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Rozhodnutí
PREMIÈRE SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
Requête n° 33097/96 Requête n° 57834/00
par Ulaş BATI et autres par Okan KABLAN
contre la Turquie contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 7 mars 2002 en une chambre composée de
M. C.L. Rozakis, président,
Mme F. Tulkens,
MM. G. Bonello,
R. Türmen,
M. P. Lorenzen,
E. Levits,
Mme S. Botoucharova, juges,
M. E. Fribergh, greffier de section,
Vu la requête n° 33097/96 susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 28 juillet 1996 et enregistrée le 20 septembre 1996,
Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,
Vu la requête n° 57834/00 susmentionnée introduite le 19 mai 2000 et enregistrée le 5 juin 2000,
Vu la décision partielle de la deuxième section du 5 octobre 2000,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, dont les noms figurent en annexe, sont des ressortissants turcs. Ils sont représentés devant la Cour par Mes Gülizar Tuncer, İbrahim Ergün, Sevim Akat, Gülay Alpul, Several Demir et Oğuz Demir, avocats au barreau d’Istanbul.
A. Les circonstances de l’espèce
1. L’arrestation des requérants et les certificats médicaux établis par la suite
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties peuvent se résumer comme suit.
En février-mars 1996, la police d’Istanbul procéda à une opération contre le TKEP/L (Parti communiste de travail/Léniniste), une organisation illégale. Elle appréhenda les requérants et les plaça en garde à vue dans les locaux de la direction de la sûreté d’Istanbul, section de la lutte contre le terrorisme.
a) Affaire d’Ulaş Batı
Ce requérant, né en 1979, est étudiant. Il fut arrêté le 8 février 1996 et placé en détention provisoire le 19 février 1996.
Dans son rapport du 19 février 1996, après avoir examiné le requérant, un médecin légiste, membre de l’institut médico-légal d’Istanbul (ci-après « l’institut médico-légal »), fit état d’ecchymoses de 0,5 x 0,5 cm en état de guérison à la partie sternale. Il indiqua que le requérant alléguait des douleurs aux épaules et, par conséquent, ordonna un arrêt de travail d’un jour.
Le même jour, le requérant fut entendu par le procureur de la République. Devant ce dernier, il affirma avoir été maltraité par les policiers lors de sa garde à vue. Par la suite, il fut traduit devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul (ci-après « la cour de sûreté de l’Etat ») devant lequel il réitéra sa déposition recueillie par le procureur. Le juge ordonna sa détention provisoire.
b) Affaire de Bülent Gedik
Ce requérant, né en 1974, fut arrêté le 6 février 1996 et placé en détention provisoire le 19 février 1996.
Le 19 février 1996, il fut examiné par un médecin de l’institut médico-légal. Le rapport établi le même jour fit état de lésions avec croûte de 3 x 3 cm sur la partie postérieure des cuisses (crural) et d’une ancienne ecchymose de 3 x 3 cm sur la partie supérieure scapulaire. Le médecin prescrivit un arrêt de travail de trois jours.
Toujours le 19 février 1996, le requérant fut entendu par le procureur de la République. Devant ce dernier, il affirma avoir déposé sous la contrainte et avoir signé sa déposition sans l’avoir lue. Par la suite, il fut traduit devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat devant lequel il réitéra sa déposition recueillie par le procureur. Le juge ordonna sa détention provisoire.
Le 27 février 1996, le requérant fut examiné par un médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa. Dans son rapport, ce dernier constata des ecchymoses avec croûte au bras gauche, à la jambe et prit note d’allégations de douleurs à différentes parties du corps. Il indiqua qu’un rapport définitif pourrait être établi par un médecin légiste.
Par la suite, le requérant fut à nouveau examiné par un médecin de l’institut médico-légal qui, dans son rapport du 7 mars 1996, constata des allégations de douleurs à l’épaule gauche. Il indiqua qu’un rapport définitif pourrait être établi suite à l’examen du requérant dans la section de neurologie d’un centre hospitalier.
c) Affaire de Müştak Erhan İl
Ce requérant, né 1971, est étudiant. Il fut arrêté le 6 février 1996 et placé en détention provisoire le 19 février 1996.
Le 19 février 1996, il fut examiné par un médecin de l’institut médico-légal qui, dans son rapport daté du même jour, mentionna une perte de mouvement d’extension ainsi qu’une difficulté de supination et pronation des deux bras. Le médecin indiqua qu’un rapport définitif pourrait être établi suite à l’examen du requérant dans la section de neurologie d’un centre hospitalier.
Toujours le 19 février 1996, le requérant fut entendu par le procureur de la République. Devant ce dernier, il nia toutes les accusations portées contre lui. Par la suite, il fut traduit devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat devant lequel il affirma avoir été maltraité par les policiers lors de sa garde à vue. Le juge ordonna sa détention provisoire.
Le 27 février 1996, un médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa examina le requérant. Dans son rapport, il fit état de ce que l’intéressé alléguait des douleurs aux épaules, au thorax, au dos et aux voies respiratoires, ainsi qu’un engourdissement des deux bras et des deux mains. Il indiqua qu’un rapport définitif pourrait être établi par un médecin légiste.
Le 6 mars 1996, vu le certificat médical du 19 février 1996, le médecin légiste ordonna le transfert du requérant vers un centre hospitalier pour un examen neurologique.
d) Affaire d’Özgür Öktem
Cette requérante, née en 1976, est étudiante. Elle fut arrêtée le 8 février 1996 et placée en détention provisoire le 19 février 1996.
Le 19 février 1996, elle fut examinée par un médecin de l’institut médico-légal. Dans son rapport daté du même jour, ce dernier ne constata aucune trace de violence sur le corps de la requérante. Il mentionna que celle-ci alléguait des douleurs à la cuisse et au dos, à la mucosité labiale ainsi qu’aux parois latérales intérieures de la bouche. Il ordonna un arrêt de travail de trois jours.
