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Rozhodnutí

TROISIEME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 37290/97
présentée par Sabine et Harro WITTEK
contre l’Allemagne

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 14 mars 2002 en une chambre composée de

MM. I. Cabral Barreto, président,
G. Ress,
L. Caflisch,
R. Türmen,
B. Zupančič,
Mme H.S. Greve,
M. K. Traja, juges,

et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 8 février 1997 et enregistrée le 6 août 1997,

Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :


EN FAIT

Les requérants, Mme Sabine et M. Harro Wittek, sont des ressortissants allemands, nés respectivement en 1958 et en 1948 et résidant à Bad Münder (Allemagne). Ils sont représentés devant la Cour par Me S. von Raumer, avocat à Berlin.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1. La genèse de l’affaire

Par un contrat d’achat du 26 mai 1986, les requérants acquirent une maison d’habitation située à Leipzig, sur le territoire de la République démocratique allemande (RDA), pour un prix de 56 000 Marks de la RDA. Cette maison d’habitation était érigée sur un terrain appartenant à l’Etat (volkseigenes Grundstück), et pour lequel les requérants obtinrent un droit d’usufruit (dingliches Nutzungsrecht) en vertu des articles 287 et suivants du code civil (Zivilgesetzbuch) de la RDA.

Le 26 octobre 1989, les requérants firent une demande officielle en vue de quitter la RDA, car ils s’estimaient victimes d’une discrimination politique dans leur profession.

D’après les requérants, la section des affaires intérieures du district de la ville (Abteilung innere Angelegenheiten des Stadtbezirks) de Leipzig les informa alors qu’ils devaient céder (veräussern) leur bien par le biais d’une vente ou d’une donation s’ils voulaient être autorisés à quitter définitivement le territoire de la RDA.

Le 8 décembre 1989, les requérants firent officiellement une donation sous forme notariée aux époux Böllmann, en mentionnant que la maison d’habitation avait une valeur de 120 000 Marks de la RDA. En réalité, les époux Böllmann versèrent une somme de 55 000 Deutsch Mark (DM) aux requérants sur un compte en banque suisse.

D’après les requérants, la valeur réelle de la maison et du terrain serait aujourd’hui estimée à 600 000 DM.

Le Gouvernement conteste ce montant en indiquant que les requérants disposaient uniquement d’un droit d’usufruit sur le terrain.

Après la réunification de l’Allemagne, les requérants tentèrent de récupérer leur maison et leur droit d’usufruit sur le terrain d’abord directement auprès des acquéreurs, puis devant les juridictions civiles et administratives de la République fédérale d’Allemagne (RFA).

2. La procédure devant les juridictions civiles

Le 21 mars 1991, les requérants saisirent le tribunal d’instance (Kreisgericht) de Leipzig afin d’obtenir la restitution de leur maison et la rectification de l’inscription dans le livre foncier (Grundbuch).

Par un jugement du 26 juin 1991, le tribunal d’instance de Leipzig refusa de faire droit à leur demande.

Par un jugement du 5 mars 1992, le tribunal du district (Bezirksgericht) de Leipzig rejeta l’appel des requérants, au motif qu’ils ne disposaient pas d’un droit à restitution. Il souligna qu’il n’y avait pas eu en l’espèce transfert du droit de propriété, car aussi bien la donation que la vente du bien à l’époque de la RDA étaient entachées de nullité. Cependant, les requérants ne pouvaient se prévaloir de cette nullité, car ils avaient opté pour ce type de contrat en toute connaissance de cause et l’état de contrainte (Zwangslage) dans laquelle ils s’étaient peut-être trouvés à l’époque n’avait pas été exploité à leur détriment par les acquéreurs. La demande de restitution de leur part se heurtait dès lors au principe de bonne foi (Treu und Glauben).

