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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE CÂMARA PESTANA c. PORTUGAL
(Requête n° 47460/99)
ARRÊT
STRASBOURG
16 mai 2002
DÉFINITIF
16/08/2002
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Câmara Pestana c. Portugal,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. G. Ress, président,
I. Cabral Barreto,
L. Caflisch,
P. Kūris,
J. Hedigan,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
M. K. Traja, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 avril 2002,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 47460/99) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet Etat, M. Vasco Novais da Câmara Pestana (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er mars 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. A. Henriques Gaspar, Procureur général adjoint.
3. Le requérant allègue que la durée d'une procédure civile à laquelle il était partie a connu une durée excessive.
4. La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5. Par une décision du 10 avril 2001, la Cour a déclaré la requête recevable.
6. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
7. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
8. Le requérant est un ressortissant portugais, né en 1932 et résidant à Palmela (Portugal).
9. Le 30 mai 1969, la Caisse de prévoyance du ministère des Finances (Cofre de Previdência do Ministério das Finanças) attribua la propriété de la maison où habitait le père du requérant, décédé, à sa veuve Mme P.P. Le requérant, qui se trouvait alors en Afrique du Sud, retourna au Portugal en 1991. Le 9 février 1992, le requérant présenta une réclamation contre la décision de la Caisse, dont il allégua n'avoir pris connaissance que lors de son retour au Portugal. Il exposa ensuite que son père avait déjà acquis le droit de propriété sur la maison en cause avant son décès. Ce droit de propriété devait ainsi revenir au requérant ainsi qu'aux deux autres enfants issus comme lui du premier mariage de son père, et non à Mme P.P. Le 28 avril 1992, la direction de la Caisse rejeta la réclamation du requérant.
10. Le 29 juin 1992, le requérant introduisit devant le tribunal administratif (Tribunal Administrativo do círculo) de Lisbonne un recours contentieux en annulation des décisions de la Caisse des 30 mai 1969 et 28 avril 1992. Le recours était également interjeté contre la bénéficiaire des décisions en cause, Mme P.P.
11. Le 16 novembre 1992, la Caisse déposa ses conclusions en réponse.
12. Le 21 janvier 1994, le juge ordonna la citation à comparaître de Mme P.P. Le 18 avril 1994, celle-ci demanda l'assistance judiciaire et la désignation d'un avocat d'office. Le 16 septembre 1996, le juge fit droit à ces demandes. A une date non précisée, Mme P.P. déposa ses conclusions en réponse.
13. Le 14 avril 1997, le juge invita les parties à déposer des mémoires. Le requérant déposa son mémoire le 8 mai 1997 et la Caisse déposa le sien le 16 mai 1997.
14. Le 13 août 1997, l'avocate d'office de Mme P.P. informa le tribunal qu'elle était dans l'impossibilité de continuer à assurer les intérêts de cette dernière. Le 5 mai 1998, le juge invita l'Ordre des avocats de Lisbonne à indiquer un avocat susceptible de représenter Mme P.P. Le 18 mai 1998, l'Ordre des avocats indiqua un avocat. Le 6 octobre 1998, le juge désigna à Mme P.P. cet avocat d'office.
15. Le 22 mars 1999, le représentant du ministère public près le tribunal administratif présenta son avis sur l'affaire. Il souleva une question préalable sur l'absence d'intervention dans la procédure des autres enfants du père du requérant. Le 21 décembre 1999, le juge rejeta cette question préalable et, constatant que les personnes en cause avaient entre-temps demandé à intervenir dans la procédure, invita les parties à se prononcer sur une telle demande.
16. La Caisse ne présenta pas d'observations mais le ministère public, à une date non précisée, soutint l'irrecevabilité du recours pour tardiveté.
17. Par une ordonnance du 4 juillet 2000, le juge accueillit la demande des intervenants et décida que la question soulevée par le ministère public devait être décidée ultérieurement. Il ordonna ainsi la transmission du dossier au ministère public afin que ce dernier présente son avis sur le fond de l'affaire. A la fin de son ordonnance, le juge recommanda au greffe une « particulière célérité » dans l'exécution des ordonnances, vu l'ancienneté de l'affaire.
18. Le représentant du ministère public présenta son avis sur le fond de l'affaire le 18 octobre 2001.
19. Par un jugement du 30 octobre 2001, le tribunal rejeta le recours.
20. Le 15 novembre 2001, le requérant fit appel de cette décision devant la Cour suprême administrative (Supremo Tribunal Administrativo). Par une ordonnance du 22 novembre 2001, le juge du tribunal administratif déclara le recours recevable et ordonna la transmission du dossier à la Cour suprême administrative.