Toujours le 19 février 1996, la requérante fut entendue par le procureur de la République. Devant ce dernier, elle nia toutes les accusations portées contre elle. Par la suite, elle fut traduite devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat devant lequel elle affirma avoir été maltraitée par les policiers lors de sa garde à vue. Le juge ordonna sa détention provisoire.
Le 27 février 1996, elle fut examinée par un médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa. Dans son rapport daté du même jour, celui-ci constata une déchirure dans la bouche causée par l’usage de violence, des douleurs à différentes parties du corps ainsi qu’une difficulté de respiration. Il conclut qu’un rapport définitif pourrait être établi par un médecin légiste.
Dans son rapport du 6 mars 1996, le médecin légiste, membre de l’institut médico-légal, confirma les constatations des rapports des 19 et 27 février 1996.
e) Affaire de Sinan Kaya
Ce requérant, né en 1978, est étudiant. Il fut arrêté le 8 février 1996 et placé en détention provisoire le 19 février 1996.
Le 19 février 1996, il fut soumis à un premier examen effectué par un médecin de l’institut médico-légal qui fit état de lésions avec croûte de 1 x 1,5 cm et 1 x 1 cm sur la partie latérale de l’aisselle droite, d’ecchymoses de 2 x 2 cm à la mastoïde, de douleurs aux épaules et aux bras. Il ordonna un arrêt de travail de cinq jours.
Toujours le 19 février 1996, le requérant fut entendu par le procureur de la République. Devant ce dernier, il nia toutes les accusations portées contre lui. Par la suite, il fut traduit devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat devant lequel il affirma avoir été maltraité par les policiers lors de sa garde à vue. Le juge ordonna sa détention provisoire.
Le 27 février 1996, le requérant fut examiné par un médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa qui constata une diminution de mouvement des bras, des crampes aux épaules, une difficulté de respiration ainsi que des plaies et ecchymoses au pied droit. Il indiqua qu’un rapport définitif pourrait être établi par un médecin légiste.
Dans son rapport du 7 mars 1996, après avoir examiné le requérant, un médecin de l’institut médico-légal fit état de lésions avec croûte de 1 x 1,5 et de 1 x 1 cm sur la partie latérale de l’aisselle droite, d’ecchymoses et d’égratignure à la mastoïde, de douleurs aux épaules et aux bras. Le médecin ordonna un arrêt de travail de cinq jours.
f) Affaire de Sevgi Kaya
Cette requérante, née en 1980, est étudiante. Elle est la sœur de Sinan Kaya. Elle fut arrêtée le 8 février 1996 et placée en détention provisoire le 19 février 1996.
Le 19 février 1996, elle fut examinée par un médecin de l’institut médico-légal qui fit état d’anciennes ecchymoses en état de guérison de 5 x 4 cm sur les plantes des deux pieds, d’ecchymoses aux deux paumes, de douleurs aux épaules et aux bras. Le médecin ordonna un arrêt de travail de sept jours.
Toujours le 19 février 1996, la requérante fut entendue par le procureur de la République. Devant ce dernier, elle nia toutes les accusations portées contre elle. Par la suite, elle fut traduite devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat devant lequel elle affirma avoir été maltraitée par les policiers lors de sa garde à vue. Le juge ordonna sa détention provisoire.
Le 27 février 1996, elle fut examinée par un médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa. Dans son rapport daté du même jour, celui-ci constata des bleus, une enflure et une sensibilité à la plante du pied gauche, une diminution de mouvement et une déformation de l’auriculaire de la main droite. Il conclut qu’un rapport définitif pourrait être établi par un médecin légiste.
Dans son rapport du 7 mars 1996, après avoir examiné la requérante, un médecin de l’institut médico-légal fit état de lésions avec croûte de 5 x 4 cm sur les plantes des deux pieds, d’ecchymoses aux deux paumes, de douleurs aux épaules et aux bras. Il ordonna un arrêt de travail de sept jours.
g) Affaire d’İsmail Altun
Ce requérant, né en 1974, est ouvrier. Il fut arrêté le 8 février 1996 et placé en détention provisoire le 16 février 1996.
Le 16 février 1996, après l’avoir examiné, un médecin de l’institut médico-légal indiqua que le requérant souffrait de maux de tête et de douleurs aux bras.
Le même jour, le requérant fut entendu par le procureur de la République. Devant ce dernier, il affirma avoir été maltraité par les policiers lors de sa garde à vue. Par la suite, il fut traduit devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat devant lequel il réitéra sa déposition recueillie par le procureur. Le juge ordonna sa détention provisoire.
Le 28 février 1996, le requérant fut examiné par un médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa. Celui-ci fit état d’ecchymoses au-dessous des yeux, de lésions avec croûte de 0,5 x 0,5 cm en partie supérieure de l’oreille droite, de douleurs allant du cou jusqu’à l’anus, d’une diminution de mouvement du pouce de la main droite, de lésions avec croûte sur la partie postérieure du pied gauche, d’égratignures sur la partie postérieure du pied droit, d’une ecchymose de 5 x 2 cm sur la partie antérieure de la jambe gauche (tibia) ainsi que de douleurs à la poitrine et aux voies respiratoires.
Dans son rapport du 6 mars 1996, après avoir examiné le requérant, le médecin de l’institut médico-légal confirma les constatations du rapport du 16 février 1996.
h) Affaire de Devrim Öktem
Cette requérante, née en 1975, est étudiante et l’épouse de Bülent Gedik. Elle fut arrêtée le 6 février 1996 et placée en détention provisoire le 19 février 1996.
Le 19 février 1996, elle fut examinée par un médecin de l’institut médico-légal qui ne décela aucune trace de violence sur son corps. Il mentionna par ailleurs que la requérante alléguait avoir subi un avortement suite à des mauvais traitements lors de sa garde à vue. Il indiqua par conséquent qu’un rapport définitif pourrait être établi suite à l’examen de la requérante dans la section d’obstétrique d’un centre hospitalier.
