité de constater avec une certitude suffisante que ces requérants n’avaient pas tenté de lui soumettre leur plainte. Dès lors, elle n’estime pas possible de se prononcer à ce stade sur le bien-fondé de l’exception préliminaire que le gouvernement russe tire de l’absence d’intention des requérants extradés de saisir la Cour.

3. Moyen tiré de l’absence de la représentation des requérants extradés en bonne et due forme devant la Cour

Dans ses observations écrites, le gouvernement russe fait valoir que les requérants extradés ne sont pas dûment représentés devant la Cour, étant donné que Mes Gabaïdzé, Khidjakadzé et Tchkhatarashvili étaient leurs conseils lors de l’instruction préparatoire en Géorgie et non pas devant la Cour. En ce qui concerne Mes Mukhashavria, Dzamukashvili et Kintsurashvili, le gouvernement russe estime qu’elles pourraient éventuellement avoir le droit de représenter seulement les requérants non extradés dans la partie de la requête dirigée contre la Géorgie, mais non pas dans celle dirigée contre la Russie.

Dans le cadre de ses observations orales, le gouvernement russe rappela qu’il ne reconnaissait pas à Mes Mukhashavria, Dzamukashvili et Kintsurashvili la qualité de représentantes de cinq requérants extradés. A cet égard, il soumit à la Cour un rapport d’expertise graphologique rendu le 29 août 2003 sur demande de M. P. Laptev, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour, par le centre d’expertise judiciaire auprès du ministère de la Justice de la Fédération de Russie. Dans le cadre de cette expertise, les spécimens de signature de MM. Shamayev, Aziev, Adaev, Visitov et Khadjiev ont été étudiés en comparaison avec les signatures figurant sur les pouvoirs produits devant la Cour par Mes Mukhashavria et Dzamukashvili. L’expertise conclut que les pouvoirs au nom de MM. Shamayev, Adaev et Aziev n’étaient pas signés par ces personnes. Dans le cas du requérant Visitov, l’expertise décela des différences, ainsi que des coïncidences, et conclut qu’il n’était pas possible de déterminer si l’auteur de la signature sur le pouvoir était M. Visitov. Dans le cas de M. Khadjiev, il ne fut pas possible d’arriver à une conclusion à cause du caractère très court et incomplet du spécimen soumis à l’analyse.

Le gouvernement russe conclut que, les pouvoirs des requérants extradés n’étant signés ni par ces requérants ni par des personnes habilitées à cet effet, les requérants extradés ne sauraient être considérés comme dûment représentés devant la Cour.

Mes Mukhashavria et Dzamukashvili estiment que l’argument du gouvernement russe qu’elles ne sont pas dûment mandatées pour représenter les requérants extradés est erroné. Elles attirent l’attention de la Cour sur le fait que les requérants en question avaient été extradés en urgence sans qu’elles aient accès à la prison. Par conséquent, les requérants n’avaient pas eu la possibilité d’établir des pouvoirs à leurs noms. En revanche, Mes Gabaïdzé, Khidjakadzé et Tchkhatarashvili, avocats de ces requérants devant les juridictions géorgiennes, avaient délégué leurs pouvoirs à Mes Mukhashavria et Dzamukashvili dans le meilleur intérêt de leurs clients. Mes Mukhashavria et Dzamukashvili produisent les actes de délégation des pouvoirs établis à leurs noms par Mes Gabaïdzé, Khidjakadzé et Tchkhatarashvili. Les avocates font valoir que, les autorités russes faisant tout le nécessaire pour qu’elles ne soient pas en contact avec les requérants extradés, le gouvernement russe n’est pas fondé à leur opposer l’absence d’un titre de représentation délivré en bonne et due forme.

Dès lors que la Cour n’a eu à ce jour aucun contact direct ou indirect avec les requérants extradés et compte tenu de la situation d’urgence dans laquelle ils avaient été transmis aux autorités russes, elle n’estime pas possible de se prononcer à ce stade sur le bien-fondé de l’exception que le gouvernement russe tire de l’absence de la représentation des requérants extradés en bonne et due forme devant la Cour.

B. Les exceptions préliminaires soulevées par le gouvernement géorgien

Dans ses observations écrites, le gouvernement géorgien soulève une première exception tirée du caractère manifestement mal fondé de la requête. Notamment, il considère que, contrairement aux affirmations des requérants, il n’existe pas pour eux de risques de condamnation à mort ou de traitements inhumains en Fédération de Russie. Selon lui, dirigeant leur plainte contre la Géorgie, les requérants ne firent valablement valoir aucun argument prouvant que les autorités géorgiennes avaient violé les dispositions de la Convention à leur égard. Leurs griefs dirigés contre la Géorgie seraient ainsi dénués de tout fondement. Le gouvernement géorgien soutient que le seul conflit en Tchétchénie ne saurait certifier que des détenus tchétchènes font l’objet de traitements inhumains ou dégradants en Russie. De plus, les requérants ne s’appuient sur aucun précédent qui laisserait raisonnablement croire qu’il existe pour eux en Russie un danger de mort ou de torture.

Dans les mêmes observations écrites, le gouvernement géorgien soulève une seconde exception tirée du caractère abusif de la requête. Il affirme que les avocates des requérants ont soumis à la Cour de fausses informations. Il soutint notamment que, contrairement aux affirmations des avocates, la visite des procureurs stagiaires en prison informant les requérants de leur possible extradition avait effectivement eu lieu et soumet des éléments de preuve à l’appui.