Par un arrêt du 19 novembre 1993, la Cour fédérale de justice (Bundesgerichtshof) rejeta également le recours des requérants. A l’instar des juridictions ordinaires, elle estima qu’aussi bien la donation que la vente étaient entachées de nullité. Cependant elle rappela que, dans des cas comme celui de l’espèce, où les requérants avaient conclu une donation fictive afin d’atténuer l’obligation qui leur avait été faite de vendre leur bien lors de leur départ de la RDA, c’était la loi du 23 septembre 1990 sur la réglementation des questions patrimoniales non résolues / loi sur le patrimoine (Gesetz zur Regelung offener Vermögensfragen - Vermögensgesetz – voir Droit et pratique internes pertinents ci-dessous) qui trouvait à s’appliquer. Or son interprétation relevait des juridictions administratives et non civiles.

3. La procédure devant les juridictions administratives

Les requérants adressèrent alors un recours administratif à la ville de Leipzig en vue d’obtenir la restitution de leur bien sur le fondement de la loi sur le patrimoine.

Par une décision du 2 juin 1994, la ville de Leipzig refusa de faire droit à leur demande, au motif que les conditions énoncées à l’article 1 § 3 de la loi sur le patrimoine (voir Droit et pratique internes pertinents ci-dessous) n’étaient pas réunies en l’absence d’une contrainte (Nötigung). En effet, une situation de contrainte liée au départ de la RDA ne pouvait avoir existé que jusqu’à l’ouverture de la frontière le 9 novembre 1989. Après cette date, il était clair que toutes les restrictions de sortie de la RDA avaient été levées.

Les requérants firent opposition contre cette décision, que l’Office régional pour la réglementation des questions patrimoniales non résolues (Landesamt zur Regelung offener Vermögensfragen) du Land de Saxe rejeta le 9 janvier 1995, au motif également qu’une situation de contrainte pour les requérants n’avait plus existé depuis l’ouverture de la frontière le 9 novembre 1989, et en particulier depuis l’ordonnance sur la réglementation des questions patrimoniales (Anordnung zur Regelung von Vermögensfragen – voir Droit et pratique internes pertinents ci-dessous) du 11 novembre 1989 et qui avait été publiée le 23 novembre 1989.

Par un jugement du 21 décembre 1995, le tribunal administratif (Verwaltungsgericht) de Leipzig refusa de faire droit à la demande des requérants après avoir tenu une audience.

D’après lui, les requérants ne disposaient pas d’un droit à restitution (Rückübertragungsanspruch), car il n’y avait pas eu de manoeuvres déloyales (unlautere Machenschaften) au sens de l’article 1 § 3 de la loi sur le patrimoine. En effet, dès l’ouverture de la frontière le 9 novembre 1989, tout citoyen de la RDA pouvait librement quitter le pays et les dispositions de l’ordonnance sur la réglementation des questions patrimoniales du 11 novembre 1989 prévoyaient que les citoyens n’étaient plus tenus de céder leur bien avant de quitter la RDA. Or en l’espèce le contrat de cession fut signée le 8 décembre 1989. Il n’y avait donc pas eu non plus tromperie (Täuschung) au sens de l’article 1 § 3 de la loi sur le patrimoine.

De plus, le tribunal considéra que même si la situation antérieure avait encore prévalu à cette date, les conditions de l’article 1 § 3 de la loi sur le patrimoine n’étaient de toute façon pas réunies, car les requérants n’étaient pas propriétaires du terrain litigieux, mais ne disposaient que d’un droit d’usufruit. Or d’après la loi de la RDA du 14 décembre 1970 sur l’attribution d’un droit d’usufruit sur un terrain appartenant au peuple (Gesetz über die Verleihung von Nutzungsrechten an einem volkseigenen Grundstück), les personnes bénéficiaires d’un tel droit étaient tenues d’utiliser elles-mêmes ces terrains. Même en cas de déménagement des requérants au sein de la RDA, le terrain litigieux serait redevenu une propriété de l’Etat et les requérants auraient eu simplement droit à un dédommagement. Or les requérants connaissaient cette situation et c’est pourquoi ils avaient cherché à céder leur bien.

Par des décisions des 2 septembre et 22 octobre 1996, la Cour administrative fédérale (Bundesverwaltungsgericht) refusa d’examiner le recours en révision des requérants.