Le même jour, la requérante fut entendue par le procureur de la République. Devant ce dernier, elle affirma avoir été maltraitée par les policiers lors de sa garde à vue. Par la suite, elle fut traduite devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat devant lequel elle réitéra sa déposition recueillie par le procureur. Le juge ordonna sa détention provisoire.
Le 27 février 1996, la requérante fut examinée par un médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa, qui, dans son rapport, constata un hématome de 1 x 1 cm à la jambe gauche ainsi que des douleurs aux plantes de pieds et aux reins. Il indiqua qu’un rapport définitif pourrait être établi par un médecin légiste.
Le 6 mars 1996, vu les certificats médicaux suscités, le médecin légiste ordonna le transfert de la requérante à la section d’obstétrique d’un centre hospitalier.
Le même jour, la requérante fut examinée par un gynécologue de l’hôpital civil d’Haseki qui décela un saignement et des particules au niveau de l’utérus et diagnostiqua un post abortif endométrite.
Dans son rapport d’examen du 18 avril 1996, un médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa constata une enflure de 0,5 x 1 cm à la région occipitale et des douleurs dorsales. Il indiqua qu’un rapport définitif pourrait être établi par un médecin légiste.
Par une lettre du 31 mai 1996, le gynécologue de l’hôpital civil d’Istanbul informa la cour d’assises d’Istanbul qu’il ressortait de leur registre que la requérante avait été examinée le 20 février 1996 et qu’aucune pathologie génitale au niveau de l’utérus n’avait été décelée. Toutefois, prenant en compte son allégation selon laquelle elle avait subi une fausse couche, des traitements appropriés lui furent prodigués.
Le 19 février 1997, un collègue de sept gynécologues examina le dossier médical de la requérante et conclut que celle-ci avait fait une fausse couche ; toutefois, en raison de l’absence de trace de violence sur son corps et d’examen médicaux détaillés, il n’était pas possible d’établir un lien de causalité entre la fausse couche établie et les mauvais traitements allégués.
i) Affaire d’Arzu Kemanoğlu
Cette requérante, née en 1972, est étudiante. Elle fut arrêtée le 6 février 1996 et placée en détention provisoire le 19 février 1996.
Le 19 février 1996, après l’avoir examinée, un médecin de l’institut médico-légal fit état de ce qu’aucune trace de violence n’était décelée sur le corps de la requérante.
Toujours le 19 février 1996, la requérante fut entendue par le procureur de la République. Devant ce dernier, elle affirma avoir été maltraitée par les policiers lors de sa garde à vue et nia toutes les accusations portées contre elle. Par la suite, elle fut traduite devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat devant lequel elle réitéra sa déposition faite devant le procureur. Le juge ordonna sa détention provisoire.
Le 27 février 1996, elle fut examinée par un médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa qui constata un hématome de 3 x 3 cm à la jambe, des bleus au cou, aux épaules et à la cage thoracique. Il indiqua qu’un rapport définitif pourrait être établi par un médecin légiste.
Le 6 mars 1996, vu les rapports médicaux suscités, le médecin légiste ordonna l’examen médical de la requérante par le bureau spécial de l’institut médico-légal.
j) Affaire de Zülcihan Şahin
Cette requérante, née en 1977, est étudiante. Elle fut arrêtée le 7 février 1996 et placée en détention provisoire le 19 février 1996.
Le 19 février 1996, après l’avoir examinée, un médecin de l’institut médico-légal fit état de deux anciennes ecchymoses de 0,5 x 1 et 0,5 x 2 cm sur la partie antérieure du bras gauche ainsi que d’une ancienne ecchymose de 1 x 1,5 cm sur la partie intermédiaire du bras gauche. Le médecin indiqua qu’il n’y avait pas lieu d’ordonner un arrêt de travail.
Le même jour, la requérante fut entendue par le procureur de la République. Devant ce dernier, elle affirma avoir été maltraitée par les policiers lors de sa garde à vue et nia toutes les accusations portées contre elle. Par la suite, elle fut traduite devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat devant lequel elle réitéra sa déposition faite devant le procureur. Le juge ordonna sa détention provisoire.
Le 27 février 1996, la requérante fut examinée par un médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa qui constata un hématome de 2 x 2 cm au cou ainsi que des plaies aux épaules. Il indiqua qu’un rapport définitif pourrait être établi par un médecin légiste.
Dans son rapport du 7 mars 1996 établi suite à l’examen médical de la requérante, le médecin de l’institut médico-légal confirma les constatations du rapport du 22 février 1996 et ordonna un arrêt de travail de trois jours.
k) Affaire d’Ebru Karahancı
Cette requérante, née en 1978, est étudiante. Elle fut arrêtée le 8 février 1996 et placée en détention provisoire le 19 février 1996.
Le 19 février 1996, après l’avoir examinée, un médecin de l’institut médico-légal fit état de ce que la requérante alléguait des douleurs au dos et aux bras. Le médecin constata une ecchymose de 2 x 3 cm au milieu de la partie latérale extérieure de la jambe gauche et à la partie inférieure de celle-ci une ancienne ecchymose de 0,5 x 0,5 cm. Il ordonna un arrêt de travail de cinq jours.
Le même jour, la requérante fut entendue par le procureur de la République. Devant ce dernier, elle affirma avoir été maltraitée par les policiers lors de sa garde à vue et nia toutes les accusations portées contre elle. Par la suite, elle fut traduite devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat devant lequel elle réitéra sa déposition faite devant le procureur. Le juge ordonna sa détention provisoire.
Le 27 février 1996, l’intéressée fut examinée par le médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa qui constata un hématome à la cheville gauche et des douleurs dans différentes parties du corps. Il indiqua qu’un rapport définitif pourrait être établi par un médecin légiste.
