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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
19.11.2002
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 48004/99
présentée par Manuel MORAGON IGLESIAS
contre l’Espagne

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 19 novembre 2002 en une chambre composée de

Sir Nicolas Bratza, président,
MM. M. Pellonpää,
A. Pastor Ridruejo,
Mme E. Palm,
MM. M. Fischbach,
J. Casadevall,
S. Pavlovschi, juges,
et de Mme F. Elens-Passos, greffière adjointe de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 8 février 1999,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, Manuel Moragon Iglesias, est un ressortissant espagnol, né en 1955 et résidant à Madrid.

Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le 1er mars 1988, le requérant, qui travaillait à la Banque extérieure d’Espagne, prit un congé de cinq ans pour convenance personnelle. Le 2 novembre 1992, il demanda sa réadmission. Face à l’absence de réponse de la banque, ou à l’absence de réincorporation faute de postes vacants, il diligenta une procédure devant la juridiction du travail. Par un jugement du 21 mars 1995 du juge du travail de Madrid, le requérant obtint gain de cause. Son employeur fut obligé de le réadmettre à un poste de travail similaire à celui qu’il occupait avant son congé et de lui verser les salaires non perçus depuis la date à laquelle il aurait dû être réintégré.

Les parties firent appel. Par un arrêt du 22 janvier 1997, le Tribunal supérieur de justice infirma partiellement la décision attaquée sur la base d’un arrêt du Tribunal suprême qui était différent, selon ses dires, de son propre cas, alors qu’il existait un arrêt du même tribunal, rendu le 17 octobre 1995 dans un cas qui serait identique au cas d’espèce. En conséquence, le Tribunal supérieur de justice prit en compte un dies a quo, pour le calcul des indemnisations à verser par l’employeur pour les salaires non payés, différent de celui considéré initialement par le juge du travail et moins favorable. Par ailleurs, et au vu des nouveaux moyens de preuve, il modifia en faveur du requérant le montant de l’indemnisation qui devait être calculée en fonction du nouveau salaire déclaré prouvé.

Le requérant sollicita d’être mis au bénéfice de l’assistance juridictionnelle pour former un pourvoi en cassation pour harmonisation de la jurisprudence auprès du Tribunal suprême. Le 6 mars 1997, le barreau de Madrid nomma un défenseur d’office au requérant, Me F., qui introduisit le pourvoi.

Par une décision du 21 mai 1998, le Tribunal suprême déclara le pourvoi irrecevable. La décision fut notifiée le 18 juin 1998 à l’avocat d’office.

Le 26 juin 1998, Me F. informa le requérant, par téléphone, de la décision de rejet, lui précisant qu’il n’était pas compétent pour assumer sa représentation légale devant le Tribunal constitutionnel et qu’il devait consulter le barreau de Madrid sur la procédure à suivre. Il fit alors parvenir au requérant une copie de la décision du 21 mai 1998 du Tribunal suprême.

Le 30 juin 1998, le requérant s’adressa au barreau de Madrid en sollicitant la désignation d’un avocat d’office pour la présentation d’un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel.

Le 13 juillet 1998, en l’absence de toute réponse, le requérant se présenta, selon ses dires, au barreau, où on lui aurait répondu qu’il devait demander d’être mis au bénéfice de l’assistance juridictionnelle pour présenter un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Le Gouvernement précise qu’il n’y a pas de trace au barreau de Madrid d’une telle démarche.

Le 15 juillet 1998, le requérant s’adressa alors directement au Tribunal constitutionnel. Par une décision du 14 septembre 1998, ce dernier lui rappela qu’il était du ressort de l’avoué et de l’avocat ayant assuré sa défense et sa représentation devant les juridictions ordinaires, de présenter le recours d’amparo. La haute juridiction accorda, par conséquent, à Me F. un délai de dix jours pour présenter le recours d’amparo en cause, « pourvu qu’il réunisse les conditions établies par le barreau de Madrid pour faire partie des avocats pouvant agir d’office devant la juridiction constitutionnelle, et qu’il demande qu’un avoué d’office soit nommé pour assurer la représentation du requérant ». Cette décision, notifiée par courrier recommandé avec accusé de réception, fut réceptionnée le 24 septembre 1998 par une employée du cabinet de Me F.

Le 21 juillet 1998, le greffe du tribunal du travail adressa au requérant une copie de la décision du Tribunal suprême du 21 mai 1998 et ordonna, entre autres, que fût rendu à la partie adverse le montant consigné pour faire appel.

Le 29 septembre 1998, le requérant présenta un écrit devant le Tribunal constitutionnel, indiquant que Me F. n’était pas habilité pour le représenter en amparo et demandant qu’un avocat et un avoué d’office lui fussent désignés.

Le 30 septembre 1998, Me F. lui-même confirma devant le Tribunal constitutionnel qu’il n’était pas habilité à assister le requérant.