Elle se référa à son arrêt de principe du 29 février 1996, dans lequel elle avait indiqué qu’entre la publication le 23 novembre 1989 de l’ordonnance sur la réglementation des questions patrimoniales dans le Journal Officiel (Gesetzblatt) de la RDA et le 31 janvier 1990, date de l’abrogation de l’ordonnance du 30 novembre 1988 sur les conditions de sortie (Reiseverordnung) de la RDA, on ne pouvait parler de manoeuvres déloyales que dans des cas exceptionnels. Or le tribunal administratif avait examiné en détail les circonstances de l’espèce avant d’arriver à la conclusion qu’il n’y eut ni contrainte ni tromperie au sens de l’article 1 § 3 de la loi sur le patrimoine.

La Cour administrative fédérale se référa aussi à son arrêt de principe du 29 août 1996, dans lequel elle avait indiqué qu’il n’y avait pas manoeuvres déloyales au sens de l’article 1 § 3 de la loi sur le patrimoine dans des cas où l’obligation faite aux requérants de céder leur bien correspondait à la loi de la RDA du 14 décembre 1970 sur l’attribution d’un droit d’usufruit sur un terrain appartenant au peuple.

4. La procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale

Par deux décisions du 22 janvier 1997, la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) refusa d’admettre le recours des requérants tant contre les décisions des juridictions civiles que contre celles des juridictions administratives.

Elle se référa notamment à son arrêt de principe du 8 octobre 1996 dans lequel elle avait indiqué que le fait que la loi sur le patrimoine supplantait (verdrängt) les droits civils dans des affaires liées au départ de citoyens de la RDA vers la RFA ne se heurtait pas à la Constitution. L’interprétation de la Cour fédérale de justice en l’espèce était donc conforme à cette jurisprudence.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

1. L’ordonnance de la RDA sur la réglementation des questions patrimoniales

L’ordonnance sur la réglementation des questions patrimoniales du 11 novembre 1989, entrée en vigueur le 14 novembre et publiée le 23 novembre 1989, prévoyait en son article 1 § 1 que les citoyens de la RDA qui quittaient la RDA en s’établissant de manière permanente dans d’autres Etats ou à Berlin ouest, devaient « prendre les mesures nécessaires pour assurer la préservation et la gestion régulières de leur patrimoine situé en RDA » (« haben die notwendigen Massnahmen für die ordnungsgemässe Sicherung und Verwaltung Ihres in der Deutschen Demokratischen Republik zurückgelassenen Vermögens zu treffen. »). L’article 3 de cette ordonnance prévoit l’abrogation immédiate des ordonnances n°s 1 et 2 de la RDA des 1er décembre 1953 et 20 août 1958 sur l’utilisation du patrimoine de personnes qui ont quitté la RDA après le 10 juin 1953, ainsi que de « la directive de travail » (Arbeitsanweisung) du 5 décembre 1953 du même nom, et qui, à l’époque, obligeaient les citoyens de la RDA souhaitant quitter leur pays de céder leurs biens avant leur départ.

2. La déclaration commune de la RFA et de la RDA sur la réglementation des questions patrimoniales non résolues

Au cours du processus de réunification en 1990, les deux gouvernements allemands avaient entamé des négociations sur les nombreuses questions patrimoniales qui se posaient et avaient abouti à la déclaration commune de la RFA et de la RDA sur la réglementation des questions patrimoniales non résolues (Gemeinsame Erklärung der Bundesrepublik Deutschland und der Deutschen Demokratischen Republik zur Regelung offener Vermögensfragen) et qui devint partie intégrante du traité sur l’unification (Einigungsvertrag) allemande du 31 août 1990. Les négociations avaient porté aussi bien sur la question de la restitution de biens dont les propriétaires avaient été expropriés en RDA que sur celle de la cession de biens par des citoyens de la RDA lors de leur départ du pays.

Dans cette déclaration, les deux gouvernements ont indiqué que dans la recherche de solutions aux questions patrimoniales litigieuses, il leur fallait établir un équilibre socialement acceptable (sozial verträglicher Ausgleich) entre des intérêts divergents, en tenant compte des principes de sécurité et de clarté juridiques ainsi que de la protection du droit de propriété.