Le gouvernement géorgien n’a pas développé ces deux exceptions préliminaires lors de sa plaidoirie à l’audience sur la recevabilité.

La Cour estime que la question relative au caractère réel du risque auquel les requérants pourraient être exposés suite à leur extradition, ainsi que celle de savoir si les requérants extradés furent effectivement informés de la décision de leur extradition, sont étroitement liées au fond des griefs des requérants et ne pourront être tranchées à ce stade de l’examen de l’affaire.

C. Quant aux griefs

Grief tiré de l’article 2 de la Convention visant la Géorgie et la Russie

Les requérants soutiennent que leur extradition en Fédération de Russie où la peine capitale n’est pas abolie les expose à un risque de mort. Ils attirent en outre l’attention de la Cour sur la violence dont fait l’objet le peuple tchétchène en Fédération de Russie et affirment que leur extradition est porteuse de danger d’extermination physique. Les représentantes des requérants soutiennent en outre que le requérant Aziev serait décédé au cours de son extradition, en Géorgie ou en Russie.

L’article 2 de la Convention est ainsi rédigé :

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire : a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ; b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ; c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

Le gouvernement russe affirme que les requérants ne seront pas condamnés à la peine capitale, puisque, conformément à l’arrêt du 2 février 1999 de la Cour constitutionnelle russe, dans aucune entité fédérative, nul ne peut être condamné à mort par aucun tribunal. Il rappelle que, les 27 septembre et 16 octobre 2002, les autorités russes fournirent à leurs homologues géorgiens la même garantie à l’appui de leur demande d’extradition des requérants. Le 11 novembre 2002, le gouvernement russe garantit à la Cour également « qu’à l’égard de cinq requérants extradés, ainsi qu’en cas d’extradition de huit requérants détenus à Tbilissi, la peine capitale ne serait pas appliquée ».

Quant à la mort alléguée du requérant Aziev, le gouvernement russe soutient que celui-ci est sain et sauf et produit ses photographies prises après son extradition, ainsi que ses certificats médicaux.

Le gouvernement géorgien soutient à son tour qu’à aucun moment, les requérants ne s’étaient opposés à leur extradition et n’avaient soulevé devant les autorités du Parquet général géorgien leurs griefs tirés du danger à la vie en cas de leur extradition en Russie. Il affirme que, de surcroît, deux fois, les agents du parquet avaient donné aux requérants la possibilité de s’exprimer au sujet de leur extradition éventuelle, mais que ceux-ci avaient refusé de formuler leur avis. Néanmoins, les autorités géorgiennes avaient fait le nécessaire pour obtenir de leurs homologues russes des garanties quant au sort des extradés en Russie. En dehors des garanties écrites maintes fois réitérées, le Procureur général géorgien aurait obtenu également de son homologue russe des garanties et assurances verbales. Le gouvernement géorgien soutient que, lors de la prise de décision sur l’extradition, le fait que la Russie était membre du Conseil de l’Europe et que, depuis 1996, l’exécution de la peine de mort était frappée d’un moratoire, avait été pris en compte.

Les avocates rétorquent que ce que le gouvernement russe qualifie de moratoire n’est en réalité qu’un décret du 16 mai 1996 pris par le Président Yeltsin au sujet de « la suppression graduelle de la peine de mort ». Elles rappellent que ce décret ne traite, à aucun moment, de la question de moratoire, mais requiert tout simplement du gouvernement russe d’élaborer « un projet de loi fédérale relative à l’adhésion de la Fédération de Russie au Protocole no 6 ». Le même décret recommande au pouvoir législatif de réduire le nombre de délits dont la commission pourrait entraîner l’application de la peine de mort et appelle le ministère de l’Intérieur et le parquet à faire preuve d’humanité à l’égard des personnes condamnées à mort. Les avocates rappellent qu’à aucun moment, le décret ne déclare l’abolition de la peine de mort ou la suspension de son exécution. Selon elles, ce que les autorités russes qualifient de moratoire n’est qu’une mesure provisoire touchant à l’administration de l’application de la peine capitale.

Quant à l’arrêt constitutionnel du 2 février 1999, les avocates affirment qu’il ne porte pas l’interdiction de l’application de la peine de mort. Le juge constitutionnel dit simplement que « avant l’instauration des cours d’assises sur tout le territoire de la Fédération, la peine capitale ne peut être appliquée ni par une cour d’assise ni par une chambre formée de trois juges professionnels ou d’un juge unique et de deux assesseurs ». Aux yeux des avocates, ceci signifie qu’une fois l’instauration du système des cours d’assises achevée sur tout le territoire de la Fédération de Russie, la peine de mort sera à nouveau appliquée. D’autant plus que le 27 décembre 2002, la Douma de la Fédération de Russie adopta une loi portant les amendements de la loi fédérale relative à l’entrée en vigueur du code de procédure pénale selon laquelle, les cours d’assises devront être instaurées graduellement sur tout le territoire du pays et ce processus devra être achevé le 1er janvier 2007.

C’est au regard de ces circonstances que les avocates dénoncent la décision des autorités géorgiennes d’extrader les requérants vers un pays où la sentence capitale n’est toujours pas abolie.

Les avocates rappellent que « les ressortissants russes d’origine tchétchène fuient la Tchétchénie à cause de l’agression perpétrée dans cette région par la Russie ». La Géorgie attribue souvent à ces personnes un statut de réfugiés vu « le danger de mort, d’humiliation et de traitement brutal » qu’ils risquent dans leur pays.