Par une décision du 28 octobre 1998, le Tribunal constitutionnel refusa au requérant le bénéfice de l’assistance juridictionnelle, le recours d’amparo ayant été introduit tardivement. En effet, il avait été prouvé que, malgré les dires du requérant, la décision du Tribunal suprême avait été notifiée au représentant du requérant le 18 juin 1998 et que le requérant présenta personnellement son recours d’amparo et demanda de se voir nommer un avocat d’office le 15 juillet 1998, soit après l’expiration du délai de vingt jours prévu par la loi pour introduire un tel recours.

Par une décision du 18 janvier 1999, le requérant se vit rejeter également son recours de súplica.

Le 15 juin 1999, le barreau de Madrid confirma au requérant que la désignation de l’avocat d’office dans la procédure interne ne l’autorisait pas à présenter un recours d’amparo devant le Tribunal Constitutionnel.

GRIEFS

Le requérant se plaint du caractère inéquitable de la procédure et de l’absence d’un recours effectif devant le Tribunal suprême et le Tribunal constitutionnel. Il note que la fixation du montant de l’indemnisation avait été faite sur la base de fausses preuves présentées par son employeur, sans que ce dernier ait été aucunement sanctionné. Il fait valoir en outre que le Tribunal suprême s’est fondé, pour déclarer irrecevable son pourvoi, sur une jurisprudence qui avait déjà été modifiée dans un sens qui lui aurait été favorable. Il se plaint enfin de ne pas avoir eu accès au recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel en raison des délais pris en compte pour la présentation de son recours, alors que son avocat d’office ne pouvait l’assister et faute de s’en être vu accorder un nouveau. Il invoque les articles 6 et 13 de la Convention.

EN DROIT

Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, le requérant se plaint du caractère inéquitable de la procédure et de l’absence d’un recours effectif devant le Tribunal suprême et le Tribunal constitutionnel, ainsi que de ne pas avoir eu accès au recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel en raison du rejet de son recours pour tardiveté.

Les dispositions invoquées par le requérant, dans leurs parties pertinentes, se lisent comme suit :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale (...) »

1. Le requérant se plaint tout d’abord de ne pas avoir eu un accès effectif au recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel en ce qu’il a été rejeté pour tardiveté en raison des défaillances de son assistance juridique.

Le Gouvernement rappelle tout d’abord que le recours d’amparo doit être introduit dans les vingt jours suivant la notification de la décision attaquée, tel que le prévoit l’article 43 § 2 de la loi organique portant sur le Tribunal constitutionnel. Il note que lorsqu’un requérant demande à être mis au bénéfice de l’assistance judiciaire, le Tribunal constitutionnel n’exige pas de ce dernier le respect des formalités requises des avocats pour la présentation d’un tel recours, mais simplement qu’il le présente dans les délais prescrits, les documents requis lui étant demandés ultérieurement.

Le Gouvernement observe qu’en l’espèce, le requérant présenta son premier écrit valant recours d’amparo le 15 juillet 1998. Le 29 septembre 1998 il fournit le texte de la décision attaquée, comme le Tribunal constitutionnel le lui avait demandé. A cet égard, le Gouvernement précise que malgré le fait que le requérant indique qu’il ne connut cette décision que le 26 juin 1998, elle fut notifiée à son avocat le 18 juin 1998, comme ce dernier l’a d’ailleurs affirmé dans son écrit du 30 septembre 1998 au Tribunal constitutionnel.

Le Gouvernement rappelle que la notification valable aux fins du calcul du délai pour présenter un recours d’amparo est celle adressée au représentant légal de l’intéressé, indépendamment de l’existence ou non de notification à ce dernier (Ramón Franquesa Freixas, c. Espagne (déc.), no 53590/99, CEDH 2000-XI). Il conclut que, face à ces données objectives, les affirmations du requérant concernant le retard par son avocat d’office à lui communiquer le texte de la décision attaquée ou le prétendu manque de diligence du barreau de Madrid, ne peuvent entrer en ligne de compte et ne modifient pas le fait que son recours d’amparo fut présenté tardivement.

Le requérant se limite à insister sur ce qu’il fut informé de la décision du 21 mai 1998 rendue par le Tribunal suprême par téléphone le 26 juin 1998 et qu’il ne reçut de copie officielle de cette décision que le 21 juillet 1998. Il émet des doutes quant à la qualité de la personne ayant réceptionné la décision en cause au cabinet de Me F et affirme ne pas avoir non plus été informé du délai qu’il avait pour présenter son recours d’amparo.

La Cour constate tout d’abord que le recours d’amparo présenté par le requérant a été rejeté pour tardiveté. A cet égard, elle observe que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées lorsque le recours a été rejeté pour inobservation par l’auteur des formalités requises en droit interne (cf. Hava c. République Tchèque, requête no 23256/94, décision de la Commission du 9 juin 1994, Décisions et rapports (DR) 78-B, p. 139).

