Přehled

Rozhodnutí

DEUXIEME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 53934/00
présentée par SOCIETE ANTHROPOSOPHIQUE EN FRANCE
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 2 juillet 2002 en une chambre composée de

MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
Gaukur Jörundsson,
L. Loucaides,
C. Bîrsan,
M. Ugrekhelidze,
Mme A. Mularoni, juges,
et de M. T.L. Early, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 8 décembre 1999,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, la « Société Anthroposophique en France » (S.A.F.), est une association française ayant son siège social à Paris. Elle est représentée devant la Cour par Me Laurent Hincker, avocat au barreau de Strasbourg.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par l’association requérante, peuvent se résumer comme suit.

La requérante, qui succéda à l’association « Section française de la société anthroposophique universelle », elle-même remplaçante en 1931 de la « Société anthroposophique de France » créée en 1923, est une association française soumise au régime de la loi 1901, dont les statuts furent approuvés le 30 janvier 1977. Elle est rattachée à la Société Anthroposophique Universelle (S.A.U.) et à l’Université Libre des Sciences de l’Esprit (U.L.S.E.). La S.A.U. et l’U.L.S.E., également créées en 1923, à Dornach (Suisse), s’inscrivent dans un courant de pensée initié par Rudolph Steiner (1861-1925).

Aux termes de l’article 2 du statut de la requérante, qui se considère comme partie de la S.A.U., « (...) les buts de la Société Anthroposophique Universelle tels qu’ils sont formulés dans les Principes établis par Rudolf Steiner [sont de] cultiver la Science spirituelle Anthroposophique fondée par Rudolph Steiner et (...) soutenir l’Université libre de Science spirituelle (...) ». L’association se décrit comme une démarche de pensée, une recherche de nature idéelle, ainsi que l’ensemble des connaissances qui en résulte, c’est à dire une association « culturelle » et non « cultuelle ». Les membres de l’association requérante sont rattachés à un groupe local, à la société nationale, ou encore à la Société Anthroposophique Universelle.

Dans le rapport parlementaire intitulé « les sectes et l’argent », rendu public le 10 juin 1999, « l’Anthroposophie » (ce mot étant écrit avec une majuscule dans le rapport parlementaire) fut qualifiée de mouvement sectaire.

Ce rapport litigieux rendait compte du travail d’une commission d’enquête parlementaire instituée le 15 décembre 1998, pour prolonger la mission de la commission qui rédigea le rapport n° 2468 du 22 décembre 1995 sur « les sectes en France ». La Commission mise en place en 1998 se fonda sur le rapport parlementaire de 1995, lequel avait dégagé les dix critères permettant d’identifier un mouvement sectaire, à savoir : la déstabilisation mentale, le caractère exorbitant des exigences financières, la rupture induite avec l’environnement d’origine, les atteintes à l’intégrité physique, l’embrigadement des enfants, le discours plus ou moins antisocial, les troubles à l’ordre public, l’importance des démêlés judiciaires, l’éventuel détournement des circuits économiques traditionnels et les tentatives d’infiltration des pouvoirs publics.

Alors que le rapport de 1995 avait expressément exclu « l’Anthroposophie » de la liste des « sectes » recensées en raison de son « innocuité objective », évoquant une « gnose chrétienne », un « mouvement de pensée », le rapport parlementaire de 1999 la qualifia à plusieurs reprises de « mouvement sectaire », « d’hypermarché des produits sectaires » ou encore de « nébuleuse ».

B. Le droit interne pertinent

L’immunité juridictionnelle des parlementaires dans leur fonction est prévue par les articles 26 de la Constitution française de 1958 et 41 de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse :

Constitution du 4 octobre 1958, article 26

« Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.

Aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n’est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive.

La détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d’un membre du Parlement sont suspendues pour la durée de la session si l’assemblée dont il fait partie le requiert.

L’assemblée intéressée est réunie de plein droit pour des séances supplémentaires pour permettre, le cas échéant, l’application de l’alinéa ci-dessus. »

Loi du 29 juillet 1881, article 41

« Ne donneront ouverture à aucune action les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l’une de ces deux assemblées.

Ne donnera lieu à aucune action le compte rendu des séances publiques des assemblées visées à l’alinéa ci-dessus fait de bonne foi dans les journaux.

Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux.

Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts.

Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l’action publique, soit à l’action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l’action civile des tiers. »

GRIEFS

1. Invoquant les articles 6 §§ 1 et 2 de la Convention, l’association requérante considère que le rapport parlementaire sur les sectes rendu public en 1999 constitue, en violation du respect du principe du contradictoire et de l’égalité des armes, une accusation et une condamnation en matière pénale, qui méconnaîtraient en outre la présomption d’innocence.

2. Elle se plaint également de n’avoir pu répondre aux propos diffamatoires du rapport parlementaire litigieux, faute d’avoir pu bénéficier d’un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention.

3. Enfin, la requérante estime, au regard des articles 9, 10 et 11 de la Convention, que les accusations contenues dans le rapport de la commission d’enquête ont eu le même effet qu’une mesure restrictive imposée à une association et ont constitué un jugement de valeur sur les convictions de ses membres en violation du principe de neutralité de l’Etat.

EN DROIT

1. La requérante estime que le rapport parlementaire sur les sectes rendu public en 1999 constitue, en violation du respect du principe du contradictoire et de l’égalité des armes, une accusation et une condamnation en matière pénale, qui méconnaîtraient en outre la présomption d’innocence. Elle invoque l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

La Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention n’implique pas qu’un organe procédant à une enquête à la demande d’autorités réglementaires ou autres devrait toujours se voir assujetti aux garanties d’une procédure judiciaire énoncées à l’article 6 § 1, si la publication de ses conclusions risque de nuire à la réputation des individus dont la conduite constitue l’objet de l’enquête (voir l’arrêt Fayed c. Royaume-Uni du 21 septembre 1994, série A n° 294-B, p. 48, § 62).

Surtout, la Cour rappelle également qu’elle a déjà jugé que le rapport parlementaire contesté par la requérante n’avait « aucun effet juridique » et ne pouvait « servir de fondement à aucune action pénale ou administrative » (voir Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France c. France (déc.), n° 54430/99, 6 novembre 2001). La Cour ne voit pas de raison de s’écarter de ce constat en l’espèce.

Il s’ensuit que ce grief doit dès lors être rejeté comme étant manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. La requérante invoque également une violation des articles 9, 10 et 11 de la Convention.

Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par les dispositions invoquées.

3. Enfin, l’association requérante critique l’absence de recours à l’encontre du rapport parlementaire nonobstant son contenu diffamatoire. Elle invoque l’article 13 de la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 3 b) de son règlement.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen du grief de la requérante tiré de l’article 13 de la Convention ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

T.L. Early A.B. Baka
Greffier adjoint Président