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Rozsudek
DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE GÜLER ET AUTRES c. TURQUIE
(Requête no 46649/99)
ARRÊT
(Règlement amiable)
STRASBOURG
22 avril 2003
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Güler et autres c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 1er avril 2003 en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,
L. Loucaides,
R. Türmen,
C. Bîrsan,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
Mme W. Thomassen, juges,
et de M. T.L. Early, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 10 septembre 2002 et 1er avril 2003,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 46649/99) dirigée contre la République de Turquie et dont huit ressortissants de cet Etat, Mme Zahide Güler, MM. Faysal Güler, Yücel Güler, Hakan Güler et Yüksel Güler ainsi que Mlles Leyla Güler, Ceylan Güler et Yeliz Güler (« les requérants »), avaient saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 30 juillet 1998 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés devant la Cour par Me S. Kaya, avocat à Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. E. İşcan, ministre plénipotentiaire, directeur général adjoint pour le Conseil de l’Europe et les Droits de l’Homme.
3. La requête a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences des articles 2 et 13 de la Convention.
4. L’affaire a été transférée à la Cour le 1er novembre 1998 en vertu de l’article 5 § 2 du Protocole no 11 à la Convention. Le 10 septembre 2002, après avoir recueilli les observations des parties, la Cour a déclaré la requête recevable.
5. Le 19 décembre 2002, après un échange de correspondance, la greffière a proposé aux parties la conclusion d’un règlement amiable au sens de l’article 38 § 1 b) de la Convention. Les 23 janvier et 28 février 2003 respectivement, les requérants et le Gouvernement ont présenté des déclarations formelles d’acceptation d’un règlement amiable de l’affaire.
EN FAIT
6. Les requérants résident à Varto, un district du département de Muş, lequel est soumis à l’état d’urgence. Ils sont l’épouse et les enfants d’Ahmet Güler, décédé le 14 septembre 1994, à l’âge de 41 ans.
7. Le 14 septembre 1994 vers 0 h 45, Ahmet Güler trouva la mort alors qu’il faisait paître les bêtes aux environs de la colline de Seyithan. Il avait été touché par quatre balles tirées par un soldat, N.B., qui était de garde avec E.H. en position d’embuscade dans cette colline située à 500 mètres du bâtiment de la gendarmerie de Varto et à un kilomètre du village d’Aydınpınar.
8. Le 16 septembre 1994, dans le cadre de l’enquête pénale ouverte d’office par le parquet de Varto, le procureur de la République de Varto entendit N.B. et E.H., les deux soldats de garde lors de l’incident.
9. Le 12 octobre 1994, le parquet se déclara incompétent et transmit le dossier d’enquête au comité administratif de Varto.
10. Le comité administratif de Varto désigna H. Çakmak, chef de la police du district de Varto, comme inspecteur chargé d’enquêter sur le décès d’Ahmet Güler.
11. Les 15, 16 et 22 novembre 1996, H. Çakmak entendit Ş. Sezer, le maire du village d’Alagöz, C. Baydar et A. İbiş, membres du comité des sages du village ainsi qu’A. Mutlu, employeur d’Ahmet Güler. Ceux-ci déclarèrent avoir connu le défunt qui était berger depuis vingt ans. Ils affirmèrent qu’un de ses frères était un militant du PKK, alors que lui ne menait aucune activité politique.
12. Le 28 novembre 1994, H. Çakmak déposa son rapport concluant qu’il n’était pas nécessaire d’entamer des poursuites à l’encontre des gendarmes en question. Il estima, d’une part, que ces derniers étaient habilités à faire usage d’armes à feu dans l’exercice de leur fonction d’après la législation en la matière et que le défunt était censé bien connaître la région et devait ou aurait dû savoir la présence des soldats qui montaient la garde près des établissements militaires. D’autre part, il considéra que la présence du défunt sur les lieux de l’incident paraissait douteuse, compte tenu de sa connaissance de la région et du fait qu’un de ses frères faisait partie du PKK.
13. Le 1er décembre 1998, l’avocat des requérants s’adressa à la sous-préfecture de Varto pour s’informer de l’état de la procédure.
14. Par une lettre du 15 décembre 1998, le sous-préfet de Varto, T. Ergün, informa l’avocat qu’« un inspecteur a été désigné par la sous-préfecture et qu’à l’issue de l’enquête, il a été conclu qu’il n’était pas nécessaire d’entamer des poursuites en vertu de la loi sur les poursuites des fonctionnaires. »
15. Par ailleurs, en 1995, les requérants saisirent le tribunal administratif de Van d’une action en dommages et intérêts. Ils soutinrent qu’Ahmet Güler était décédé suite à des tirs de soldats alors qu’il faisait paître les bêtes. Ils requirent que la responsabilité du ministère de l’Intérieur fût reconnue et que ce dernier fût condamné à leur verser 2 380 000 livres turques en réparation des différents préjudices subis.
