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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE MEHMET BAYRAK c. TURQUIE
(Requête n° 27307/95)
ARRÊT
(Règlement amiable)
STRASBOURG
3 septembre 2002
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Mehmet Bayrak c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
Gaukur Jörundsson,
L. Loucaides,
C. Bîrsan,
M. Ugrekhelidze, juges,
F. Gölcüklü, juge ad hoc,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 juillet 2002,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 27307/95) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Mehmet Bayrak (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 24 avril 1995 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté devant la Cour par Me J. Sohier, avocat à Bruxelles. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par M. E. İşcan, directeur général adjoint pour le Conseil de l'Europe et les Droits de l'Homme.
3. Invoquant l'article 10 de la Convention, le requérant se plaignait d'une atteinte à sa liberté d'expression, dans la mesure où il avait été condamné au pénal en raison des ouvrages de kurdologie qu'il avait écrits et publiés.
4. A la suite de la communication de la requête au Gouvernement par la Commission, l'affaire a été transférée à la Cour le 1er novembre 1998 en vertu de l'article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention. Le 8 juin 1999, après avoir recueilli les observations des parties, la Cour (troisième section) a déclaré la requête partiellement recevable. Elle a déclaré irrecevable le grief du requérant concernant l'article 6 § 1 de la Convention.
5. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
6. Le 8 mars 2002, après un échange de correspondance, la greffière a proposé aux parties la conclusion d'un règlement amiable au sens de l'article 38 § 1 b) de la Convention. Les 26 avril et 10 juin 2002 respectivement, le requérant et le Gouvernement ont présenté des déclarations formelles d'acceptation d'un règlement amiable de l'affaire.
EN FAIT
7. Le requérant est né en 1949 et réside en Allemagne.
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
8. Par des actes d'accusation déposés les 28 novembre 1991, 28 juillet 1992 et 28 janvier 1994, le procureur de la République près la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara intenta trois actions pénales contre le requérant, sur la base de l'article 8 § 1 de la loi antiterroriste n° 3713. Se basant sur trois ouvrages intitulés « Les poèmes kurdes contemporains » (Çağdaş kürt destanları), « Les chansons populaires kurdes » (Kürt halk türküleri) et « Les Kurdes et leur lutte démocratique et nationale » (Kürtler ve ulusal demokratik mücadeleleri), écrits ou publiés par le requérant, il lui reprochait d'avoir fait de la propagande séparatiste.
A. Procédure pénale portant sur « les chansons populaires kurdes »
9. Par un jugement du 8 mars 1994, la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara (« la cour de sûreté de l'Etat ») condamna le requérant à une peine d'emprisonnement de deux ans, à une amende de cinquante millions de livres turques et à la saisie de la publication incriminée.
10. Sur pourvoi du requérant, la Cour de cassation, par un arrêt du 23 septembre 1994, confirma la décision attaquée en toutes ses dispositions. Elle considéra que la cour de sûreté de l'Etat avait justifié sa décision par des motifs exempts d'insuffisance et d'erreur de droit.
11. Par la loi n° 4126 promulguée le 27 octobre 1995, une modification fut apportée à l'article 8 de la loi antiterroriste. En vertu de l'article provisoire de cette loi, la cour de sûreté de l'Etat procéda au réexamen du dossier.
12. Par un jugement du 17 novembre 1995, en examinant le fond de l'affaire, la cour de sûreté de l'Etat déclara le requérant coupable des faits qui lui avaient été reprochés et réajusta sa condamnation à un an d'emprisonnement et à une amende de cent millions de livres turques. Elle conclut que, par voie de publication, le requérant visait à porter atteinte à l'intégrité territoriale de l'Etat et à l'unité de la nation.
B. Procédure pénale portant sur « les poèmes kurdes contemporains »
13. Par un jugement du 7 juin 1994, la cour de sûreté de l'Etat condamna le requérant à une peine d'emprisonnement de six mois, à une amende de cent millions de livres turques et à la saisie de la publication incriminée. Elle examina le cas du requérant en tant qu'éditeur du livre en question et constata que, dans ses grandes lignes, le livre avait insisté sur le fait qu'il y a un peuple kurde distinct de la nation turque et que ces poèmes contiennent une propagande séparatiste.
