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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
27.3.2003
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

des requêtes nos 56002/00 et 7059/02
présentées par Yaşar BAZANCIR
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 27 mars 2003 en une chambre composée de

MM. G. Ress, président,
I. Cabral Barreto,
L. Caflisch,
R. Türmen,
B. Zupančič,
Mme H.S. Greve,
M. K. Traja, juges,
et de M. M. Villiger, greffier adjoint de section,

Vu les requêtes susmentionnées introduites les 31 janvier 2000 et 15 février 2002,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, MM. Yaşar Bazancır, Nevzat Bazancır, Ali Haydar Bazancır, Serdal Bazancır, Yılmaz Budancamanak et Abdullah Bozkurt, sont des ressortissants turcs, nés respectivement en 1981, 1978, 1980, 1976, 1977 et 1980. Ils sont représentés devant la Cour par Me S. Çınar, avocat à Diyarbakır.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

Les 4 et 5 août 1999, les requérants furent arrêtés par des agents de la direction de la sûreté de Bingöl, section de la lutte contre le terrorisme. Ils étaient suspectés d’être membres du PKK et de lui avoir porté aide et soutien.

Le 11 août 1999, ils furent entendus par le procureur de la République de Bingöl. Ils revinrent en partie sur leurs dépositions faites lors de la garde à vue.

Le même jour, les requérants furent traduits devant le juge assesseur près le tribunal pénal d’instance de Bingöl qui ordonna leur mise en détention provisoire. Devant le juge, ils contestèrent leurs dépositions faites lors de la garde à vue dans la mesure où elles auraient été obtenues sous la contrainte et la torture.

Par un acte d’accusation du 27 août 1999, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır, reprochant aux requérants Yaşar Bazancır et Nevzat Bazancır d’être membres du PKK et aux autres requérants de porter aide et soutien à cette organisation, intenta une action pénale à leur encontre sur la base des articles 168 § 2, 169 du code pénal et 5 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme.

A l’audience du 2 décembre 1999, la cour interrogea plusieurs témoins à décharge.

Par un arrêt du 22 mars 2001, la cour de sûreté de l’Etat acquitta trois des requérants, Ali Haydar, Serdal Bazancır et Abdullah Bazancır, faute de preuves. Quant aux trois autres, Yaşar Bazancır, Nevzat Bazancır et Yılmaz Budancamanak, elle les reconnut coupables des faits dont ils étaient accusés et condamna les deux premiers à douze ans et six mois d’emprisonnement et le troisième à trois ans d’emprisonnement.

Afin d’établir la culpabilité des requérants, la cour tint compte de leurs dépositions recueillies aux différents stades de la procédure, des déclarations d’un ancien membre du PKK, des procès-verbaux d’arrestation et de perquisition, des procès-verbaux de reconstitution des lieux, des procès-verbaux d’identification sur présentation de fichiers photographiques, des rapports médicaux et des procès-verbaux de transcription d’enregistrements vidéos.

Par un arrêt du 15 août 2001, la Cour de cassation confirma l’arrêt de la juridiction de première instance.

Dans son numéro du 11 août 1999, le quotidien Türkiye publia un article sur les opérations menées contre les présumés membres du PKK ainsi qu’une photo de Yaşar Bazancır prise lors de la reconstitution des lieux, sur laquelle on peut voir celui-ci de dos et de profil ne mentionnant aucun nom.

GRIEFS

Invoquant l’article 3 de la Convention, les requérants se plaignent d’avoir été torturés et subi des mauvais traitements lors de leur garde à vue.

Invoquant l’article 5 §§ 1 et 3 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de leur garde à vue et de l’absence d’une voie de recours leur permettant de mettre en cause la légalité de cette dernière.

Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, les requérants allèguent la méconnaissance de leur droit à un procès équitable dans la mesure où ils auraient été condamnés sur la base de leurs dépositions obtenues lors de leur garde à vue. Ils se plaignent de n’avoir pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de l’instruction préliminaire. Les requérants Nevzat Bazancır, Yaşar Bazancır et Yılmaz Budancamanak se plaignent en outre de n’avoir pu faire entendre à l’audience les policiers ayant dressé les procès-verbaux. Le requérant Nevzat Bazancır dénonce le refus de la cour de sûreté de l’Etat d’ordonner une expertise supplémentaire.