16. Le 22 novembre 1995, le tribunal administratif de Van rendit son jugement et débouta les requérants de leur demande au motif de l’absence d’une faute imputable à l’administration. Pour parvenir à cette conclusion, le tribunal énuméra la législation pertinente, à savoir l’article 11 de la loi no 2803 sur la compétence et les attributions des gendarmes qui habilite les gendarmes à faire usage d’armes à feu dans l’exercice de leur fonction et également l’article 39 c) de la directive concernant l’usage d’armes à feu qui prévoit que les membres des forces armées chargées d’assurer la protection d’un endroit ou d’un établissement seront habilités à faire usage d’armes à feu dans les cas où il est impossible de se débarrasser de l’attaque par un autre moyen. Vu ces dispositions et que les faits se sont déroulés dans une région où les actes de terrorisme étaient dirigés contre les forces de sécurité et où celles-ci devaient constamment prendre garde aux actes de violence qui y faisaient rage, le tribunal constata que le défunt, berger selon la partie demanderesse, a lui-même provoqué son décès de par son comportement, à savoir s’être approché de la position des gendarmes vers 0 h 45 et ce malgré tous les avertissements. Il conclut donc à l’absence d’une faute imputable à l’administration défenderesse.
17. Les requérants se pourvurent en cassation contre le jugement du 22 novembre 1995.
18. Dans la procédure devant le Conseil d’Etat, le juge rapporteur demanda que le jugement de première instance fût infirmé. D’après lui, il s’agissait bel et bien d’une faute imputable à l’administration, vu les circonstances douteuses de l’affaire.
19. Par un arrêt du 2 mars 1998, le Conseil d’Etat confirma le jugement de première instance, considérant que celui-ci est conforme à la loi et aux règles de la procédure.
EN DROIT
20. Le 3 mars 2003, la Cour a reçu du Gouvernement la déclaration suivante :
« 1. Le Gouvernement regrette la survenance de cas individuels d’homicides résultant de l’usage d’une force excessive, tel que dans les circonstances entourant la mort d’Ahmet Güler, nonobstant la législation turque existante et la détermination du Gouvernement à empêcher de tels incidents. Il admet que l’usage d’une force excessive constitue une violation de l’article 2 de la Convention, et s’engage à édicter les instructions appropriées et à adopter toutes les mesures nécessaires pour garantir que le droit à la vie – qui implique l’obligation de mener des enquêtes effectives – soit respecté à l’avenir. Il note à cet égard que les mesures légales et administratives récemment adoptées ont permis de réduire les cas d’homicides dans les circonstances du type de celles de la présente affaire et d’accroître l’effectivité des enquêtes menées.
2. En vue d’un règlement amiable de l’affaire ayant pour origine la requête no 46649/99, le Gouvernement offre de verser, ex gratia, aux requérants, 70 000 EUR (soixante-dix mille euros) au titre des préjudices et 5 000 EUR (cinq mille euros) au titre des frais et dépens, soit une somme globale de 75 000 EUR (soixante-quinze mille euros).
Cette somme ne sera soumise à aucun impôt ou charge fiscale en vigueur à l’époque pertinente et sera versée en euros sur un compte bancaire indiqué par les requérants ou par leur conseil dûment autorisé. Elle sera payable dans les trois mois à compter de la notification de l’arrêt de la Cour rendu en vertu de l’article 39 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Ce paiement vaudra règlement définitif de l’affaire. A défaut de paiement dans ledit délai, le Gouvernement s’engage à verser, à compter de l’expiration de celui-ci et jusqu’au paiement effectif de la somme en question, un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pour cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
3. Le Gouvernement considère que la surveillance par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe de l’exécution de l’arrêt de la Cour dans cette présente affaire ainsi que de ceux rendus dans les affaires similaires concernant la Turquie, constitue un mécanisme approprié pour garantir l’amélioration constante de la situation en matière de protection des droits de l’homme. Il s’engage à cet égard à poursuivre sa coopération, nécessaire pour atteindre cet objectif.
4. Enfin, le Gouvernement s’engage à ne pas solliciter le renvoi de l’affaire à la Grande Chambre au titre de l’article 43 § 1 de la Convention une fois que la Cour aura rendu son arrêt. »
21. Le 29 janvier 2003, la Cour avait reçu la déclaration suivante, signée par le représentant des requérants :
« 1. En qualité de représentant des requérants Zahide Güler, Faysal Güler, Yücel Güler, Hakan Güler, Yüksel Güler, Leyla Güler, Ceylan Güler et Yeliz Güler, j’ai pris connaissance des termes de la déclaration formelle, faite par le gouvernement de la République de Turquie, ainsi que des engagements qui y sont pris en vue d’un règlement amiable de l’affaire ayant pour origine la requête no 46649/99, en ce compris celle de verser aux requérants susmentionnés une somme globale de 75 000 EUR (soixante-quinze mille euros).
2. Dûment consultés par mes soins, les requérants acceptent les termes de cette déclaration et, en conséquence, renoncent à toute autre prétention à l’encontre de la Turquie à propos des faits à l’origine de la requête. Ils déclarent l’affaire définitivement réglée et s’engagent à ne pas demander, après le prononcé de l’arrêt de la Cour dans cette affaire, le renvoi de celle-ci à la Grande Chambre, en application de l’article 43 § 1 de la Convention. »
22. La Cour prend acte du règlement amiable auquel sont parvenues les parties (article 39 de la Convention). Elle est assurée que ce règlement s’inspire du respect des droits de l’homme tels que les reconnaissent la Convention ou ses Protocoles (articles 37 § 1 in fine de la Convention et 62 § 3 du règlement).
23. Partant, il convient de rayer l’affaire du rôle.
PAR CES MOTIFS, LA COUR , À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de rayer l’affaire du rôle ;
2. Prend acte de l’engagement des parties de ne pas demander le renvoi de l’affaire à la Grande Chambre.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 avril 2003 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
T.L. Early J.-P. Costa
Greffier adjoint Président