21. La procédure est pendante devant la Cour suprême administrative.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
22. Le requérant dénonce la durée de la procédure en cause. Il allègue la violation de l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
23. La période à considérer a commencé avec l'introduction du recours contentieux, le 29 juin 1992. La procédure étant toujours pendante, la durée en cause s'étend à ce jour sur neuf ans et dix mois.
24. Pour rechercher s'il y a eu dépassement du délai raisonnable, il y a lieu d'avoir égard aux circonstances de la cause et aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d'autres, l'arrêt Silva Pontes c. Portugal du 23 mars 1994, n° 286‑A, p. 15, § 39).
25. Pour le requérant, la durée en cause est manifestement excessive.
26. Le Gouvernement admet que la procédure a souffert quelques retards. Il souligne néanmoins que les parties ont également contribué à l'allongement de la procédure. Il se réfère enfin à la surcharge du rôle du tribunal administratif de Lisbonne.
27. La Cour constate d'abord que la procédure ne revêtait pas de complexité particulière.
28. Le comportement des parties n'explique pas la durée totale de la procédure.
29. S'agissant du comportement des autorités compétentes, la Cour relève plusieurs retards imputables tant au juge chargé de l'affaire qu'au ministère public.
Ainsi, le juge n'ordonna la citation à comparaître de Mme P.P. que le 21 janvier 1994, soit un an et deux mois après le dépôt de conclusions par la Caisse. Par ailleurs, alors que l'avocate d'office de Mme P.P. avait informé le juge de son impossibilité d'assurer la représentation de l'intéressée dès le 13 août 1997, ce n'est que le 5 mai 1998, soit neuf mois plus tard, que le juge invita l'Ordre des avocats à indiquer un autre conseil.
Le représentant du ministère public a, lui aussi, contribué à l'allongement de la procédure. Invité par le juge à présenter son avis sur le fond de l'affaire dès le 4 juillet 2000, il ne le fit que le 18 octobre 2001, soit un an et trois mois plus tard.
30. La Cour prend note des explications du Gouvernement concernant la surcharge du rôle du tribunal administratif de Lisbonne. Elle réaffirme toutefois sa jurisprudence constante selon laquelle il incombe aux Etats contractants d'organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable (Frydlender c. France [GC], n° 30979/96, CEDH 2000-VII, § 47).
31. Il y a donc eu dépassement du délai raisonnable et, partant, violation de l'article 6 § 1.
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
32. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
33. Le requérant estime avoir subi un préjudice matériel de 41 782 463 escudos portugais (PTE), soit 208 410 euros (EUR). Il se réfère à cet égard aux dégâts causés par Mme P.P. à la maison litigieuse. Il demande par ailleurs 350 000 000 PTE, soit 1 745 792 EUR, pour préjudice moral. Il mentionne notamment les désagréments causés par dix années de litige avec la Caisse.
34. Le Gouvernement soutient que le préjudice matériel invoqué par le requérant ne présente aucun lien de causalité avec la violation invoquée. Quant au préjudice moral, le requérant n'aurait invoqué aucun dommage personnel.
35. La Cour ne décèle aucun lien de causalité entre la violation constatée et le préjudice matériel allégué. Elle rejette donc les prétentions du requérant à ce titre.
Pour ce qui est du préjudice moral, la Cour estime, contrairement à ce qui a été soutenu par le Gouvernement, que le requérant a fait état d'un préjudice moral causé par la durée de la procédure. Statuant en équité, comme le veut l'article 41, elle alloue au requérant 5 500 EUR à ce titre.
B. Frais et dépens
36. Le requérant fournit un relevé détaillé des frais et dépens engagés dans la procédure interne puis devant la Cour, et demande le remboursement de la somme de 2 788 366 PTE, soit 13 908 EUR.
37. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Cour tout en soulignant que les frais exposés ne se rapportent pas à la procédure suivie devant la Cour.
38. La Cour constate que la grande majorité des frais exposés par le requérant ne concernent pas la procédure suivie devant elle. Ainsi, le requérant demande le remboursement des sommes qu'il aurait versées à titre d'honoraires d'avocat, alors qu'il a assumé lui-même la défense de ses intérêts devant la Cour. Pour ce qui des autres frais, la Cour juge raisonnable d'octroyer au requérant 750 EUR.
C. Intérêts moratoires
39. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d'intérêt légal applicable au Portugal à la date d'adoption du présent arrêt est de 7 % l'an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
2. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 5 500 EUR (cinq mille cinq cents euros) pour dommage moral et 750 EUR (sept cents cinquante euros) pour frais et dépens ;
b) que ces montants seront à majorer d'un intérêt simple de 7 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;
3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 mai 2002 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger Georg Ress
Greffier Président