3. La loi de la RFA sur la réglementation des questions patrimoniales non résolues

Le 29 septembre 1990 entra en vigueur la loi du 23 septembre 1990 sur les questions patrimoniales non résolues ou loi sur le patrimoine et qui faisait également partie du traité sur l’unification allemande. D’après ce dernier, la loi sur le patrimoine continuait d’exister dans l’Allemagne réunifiée après la réunification des deux Etats allemands le 3 octobre 1990. Le but de cette loi était de régler les conflits relatifs à des biens situés sur le territoire de la RDA d’une manière acceptable sur le plan social, afin d’assurer de manière durable la paix juridique en Allemagne.

L’article 1 § 3 de la loi sur le patrimoine est ainsi rédigé :

« Cette loi s’applique aussi à des droits sur des biens immobiliers ainsi que des droits d’usufruit acquis par le biais de manoeuvres déloyales, par exemple par abus de pouvoir, corruption, contrainte ou tromperie par l’acquéreur, les autorités étatiques ou des tiers. »

La loi sur le patrimoine prévoit en principe un droit à restitution pour les citoyens de la RDA qui ont été contraints de céder leur bien afin de pouvoir légalement quitter leur pays, à moins que la loi ne l’exclue, comme elle le fait notamment lorsque les acquéreurs ont été de bonne foi (redlicher Erwerb) (article 4 § 2 de la loi). Dans ce dernier cas, les anciens propriétaires ont droit à une indemnisation d’après la loi du 27 septembre 1994 sur l’indemnisation d’après la loi sur le patrimoine (Gesetz über die Entschädigung nach dem Gesetz zur Regelung offener Vermögensfragen).

Cependant, le principe posé à l’article 4 § 2 de la loi ne s’applique en principe pas si la cession a été effectuée après la date charnière du 18 octobre 1989 (date de la démission de M. Erich Honecker, ancien Président du Conseil d’Etat (Staatsratsvorsitzender) de la RDA) et sans l’accord des intéressés (cependant voir ci-dessous la jurisprudence de la Cour fédérale de justice sur cet aspect).

Le législateur a délibérément opté pour la compétence des juridictions administratives pour l’interprétation de la loi sur le patrimoine dans des litiges relatifs à la cession de biens par des citoyens de la RDA lors de leur départ du pays, afin d’éviter une confrontation directe des anciens et nouveaux propriétaires devant les juridictions civiles : il a ainsi créé des offices pour la réglementation des questions patrimoniales non résolues chargés de trancher ces litiges en menant des investigations d’office (Amtsermittlungsgrundsatz) et en prenant aussi en compte l’intérêt public.

4. La jurisprudence de la Cour fédérale de justice

Dans un arrêt de principe du 3 avril 1992 (cinquième chambre civile, réf. n° 83/91), la Cour fédérale de justice a déclaré que la contestation d’un contrat de vente par la voie civile était exclue lorsque qu’il s’agissait de litiges relatifs au départ de citoyens de la RDA contraints de céder leur bien. Dans des cas pareils, la loi sur le patrimoine avait créé exclusivement un droit à restitution de caractère public (öffentlich- rechtlicher Rückübertragungsanspruch).

Dans deux autres arrêts de principe des 16 avril et 7 mai 1993 (cinquième chambre civile, réf. n° 87/92 et 99/92 respectivement), elle a étendu sa jurisprudence à des cas où, comme en l’espèce, les anciens propriétaires avaient conclu une donation fictive afin d’atténuer l’obligation qui leur avait été faite de céder leur bien lors de leur départ de la RDA.

Dans deux autres arrêts de principe des 14 janvier 2000 et 12 mai 2000 (cinquième chambre civile, réf. 439/98 et 47/99 respectivement), la Cour fédérale de justice a considéré que la loi sur le patrimoine pouvait s’appliquer même à des actes juridiques accomplis après la date charnière du 18 octobre 1989 en vérifiant si les vices apparus auraient conduit à la nullité de la cession à la lumière de la nouvelle situation existant en RDA aussi bien dans les faits que sur le plan juridique.