Les avocates mettent en doute les photographies du requérant Aziev qui, selon « le ministère des Affaires Etrangères de la République tchétchène », serait décédé. Les avocates portent à la connaissance de la Cour la réaction du requérant Baisarov, détenu à Tbilissi, à propos de la photographie du requérant Aziev soumise à la Cour le 23 novembre 2002. Le requérant Baisarov aurait trouvé étrange que la personne représentée sur la photographie en qualité du requérant Aziev ne porte pas de marques de violence dont il avait fait l’objet lors de sa sortie forcée de la cellule avant l’extradition. Il aurait été battu sans merci par les Spetsnaz géorgiens, son visage étant ensanglanté et un œil quasiment sorti de l’orbite.

La Cour note que les crimes reprochés aux requérants par les autorités russes au titre de l’article 317 du code pénal russe sont passibles de la privation de liberté de douze à vingt ans, de la réclusion perpétuelle ou de la peine de mort. Elle souligne que l’âge de la majorité des requérants varie entre 22 et 31 ans. La peine capitale n’étant pas abolie en Fédération de Russie, les tribunaux russes s’abstiennent, en principe, de l’appliquer. La Cour rappelle que le Protocole no 6 signé par la Russie le 16 avril 1996, n’est toujours pas ratifié. Elle relève qu’un Etat contractant n’ayant pas ratifié le Protocole no 6, est autorisé à appliquer la peine capitale sous certaines conditions conformément à l’article 2 § 2 de la Convention. Dans de tels cas, la Cour recherche à savoir si la peine capitale elle-même ne constitue un mauvais traitement prohibé par l’article 3 de la Convention. La Cour a déjà établi que, par son article 2 § 1, les auteurs de la Convention ne pouvaient certainement pas avoir entendu inclure dans l’article 3 une interdiction générale de la peine de mort, car le libellé clair de l’article 2 § 1 s’en serait trouvé réduit à néant. Il n’en résulte pas que les circonstances entourant une sentence capitale ne puissent jamais soulever un problème sur le terrain de l’article 3 de la Convention. La manière dont elle est prononcée ou appliquée, la personnalité du condamné et une disproportion par rapport à la gravité de l’infraction, ainsi que les conditions de la détention vécue dans l’attente de l’exécution, figurent parmi les éléments de nature à faire tomber sous le coup de l’article 3 le traitement ou la peine subis par l’intéressé. L’attitude des Etats contractants envers la peine capitale entre en ligne de compte pour apprécier s’il y a dépassement du seuil tolérable de souffrance ou d’avilissement. La Cour a également considéré que la jeunesse de l’intéressé constituait également une circonstance propre à mettre en cause, avec d’autres, la compatibilité avec l’article 3 de mesures accompagnant une sentence capitale (Soering c. Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 161, §§ 103-108).

Au regard de cette jurisprudence de la Cour, se pose d’abord la question de savoir si la Géorgie, ayant exposé les requérants au risque de condamnation à la peine capitale, n’a pas manqué à ses obligations au titre de l’article 3 de la Convention. La Cour devra déterminer également si, au regard de nombreuses allégations des cas d’exécutions arbitraires des détenus d’origine tchétchène en Russie, maintes fois affirmées par différentes organisations non gouvernementales et organisations internationales, la Géorgie n’a pas méconnu les exigences de l’article 2 de la Convention. Ensuite, la Cour devra se prononcer sur la question de respect par la Russie de ses engagements soumis à la Cour au titre de l’article 2 de la Convention. Enfin, la Cour devra vérifier l’information selon laquelle, le requérant Aziev serait décédé suite aux sévices, en Géorgie ou en Russie.

Dans ces conditions et à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, la Cour estime que les griefs tirés du danger de condamnation des requérants extradés à la peine capitale, du danger auquel leurs vies seraient extrajudiciairement exposées dans le contexte du conflit en République tchétchène de la Fédération de Russie et de la mort alléguée du requérant Aziev, ne peuvent être tranchés à ce stade de l’examen de la requête. Ils nécessitent un examen au fond.

Grief tiré de l’article 3 de la Convention visant la Géorgie et la Russie

D’une part, les requérants se plaignent des traitements qu’ils subirent en prison dans la nuit du 4 octobre 2002 de la part des Spetsnaz géorgiens. Les requérants non extradés soutiennent qu’en cas de leur extradition en Russie, ils seront exposés aux traitements contraires à la Convention. Leurs représentantes allèguent que, détenus dans des conditions d’isolation totale, mis au secret sans assistance d’avocats de leur choix, les requérants extradés risquent réellement de faire l’objet de torture et de mauvais traitements en prison. Selon elles, au vu de ce risque, la Géorgie n’avait pas le droit d’extrader ces personnes vers la Russie.

