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Rozhodnutí
PREMIÈRE SECTION
DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
des requêtes n° 67917/01 et 68859/01
présentées par Mario, Bianca et Pio FEDERICI
contre l’Italie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 13 juin 2002 en une chambre composée de
MM. C.L. Rozakis, président,
G. Bonello,
P. Lorenzen,
Mme N. Vajić,
M. E. Levits,
Mme S. Botoucharova,
M. V. Zagrebelsky, juges,
et de M. E. Fribergh, greffier de section,
Vu les requêtes susmentionnées introduites respectivement les 15 février 2001 et 23 février 2001,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants sont trois ressortissants italiens, nés respectivement en 1926, 1967 et 1965 et résidant à Rome. Ils sont représentés devant la Cour par Me S. De Sanctis Mangelli, avocat au barreau de Rome.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.
Le premier requérant M.F. et sa femme, F.F. (parents des deuxième et troisième requérants) étaient propriétaires de deux appartements à Rome, qu’ils avaient respectivement loué à F.Q. et à C.M.
1) Requête n° 67917/01 contre F.Q.
Par un acte signifié le 30 octobre 1990, le premier requérant M.F. et sa femme informèrent le locataire de leur intention de mettre fin à la location à l’expiration du bail soit le 31 décembre 1991 et assignèrent l’intéressé à comparaître devant le juge d’instance de Rome.
Par une ordonnance du 20 mars 1991, ce dernier confirma formellement le congé du bail et décida que les lieux devaient être libérés au plus tard le 31 décembre 1992. Cette décision devint exécutoire le 20 mars 1991.
Le 5 juillet 1993, le premier requérant signifia au locataire le commandement de libérer l’appartement.
Le 17 septembre 1993, il lui signifia l’avis que l’expulsion serait exécutée le 30 septembre 1993 par voie d’huissier de justice.
Entre le 30 septembre 1993 et le 15 février 2000, l’huissier de justice procéda à vingt-cinq tentatives d’expulsion qui se soldèrent toutes par un échec, le premier requérant n’ayant pu bénéficier de l’assistance de la force publique.
2) Requête n° 68859/01 contre C.M.
Par un acte signifié le 2 août 1989, le premier requérant et sa femme informèrent le locataire de leur intention de mettre fin à la location à l’expiration du bail et assignèrent l’intéressé à comparaître devant le juge d’instance de Rome.
Par une ordonnance du 16 octobre 1990, ce dernier confirma formellement le congé du bail et décida que les lieux devaient être libérés au plus tard le 30 avril 1991. Cette décision devint exécutoire le 16 octobre 1990.
Le 29 mai 1991, le premier requérant signifia au locataire le commandement de libérer l’appartement.
Le 20 juin 1991, il lui signifia l’avis que l’expulsion serait exécutée le 12 juillet 1991 par voie d’huissier de justice.
Entre le 12 juillet 1991 et le 28 avril 2000, l’huissier de justice procéda à trente tentatives d’expulsion qui se soldèrent toutes par un échec, le requérant n’ayant pas pu bénéficier de l’assistance de la force publique.
Entre temps, en 1999, la femme du premier requérant décéda, les requérants héritèrent de leur quote-part des appartements. Toutefois, le deuxième et le troisième requérant n’ont jamais été parties à la procédure d’expulsion, ni avant, ni après le décès de leur mère.
Le 31 août 2000, suite à un accord avec le premier requérant, les locataires quittèrent spontanément les lieux et celui-ci récupéra les deux appartements.
GRIEFS
1. Invoquant l’article 1 du Protocole n° 1, les requérants se plaignent de l’impossibilité prolongée de récupérer leurs appartements, faute d’octroi de l’assistance de la force publique.
2. Les requérants se plaignent également au titre de l’article 6 § 1 de la Convention de la durée des procédures d’expulsion et du déni de leur droit d’accès à un tribunal.
EN DROIT
1. Les requérants se plaignent de l’impossibilité prolongée de récupérer leurs appartements, faute d’octroi de l’assistance de la force publique. Est en cause l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention.
En ce qui concerne le premier requérant, et en l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 3 de son règlement.