Dans son rapport du 6 mars 1996, le médecin de l’institut médico-légal confirma les constatations du rapport du 19 février 1996.
l) Affaire d’İzzet Tokur
Ce requérant, né en 1973, est étudiant. Il fut arrêté le 8 février 1996 et placé en détention provisoire le 19 février 1996.
Le 19 février 1996, après l’avoir examiné, un médecin légiste de l’institut médico-légal fit état de ce qu’aucune trace de violence n’était décelée sur le corps du requérant. Il indiqua que ce dernier alléguait des douleurs aux épaules et ordonna un arrêt de travail d’un jour.
Le même jour, le requérant fut entendu par le procureur de la République. Devant ce dernier, il affirma avoir été maltraité par les policiers lors de sa garde à vue. Par la suite, il fut traduit devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat devant lequel il réitéra sa déposition recueillie par le procureur. Le juge ordonna sa détention provisoire.
m) Affaire d’Okan Kablan
Ce requérant, né en 1980, est étudiant. Il fut arrêté le 6 février 1996 et placé en détention provisoire le 19 février 1996.
Dans son rapport du 19 février 1996, après avoir examiné le requérant, un médecin de l’institut médico-légal fit état d’anciennes ecchymoses de 2 x 3 cm au crural droit. Il ordonna un arrêt de travail d’un jour.
Le même jour, le requérant fut traduit devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat. Devant le juge, il nia toutes les accusations portées contre lui et affirma avoir été maltraité. Le juge ordonna sa détention provisoire.
Le 28 février 1996, le requérant fut examiné par un médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa qui constata une ecchymose à la jambe droite, des domaines d’ecchymoses à la région axillaire, une diminution de mouvement des deux bras ainsi que des douleurs dans différentes régions du corps. Il indiqua qu’un rapport définitif pourrait être établi par un médecin légiste.
Le 7 mai 1996, le requérant fut examiné par un médecin de l’institut médico-légal qui constata un problème au niveau des oreilles nécessitant un arrêt de travail de quinze jours.
n) Affaire de Zühal Sürücü
Cette requérante, née en 1979, est étudiante. Elle fut arrêtée le 14 mars 1996 et placée en détention provisoire le 25 mars 1996.
Le 25 mars 1996, elle fut examinée par un médecin de l’institut médico-légal qui estima nécessaire de la transférer à la section d’urologie d’un hôpital civil car elle affirmait avoir souffert d’un problème urinaire.
Le même jour, la requérante fut entendue par le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat devant lequel elle affirma avoir été sous pression lors de sa garde à vue et n’avoir pas signé la déposition dressée par la police. Ensuite, elle fut traduite devant le juge qui ordonna sa détention provisoire.
o) Affaire de Cemal Bozkurt
Ce requérant, né en 1973, est ouvrier. Il fut arrêté le 14 mars 1996 et placé en détention provisoire le 25 mars 1996.
Dans son rapport d’examen du 25 mars 1996, un médecin légiste, membre de l’institut médico-légal, fit état de ce qu’aucune trace de violence n’était décelée sur le corps du requérant.
Le même jour, le requérant fut entendu par le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat devant lequel il affirma avoir signé sous la contrainte ses dépositions recueillies par la police. Ensuite, il fut traduit devant le juge qui ordonna sa détention provisoire.
2. La mise en accusation des requérants et les demandes de mise en liberté
A l’issue de l’instruction préliminaire, le 10 avril 1996, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat intenta une action pénale à l’encontre de vingt accusés, dont les requérants, sur la base de l’article 146 du code pénal réprimant toute tentative de changer ou de modifier entièrement ou partiellement la Constitution de la République de Turquie ou de faire un coup d’état contre l’Assemblée nationale ou de l’empêcher par la force d’exercer ses fonctions, ainsi que de l’article 168 § 2 du code pénal réprimant l’appartenance à une bande armée. Plusieurs actes violents leur étaient reprochés (homicide volontaire, tentative d’homicide, jets d’explosifs, participation à des manifestations illégales et violentes, hold-up etc.).
Özgür Öktem fut inculpée de dix-neuf chefs d’accusation, entre autres, participation à des manifestations illégales avec usage de cocktails Molotov, jets d’explosifs dans des lieux publics (à sept reprises), incendie d’un bus.
Devrim Öktem fut accusée de dix chefs, entre autres, mitraillage des bureaux d’élection de certains partis politiques, participation à des manifestations illégales avec usage de cocktails Molotov, fixation de pancartes équipées de substances explosives sur les murs, incendie d’une agence bancaire.
Müştak Erhan İl fut inculpé du chef d’avoir fondé la branche de la jeunesse de l’organisation en question et d’avoir mené des activités illégales en faveur de cette organisation.
Okan Kablan fut accusé de sept chefs, entre autres, jets d’explosifs contre les locaux d’un quotidien et participation à des manifestations illégales avec usage de cocktails Molotov.
La cour de sûreté de l’Etat ordonna d’office la libération de Sevgi Kaya et d’İzzet Tokur le 21 novembre 1996, d’Ebru Karahancı et Zühal Sürücü le 28 janvier 1997.
Lors de l’audience du 27 mars 1997, les avocats des requérants (détenus) formulèrent une demande de mise en liberté se basant, entre autres, sur la durée excessive de la détention provisoire et sur l’état des preuves. La cour de sûreté de l’Etat rejeta la demande vu le contenu du dossier et la nature de l’infraction.
Le 3 avril 1997, l’opposition formée par les requérants fut rejetée par la cour de sûreté de l’Etat, eu égard aux accusations portées contre eux, à l’état de preuve ainsi qu’au contenu du dossier.
La cour de sûreté de l’Etat ordonna d’office la libération d’Okan Kablan et de Cemal Bozkurt le 21 octobre 1997, de Sinan Kaya le 5 mars 1998, d’Ulaş Batı et de Zülcihan Şahin le 12 mai 1998, de Devrim Öktem et d’Arzu Kemanoğlu le 16 juillet 1998, de Müştak Erhan İl le 8 avril 1999 et d’Özgür Öktem le 25 février 2000.