L’article 3 de la Convention dispose :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

1. Quant à l’extradition

Le gouvernement géorgien fait valoir que les autorités géorgiennes agirent conformément à la jurisprudence bien établie de la Cour selon laquelle le pays à partir duquel l’intéressé est extradé a le devoir de s’assurer que la personne extradée ne se trouvera pas exposée à un risque de mort ou d’un traitement inhumain ou dégradant. Il soutient que, avant de décider de l’extradition des requérants, les autorités du Parquet général avaient fait le nécessaire pour obtenir de la part des autorités russes des garanties solides que les requérants ne seraient pas soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. Le gouvernement géorgien affirme avoir même demandé aux autorités russes de faciliter l’accès des représentants de la Croix Rouge à la prison où les requérants extradés seraient détenus. Le gouvernement géorgien estime, par conséquent, que le droit de ne pas faire l’objet d’une extradition n’étant pas garanti par la Convention et, les requérants ayant manqué de saisir les juridictions internes d’un moyen tiré de l’article 3 de la Convention, l’Etat géorgien n’a pas méconnu ses obligations positives au titre de la Convention.

Le gouvernement russe affirme à son tour que les conditions de détention des requérants extradés sont en conformité avec les exigences
de l’article 3 de la Convention. Ceci aurait même été constaté par les journalistes des chaînes de télévision russe RTR, ORT et NTV, en visite en prison. Les requérants auraient été interviewés. Dans sa lettre du 11 novembre 2002, le représentant de la Fédération de Russie informa la Cour que le gouvernement russe était prêt à accueillir une mission de la Cour pour rendre visite aux requérants extradés. Selon une lettre du vice Procureur général russe en date du 18 octobre 2002, les requérants extradés sont « vivants et en bonne santé, détenus dans une des prisons d’instruction préparatoire de la région de Stavropol selon les conditions prévues par la loi ».

Les avocates rétorquent que les requérants extradés ne pouvaient pas être « en bonne santé » peu après leur extradition vu le mauvais traitement qu’ils avaient subi en Géorgie dans la nuit de leur extradition. Elles mettent également en doute les certificats médicaux produits par le gouvernement russe le 14 novembre 2002 et affirment qu’ils dissimulent les blessures des requérants dues à leur transfert forcé de la prison no 5 vers l’aéroport de Tbilissi. Selon les dires des avocates, ayant transmis cinq requérants à la Russie, « la Géorgie se rendit, elle aussi, responsable du génocide perpétré par la Russie contre le peuple tchétchène ».

Dans sa lettre du 5 décembre 2002, le gouvernement russe dénonça catégoriquement le ton employé par les avocates dans leurs observations et rappela que l’opération militaire en République tchétchène de la Fédération de Russie visait à la restauration de l’ordre constitutionnel dans cette entité fédérative, ce qui garantirait, inter alia, l’instauration du respect des dispositions de la Convention dans cette république. Le gouvernement russe dénonça fermement les expressions employées par les avocates, telles « l’agression russe » et « conflit armé entre la Russie et la Tchétchénie », et rappela que la République tchétchène faisait partie de la Fédération de Russie et ses ressortissants étaient de nationalité russe. Le gouvernement russe dénonça la tentative des avocates de « présenter les terroristes armés comme des victimes d’un génocide ».

Les avocates doutent des garanties fournies à la Cour par le gouvernement russe et rappellent que le Conseil de l’Europe avait « publiquement mis en doute la loyauté de la Russie envers ses engagements au titre des accords signés ». Notamment, la Russie s’était engagée à notifier au Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (le « CPT », ci-dessous) les résultats des investigations de nombreux cas de « mauvais traitements physiques dans un lieu de détention à Tchernokozovo (nord-ouest la République tchétchène) pendant la période allant de décembre 1999 à début février 2000 ». Or, les avocates rappellent que, dans sa déclaration publique du 10 juillet 2001, le CPT constatait que, malgré les demandes formulées depuis début mars 2000, « aucune enquête de la nature de celle demandée par le CPT n’avait été menée et les autorités russes avaient fait clairement savoir qu’elles n’avaient nullement l’intention de procéder à une telle enquête ».

Concernant le traitement des personnes d’origine tchétchène par les autorités russes, les avocates attire l’attention de la Cour sur la Déclaration publique du CPT du 10 juillet 2003 qui fait état « d’un recours continu à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements de la part des membres des forces de l’ordre et des forces fédérales présentes en République tchétchène, de même que l’inefficacité des actions visant à faire traduire en justice ceux qui se sont rendus responsables de tels actes ».

Les avocates soutiennent que « les traitements contraires à l’article 3 de la Convention perpétrés par les autorités russes sont dirigés contre les personnes tchétchènes de sexe masculin ». A l’appui de cette affirmation, elles soumettent différents rapports de Human Rights Watch qui constatent qu’en Fédération de Russie, les détenus tchétchènes font l’objet de torture, notamment médicale, ainsi que des exécutions arbitraires. D’autres sont portés disparus sans aucune trace. Ceci exposerait tout un peuple à un danger sérieux d’extermination (Human Rights Watch, « Russia/Chechnya, Torture, Forced disappearences, and extrajudicial killings during sweep operations in Chechnya », Vol. 14, No 2 (D), February 2002 ; « Confessions at any cost, police torture in Russia », November 1999). Outre les constats alarmants, ces rapports contiennent une soixantaine d’interviews de Tchétchènes qui, maintenus dans une douzaine de « centres de détention » à travers la Tchétchénie et les régions limitrophes du Caucase, ont survécu à la torture, au viol et aux mauvais traitements. Ils ont été libérés grâce aux pots de vin payés aux soldats russes. Les rapports exposent différents types de torture pratiqués dans ces centres. Le rapport « Welcome to Hell (...) » expose les témoignages de torture et de mauvais traitements que subissent les détenus tchétchènes dans les « SIZO » de la région de Stavropol (« Welcome to Hell, Arbitrary detention, torture, and extortion in Chechnya », October 2000, p. 56). Parmi les méthodes habituelles de mauvais traitement et de torture pratiquées dans les lieux de détention de la région de Stavropol, figurent la méthode de « live corridor » (gauntlet), celles de « passage à tabac des détenus courbés mis à genoux », de « passage à tabac à coups de massue, pratiqué dans des salles de douche sur les détenus dénudés » etc. Tous les anciens détenus tchétchènes qui témoignent auprès de Human Rights Watch portent des noms inventés et y figurent sous des pseudonymes présentés entre guillemets. Pour les avocates, au regard de ce constat de Human Rights Watch, l’isolement total des requérants extradés dans « une des SIZO de la région de Stavropol » jette un doute sérieux sur le traitement qu’ils risquent de subir en Fédération de Russie.