Les requérants Yaşar Bazancır et Nevzat Bazancır font valoir que la publication dans la presse des accusations à leur encontre et de la photo de Yaşar prise lors de la reconstitution des lieux a méconnu le principe de présomption d’innocence prévu à l’article 6 § 2 de la Convention.

Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, les requérants se plaignent de ne pas disposer de recours internes efficaces pour faire constater les violations qu’ils allèguent devant la Cour.

Invoquant l’article 14 de la Convention, les requérants Nevzat Bazancır et Yaşar Bazancır se plaignent d’une discrimination à leur égard en raison de leur origine ethnique.

EN DROIT

1. Les requérants se plaignent de la durée de leur garde à vue et de ce qu’ils ne disposaient pas d’une voie de recours leur permettant de mettre en cause la légalité de cette dernière. Ils invoquent à cet égard l’article 5 §§ 1 et 3 de la Convention.

La Cour examinera ces griefs sous l’angle de l’article 5 §§ 3 et 4. En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs et juge nécessaire de communiquer cette partie des requêtes au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

2. Invoquant l’article 3 de la Convention, les requérants se plaignent des mauvais traitements qu’ils auraient subis lors de leur garde à vue et de ce que leurs dépositions auraient été obtenues sous la contrainte et la torture.

La Cour relève que les allégations des requérants sont énoncées de manière très générale. Elle constate que ceux-ci font valoir, pour l’essentiel, qu’ils ont subi des mauvais traitements lors de leur garde à vue et qu’ils ont dû signer leurs dépositions sous la contrainte. Elle observe que les requérants ne décrivent aucunement les conditions de leur garde à vue et qu’ils ne produisent aucun commencement de preuve, tel un rapport médical. Elle ne dispose donc d’aucun élément susceptible d’engendrer un soupçon raisonnable que les requérants auraient subi des mauvais traitements.

Dès lors, il y a lieu de rejeter cette partie des requêtes pour défaut manifeste de fondement conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, les requérants se plaignent du défaut d’équité de la procédure devant la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır, dans la mesure où ils aurait été condamnés uniquement sur la base de leurs déclarations recueillies lors de leur garde à vue, alors qu’ils étaient privés de l’assistance d’un avocat. Les requérants Nevzat Bazancır, Yaşar Bazancır et Yılmaz Budancamanak se plaignent en outre de n’avoir pu faire entendre à l’audience les policiers ayant dressé les procès-verbaux. Le requérant Nevzat Bazancır dénonce le refus de la cour de sûreté de l’Etat d’ordonner une expertise supplémentaire.

La Cour relève d’emblée que la procédure entamée à l’encontre des requérants Ali Haydar, Serdal Bazancır et Abdullah Bazancır a abouti à leur acquittement. Dès lors, ces derniers ne sauraient se prétendre victimes d’une violation de l’article 6 de la Convention.

S’agissant du grief tiré du paragraphe 3 c) de l’article 6 de la Convention, la Cour relève que les requérants ont été représentés par un avocat aussi bien devant la cour de sûreté de l’Etat que devant la Cour de cassation, et ont pu contester leurs dépositions faites lors de l’instruction préliminaire. Elle note que la cour de sûreté de l’Etat s’est fondée, pour établir la culpabilité des requérants, sur leurs dépositions recueillies aux différents stades de la procédure, les déclarations d’un ancien membre du PKK, les procès-verbaux d’arrestation et de perquisition, les procès-verbaux de reconstitution des lieux, les procès-verbaux d’identification sur présentation de fichiers photographiques, les rapports médicaux et les procès-verbaux de transcription d’enregistrements vidéos.

Pour ce qui est du grief tiré du refus de la cour de sûreté de l’Etat d’ordonner une expertise supplémentaire et de l’absence d’audition des policiers ayant dressé les différents procès-verbaux, la Cour note que la cour de sûreté de l’Etat a interrogé plusieurs témoins, tant à charge qu’à décharge. Même si la cour de sûreté de l’Etat n’a pas convoqué tous les témoins cités par les requérants, la Cour ne dispose pas d’éléments suffisants lui permettant d’affirmer que l’évaluation faite par la juridiction sur ce point porte atteinte aux droits de la défense des requérants Nevzat Bazancır, Yaşar Bazancır et Yılmaz Budancamanak.