A une date non communiquée par les parties Sinan Kaya fut libéré par la cour de sûreté de l’Etat. Quant à Bülent Gedik, il ressort du dossier que celui-ci est toujours détenu.
A l’heure actuelle, l’affaire est pendante devant la cour de sûreté de l’Etat.
3. La mise en accusation pour mauvais traitements de six policiers responsables de la garde à vue des requérants
Le 5 mars 1996, les requérants Bülent Gedik, Zülcihan Şahin, Sinan Kaya, Sevgi Kaya, Devrim Öktem, Okan Kaplan, Arzu Kemanoğlu, Müştak Erhan İl, İzzet Tokur, Ulaş Batı, İsmail Altun, Ebru Karahancı et Özgür Öktem portèrent plainte pour mauvais traitements contre les policiers responsables de leur garde à vue.
Les requérants déposèrent également une plainte contre O.T. (préfet de police d’Istanbul) et R.A. (directeur adjoint de la section d’Istanbul de la lutte contre le terrorisme). Cette plainte déboucha sur un non-lieu le 24 février 1998 en raison de l’absence de preuves suffisantes. Ce non-lieu fut confirmé par le président de la cour d’assises de Beyoğlu le 23 septembre 1998.
Le 12 avril 1996, le procureur de la République entendit quatre policiers (F.B., M.A.Ç, A.B., Y.D.) responsables de la garde à vue des requérants. Ils nièrent avoir maltraité les requérants.
En ce qui concerne la plainte d’Ebru Karahancı, Özgür Öktem et İsmail Altun, le 21 février 1997, le procureur de la République rendit un non-lieu quant à M.S., un autre fonctionnaire de police, pour absence de preuve.
Le 5 décembre 1997, suite à l’opposition formée par le représentant des requérants, le président de la cour d’assises de Beyoğlu infirma la décision de non-lieu du 21 février 1997 et ordonna l’ouverture d’une action pénale à l’encontre de M.S.
Par un acte d’accusation déposé le 4 mars 1997, le procureur de la République entama une action publique devant la cour d’assises d’Istanbul contre cinq policiers (M.T.P., A.B., F.B., M.A.Ç., Y.D.) sur la base de l’article 243 du code pénal (mauvais traitements pour extorquer des aveux).
Le 26 mai 1997, la cour d’assises d’Istanbul tint une audience en l’absence des cinq policiers mis en examen et lors de laquelle les requérants déposèrent en qualité de plaignants. Ils décrivirent de manière détaillée les mauvais traitements auxquels ils auraient prétendument été soumis lors de leur garde à vue. Ulaş Batı, Bülent Gedik, Devrim Öktem, Okan Kablan, Arzu Kemanoğlu et Müştak Erhan İl se constituèrent partie intervenante à la procédure pénale au sens de l’article 365 du code de procédure pénale.
Le 7 juillet 1997, lors de la conduite de neuf requérants (à savoir Zülcihan Şahin, Sinan Kaya, İsmail Altun, Müştak Erhan İl, Arzu Kemanoğlu, Okan Kablan, Devrim Öktem, Özgür Öktem et Bülent Gedik) dans la salle d’audience du palais de justice d’Istanbul, une rixe survint entre les requérants et les forces de sécurité. Puis, la cour d’assises d’Istanbul tint l’audience et entendit d’abord les policiers accusés présents, à savoir M.T.P., F.B., M.A.Ç., Y.D. qui nièrent toutes les accusations portées contre eux. Les plaignants qui avaient été entendus identifièrent les accusés comme étant leurs tortionnaires.
Le 29 juillet 1997, l’accusé A.B., qui nia toutes les accusations portées contre lui, fut entendu par commission rogatoire et sa déposition fut versée au dossier ouvert auprès de la cour d’assises.
Le 7 janvier 1998, un acte d’accusation supplémentaire fut présenté par le procureur de la République contre le fonctionnaire de police M.S. qui fut accusé de mauvais traitements en vue d’extorquer des aveux.
Le 14 avril 1998, M.S. fut entendu par commission rogatoire. Il nia toutes les accusations portées contre lui et exposa que les blessures constatées chez les requérants étaient dues aux conditions précaires dans les locaux de la sûreté et à leurs propres faits.
Entre le 20 octobre 1997 et le 20 novembre 2001, la cour d’assises tint vingt audiences consacrées entre autres à l’établissement de l’adresse d’un témoin et de celle d’une victime pour pouvoir les faire comparaître devant elle.
A l’heure actuelle, l’affaire est toujours pendante devant la cour d’assises d’Istanbul.
B. Le droit interne pertinent
A l’époque des faits, l’article 30 de la loi n° 3842 du 18 novembre 1992 prévoyait, quant aux infractions relevant de la compétence des cours de sûreté de l’Etat, que toute personne arrêtée devait être traduite devant un juge au plus tard dans les quarante-huit heures ou, en cas de délit collectif, dans les quinze jours.
L’article 1 de la loi n° 466 du 7 mai 1964 sur l’octroi d’indemnités aux personnes arrêtées ou détenues prévoit que :
« Seront compensés par l’Etat les dommages subis par toute personne :
1. arrêtée ou placée en détention dans des conditions et circonstances non conformes à la Constitution et aux lois ;
2. à laquelle les griefs à l’origine de son arrestation ou détention n’auront pas été immédiatement communiqués ;
3. qui n’aura pas été traduite devant le juge après avoir été arrêtée ou placée en détention dans le délai légal ; (...) ;
5. dont les proches n’auront pas été immédiatement informés de son arrestation ou de sa détention ;
6. qui, après avoir été arrêtée ou mise en détention conformément à la loi, aura bénéficiée d’un non-lieu (...), d’un acquittement ou d’un jugement la dispensant d’une peine ; (...) ».