2. Quant aux événements du 4 octobre 2002

Quant à la violation alléguée de l’article 3 par les autorités géorgiennes dans la nuit du 4 octobre 2002, les avocates rappellent que le mauvais traitement eut lieu à l’égard des requérants angoissés et mal informés qui tentaient de se défendre contre leur extradition vers la Russie.

Le gouvernement géorgien rétorque que l’usage de la force avait été rendu strictement nécessaire face au refus des requérants d’obtempérer aux ordres légaux des agents pénitentiaires et à la violence dont ils avaient fait preuve. Entrés dans la cellule no 88, les agents pénitentiaires et les membres des forces à désignation spéciale avaient été amenés à se défendre contre l’attaque des requérants, armés de différentes pièces en métal provenant des grilles des fenêtres, des lits et de la robinetterie de la cellule, ainsi que de lances fabriquées à partir des morceaux de briques noués dans des draps et vêtements. Le gouvernement renvoie aux certificats médicaux et rapports d’expertise médicale de cinq agents pénitentiaires et d’un membre des forces à désignation spéciale qui avaient été blessés par les requérants, alors que, selon les mêmes certificats médicaux, les requérants eux-mêmes ne présentaient pas de lésions plus importantes.

3. L’appréciation de la Cour

La Cour rappelle qu’il pèse sur les Etats contractants une obligation de ne pas extrader ou expulser l’intéressé vers un pays, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire qu’il y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention (Chahal c. Royaume Uni, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, p. 1853, §§ 73-74 ; Soering c. Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 161, p. 35, §§ 90-91 ; Cruz Varas et autres c. Suède, arrêt du 20 mars 1991, série A no 201, p. 28, §§ 69-70). La Cour a déjà dit, avec force et clarté, qu’elle était parfaitement consciente des énormes difficultés que rencontrent à notre époque les Etats pour protéger leur population de la violence terroriste (Chahal, précité, p. 1853, § 79). Cependant, même en tenant compte de ces facteurs, la Convention prohibe en termes absolus la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les agissements de la victime. De plus, les articles 2 et 3 de la Convention ne prévoient pas de restrictions et ne souffrent nulle dérogation d’après l’article 15 même en cas de danger public menaçant la vie de la nation (voir, Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, p. 65, § 163, et aussi Tomasi c. France, arrêt du 27 août 1992, série A no 241-A, p. 42, § 115).

Quant aux requérants extradés, ils n’ont jamais informé la Cour, eux-mêmes ou par l’intermédiaire des avocats, de leur état de santé. En outre, les affirmations des autorités russes qu’ils sont « en vie, en bonne santé et détenus dans de bonnes conditions » contredisent les arguments présentés par les avocates qui estiment que, le sort des extradés étant rendu strictement confidentiel, l’opacité laisse place aux soupçons. De surcroît, les dires des autorités russes et géorgiennes contredisent l’hypothèse des avocates selon laquelle le requérant Aziev serait décédé au cours d’extradition. L’isolement total des extradés et l’interdiction pour les avocates géorgiennes d’avoir accès à ces requérants, ne permettent pas d’apprécier leur situation réelle. Les requérants extradés ne répondirent pas au courrier de la Cour, parvenu le 24 décembre 2002 à l’établissement pénitentiaire où ils étaient détenus.
Le 9 décembre 2002, le représentant de la Fédération de Russie informait la Cour que les avocats russes dont il avait soumis les noms et adresses, « protestaient contre les tentatives de la Cour de les contacter ». Dans leur lettre du 26 août 2003, Mes Molochkov et Koutchinskaya soutinrent que les requérants Shamayev, Khadjiev et Visitov ne s’étaient jamais plaints de la violation de leurs droits garantis par la Convention et qu’ils n’avaient jamais exprimé le souhait de saisir la Cour. Les avocats russes de MM. Aziev et Adaev, deux autres requérants extradés, ne répondirent jamais à la lettre de la Cour.

Le 17 juin 2003, la Cour a décidé d’indiquer au gouvernement russe, en application de l’article 39 du règlement, de donner aux avocates géorgiennes Mes Mukhashavria et Dzamukashvili libre accès à cinq requérants détenus en Russie afin que ceux-ci leur donnent des instructions avant l’audience. Cette décision a été prise dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure devant la Cour, en particulier la préparation de l’audience. Le 21 août 2003, M. P. Laptev informa la Cour que le gouvernement russe « ne considérait pas Mes Mukhashavria et Dzamukashvili comme représentantes des requérants extradés et qu’il ne pourrait entreprendre aucune démarche dans ce sens ». Le 22 août 2003, conformément aux instructions du Président de section, le gouvernement russe fut à nouveau invité à respecter la mesure provisoire du 16 juin 2003 et à garantir aux avocates géorgiennes, avant l’audience du 16 septembre 2003, le libre accès aux requérants extradés. La mesure provisoire indiquée au gouvernement russe le 17 juin 2003 ne fut pas respectée.