GRIEFS

Les requérants soutiennent que le refus des juridictions allemandes de leur restituer leur bien situé sur le territoire de la RDA a porté atteinte à leur droit de propriété garanti à l’article 1 du Protocole n° 1.

Ils allèguent également qu’ils n’ont pas eu droit à un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

Ils invoquent aussi l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 6.

EN DROIT

1. Les requérants soutiennent que le refus des juridictions allemandes de leur restituer leur bien situé sur le territoire de la RDA a porté atteinte à leur droit de propriété garanti à l’article 1 du Protocole n° 1, ainsi rédigé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

Le Gouvernement soutient que même s’il y a eu ingérence en l’espèce, celle-ci était prévue par la loi sur le patrimoine, poursuivait un but d’intérêt général et ménageait un juste équilibre entre les intérêts en présence. Il met l’accent sur les particularités de la réunification allemande et sur le fait que la loi sur le patrimoine avait pour but d’assurer la paix juridique en protégeant aussi les droits des acquéreurs si ces derniers avaient été de bonne foi. Le législateur avait voulu soumettre les litiges relatifs à la restitution de biens que les personnes avaient été contraintes de céder lors de leur départ de la RDA aux juridictions administratives compétentes pour interpréter la loi sur le patrimoine. Or l’interprétation en l’espèce n’était pas arbitraire. De plus, d’après la jurisprudence de la Cour fédérale de justice, la loi sur le patrimoine pouvait s’appliquer à des actes juridiques accomplis après la date charnière du 18 octobre 1989. Enfin, les requérants ont obtenu une compensation équitable puisqu’ils ont reçu en contrepartie de la cession de leur bien la somme de 55 000 DM.

Les requérants considèrent que le contrat de cession conclu sous la pression des autorités de la RDA était nul et qu’ils n’ont jamais perdu le titre de propriété sur leur maison jusqu’à la décision de la Cour fédérale de justice du 19 novembre 1993, qui constituait en réalité le véritable acte d’expropriation. Ils contestent surtout l’interprétation de la loi sur le patrimoine par la Cour fédérale de justice, la Cour administrative fédérale et la Cour constitutionnelle fédérale et, qui, d’après eux, est contradictoire. En effet, dans un premier temps, la Cour fédérale de justice a constaté la nullité du contrat de cession, mais a indiqué que leurs droits civils étaient supplantés par la loi sur le patrimoine qui devait s’appliquer dans leur cas. Dans un second temps, la Cour administrative fédérale a considéré que les conditions d’application de la loi sur le patrimoine n’étaient pas réunies. Enfin, aucune de ces juridictions n’aurait tenu compte du fait qu’en l’espèce le contrat de cession avait été conclu après la date charnière du 18 octobre 1989. En effet, après cette date, la loi sur le patrimoine ne s’appliquait plus et le besoin de protection des acquéreurs de bonne foi s’effaçait devant le droit à restitution des anciens propriétaires.

La Cour estime, à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention en matière de protection de la propriété, et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, que le grief doit faire l’objet d’un examen au fond.

2. Les requérants prétendent ensuite qu’ils n’ont pas eu accès à un tribunal ni bénéficié d’un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente est ainsi libellée :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Le Gouvernement soutient que les requérants ont eu accès à des juridictions indépendantes, qui ont statué dans leur affaire. Or ils n’avaient en réalité à leur disposition que la voie civile ou la voie administrative, et tous les autres recours qu’ils invoquent s’y rapportent.

Les requérants considèrent que, contrairement à d’autres personnes dans des situations analogues, ils n’ont pu récupérer leur bien par la voie civile. De plus, la Cour fédérale de justice et la Cour administrative fédérale ont rendu des arrêts contradictoires dans leur affaire. Enfin, ils soutiennent que la situation législative et juridique après la réunification était tellement confuse qu’il leur était impossible de savoir quelle voie de droit emprunter ; ils citent neuf voies de recours différentes qu’ils auraient pu intenter pour récupérer leur bien.