La Cour rappelle que c’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Tejedor García c. Espagne du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, p. 2796, § 31, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne du 19 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, p. 2955, § 31). Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation. Cela est particulièrement vrai s’agissant de l’interprétation par les tribunaux des règles de nature procédurale telles que les délais régissant le dépôt des documents ou l’introduction de recours (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Tejedor García précité, § 31). La Cour estime par ailleurs que la réglementation relative aux formalités et aux délais à respecter pour former un recours vise à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent s’attendre à ce que ces règles soient appliquées.

En l’espèce, le Tribunal constitutionnel a été amené à appliquer sa jurisprudence concernant le calcul du délai de vingt jours prévu par l’article 44 § 2 de la loi organique du Tribunal constitutionnel pour l’introduction du recours d’amparo et, en particulier, la détermination du dies a quo à retenir pour la présentation dudit recours. Il a estimé que le délai commençait à courir à partir de la date de notification de la décision du Tribunal suprême du 21 mai 1998 à son représentant légal, à savoir le 18 juin 1998, et non à partir de la date de notification personnelle au requérant. La Cour estime qu’une telle interprétation de la législation interne n’apparaît pas comme étant, en soi, déraisonnable ou contraire à la Convention.

Le requérant soutient que son avocat d’office ne lui a communiqué la décision précitée que le 26 juin 1998 et qu’il n’en reçut officiellement une copie du texte que le 21 juillet 1998. La Cour observe que l’avocat d’office du requérant n’était pas, en l’espèce, habilité à le représenter devant le Tribunal constitutionnel et qu’il le lui fit savoir dans les délais. Le fait que le requérant se soit adressé au barreau de Madrid, prétendument conseillé par Me F., pour demander qu’un nouvel avocat d’office lui soit désigné, ne saurait avoir un effet suspensif quant au délai pour le dépôt du recours d’amparo.

Par ailleurs, la Cour rappelle qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’une procédure pénale et estime que l’examen des griefs selon lesquels l’avocat d’office aurait, par sa négligence, lésé le droit du requérant à une assistance judiciaire effective, ne sont pas de nature à engager de façon directe et immédiate la responsabilité de l’Etat (voir, mutatis mutandis, no 27266/95, déc. du 21.10.1996, DR 87, p. 100, Alvarez Sánchez c. Espagne (déc.), no 50720/99, CEDH 2001-X, et les arrêts Artico c. Italie du 13 mai 1980, série A no 37, p. 18, § 36) et Kamasinski c. Autriche du 19 décembre 1989, série A no 168, p. 32-33, § 65 et rapport de la Commission du 5 mai 1988, p. 55, § 155).

La Cour constate que le requérant s’est vu assister, dans le cadre de son pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême, par un représentant nommé d’office. Elle tient également compte qu’il n’était pas question dans cette affaire d’un manque de défense effective pour le requérant devant un tribunal compétent pour réexaminer l’appréciation des faits et des preuves, mais de l’accès à un tribunal ayant une fonction spécifique en défense des droits fondamentaux. En outre, l’affaire du requérant a été examinée par deux instances, ne s’agissant donc pas, devant le Tribunal constitutionnel, d’examiner une fois de plus le bien-fondé de sa réclamation devant les juridictions du travail, mais le respect des droits à l’équité de la procédure.

Au vu de ce qui précède et des différences existant, quant à la gravité des problèmes posés par les déficiences de l’assistance judiciaire d’office et l’assurance pour l’intéressé de la jouissance effective de ses droits de la défense, avec, entre autres, les affaires Artico et Kamasinski précitées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.

Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

2. Le requérant se plaint de ce que la fixation du montant de l’indemnisation avait été faite sur la base de fausses preuves présentées par son employeur et que le Tribunal suprême s’est fondé, pour déclarer irrecevable son pourvoi, sur une jurisprudence qui avait déjà été modifiée dans un sens qui lui aurait été favorable.

La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 19 de la Convention, elle a pour tâche d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Parties contractantes. En particulier, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si, et dans la mesure où, elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention.

La Cour se réfère à sa jurisprudence précitée relative à l’interprétation et l’application de la législation interne et rappelle qu’elle ne substituera pas sa propre appréciation du droit en l’absence d’arbitraire (arrêt Tejedor García précité, p. 2796, § 31). De l’avis de la Cour, la fixation du montant de l’indemnisation réclamée par le requérant et le choix de la jurisprudence sur laquelle le Tribunal suprême s’est fondé pour déclarer irrecevable son pourvoi sont des questions qui relèvent des cours et tribunaux internes, et les décisions rendues par ces dernières ne sauraient être qualifiées d’arbitraires, de déraisonnables ou de nature à entâcher l’équité de la procédure.

Au vu de ce qui précède, la Cour note que le requérant a pu, aux différents stades de la procédure devant les juridictions du travail, présenter les arguments qu’ils jugeaient pertinents pour la défense de sa cause. A la lumière des principes dégagés par sa jurisprudence, la Cour estime que rien dans le dossier ne permet de déceler une apparence de violation par les juridictions espagnoles des droits reconnus à l’article 6 de la Convention. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Françoise Elens-Passos Nicolas Bratza
Greffière adjointe Président