Vu l’impossibilité d’apprécier la situation réelle des requérants extradés et compte tenu des arguments des parties, la Cour estime que le grief tiré de l’article 3 visant tant la Géorgie que la Russie ne peut être tranché à ce stade de l’examen de la requête. Il doit faire l’objet d’un examen au fond.

Griefs tirés des articles 6 et 13 de la Convention visant la Géorgie

Les représentantes des requérants soutiennent que la décision de l’extradition du 2 octobre 2002 n’avait pas été notifiée aux requérants extradés et que leurs avocats devant les juridictions internes avaient appris que leurs clients seraient transférés à l’aéroport de Tbilissi seulement le matin du 4 octobre 2002. Les requérants non extradés n’auraient pas été mis non plus au courant de ce qu’une procédure d’extradition était également en cours à leur égard. Les avocates dénoncent le fait que le Parquet général de Géorgie a gardé dans le secret la demande d’extradition des requérants, n’a pas tenu ceux-ci informés des charges retenues contre eux par les autorités russes et les a privés de toute possibilité de saisir un tribunal contre la décision de leur extradition. Elles mettent également en cause la législation géorgienne en matière d’extradition qui ne prévoit aucune voie de recours contre de telles décisions, prises par le Parquet général sans aucun contrôle judiciaire. Les représentantes des requérants invoquent les articles 6 et 13 de la Convention.

La Cour rappelle que, le 5 novembre 2002, il fut décidé d’examiner, ex officio, les doléances que les requérants fondent sur les articles 6 et 13, sous l’angle de l’article 5 §§ 1, 2 et 4 de la Convention qui constitue lex specialis en matière de la détention.

L’article 5 §§ 1, 2 et 4 de la Convention dans ses parties pertinentes stipule :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...)

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ; (...)

2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale ».

A titre liminaire, le gouvernement géorgien invite la Cour à prendre en compte le fait que les autorités géorgiennes consentirent à extrader les seules personnes dont les identités avaient pu être réellement établies. Vu l’insuffisance d’éléments dans le cas de huit requérants, les autorités géorgiennes n’avaient pas cédé aux exigences et pressions exercées sur elles par leurs homologues russes.

Dans le cadre de ses observations orales, le gouvernement géorgien informa la Cour que les requérants Tepsaev et Baisarov ne seraient pas extradés vers la Russie, étant donné leur nationalité géorgienne. Le requérant Baemurzaev ne serait également pas extradé, vu son statut de réfugié politique en Géorgie. Quant aux requérants Isiev, Khanoev et Usmanov, la question de leur extradition serait réexaminée une fois que les autorités russes auraient fourni tous les documents nécessaires à l’appui de leur demande. L’identification du requérant Khashiev et l’étude du statut de réfugié du requérant Mirjoev étant en cours, la question de leur extradition serait décidée selon les résultats de ces recherches.

Quant à la substance du grief, le gouvernement géorgien soutient que les requérants extradés furent informés à plusieurs reprises de leur possible extradition vers la Russie. Il affirme que, le 23 août 2002, un procureur stagiaire du Parquet général de Géorgie (M. Darbaidzé) avait rencontré les requérants Isiev, Khanoev, Aziev, Shamayev et Khadjiev pour les interroger séparément. A cette occasion, il les avait informés de l’éventualité de leur extradition en les invitant à formuler des objections à ce sujet. Or, ces cinq requérants avaient refusé tout commentaire. Le gouvernement géorgien soumet les procès-verbaux de ces interrogatoires. Les 13 et 26 septembre 2002, le même procureur, accompagné d’un autre procureur stagiaire (Mme Nadaréichvili), avait également informé les requérants Baemurzaev, Mirjoev, Usmanov, Baisarov, Adaev, Khasheiv, Visitov et Tepsaev de l’éventualité de leur extradition. Ceux-ci avaient également refusé de formuler des plaintes.

Le gouvernement géorgien fait valoir que, quoi qu’il en soit, le code de procédure pénale géorgien en vigueur ne prévoit pas une obligation pour le Parquet général de notifier la décision d’extradition à la personne concernée. Il rappelle que le droit de ne pas être extradé ou de contester la décision de l’extradition ne tombe sous le coup de la Convention que lorsque l’intéressé craint, dans le pays de destination, des traitements contraires aux articles 2 et 3 de la Convention. Or, malgré la possibilité qui leur avait été donnée les 23 août, 13 et 26 septembre 2002, aucun des requérants n’avaient soulevé les griefs dont ils saisissent la Cour dans le cadre de la présente requête.

Les avocates répliquent que, le 22 août 2002, les avocats des requérants devant les juridictions internes avaient sollicité le Parquet général en vue de prendre connaissance des documents relatifs aux charges retenues contre leurs clients en Russie. Le 30 août 2002, le Parquet général de Géorgie avait rejeté cette demande, au motif que les documents en cause portaient sur les faits prétendument commis par les requérants en Russie et n’avaient aucun lien avec les affaires dans lesquelles ces avocats représentaient les requérants devant les autorités géorgiennes.