La Cour rappelle que le droit d’accès aux tribunaux garanti par l’article 6 § 1 n’est pas absolu ; il se prête à des limitations implicitement admises car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat, réglementation qui peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus. En élaborant pareille réglementation, les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation (arrêt Lithgow et autres c. Royaume-Uni du 8 juillet 1986, série A n° 102, p. 71, § 194).

Cependant le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 s’opposent à toute ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire du litige (voir les arrêts Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce du 9 décembre 1994 , série A n° 301-B, p. 82, §49, et National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society c. Royaume-Uni du 23 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VII, p. 2363, § 112, et Zielinsky et Pradal et Gonzalez et autres c. France [GC], nos 24846/94 et 34165/96 à 34173/96, CEDH 1999-VII, § 57).

En l’espèce, la Cour fédérale de justice, dans son arrêt du 19 novembre 1993, a déclaré que la cession de leur bien par les requérants à l’époque de la RDA était nulle. Elle a néanmoins écarté toute demande en restitution de leur part en vertu d’un principe bien établi dans sa jurisprudence et dans celle de la Cour constitutionnelle fédérale, principe selon lequel la contestation d’un contrat de vente par la voie civile est exclue lorsque qu’il s’agit de litiges relatifs à la restitution de biens que des citoyens de la RDA ont dû céder lors de leur départ du pays. En effet, dans ces cas-là, c’est la loi sur le patrimoine qui trouve à s’appliquer et son interprétation incombe aux juridictions administratives et non civiles. Par la suite, lors de l’application de cette loi au cas d’espèce, les juridictions administratives ont conclu que les conditions énoncées à l’article 1 § 3 de la loi sur le patrimoine (voir Droit et pratiques pertinents ci-dessus) n’étaient pas réunies.

Or la Cour considère qu’il convient de distinguer très nettement la présente espèce des affaires Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis et Zielinsky et Pradal et Gonzalez et autres ci-dessus mentionnées, où le législateur est intervenu de manière rétroactive en faveur de l’Etat dans des litiges auquel ce dernier était partie.

Même si en l’espèce, il y eut intervention du législateur, la loi sur le patrimoine, entrée en vigueur avant le début des procédures litigieuses, visait notamment à réglementer des conflits patrimoniaux suite à la réunification allemande entre anciens et nouveaux propriétaires de biens situés sur le territoire de la RDA. Son but était de régler ces litiges opposant des personnes privées de manière acceptable sur le plan social afin d’assurer de manière durable la paix et la sécurité juridique en Allemagne.

La Cour rappelle par ailleurs que dans des litiges opposant des intérêts de caractère privé, l’exigence de l’égalité des armes implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (voir notamment les arrêts Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas du 27 octobre 1993, série A n° 274, p. 19, § 33, et Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis précité, p. 81, § 46).

Or en l’espèce, les requérants ont pu contester le refus des autorités de leur restituer leur bien devant les juridictions civiles et administratives et présenter, aux différents stades de la procédure, les arguments qu’ils jugeait pertinents pour la défense de leur cause. En vertu d’une jurisprudence bien établie, la Cour fédérale de justice a alors indiqué que leur cas relevait de la compétence des juridictions administratives. Ces dernières, et surtout le tribunal administratif de Leipzig, ont alors examiné de manière approfondie les circonstances de l’affaire ainsi que les arguments avancés par les requérants.

Les requérants ont donc eu accès à des juridictions indépendantes qui ont statué dans leur affaire.

Par ailleurs, la Cour estime que, considérées dans leur ensemble, les procédures litigieuses ont revêtu un caractère équitable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

3. Les requérants allèguent ensuite une violation de l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 6 de la Convention. L’article 14 est ainsi rédigé :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Eu égard au raisonnement suivi sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour estime qu’aucune question séparée ne se pose sous l’angle de l’article 14 de la Convention.

Il s’ensuit que ce grief est également manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare recevable, tous moyens de fond réservés, le grief du requérant tiré de l’article 1 du Protocole n° 1 ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

Vincent Berger Ireneu Cabral Barreto
Greffier Président