Ainsi, au vu des éléments du dossier et de l’examen global de la procédure, la Cour estime que les requérants n’ont pas été privés de leur droit à un procès équitable. Dans ces circonstances, l’examen de cette partie des requêtes ne permet de déceler aucune apparence de violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.

Il s’ensuit que cette partie des requêtes est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.

4. Les requérants Yaşar Bazancır et Nevzat Bazancır font valoir que la publication dans la presse des accusations à leur encontre et de la photo de Yaşar prise lors de la reconstitution des lieux a méconnu le principe de présomption d’innocence prévu à l’article 6 § 2 de la Convention.

La Cour rappelle que la présomption d’innocence consacrée par le paragraphe 2 de l’article 6 figure parmi les éléments du procès pénal équitable exigés par le paragraphe 1. La Cour a déjà conclu qu’« une atteinte à la présomption d’innocence peut émaner non seulement d’un juge ou d’un tribunal mais aussi d’autres autorités publiques » (voir Allenet de Ribemont c. France, arrêt du 10 février 1995, série A no 308, pp. 16-17, §§ 35-36). Il est vrai que l’article 6 § 2 ne saurait empêcher (au regard de l’article 10 de la Convention) les autorités de renseigner le public sur des enquêtes pénales en cours, mais il requiert qu’elles le fassent avec toute la discrétion et toute la réserve que commande le respect de la présomption d’innocence.

La Cour note que les requérant ont produit une seule coupure de presse, à savoir un article, paru le 11 août 1999 dans le quotidien Türkiye, sur les opérations menées contre les présumés membres du PKK ainsi qu’une photo de Yaşar Bazancır prise lors de la reconstitution des lieux, sur laquelle on peut voir celui-ci de dos et de profil. Elle constate que cette photo, dont la légende ne mentionne aucun nom, a été prise à distance et manque de netteté.

La Cour considère que la publication en question respecte un juste équilibre entre le droit du public à recevoir des informations et le droit des intéressés à la présomption d’innocence.

Au vu de ces considérations, cette partie des requêtes est manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

5. Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, les requérants se plaignent de ne pas disposer de recours internes efficaces pour faire constater les violations qu’ils allèguent devant la Cour.

La Cour souligne que l’article 13 garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir pour dénoncer le non-respect des droits et libertés garantis par la Convention. Elle rappelle cependant que le droit reconnu par cette disposition ne peut être exercé que pour un grief défendable au sens de la jurisprudence des organes de la Convention, et que le caractère défendable s’apprécie en fonction des faits de la cause et de la nature des problèmes juridiques en jeu (voir, entre autres, Boyle et Rice c. Royaume-Uni, arrêt du 27 avril 1988, série A no 131).

S’agissant du grief des requérants tirés de l’absence d’une voie de recours interne efficace pour contester la durée de leur garde à vue, la Cour a ajourné l’examen de ce grief sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention.

Eu égard à ses conclusions ci-dessus sur les griefs tirés des articles 3 et 6 de la Convention, la Cour estime que les allégations des requérants sur ces points ne sauraient être considérées comme des griefs défendables au regard de la Convention. Dès lors, elle ne relève aucune apparence de violation de l’article 13 de la Convention.

Il s’ensuit que cette partie des requêtes est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et doit être rejetée conformément à l’article 35 § 4.

6. Invoquant l’article 14 de la Convention, les requérants Nevzat Bazancır et Yaşar Bazancır se plaignent d’une discrimination en raison de leur origine ethnique.

La Cour relève que les requérants n’étayent aucunement leur allégation et que l’examen de ce grief, tel qu’il a été soulevé, ne permet de déceler aucune apparence de violation de l’article 14 de la Convention.

Il s’ensuit que cette partie des requêtes est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et doit être rejetée conformément à l’article 35 § 4.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Décide de joindre les requêtes ;

Ajourne l’examen des griefs des requérants tirés de la durée de leur garde à vue et de l’absence d’une voie de recours leur permettant de mettre en cause sa légalité et sa durée ;

Déclare les requêtes irrecevable pour le surplus.

Mark Villiger Georg Ress
Greffier adjoint Président