Le gouvernement géorgien rétorque que le droit de ne pas être extradé d’un pays vers un autre n’étant pas garanti en tant que tel par la Convention, les autorités géorgiennes n’étaient pas tenues de chercher à donner aux requérants accès aux dossiers pénaux constitués à leur encontre en Fédération de Russie. En revanche, elles avaient garanti le droit des requérants d’être informés, à l’aide des interprètes, de la raison de leur arrestation en Géorgie, ainsi que des charges retenues contre eux par les autorités géorgiennes. Leur droit d’accès à leurs dossiers pénaux géorgiens et à l’assistance des avocats de leur choix avait également été respecté.

Le gouvernement géorgien informe la Cour que, selon la législation nationale, l’autorité compétente en matière d’extradition est le Parquet général de Géorgie. Le 28 octobre 2002, l’absence de procédure judiciaire contre les décisions d’extradition prises par le Parquet général fit l’objet de l’examen par la Cour suprême dans une autre affaire d’extradition (affaire Aliev). La juridiction suprême était amenée à se prononcer sur la question de savoir si une décision d’extradition d’un ressortissant étranger prise par le Parquet général devait faire l’objet d’un recours judiciaire et quel tribunal serait compétent pour connaître d’un tel recours. Le collège des affaires pénales de la Cour suprême établit :

« (...) vu l’absence de normes de procédure concernant le recours judiciaire dans les affaires d’extradition, vu l’article 13 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, M. Aliev doit disposer d’un recours judiciaire contre la décision de son extradition. (...) Le collège considère que ce recours devra être examiné par la Cour suprême à la lumière des dispositions de l’article 242 § 3 du code de procédure pénale, interprété par analogie. (...) Vu que la décision de l’extradition de M. Aliev fut prise par le Parquet général de Géorgie, le tribunal de première instance de Mthatsminda-Krtsanissi de la ville de Tbilissi sera territorialement compétent pour connaître de son recours contre cette décision ».

Le gouvernement géorgien conclut donc qu’il existe, en droit géorgien, un recours judiciaire contre une décision d’extradition prise par le Parquet général. Toutefois, il sollicite la Cour de prendre en compte le fait qu’il y eut une différence de traitement entre les requérants extradés le 4 octobre 2002 et huit requérants restés en Géorgie. Le gouvernement géorgien considère que, même si la Cour déclarait recevable le grief de cinq requérants extradés tiré de l’absence de voie de recours judiciaire contre la décision de leur extradition, il n’y a pas lieu de déclarer recevable le même grief formulé par les autres requérants. Ceux-ci ne sauraient valablement se prétendre victimes d’une violation des dispositions de la Convention, étant donné que, conformément à la jurisprudence Aliev de la Cour suprême, ils disposèrent d’un recours judiciaire pour contester la décision de leur extradition. Le gouvernement géorgien estime que la jurisprudence Aliev comblera la lacune de la législation géorgienne jusqu’à ce que le nouveau code de procédure pénale, en cours d’élaboration, soit adopté et qu’il soit remédié aux manquements du code actuellement en vigueur.

Le gouvernement géorgien fait valoir qu’à supposer même que la législation géorgienne soit floue en matière d’extradition, les requérants extradés auraient pu saisir la Cour suprême à l’instar de M. Aliev en vertu des articles 242 § 3 et 259 § 4 du code de procédure pénale selon lesquels, « la personne sujette à l’extradition a le droit de saisir un tribunal pour défendre ses droits ».

Les avocates rétorquent que la décision d’extradition ayant été gardée dans le secret par le Parquet général, les requérants n’auraient pas pu saisir un tribunal sur le fondement de l’article 259 § 4 du code de procédure pénale à l’instar de M. Aliev. De surcroît, selon les avocates, le recours de M. Aliev aurait été examiné par la Cour suprême le 28 octobre 2002 en urgence suite à la décision de la Cour du 4 octobre 2002. Ceci aurait visé à ouvrir en pratique une voie de recours judiciaire aux personnes menacées d’extradition.

Pour les avocates, l’extradition de cinq requérants était, de toute manière, contraire à la législation géorgienne. Etant mis en examen pour avoir commis des infractions sur le territoire géorgien, tel que l’exige l’article 256 § 6 du code de procédure pénale, ces requérants n’auraient pas dû être extradés avant qu’un jugement ait été rendu à leur égard par un tribunal géorgien. Aussi, si l’extradition s’avérait tout de même inévitable, conformément au paragraphe 7 du même article, il appartenait à la Cour suprême de décider de la remise temporaire des requérants aux autorités russes. Or, en violation de cette législation, c’est le Procureur général qui avait décidé, sans juge ni avocat, d’extrader cinq requérants.

Quant aux visites rendues aux requérants par les procureurs stagiaires Darbaïdzé et Nadaréichvili, les avocates affirment que leurs noms ne figurent pas sur le registre des visites de la prison no 5 et, contrairement aux dires du gouvernement géorgien, les requérants n’auraient pas été informés par ces procureurs de leur extradition éventuelle. Les avocates mettent également en doute la capacité des procureurs stagiaires d’informer la personne à extrader de la décision du Procureur général. Les lois relatives au parquet et à la Fonction publique ne reconnaîtraient pas le statut de procureur stagiaire.