14. Par un arrêt du 6 septembre 1994, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance. Elle considéra que la cour de sûreté de l'Etat avait justifié sa décision par des motifs exempts d'insuffisance et d'erreur de droit.
15. La cour de sûreté de l'Etat procéda au réexamen du dossier. Par un jugement du 17 novembre 1995, examinant le fond de l'affaire, elle déclara le requérant coupable des faits qui lui avaient été reprochés, convertit la peine d'emprisonnement à une amende de neuf cent mille livres turques et décida de réduire l'amende à cinquante millions de livres turques.
C. Procédure pénale portant sur « les Kurdes et leur lutte démocratique et nationale »
16. Par un jugement du 16 août 1994, la cour de sûreté de l'Etat condamna le requérant à une peine d'emprisonnement de deux ans, à une amende de deux cent cinquante millions de livres turques et à la saisie de la publication incriminée pour propagande séparatiste.
17. La cour de sûreté de l'Etat procéda au réexamen du dossier. Par un jugement du 7 décembre 1995, examinant le fond de l'affaire, elle déclara le requérant coupable des faits qui lui avaient été reprochés, réajusta sa condamnation à un an d'emprisonnement et à une amende de cent millions de livres turques.
18. Sur pourvoi du requérant, par un arrêt du 3 juin 1996, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance.
II. DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA RÉSOLUTION INTÉRIMAIRE DU COMITÉ DES MINISTRES N° (106) SUR LES ATTEINTES A LA LIBERTÉ D'EXPRESSION EN TURQUIE
19. Par la résolution précitée adoptée le 23 juillet 2001, se référant aux arrêts rendus par la Cour et à la Résolution intérimaire DH(99)560 du 8 octobre 1999[1] adoptée à l'occasion du rapport de la Commission européenne des Droits de l'Homme dans l'affaire n° 25658/94 concernant la Turquie en matière de liberté d'expression, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a rappelé que :
« (...) dans toutes ces affaires, la Cour ou le Comité des Ministres ont notamment constaté que les condamnations pénales des requérants, en raison de déclarations contenues dans des articles, des livres, des brochures ou des messages adressés ou préparés pour le public, avaient enfreint leur liberté d'expression, garantie par l'article 10 de la Convention ;
Ayant été informé d'un programme important de réformes qui a été établi en vue de mettre, à bref terme, le droit et la pratique turcs en conformité avec les exigences de la Convention en matière de liberté d'expression, afin de prévenir de nouvelles violations semblables à celles constatées dans ces affaires ; (...) ».
Dans cette résolution, considérant que, dans la plupart de ces affaires, les condamnations figurent toujours dans le casier judiciaire des requérants et que des restrictions de leurs droits civils et politiques restent en vigueur, le Comité de Ministres a à nouveau invité le Gouvernement de la Turquie à se conformer aux arrêts de la Cour, y compris par l'adoption de mesures individuelles mettant un terme aux violations constatées et effaçant autant que possible leurs conséquences, en vertu de l'article 46 § 1 de la Convention, et a encouragé les autorités turques à mener à bien les réformes globales envisagées pour rendre le droit turc conforme aux exigences de l'article 10 de la Convention.
EN DROIT
20. Le 10 juin 2002, la Cour a reçu du Gouvernement la déclaration suivante :
« 1. Je déclare que le gouvernement de la République de Turquie offre de verser au requérant, à titre gracieux, la somme de 11 000 EUR (onze mille euros), en guise de règlement amiable de sa requête enregistrée sous le numéro 27307/95. Exonérée de tous impôts éventuellement applicables, cette somme, qui couvre également les frais et dépens afférents à la cause, sera versée en euros, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement. Le paiement sera effectué dans les trois mois de l'arrêt rendu par la Cour conformément à l'article 39 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, sur un compte bancaire indiqué par le requérant. Le versement vaudra règlement définitif de l'affaire.
2. Les condamnations de la Turquie prononcées par la Cour dans les affaires concernant les poursuites au titre de l'article 312 du code pénal ou des dispositions de la loi sur la prévention du terrorisme font clairement apparaître que le droit et la pratique turcs doivent d'urgence être mis en conformité avec les exigences résultant de l'article 10 de la Convention. L'ingérence incriminée dans le cas d'espèce en constitue une illustration supplémentaire.