Pour les autres requérants, la Cour considère que l’interférence mise en cause s’analyse en une mesure de réglementation de l’usage des biens au sens de l’article 1 du Protocole n° 1 qui poursuivait un but légitime conforme à l’intérêt général, comme le veut le second alinéa de l’article 1 (voir les arrêts Immobiliare Saffi c. Italie [GC], n° 22774/93, §§ 46 et 48, CEDH 1999-V., et Scollo c. l’Italie du 28 septembre 1995, série A, n° 35, p. 26 §§ 30-31).
La Cour rappelle qu’une mesure d’ingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. La recherche de pareil équilibre se reflète dans la structure de l’article 1 tout entier, donc aussi dans le second alinéa : il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En contrôlant le respect de cette exigence, la Cour reconnaît à l’Etat une grande marge d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause. S’agissant de domaines tel que celui du logement, qui occupe une place centrale dans les politiques sociales et économiques des sociétés modernes, la Cour respecte l’appréciation portée à cet égard par le législateur national, sauf si elle est manifestement dépourvue de base raisonnable (voir l’arrêt Immobiliare Saffi, précité, § 49).
La Cour estime qu’en principe le système italien d’échelonnement des exécutions de décisions de justice n’est pas critiquable en soi, vu notamment la marge d’appréciation autorisée par le second alinéa de l’article 1. Cependant, un tel système comporte le risque d’imposer au bailleur une charge excessive quant à la possibilité de disposer de son bien et doit donc prévoir certaines garanties de procédure pour veiller à ce que la mise en œuvre du système et son incidence sur le droit de propriété du bailleur ne soient ni arbitraires ni imprévisibles (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Immobiliare Saffi, précité, § 54).
La Cour estime qu’il y a donc lieu de rechercher si, en l’espèce, l’équilibre entre les intérêts en cause a été maintenu.
Dans le cas d’espèce, la Cour constate que les deuxième et troisième requérants sont devenus propriétaires de leur quote-part des deux appartements suite au décès de leur mère, survenu en 1999, et que les appartements ont été récupérés le 31 août 2000, soit environ un an après le décès de celle-ci.
La Cour considère que la restriction subie par ces requérants à l’usage de leur quote-part des appartements, qui a duré environ un an, n’était pas contraire aux exigences du second alinéa de l’article 1 du Protocole n° 1, à la lumière des buts poursuivis par les autorités dans l’intérêt général.
Dans ces circonstances, la Cour conclut que le grief des deuxième et troisième requérants est manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejeté au sens de l’article 35 § 4 de la Convention.
2. Les requérants se plaignent, au titre de l’article 6 § 1 de la Convention, de la durée des procédures d’expulsion. La Cour estime que ce grief doit être examiné sous l’angle, plus général, du droit à un tribunal (voir, l’arrêt Immobiliare Saffi, précité, § 61).
En ce qui concerne le premier requérant, et en l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 3 b) de son règlement.
Pour les autres requérants, la Cour rappelle que le droit au tribunal garanti à l’article 6 protège également la mise en œuvre des décisions judiciaires définitives et obligatoires qui, dans un Etat qui respecte la prééminence du droit, ne peuvent rester inopérantes au détriment d’une partie (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Hornsby c. la Grèce du 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, p. 510, § 40). Par conséquent, l’exécution d’une décision judiciaire ne peut être retardée de manière excessive. Toutefois, un sursis à l’exécution d’une décision de justice pendant le temps strictement nécessaire à trouver une solution satisfaisante aux problèmes d’ordre public peut se justifier dans des circonstances exceptionnelles (voir, l’arrêt Immobiliare Saffi, précité, § 69).
La Cour note que les procédures d’expulsion furent commencées par M.F. et F.F. et qu’après le décès de celle-ci, survenu en 1999, les deux autres requérants ne sont jamais intervenus dans les procédures d’expulsion. Ils n’ont ni signifié aux locataires un commandement de libérer les appartements, ni communiqué à l’huissier de justice que leur mère, F.F. était décédée et que les procédures continueraient également en leur nom.
Partant, la Cour estime que ces deux requérants n’ont par conséquent jamais démontré s’être intéressés aux procédures. Ces requérants ne sont pas directement affectés par la violation alléguée de la Convention et ne peuvent donc se prétendre victimes de cette violation, comme l’exige l’article 34 de la Convention.
Il s’ensuit que leur grief est manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3, et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Décide de joindre les requêtes ;
Ajourne l’examen des griefs du premier requérant tirés de l’article 1 du Protocole n° 1 et de l’article 6 § 1 de la Convention ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
Erik Fribergh Christos Rozakis
Greffier Président