Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
7.3.2002
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 44964/98
présentée par Maurice et Christine LOUERAT
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 7 mars 2002 en une chambre composée de

MM. G. Ress, président,
I. Cabral Barreto,
J.-P. Costa,
P. Kūris,
B. Zupančič,
J. Hedigan,
K. Traja, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 29 juin 1998 et enregistrée le 15 décembre 1998,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

A. Circonstances particulières de l’affaire

Les requérants, Maurice et Christine Louerat, sont des ressortissants français, nés respectivement en 1944 et 1946 et résidant à Paris.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1. La procédure pénale

Les requérants étaient gérants de trois sociétés (SARL Tradi-France, SARL CTE-TM et la SARL Tradi-Multiple) ayant pour objet la construction et la vente de maisons individuelles.

Le 8 juillet 1987, à la suite d’ordonnances rendues par les présidents des tribunaux de grande instance de Paris, de Châteauroux et de Tours en date des 7 et 8 juillet 1987, des agents des impôts effectuèrent des visites et procédèrent à des saisies de documents dans les locaux des sociétés ainsi qu’au domicile des requérants.

A partir du 7 janvier 1988, l’administration des impôts procéda à la vérification de la comptabilité de la société Tradi-France puis à compter du 13 juin 1988, elle fit de même pour les deux autres sociétés.

Suite à une plainte de l’administration fiscale déposée le 22 juin 1990 pour trois dossiers de fraude visant les requérants en tant que gérants des sociétés précitées, le procureur de la République de Tours prit un réquisitoire introductif le 19 février 1991 et une information fut ouverte. Les requérants furent mis en examen les 31 mai et 31 octobre 1991 et renvoyés, les 9 et 22 juin 1992, devant le tribunal pour soustraction frauduleuse à l’impôt sur les sociétés concernant la société Tradi-France et CTE-TM et à la taxe sur la valeur ajoutée pour les trois sociétés, au titre des exercices allant de 1984 à 1988, faits réprimés par les articles 1741, 1743 et 1745 du code général des impôts.

En août 1990 et juin 1992, les requérants formèrent des pourvois en cassation contre les ordonnances de perquisition des 7 et 8 juillet 1987.

A l’audience du 2 novembre 1992 devant le tribunal correctionnel de Tours, les requérants sollicitèrent le renvoi de l’affaire au motif que les ordonnances ayant autorisé les visites domiciliaires dans leurs locaux sociaux étaient frappées d’un pourvoi en nullité que la Cour de cassation n’avait pas encore examiné. Le tribunal, estimant préférable de connaître la décision de la haute juridiction avant de statuer, renvoya l’affaire au 4 octobre 1993 puis, aucune décision n’étant encore intervenue à cette date, au 3 octobre 1994. Peu avant l’audience du 3 octobre, le conseil des requérants fit parvenir les arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation des 21 avril 1992 et 4 janvier 1994 annulant les visites domiciliaires pour vice de forme. Il souleva in limine litis un moyen de nullité arguant que l’annulation des visites domiciliaires entraînait la nullité de toute la procédure subséquente. Le tribunal mit l’affaire en délibéré à l’audience du 27 octobre 1994 puis au 24 novembre.

Par un jugement du 24 novembre 1994, le tribunal rejeta l’exception de nullité au motif que les visites domiciliaires et saisies réalisées en vertu des ordonnances annulées n’affectaient en rien les enquêtes fiscales, instruction et poursuites judiciaires qui n’en étaient nullement la conséquence ou la suite procédurale. Le tribunal condamna les requérants respectivement à trente mois d’emprisonnement, dont dix-huit mois avec sursis, et six mois d’emprisonnement avec sursis, ainsi qu’au paiement des impôts fraudés et à celui des pénalités y afférentes.

Par un arrêt rendu par défaut le 7 novembre 1995, la cour d’appel d’Orléans confirma le jugement. Le 11 avril 1996, les requérants formèrent opposition audit arrêt.

Par un arrêt du 21 janvier 1997, la cour d’appel d’Orléans confirma le jugement mais ramena la peine du premier requérant à deux ans d’emprisonnement, dont dix-huit mois avec sursis. Les requérants formèrent un pourvoi en cassation en invoquant le défaut de base légale de l’arrêt attaqué au motif que l’annulation des ordonnances de perquisition rendait nulle toute poursuite et condamnation pour infraction à la législation fiscale.