En réponse, le gouvernement explicite que, sont inscrits sur le « registre des instructeurs, défenseurs et individuels entrés dans la prison no 5 de Tbilissi », les visiteurs qui nécessitent un laissez-passer spécial préalablement délivré par l’administration pénitentiaire. Or, conformément au chapitre XII des « Statuts relatifs à la sécurité des établissements d’exécution des peines, aux règles d’accompagnement des détenus par la garde et aux recherches », les procureurs sont admis dans les prisons sur présentation de leur badge professionnel. De ce fait, ils ne sont pas inscrits sur le « registre des instructeurs, défenseurs et individuels ». Le gouvernement géorgien produit des copies du « registre des détenus appelés dans les bureaux d’instruction de la prison » dont il ressort que, les 23 août et 13 septembre 2002, les procureurs stagiaires Darbaïdzé et Nadaréichvili avaient effectivement rendu visite aux requérants. Par ailleurs, une lettre du directeur de la prison affirme que ces visites avaient eu lieu. Le gouvernement géorgien déplore le fait que les avocates soumettent à la Cour des informations erronées. Ceci confirmerait le fait qu’elles abusent du droit de saisine de la Cour.

Quant au statut des procureurs stagiaires, le gouvernement géorgien explique que les procureurs stagiaires sont chargés de remplir les mêmes fonctions que les procureurs, enquêteurs et assistants des procureurs. Par conséquent, les procureurs stagiaires Darbaïdzé et Nadaréichvili agissaient dans le cadre de leurs fonctions légalement établies.

A la lumière des arguments des parties et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, la Cour estime que les griefs tirés de l’article 5 §§ 1, 2 et 4 de la Convention contre la Géorgie ne peuvent être tranchés à ce stade de l’examen de la requête. Ils doivent faire l’objet d’un examen au fond.

Le grief tiré de l’article 6 de la Convention visant la Russie

Les représentantes des requérants affirment que, contrairement aux affirmations du gouvernement russe, les requérants extradés ne disposèrent en Russie d’aucun avocat librement choisi. Elles estiment que ces requérants pourraient éventuellement disposer d’une assistance formelle des avocats commis d’office, mais ceci, vu l’isolement total des requérants et l’interdiction d’accès à toute information les concernant, ne saurait être qualifié de défense effective au sens de l’article 6 de la Convention.

Les dispositions pertinentes de l’article 6 de la Convention sont ainsi rédigées :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

3. Tout accusé a droit notamment à : (...) c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; (...) ».

Le gouvernement russe affirme que les requérants extradés bénéficièrent, depuis leur arrivée en Russie, de l’assistance des avocats dont il soumet les noms et adresses. Il informe également la Cour du nombre et de la durée des rencontres de ces avocats avec chaque requérant extradé. Ces rencontres auraient eu lieu sous surveillance des gardes pouvant seulement observer le déroulement des rendez-vous, mais ne pouvant pas entendre les propos tenus. Le gouvernement russe affirme de surcroît qu’en cas d’extradition des autres requérants, ceux-ci bénéficieront également de l’assistance de conseils habilités, conformément à la législation russe et à la Convention.

Me Mukhashavria rétorque que, détenus dans un endroit inconnu de tout le monde et complètement coupés de leurs familles et proches, les requérants extradés ne sont pas en mesure de communiquer à qui que ce soit leurs souhaits de choisir tel ou tel avocat. Selon elle, l’attribution des avocats commis d’office dans les conditions particulières du cas d’espèce ne saurait passer pour compatible avec les exigences de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.

La Cour note que, le 11 novembre 2002, le gouvernement russe soumit à la Cour les noms des avocats des requérants extradés devant les juridictions russes. Suite à la demande réitérée de la Cour, le 19 novembre 2002, il soumit également leurs adresses. Le 9 décembre 2002, le gouvernement russe informait la Cour que ces avocats « protestaient » contre les tentatives de la Cour de les contacter. Les requérants extradés n’ont jamais répondu eux-mêmes au courrier de la Cour parvenu à l’établissement de leur détention le 24 décembre 2002. Ce n’est que le 21 août 2003 que deux avocats russes assistant les requérants Shamayev, Khadjiev et Visitov ont répondu à la Cour pour l’informer que leurs clients ne souhaitaient guère saisir la Cour. L’avis de deux autres requérants extradés demeure inconnu.

Le gouvernement russe soumit de nouveaux éléments au sujet de l’assistance des requérants extradés par les avocats juste avant l’audience du 16 septembre 2003. Toutefois, en dépit de la mesure provisoire indiquée le 16 juin 2003 en vertu de l’article 39 du règlement, le gouvernement russe n’a pas garanti aux avocates géorgiennes l’accès libre aux requérants extradés en vue de la préparation de l’audience. Il ne fut donc pas possible d’apprécier réellement la situation des requérants extradés.

Dans ces conditions et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, la Cour estime que le grief tiré de l’article 6 de la Convention visant la Russie ne peut être tranché à ce stade de l’examen de la requête. Il doit faire l’objet d’un examen au fond.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Déclare la requête en tant qu’elle est dirigée contre la Géorgie recevable, tous moyens de fond réservés ;

Déclare la requête en tant qu’elle est dirigée contre la Russie recevable, tous moyens de fond réservés, et décide de joindre à l’examen du fond de l’affaire les exceptions préliminaires du gouvernement russe tirées de l’absence d’intention des requérants extradés de saisir la Cour, ainsi que de l’absence de leur représentation en bonne et due forme devant la Cour.

S. DolléJ.-P. Costa
Greffière Président


[1] Ethnie tchétchène vivant en Géorgie