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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
1.7.2003
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 46098/99
présentée par CLINIQUE MOZART SARL
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 1er juillet 2003 en une chambre composée de :

MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
Gaukur Jörundsson,
L. Loucaides,
C. Bîrsan,
M. Ugrekhelidze,
Mme A. Mularoni, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 3 août 1998,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, la société à responsabilité limitée Clinique Mozart, est une société française, sise à Nice. Elle est représentée devant la Cour par Me P.J. Ciaudo, avocat à Nice.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Du 22 juin au 27 septembre 1984, la société requérante a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 1980 au 31 décembre 1983. Le 28 septembre 1984, elle se vit notifier un premier avis de redressement concernant l’impôt sur les sociétés (IS), les distributions de bénéfices, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et les droits d’enregistrement.

Par une lettre du 28 octobre 1984, le gérant de la société sollicita de l’administration fiscale des éclaircissements sur les conséquences des redressements notifiés.

Le 2 novembre 1984, l’administration fiscale notifia à la société requérante un avis complémentaire.

Par une lettre du 30 novembre 1984, la société requérante présenta ses observations en réponse aux notifications de redressement.

Le différend fut soumis à la commission départementale des impôts directs et taxes sur le chiffre d’affaires qui se déclara incompétente lors de sa séance du 27 juin 1985.

Par une lettre du 3 décembre 1985, relative à la motivation des sanctions fiscales, l’administration fiscale informa la société requérante que s’agissant des distributions de bénéfices, à défaut de désignation des bénéficiaires, il serait fait application de l’amende prévue à l’article 1763 A du code général des impôts (CGI).

Par une lettre du 18 décembre 1985, la société requérante contesta notamment l’application de l’amende fiscale prévue par l’article 1763 A du CGI, relatif aux distributions occultes concernant des avantages que la société requérante aurait accordés selon l’administration fiscale aux médecins pratiquant des actes dans la clinique.

Le 15 juillet 1986, les cotisations supplémentaires à l’impôt sur les sociétés et les pénalités y afférentes furent mises en recouvrement.

Par une décision du 30 novembre 1988, le directeur des services fiscaux admit partiellement la réclamation de la société requérante. En revanche, il maintint les cotisations supplémentaires au titre de l’impôt sur les sociétés afférent aux années 1980 à 1983 et l’application de la pénalité prévue à l’article 1763 A du CGI.

Le 1er février 1989, la société requérante saisit le tribunal administratif de Nice d’une demande tendant à obtenir la décharge des cotisations litigieuses et de ladite pénalité. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, elle souleva trois moyens relatifs au défaut de motivation de la décision portant sur les pénalités, à l’absence d’une procédure contradictoire et à l’irrégularité du recours à l’article 1763 A du CGI.

Le 19 janvier 1991, le directeur des services fiscaux déposa son mémoire.

Le 14 janvier 1992, la société requérante déposa un mémoire en réponse.

Le 15 novembre 1993, le directeur des services fiscaux déposa son mémoire en réplique ; la société y répondit par un nouveau mémoire en date du 8 avril 1994.

Par un jugement du 13 octobre 1994, le tribunal administratif rejeta la demande de la société requérante en considérant notamment que l’article 6 § 1 de la Convention n’était applicable qu’aux procédures contentieuses ; par ailleurs, il considéra que faute d’avoir disposé d’informations nécessaires et de réponses satisfaisantes de la société requérante dans le délai de trente jours de la réception de la notification de redressements, l’administration avait pu la soumettre à la pénalité fiscale litigieuse.

Le 21 novembre 1994, la société requérante interjeta appel du jugement devant la cour administrative d’appel de Lyon.

Le 29 juin 1995, le ministre de l’Economie et des Finances déposa son mémoire.

Le 12 septembre 1995, la société requérante déposa un mémoire en réplique auquel le ministre de l’Economie et des Finances répondit par un mémoire enregistré au greffe le 5 avril 1996.

Le 12 juin 1996, le président avertit les parties que la décision de la cour était susceptible d’être fondée sur un moyen soulevé d’office.

Le 21 juin 1996, la société requérante déposa un mémoire en réponse au moyen soulevé d’office, auquel le ministre de l’Economie et des Finances répondit par un mémoire enregistré au greffe le 17 septembre 1996, tendant à contester l’applicabilité de la loi plus douce pour la détermination du taux de l’amende fiscale prévu par l’article 1763 A du CGI.

Par un arrêt du 9 octobre 1996, la cour administrative d’appel de Lyon considéra que « la pénalité visée à l’article 1763 A du code général des impôts présent[ait] le caractère d’une sanction de nature pénale à laquelle [devait] être appliqué le principe de la loi nouvelle moins sévère (...) ». Elle en conclut qu’il convenait de substituer la nouvelle pénalité de 100 %, à celles de 120 % et 130 % mises en recouvrement au titre des années 1980 à 1983.

Le 10 décembre 1996, le ministre de l’Economie et des Finances forma un recours devant le Conseil d’Etat.