GRIEFS
1. Les requérants prétendent avoir subi des traitements incompatibles avec l’article 3 de la Convention. Ils affirment que, lors de leur garde à vue en février - mars 1996 dans les locaux de la direction de la sûreté d’Istanbul, section de la lutte contre le terrorisme, les policiers leur ont infligé plusieurs techniques physiques et psychologiques de mauvais traitements, à savoir la suspension palestinienne, des jets d’eau froide, des insultes, des bastonnades et des décharges électriques. La requérante Devrim Öktem prétend également avoir subi une fausse couche due aux mauvais traitements dont elle aurait été victime.
2. Invoquant les paragraphes 1 et 3 de l’article 5 de la Convention, à l’exception d’Okan Kablan, les requérants se plaignent de n’avoir pas été aussitôt traduits devant un magistrat ou un juge.
3. Les requérants Devrim Öktem, Özgür Öktem, Okan Kablan et Müştak Erhan İl se plaignent en outre de n’avoir pas été jugés dans un délai raisonnable ou libérés pendant la procédure. A cet égard, ils invoquent l’article 5 § 3 de la Convention.
4. Les requérants allèguent en outre une violation des paragraphes 1 et 3 de l’article 6 combiné avec l’article 14 de la Convention. Ils se plaignent en particulier de n’avoir pu bénéficier d’un procès équitable devant la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul, dans la mesure où celle-ci ne pouvait passer pour un tribunal indépendant et impartial. Ils soutiennent à cet égard que le juge militaire qui y siégeait était dépendant de l’exécutif ainsi que des autorités militaires. Ils se plaignent également de n’avoir pu bénéficier de l’assistance d’un avocat lors de leur garde à vue et de ce que les accusations portées contre eux sont basées sur l’enquête effectuée par les policiers sans aucun contrôle du parquet.
5. Les requérants allèguent enfin une violation de l’article 14 de la Convention combiné avec ses articles 5 et 6. Ils soutiennent que la législation turque, quant aux durées et aux conditions de la garde à vue des personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction relevant de la loi sur la lutte contre le terrorisme, entraînait une discrimination entre les droits des personnes gardées à vue dans la procédure devant les cours de sûreté de l’Etat et celles devant les juridictions pénales ordinaires.
EN DROIT
A. Sur la violation alléguée de l’article 3 de la Convention
1. En ce qui concerne Zühal Sürücü et Cemal Bozkurt
La Cour estime d’abord nécessaire d’examiner les cas de Zühal Sürücü et Cemal Bozkurt indépendamment des cas des autres requérants, étant donné que les griefs tirés de l’article 3 de la Convention sont manifestement dénués de fondement pour les raisons expliqués ci-dessous.
La Cour note que ces deux requérants ont été examinés par un médecin légiste le 25 mars 1996 qui n’a décelé aucune trace de violence sur leur corps. Il est vrai que le médecin ayant examiné Mlle Sürücü a ordonné son transfert au service d’urologie ; toutefois, rien dans le dossier ne permet d’établir que le problème urinaire constaté chez la requérante était dû à un quelconque traitement incompatible avec l’article 3 de la Convention. D’ailleurs, les parties n’ont fourni aucun renseignement en ce qui concerne le résultat de l’examen médical ultérieur. De surcroît, ces deux requérants, qui s’étaient contentés de dénoncer être « sous la pression » ou « sous la contrainte » devant les instances internes sans donner aucun détail en ce qui concerne les traitements dont il s’agit, n’ont ni déposé plainte, conjointement avec les autres requérants, contre les policiers qui leur faisaient prétendument subir des mauvais traitements ni participé à l’action pénale diligentée à l’encontre de ceux mis en accusation.
Dans ces conditions, la Cour considère que les éléments dont elle dispose quant à l’assertion de ces deux requérants selon laquelle ils auraient été soumis à des mauvais traitements physiques lors de leur garde à vue ne fournissent pas d’indices de nature à étayer une telle conclusion. Dès lors, il y a lieu de rejeter cette partie de la requête comme manifestement mal fondée conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. En ce qui concerne Ulaş Batı, Bülent Gedik, Müştak Erhan İl, Özgür Öktem, Devrim Öktem, Sinan Kaya, Sevgi Kaya, İsmail Altun, Arzu Kemanoğlu, Zülcihan Şahin, Ebru Karahancı, İzzet Tokur et Okan Kablan
a) Sur l’épuisement des voies de recours internes
Le Gouvernement soutient que, contrairement à ce qu’exige l’article 35 de la Convention, les voies de recours internes n’ont pas été épuisées par les requérants qui auraient pu faire redresser leur grief tiré de l’article 3 de la Convention en engageant une procédure civile, pénale et administrative.
Les requérants contestent les arguments du Gouvernement.
La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention impose à un requérant l’obligation d’utiliser auparavant les recours normalement disponibles et suffisants dans l’ordre juridique interne pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues. L’article 35 § 1 impose aussi de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance et dans les formes prescrites par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite devant la Cour, mais non d’user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs (voir les arrêts Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, pp. 2275-2276, §§ 51-52, et Akdıvar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1210, §§ 65-67).
La Cour note que le droit turc prévoit des recours administratifs, civils et pénaux contre les actes illicites et délictuels imputables à l’Etat ou à ses agents.
En ce qui concerne l’action de droit administratif fondée sur la responsabilité objective de l’administration que prévoit l’article 125 de la Constitution, la Cour réaffirme sa position en la matière : l’obligation que les articles 3 et 13 de la Convention imposent aux Etats contractants de mener une enquête propre à mener à l’identification et à la punition des responsables en cas de mauvais traitements ou de torture pourrait être rendue illusoire si, pour les griefs formulés sur le terrain de ces articles, un requérant devait être censé avoir exercé une action de droit administratif ne pouvant déboucher que sur l’allocation d’une indemnité (voir l’arrêt Yaşa c. Turquie du 2 septembre 1998, Recueil 1996-VI, p. 2431, § 74).