Le 28 mai 1998, la Cour de cassation cassa partiellement l’arrêt attaqué en considérant :

« (...) Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué et du jugement qu’il confirme que l’administration fiscale connaissait, avant même de saisir l’autorité judiciaire pour se faire autoriser à procéder aux visites domiciliaires, l’existence des trois sociétés en cause et le fait que deux d’entre elles, le groupe Tradi-France et CTE-TM, n’avaient effectué aucune déclaration fiscale ; que dès lors c’est à bon droit que les juges ont écarté l’exception de nullité en ce qui concerne les poursuites engagées contre le dirigeant de ces deux sociétés, en relevant notamment que les opérations annulées étaient sans effet sur la constatation de leur carence déclarative que l’administration des impôts avait pu faire d’elle-même ;

Qu’en effet, l’annulation d’une décision judiciaire, qui remet la cause et les parties au même état où elles se trouvaient antérieurement, ne postule l’annulation que de ce qui été la suite nécessaire ou l’exécution de cette décision ;

Attendu, en revanche, que tel n’est pas le cas de la société Tradi-Multiple, dont les dirigeants sont poursuivis, à la suite d’un contrôle fiscal, pour avoir, dans les déclarations de chiffre d’affaires, majoré abusivement les droits à déduction ; que, toutefois, si les peines d’emprisonnement, de publication et d’affichage sont justifiées par les déclarations de culpabilité relatives aux autres sociétés, par contre, en déclarant les époux Louerat solidairement tenus avec la société Tradi-Multiple au paiement de la TVA due pour la période du 1er décembre 1985 au 31 juillet 1986, alors que les poursuites pénales concernant cette société étaient affectées par l’annulation des ordonnances autorisant les visites domiciliaires et saisies de pièces comptables, les juges ont méconnu le sens et la portée des principes sus-visés ;

D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; (...)

Dit n’y avoir lieu à renvoi ; »

2. Les procédures administratives

Le 7 février 1992, le requérant saisit le tribunal administratif d’Orléans, pour la société CTE-TM, de trois requêtes relatives au paiement de divers impôts et des pénalités y afférentes. Par un jugement du 18 mai 1999, le tribunal lui donna satisfaction.

Le 7 février 1992, la requérante saisit le tribunal administratif d’Orléans, pour la société Tradi-France, de cinq requêtes relatives au paiement de divers impôts et pénalités y afférentes. Par un jugement du 18 mai 1999, le tribunal rejeta toutes les demandes de la société requérante. Le 20 juillet 1999, les requérants interjetèrent appel du jugement devant la cour administrative d’appel de Nantes. L’affaire est encore pendante à ce jour.

Le 11 mars 1992, les requérants saisirent le tribunal administratif d’Orléans d’une demande en décharge de cotisations supplémentaires à l’impôt sur le revenu. Par une requête du 24 avril 1992, le requérant saisit le tribunal d’une demande en décharge d’une pénalité fiscale relative à la société Tradi-Multiple. Par un jugement du 18 mai 1999, le tribunal rejeta les demandes des requérants.

Le 24 avril 1992, la requérante saisit le tribunal administratif d’Orléans de cinq requêtes relatives au paiement de diverses taxes et des pénalités y afférentes concernant la société Tradi-Multiple.

Par deux jugements du 18 mai 1999, le tribunal conclut à un non-lieu à statuer sur une partie des conclusions et rejeta le surplus. En outre, il renvoya une partie des conclusions d’une des deux requêtes au président de la section du contentieux du Conseil d’Etat pour désignation de la juridiction compétente. Le 20 juillet 1999, appel aurait été interjeté de ces deux jugements devant la cour administratives d’appel de Nantes. Les affaires seraient encore pendantes à ce jour.

B. Eléments de droit interne

Article L. 781 du code de l’organisation judiciaire

« L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de justice. Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. »

Article 175-1 du code de procédure pénale

« Toute personne mise en examen ou la partie civile peut, à l’expiration d’un délai d’un an à compter, selon le cas, de la date à laquelle elle a été mise en examen ou du jour de sa constitution de partie civile, demander au juge d’instruction de prononcer le renvoi devant la juridiction de jugement ou de déclarer qu’il n’y a pas lieu à suivre.

Dans le délai d’un mois à compter de la réception de cette demande, le juge d’instruction, par ordonnance spécialement motivée, fait droit à celle-ci ou déclare qu’il y a lieu à poursuivre l’information. (...)

A défaut par le juge d’instruction d’avoir statué dans le délai fixé à l’alinéa précédent, la personne peut saisir directement de sa demande la chambre d’accusation qui, sur les réquisitions écrites et motivées du procureur général, se prononce dans les vingt jours de sa saisine. »

EN DROIT

Le grief des requérants porte sur la durée des procédures. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

1. Procédure pénale

a) Le Gouvernement soutient que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.

Il considère tout d’abord que les requérants ont omis de solliciter du juge d’instruction la clôture de l’affaire en application de l’article 175-1 du code de procédure pénale.