Aussi le Gouvernement s'engage-t-il à opérer toutes les modifications du droit et de la pratique internes nécessaires dans ce domaine, telles qu'elles ont déjà été définies dans le Programme national du 24 mars 2001.
3. Le Gouvernement se réfère par ailleurs aux mesures individuelles visées dans la Résolution intérimaire adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe le 23 juillet 2001 (RésDH(2001)106), qu'il appliquera dans les circonstances telles que celles qui caractérisent la présente espèce.
4. Enfin, le Gouvernement s'engage à ne pas demander, après le prononcé de l'arrêt de la Cour, le renvoi de l'affaire à la Grande Chambre rendu possible par l'article 43 § 1 de la Convention. »
21. Le 26 avril 2002, la Cour avait reçu la déclaration suivante, signée par le requérant :
« 1. Je note que le gouvernement de la République de Turquie offre de me verser, à titre gracieux, la somme de 11 000 EUR (onze mille euros), en guise de règlement amiable de ma requête enregistrée sous le numéro 27307/95. Exonérée de tous impôts éventuellement applicables, cette somme, qui couvre également les frais et dépens afférents à la cause, sera versée en euros, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement. Le paiement sera effectué dans les trois mois de l'arrêt rendu par la Cour conformément à l'article 39 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, sur un compte bancaire que j'aurai indiqué.
2. J'accepte cette proposition et renonce par ailleurs à toute autre prétention à l'encontre de la Turquie à propos des faits à l'origine de ladite requête. Je déclare l'affaire définitivement réglée.
3. La présente déclaration s'inscrit dans le cadre du règlement amiable auquel le Gouvernement et moi-même sommes parvenus.
4. En outre, je m'engage à ne pas demander, après le prononcé de l'arrêt de la Cour, le renvoi de l'affaire à la Grande Chambre rendu possible par l'article 43 § 1 de la Convention. »
22. La Cour prend acte du règlement amiable auquel les parties ont abouti (article 39 de la Convention). Le gouvernement défendeur s'y engage à verser une somme d'argent au requérant, à opérer toutes les modifications du droit et de la pratique internes nécessaires pour mettre le droit turc en conformité avec les exigences de la Convention en matière de liberté d'expression et à adopter, afin d'effacer rapidement et intégralement les conséquences de la condamnation du requérant, les mesures individuelles visées dans la Résolution intérimaire adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe le 23 juillet 2001 (RésDH(2001)106).
23. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que le règlement amiable intervenu s'inspire du respect des droits de l'homme tels que les reconnaissent la Convention ou ses Protocoles (articles 37 § 1 in fine de la Convention et 62 § 3 du règlement).
24. Partant, il convient de rayer l'affaire du rôle.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Décide de rayer l'affaire du rôle ;
2. Prend acte de l'engagement des parties de ne pas demander le renvoi de l'affaire à la Grande Chambre.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 septembre 2002 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président
1. Voir Incal c. Turquie du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV ; Arslan c. Turquie [GC], n° 23462/94 ; Başkaya et Okçuoğlu c. Turquie [GC], nos 23536/94 et 24408/94, CEDH 1999-IV ; Ceylan c. Turquie [GC], n° 23556/94, CEDH 1999-IV ; Erdoğdu et İnce c. Turquie [GC], nos 25067/94 et 25068/94, CEDH 1999-IV ; Gerger c. Turquie [GC], n° 24919/94 ; Karataş c. Turquie [GC], n° 23168/94, CEDH 1999-IV ; Okçuoğlu c. Turquie [GC], n° 24246/94 ; Polat c. Turquie [GC], n° 23500/94 ; Sürek et Özdemir c. Turquie [GC], nos 23927/94 et 24277/94 ; Sürek c. Turquie (n° 2) [GC], n° 24122/94 ; Sürek c. Turquie (n° 4) [GC], n° 24762/94 ; Öztürk c. Turquie [GC], n° 22479/93, CEDH 1999-VI ; Özgür Gündem c. Turquie, n° 23144/93, CEDH 2000-III ; Erdoğdu c. Turquie, n° 25723/94, CEDH 2000-VI ; Şener c. Turquie, n° 26680/95 et İbrahim Aksoy c. Turquie, nos 28635/95, 30171/96 et 34535/97.