S’agissant de la possibilité d’intenter au civil une action en réparation d’un dommage subi à cause d’actes illicites ou d’un comportement manifestement illégal de la part d’agents de l’Etat, la Cour relève que le demandeur à une telle action doit non seulement établir l’existence d’un lien de causalité entre l’acte délictuel et le dommage subi, mais il doit identifier l’auteur présumé de l’acte.
En ce qui concerne les recours de droit pénal, la Cour note que, suite à la plainte formée par certains requérants, une action pénale a été engagée contre les présumés responsables de mauvais traitement. Le 26 mai 1997, les requérants Ulaş Batı, Bülent Gedik, Devrim Öktem, Okan Kablan, Arzu Kemanoğlu et Müştak Erhan İl se sont constitués « partie intervenante » à la procédure pénale.
Etant donné que l’action pénale engagée contre les présumés responsables des mauvais traitements est toujours pendante devant la juridiction de première instance, la Cour estime que l’exception du Gouvernement, pour autant qu’elle concerne les recours civils et pénaux, soulève des questions relatives à l’effectivité de l’enquête criminelle qui sont étroitement liées à celles que posent les griefs formulés par les requérants sur le terrain des articles 3 et 13 de la Convention.
En conséquence, la Cour rejette l’exception du Gouvernement pour autant qu’elle se rapporte au recours de droit administratif invoqué. Elle la joint au fond pour autant qu’elle concerne les recours offerts par les voies civile et pénale.
b) Sur le non-respect du délai de six mois quant à l’affaire d’Okan Kablan
Le Gouvernement plaide le non-respect par Okan Kablan du délai de six mois pour introduire sa requête, conformément à l’article 35 § 1 de la Convention. D’après lui, étant donné que le requérant se prétend dispensé de saisir les voies de recours internes, le délai de six mois commence à courir à partir de la date de l’acte incriminé.
Le Gouvernement met en exergue également le fait que ce requérant n’a pas formulé un grief sur le terrain de l’article 3 de la Convention dans le formulaire de requête introduit dans le contexte de la requête n° 33097/96.
Le requérant s’oppose à la thèse du Gouvernement et soutient avoir satisfait à la condition du délai de six mois. A cet égard, il explique qu’il a déposé une plainte le 5 mars 1996 avec dix autres plaignants et qu’ensuite, il s’est constitué « partie intervenante » à la procédure pénale engagée contre les responsables de la garde à vue. D’après lui, l’absence d’un grief dans son formulaire de requête initiale est due à une simple omission en raison de la complexité des faits présentés devant la Cour. Etant donné que la procédure pénale quant à son grief tiré de l’article 3 est toujours pendante, le délai de six mois, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, n’a toujours pas expiré.
La Cour relève qu’en l’espèce, la requête a été introduite le 19 mai 2000, alors que l’action pénale engagée contre les présumés responsables des mauvais traitements est pendante devant les juridictions internes. Dès lors, elle joint cette question préliminaire au fond.
c) Sur le fond
Les requérants réitèrent leurs allégations. Le Gouvernement combat ses thèses.
Après avoir procédé à un examen préliminaire des faits et des arguments des parties, la Cour considère que ce grief pose des questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de la procédure et nécessitent un examen au fond de l’affaire. Dès lors, il ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. En outre, il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
B. Sur la violation alléguée de l’article 5 §§ 1 et 3 de la Convention
1. Sur la durée de la garde à vue
A l’exception d’Okan Kablan, les requérants se plaignent de n’avoir pas été aussitôt traduits devant un magistrat ou un juge. Ils invoquent à cet égard l’article 5 §§ 1 et 3 de la Convention.
La Cour observe d’emblée que les requérants dénoncent la durée de la garde à vue qui relève du troisième paragraphe de l’article 5 de la Convention.
Le Gouvernement soutient à titre préliminaire qu’au terme de la loi n° 466 sur l’indemnisation des personnes illégalement arrêtées ou détenues, les requérants disposent d’un droit à réparation qu’ils peuvent utiliser une fois leur procès achevé.
A titre subsidiaire, le Gouvernement fait valoir qu’en droit turc, pour les délits collectifs, la durée de la garde à vue est nécessaire pour rassembler les preuves. Il rappelle qu’en l’espèce la durée de la garde à vue était rendue nécessaire par l’ampleur et la gravité de la lutte contre la criminalité terroriste.
Les requérants contestent l’ensemble des arguments du Gouvernement. Rappelant la conformité de leur garde à vue à la législation interne, ils soutiennent qu’ils ne disposaient pas de voie de recours pour en contester la durée.
S’agissant d’une demande d’indemnité sur la base de l’article 1er de la loi n° 466, il convient de relever que le grief des requérants tiré de l’article 5 § 3 de la Convention ne consistait pas à dire qu’il n’avait pas disposé d’une voie de recours pour obtenir une indemnité. Les requérants allèguent l’absence d’une procédure au travers de laquelle il eut pu obtenir un contrôle juridictionnel de type spécifique requis par l’article 5 § 3. Dès lors, la Cour estime que le fait d’exiger des requérants, placés en garde à vue sans contrôle judiciaire rapide et automatique, d’introduire un recours en dommages-intérêts modifierait la nature de la garantie offerte par le paragraphe 3 de l’article 5, qui est distincte de celle prévue par l’article 5 § 5 de la Convention (voir, Cihan c. Tuquie (déc), n° 25724/94, non-publiée).
La Cour relève ainsi que le recours invoqué par le Gouvernement, instauré par la loi n° 466, prévoit l’octroi d’une indemnité lorsqu’il s’agit d’une privation de liberté qui n’est pas conforme à la Constitution ou aux lois ; tel n’est pas le cas en l’espèce, puisque la durée de la garde à vue des requérants était conforme à la législation en vigueur à l’époque.