Par un arrêt du 8 juillet 1998, le Conseil d’Etat rejeta le recours du ministre, considérant que celui-ci n’était pas fondé à soutenir qu’en ramenant le taux de pénalités à 100 % la cour administrative d’appel avait entaché son arrêt d’une erreur de droit.

GRIEFS

1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la société requérante se plaint de l’application automatique de l’amende fiscale visée à l’article 1763 A du CGI ayant le caractère d’une sanction de nature pénale sans que le contribuable puisse exercer sa défense, la législation interne ne prévoyant pas l’obligation pour l’administration de suivre une procédure contradictoire pour l’établissement des pénalités fiscales.

2. La société requérante estime également que la durée de la procédure n’est pas raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

EN DROIT

1. La société requérante se plaint de l’iniquité de la procédure en raison de l’application automatique de l’amende fiscale visée à l’article 1763 A du CGI. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Le Gouvernement soulève à titre principal une exception préliminaire tirée du défaut d’épuisement des voies de recours internes. Il constate, d’une part, que la requérante n’a pas formé de pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat et, d’autre part, qu’elle n’a pas soumis son grief à l’encontre du procès lui-même, et non à la seule phase administrative, aux juridictions internes.

A titre subsidiaire, le Gouvernement estime que les dispositions de l’article 6 § 1 ne sont pas applicables à la phase administrative préalable et, partant, que le grief devrait être déclaré incompatible ratione materiae.

A titre très subsidiaire, le Gouvernement estime que la phase juridictionnelle a respecté toutes les prescriptions de l’article 6 § 1 de la Convention. Tout en relevant l’existence de débats contradictoires devant les juges du fond, il indique notamment que si le juge national est placé devant un choix binaire, à savoir le maintien total ou la décharge complète des sanctions, une telle alternative illustre cependant un réel pouvoir de réformation de la décision administrative. En outre, la sanction est déjà graduée par le législateur en fonction du comportement du contribuable et elle est proportionnée par rapport à celui-ci.

La requérante estime que le pourvoi en cassation n’était pas un recours utile au regard de l’article 35 de la Convention. Selon elle, un pourvoi en cassation était manifestement voué à l’échec.

Sur le fond, elle insiste sur le fait que l’amende fiscale visée à l’article 1763 A du code général des impôts, amende à caractère pénal au sens de l’article 6, lui a été appliquée d’une façon systématique, sans procédure contradictoire aux stades administratif et juridictionnel, alors qu’elle n’a jamais eu l’intention de dissimuler l’identité des éventuels bénéficiaires des prétendues distributions occultes.

La Cour constate que ce grief de la requérante a déjà été soumis aux organes de la Convention dans le cadre de la requête no 34809/97. Par décision du 26 mai 1997, la Commission européenne des Droits de l’Homme a déclaré cette requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, la requérante n’ayant pas formé de pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat. La Convention ne prévoyant aucune voie de recours contre les décisions par lesquelles ses organes déclarent une requête irrecevable, la décision du 26 mai 1997 est définitive.

Eu égard à l’article 35 § 2 b) de la Convention, la Cour estime que cette partie de la requête est essentiellement la même que la précédente (no 34809/97) et ne contient pas de faits nouveaux.

Il s’ensuit qu’elle doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 2 et 4 de la Convention.

2. La requérante se plaint également de la durée de la procédure au regard de l’article 6 § 1 de la Convention.

Le Gouvernement estime que la procédure a débuté le 1er février 1989, date de la saisine du tribunal administratif et s’est terminée le 8 juillet 1998, date de l’arrêt du Conseil d’Etat. Tout en reconnaissant que l’affaire ne revêtait pas de complexité particulière, il estime que le nombre de mémoires déposés par la requérante a contribué à allonger la procédure, notamment en première instance. Concernant le comportement des autorités compétentes, le Gouvernement estime que seule la phase qui s’est déroulée devant le tribunal administratif a été relativement longue, ce qu’il explique pour l’essentiel par la date à laquelle l’administration fiscale a produit son premier mémoire en défense. Partant, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

La requérante considère que la lenteur de la procédure ne saurait lui être imputable, dès lors qu’elle a toujours répondu en quelques jours aux conclusions déposées par l’administration.

La Cour constate que la procédure a débuté le 18 décembre 1985, date de la présentation de la réclamation administrative (voir notamment l’arrêt J.B. c. France, no 33634/96, 26 septembre 2000, § 17) et s’est terminée le 28 juillet 1998, date de l’arrêt du Conseil d’Etat. Elle a donc duré douze ans, sept mois et dix jours.

La Cour estime, à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention en matière de « délai raisonnable » (complexité de l’affaire, comportement du requérant et des autorités compétentes), et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, que ce grief doit faire l’objet d’un examen au fond.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare recevable, tous moyens de fond réservés, le grief de la requérante tiré de la durée de la procédure ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

S. Dollé A.B. Baka
Greffière Président