Les requérants estiment que ce texte, entré en vigueur le 1er mars 1993, ne peut leur être opposé puisqu’à cette date, l’instruction était déjà close depuis plusieurs mois.

La Cour constate tout d’abord que la voie de recours prévue à l’article 175-1 du code de procédure pénale vise à pallier, par une sorte de recours hiérarchique, l’inaction du juge d’instruction, puisqu’elle vise à obliger celui-ci soit à prononcer la clôture de l’information par une décision de renvoi en jugement ou de non lieu, soit à indiquer qu’il entend poursuivre l’information (Bar c. France, requête n° 37863/97, décision du 7 septembre 1999). Or la question des moyens qu’un requérant peut le cas échéant utiliser pour accélérer la procédure ne relève en principe pas de la problématique de l’épuisement des voies de recours internes, mais de celle de l’examen du comportement du requérant, donc de l’examen du bien-fondé du grief tiré de la durée de la procédure (voir notamment Bar c. France, décision précitée, C.P., J.F.P., E.P., C.P., T.P. et A.P. c. France, requête n° 36009/97, décision du 12 octobre 1999, et G.B. c. France, requête n° 44069/98, décision du 16 mai 2000). Partant, il y a lieu de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.

Le Gouvernement soutient par ailleurs que les requérants auraient du saisir les juridictions françaises d’une action en responsabilité dirigée contre l’Etat et fondée sur l’article L 781-1 du code de l’organisation judiciaire. Le Gouvernement souligne que ce recours se fonde désormais sur une jurisprudence consolidée. En effet, un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 5 novembre 1997 vise expressément l’article 6 de la Convention et a été confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 janvier 1999, qui constitue, selon le Gouvernement, un arrêt de principe largement suivi par les juridictions internes.

Les requérants estiment que l’article L.781-1 du code de l’organisation judiciaire n’était pas de nature à redresser la violation de l’article 6 § 1 de la Convention dans la mesure où la jurisprudence citée par le Gouvernement n’était pas connue lors de l’introduction de leur requête devant la Commission.

La Cour note que l’article L. 781-1 du code l’organisation judiciaire a fait l’objet dans les dernières années d’un usage de plus en plus fréquent, notamment dans le domaine du non-respect du délai raisonnable, les juridictions compétentes l’appliquant en se référant à l’article 6 § 1 de la Convention. Toutefois, en ce qui concerne l’article 6 § 1, la Cour relève que l’arrêt de la cour d’appel de Paris, du 20 janvier 1999, ainsi que les autres arrêts mentionnés par le Gouvernement sont postérieurs à l’introduction de la requête devant la Commission, à savoir le 29 juin 1998. Partant, cette seconde exception doit également être rejetée.

b) A titre subsidiaire, le Gouvernement considère que le grief est manifestement mal fondé.

Il soutient que la procédure a respectivement débuté les 31 mai 1991 pour le requérant et 31 octobre 1991 pour son épouse, date de leurs mises en examen. Les requérants sont d’avis que les investigations initiales, dès les perquisitions du mois de juillet 1987, ont eu des répercussions importantes sur leur situation et font débuter la procédure à cette date-là.

Le Gouvernement souligne la complexité de l’affaire en raison de son caractère économique et financier et surtout de l’importance de la fraude fiscale au sein d’un groupe de sociétés qui avaient recours à des raisons sociales et des logos très proches.

Il soutient par ailleurs que l’ensemble de la procédure pénale ne fait apparaître aucun dysfonctionnement imputable aux autorités judiciaires mais que l’allongement de celle-ci est largement dû au comportement des requérants, qui à tous les stades ont multiplié les recours et entretenu une grande confusion en communiquant aux autorités des adresses erronées (demandes de renvoi devant le tribunal correctionnel de Tours, changement d’adresse au cours de la procédure devant la cour d’appel en particulier à partir de leur opposition, dépôt de mémoires en octobre 1997 et mai 1998 devant la Cour de cassation).

Le Gouvernement en conclut qu’une procédure, qui a duré près de six ans, onze mois et vingt-huit jours s’agissant du requérant, et six ans, six mois et vingt huit jours pour la requérante, ne saurait être considérée comme excessive.

2. Procédures administratives

Le Gouvernement relève que quinze requêtes ont été déposées par les requérants devant le tribunal administratif d’Orléans relatives à quatre procédures distinctes.

Il reconnaît que les procédures administratives ont connu un déroulement anormalement long qui s’explique cependant par le comportement des parties qui ont échangé de nombreuses pièces et par le dépôt tardif de leurs mémoires respectifs.

La Cour estime, à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention en matière de « délai raisonnable » (complexité de l’affaire, comportement du requérant et des autorités compétentes), et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, que la requête doit faire l’objet d’un examen au fond.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.

Vincent Berger Georg Ress
Greffier Président