Il s’ensuit que l’exception du Gouvernement ne saurait être retenue.
Après avoir procédé à un examen préliminaire des faits et des arguments des parties, la Cour considère que ce grief pose des questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de la procédure et nécessitent un examen au fond de l’affaire. Dès lors, il ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. En outre, il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
2. Sur la durée de la détention provisoire
Les requérants Devrim Öktem (arrêtée le 6 février 1996 et libérée le 6 juillet 1998), Özgür Öktem (arrêtée le 8 février 1996 et libérée le 25 février 2000), Okan Kablan (arrêté le 6 février 1996 et libéré le 21 octobre 1997) et Müştak Erhan İl (arrêté le 6 février 1996 et libéré le 8 avril 1999) se plaignent de n’avoir pas été jugés dans un délai raisonnable ou libérés pendant la procédure. A cet égard, ils invoquent l’article 5 § 3 de la Convention.
Le Gouvernement considère que ce grief est manifestement mal fondé. Il expose que les motifs de maintien en détention étaient pertinents et suffisants. S’agissant de la persistance de soupçons, il souligne que les présomptions pesant sur les intéressés étaient lourdes et précises, étant donné la gravité des chefs d’accusation. Il fait également valoir l’extrême complexité de l’affaire concernant vingt personnes accusées d’avoir commis plusieurs crimes à des dates différentes. L’affaire nécessite donc de longues et minutieuses investigations en vue d’éclaircir les circonstances des crimes et des liens entre les accusés.
Les requérants combattent les thèses du Gouvernement et réitèrent leur allégation en ce qui concerne la durée de leur détention provisoire.
Après avoir procédé à un examen préliminaire des faits et des arguments des parties, la Cour considère que ce grief pose des questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de la procédure et nécessitent un examen au fond de l’affaire. Dès lors, il ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. En outre, il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
C. Sur la violation alléguée de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention combiné avec l’article 14
Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention combiné avec l’article 14, les requérants se plaignent de n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable du fait qu’un juge militaire siégeait au sein de la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul qui les a jugés, et de n’avoir pas bénéficié de l’assistance d’un défenseur au stade préliminaire.
La Cour relève d’emblée que la procédure pénale entamée à l’encontre des requérants est actuellement pendante devant la juridiction de première instance. Or, la Cour estime nécessaire de prendre en considération l’ensemble de la procédure pénale en question afin de statuer sur sa conformité aux prescriptions de l’article 6 de la Convention. Elle note par ailleurs que les requérants disposent en droit interne de la possibilité de faire valoir devant les instances internes les griefs qu’ils soulèvent maintenant devant la Cour.
Il s’ensuit qu’au stade où se trouve actuellement la procédure devant les juridictions internes, la présentation de ces griefs apparaît prématurée. Les requérants ne sauraient donc en l’état actuel se plaindre à cet égard d’une quelconque violation de la Convention. Il leur est loisible de saisir à nouveau la Cour s’ils estiment toujours, à l’issue de la procédure pénale engagée contre eux, être victimes des violations alléguées. Cette partie de la requête doit donc être rejetée comme manifestement mal fondée, conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
D. Sur la violation alléguée de l’article 14 de la Convention combiné avec les articles 5 et 6
Les requérants soutiennent que la législation turque, quant aux durées et aux conditions de la garde à vue des personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction relevant de la loi sur la lutte contre le terrorisme, entraînait une discrimination entre les droits des personnes gardées à vue dans la procédure devant les cours de sûreté de l’Etat et celles devant les juridictions pénales ordinaires. Ils invoquent l’article 14 de la Convention combiné avec ses articles 5 et 6.
La Cour constate que la prétendue distinction litigieuse résultant de la loi relative aux différentes phases des procédures devant les cours de sûreté de l’Etat ne s’appliquaient pas à différents groupes de personnes mais à différents types d’infractions, selon la gravité que leur reconnaissait le législateur. Elle ne décèle donc aucun élément de discrimination contraire à l’article 14 de la Convention.
Il s’ensuit que cette partie de la requête doit également être rejetée comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour,
à l’unanimité, décide de joindre les requêtes,
à l’unanimité, décide de joindre au fond les questions préliminaires concernant,
a) l’épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne le grief tiré de l’article 3 de la Convention et,
b) le respect du délai de six mois quant à la requête n° 57834/00,
Déclare recevables, tous moyens de fond réservés,
a) à l’unanimité, les griefs formulés par Ulaş Batı, Bülent Gedik, Müştak Erhan İl, Özgür Öktem, Devrim Öktem, Sinan Kaya, Sevgi Kaya, İsmail Altun, Arzu Kemanoğlu, Zülcihan Şahin, Ebru Karahancı, İzzet Tokur et Okan Kablan concernant les mauvais traitements prétendument subis lors de leur garde à vue ;
b) à l’unanimité, les griefs formulés par les requérants, à l’exception d’Okan Kablan, concernant la durée de leur garde à vue ;
c) à l’unanimité, les griefs formulés par Özgür Öktem et Müştak Erhan İl concernant la durée de leur détention provisoire,
d) à la majorité, les griefs formulés par Devrim Öktem, et Okan Kablan concernant la durée de leur détention provisoire,
à l’unanimité, déclare la requête irrecevable pour le surplus.
Erik Fribergh Christos Rozakis
Greffier Président
ANNEXE
Liste des requérants (requête n° 33097/96)
1. UlaşBATI
2. Bülent GEDİK
3. Müştak Erhan İL
4. Özgür ÖKTEM
5. Sinan KAYA
6. Sevgi KAYA
7. İsmail ALTUN
8. Devrim ÖKTEM
9. Arzu KEMANOĞLU
10. Zülcihan ŞAHİN
11. Ebru KARAHANCI
12. İzzet TOKUR
13. Okan KABLAN
14. Zühal SÜRÜCÜ
15. Cemal BOZKURT