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DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 57376/00
présentée par Rudy & Nathalie BERTRAND
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 19 février 2002 en une chambre composée de
MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
Gaukur Jörundsson,
L. Loucaides,
C. Bîrsan,
M. Ugrekhelidze,
Mme A. Mularoni, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Cour européenne des Droits de l’Homme le 8 octobre 1999,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, Rudy et Nathalie Bertrand, sont des ressortissants français, né en 1962 et résidant à Laragne-Monteglin (Hautes-Alpes). Ils ont une fille, H., née le 10 janvier 1991. Les requérants sont tous deux handicapés (le requérant à 80 % et son épouse à plus de 50 %).
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le 21 juin 1993, le juge des enfants de Blois, alerté par les services sociaux, ordonna une enquête « d’orientation éducative approfondie » à l’égard de H. pour une période de six mois, période prolongée pour deux mois afin de terminer les investigations.
Par une ordonnance du 31 août 1994, le juge des enfants de Blois ordonna le placement provisoire de l’enfant auprès des services sociaux spécialisés du Loir-et-Cher, en vue de placement dans une famille d’accueil en invoquant :
« (...) que l’existence d’H. depuis sa naissance est totalement liée à la pathologie de ses parents ;
que M. Bertrand connaît des problèmes d’ordre psychiatrique : qu’il crée au domicile familial un climat d’insécurité et de persécution particulièrement néfaste ;
Que Mme Bertrand est totalement démunie dans la prise en charge de son enfant et ne peut la rassurer et la protéger ;
Qu’H. n’a pas de contacts avec l’extérieur ;
Qu’elle présente des troubles du comportement inquiétants avec retard psychomoteur ;
Que son potentiel est freiné par ses parents qui ne peuvent lui offrir des conditions de vie épanouissantes (...) »
Le juge mit en place un droit de visite pour les parents. Cette mesure fut reconduite le 26 janvier 1995 pour une période de six mois.
Par arrêt du 3 février 1995, sur appel de la décision de placement du 31 août 1994, la chambre spéciale des mineurs de la cour d’appel d’Orléans confirma la décision, après avoir relevé que les conditions d’éducation de l’enfant se trouvaient compromises auprès de ses parents et que sa santé même était en danger :
« Attendu que de l’ensemble des observations effectuées, il résulte que chacun des parents connaît des difficultés personnelles physiques et psychologiques anciennes ;
Que le père apparaît principalement préoccupé par ses multiples problèmes de santé et les nombreuses procédures qu’il poursuit ;
Qu’il manifeste un profond et permanent sentiment de persécution qui l’amène à réduire les contacts de sa famille avec l’extérieur et à la faire vivre dans un climat de crainte constante ;
Que le couple vit ainsi renfermé sur lui même en rupture avec leurs deux familles et en conflit avec leur entourage, dans un isolement quasi total ;
Que la mère, de personnalité fragile, d’une très grande suggestibilité, subit l’emprise de son mari dont elle adopte le discours ; qu’elle évoque elle-même d’importantes difficultés à assurer la prise en charge de l’enfant que les séquelles d’une hémiplégie ancienne ne suffisent pas à expliquer et exprime des tendances morbides inquiétantes ;
Attendu qu’il a été constaté que la petite H. passait la majeure partie de ses journées au lit, enfermée dans sa chambre, volets clos ; que ni le rythme du sommeil ni l’alimentation qui lui étaient proposés par les parents ne répondaient aux besoins de son âge et que l’enfant, d’une pâleur inquiétante, avait les yeux cernés et présentait un retard psychomoteur et des troubles du comportement ;
Que s’il a été relevé chez les parents un incontestable effort pour tenir compte des conseils prodigués par le service éducatif, leur incapacité à appréhender les besoins réels de leur enfant rend vaines leurs tentatives ;
Que s’il n’appartient pas aux services éducatifs et sociaux intervenus auprès de la famille de caractériser de pathologique la personnalité des parents ou leur comportement, il résulte suffisamment des observations faites par eux, sans qu’il soit besoin de recourir à une expertise médicale des parents, et même si le médecin traitant de l’enfant ne l’avait pas observé dans le cadre de ses consultations, que les conditions d’éducation d’H. se trouvaient compromises et que sa santé même était en danger au foyer de ses parents ; (...) »
Les requérants formèrent une demande d’aide juridictionnelle pour se pourvoir en cassation contre l’arrêt du 3 février 1995. Celle-ci fut rejetée par une décision du bureau d’aide juridictionnelle de la Cour de cassation rendue le 15 juin 1995 au motif qu’aucun moyen de cassation sérieux ne pouvait être relevé contre la décision critiquée. Le 29 août 1995, ce refus fut confirmé pour le même motif.
Le placement de H. fut prolongé du 28 juillet au 30 septembre 1995 par une ordonnance rendue le 25 juillet 1995 pour les motifs suivants :
« Vu le rapport du service éducatif en date du 12 juin 1995 ;
Attendu que les troubles psychiatriques du père et les graves carences de la mère sont constitutifs de danger pour la sécurité et la santé d’H. ;
Qu’H. n’a pu se construire harmonieusement dans un milieu aussi pathogène ; que seule la continuité de sa prise en charge actuelle est à même de lui apporter la sécurité dont elle a besoin pour s’épanouir ;
Que, par conséquent, il y a lieu de reconduire provisoirement le placement, dans l’attente que l’audition des parents soit matériellement possible ; (...) »
Par ordonnance du 28 juillet 1995, le juge des enfants constata le déménagement des parents et, afin de permettre un meilleur suivi du dossier, se dessaisit au profit du juge des enfants de Gap (compétent au regard du nouveau domicile des requérants).
Par arrêt du 8 septembre 1995, sur appel de la décision de prolongation du 25 janvier 1995, la chambre spéciale des mineurs de la cour d’appel d’Orléans confirma la décision, estimant la poursuite de la mesure provisoire nécessaire pour protéger l’enfant et justifiée par les progrès réalisés par celle-ci depuis le début du placement :
« (...) Attendu que les premières observations d’H. dans le cadre de son placement confirment le retard psychomoteur et les troubles du comportement inquiétants de l’enfant qui avaient motivé son placement mais également la capacité relative d’H. à progresser dans un environnement stimulant et les difficultés des parents à appréhender les besoins de l’enfant ; (...) »
Par un jugement du 2 octobre 1995, le juge des enfants de Gap confirma le placement pour une durée de deux ans à compter du 1er octobre et accorda aux père et mère un droit de visite en accord avec le service gardien :
« (...) Attendu qu’à l’audience de ce jour, le père a demandé la main-levée immédiate du placement avec le projet de scolariser l’enfant à l’école maternelle de Laragne, au motif que la compétence du juge des enfants des Hautes-Alpes entraîne ipso facto le transfert de l’enfant dans le même département ; que la mère n’a pas comparu ; qu’il ressort de l’entretien que le déménagement du couple parental n’est pas sérieusement motivé par aucune raison médicale vitale (...) ; qu’au regard du lourd contexte psychosomatique des deux parents et de leur handicap mental pris en charge en institut médico-éducatif ou professionnel ou en atelier protégé, la pathologie d’H. n’autorise pas sa restitution et ne préconise même aucune atteinte à sa stabilité chez l’assistance maternelle qui, depuis, un an maintenant, représente peut-être sa seule et faible chance d’évolution puisqu’au surplus le département des Hautes-Alpes ne dispose d’aucun service de placement familial spécialisé comme celui qui prend en charge la mineure actuellement ; que le placement sera donc reconduit et que le droit de visite antérieurement accordé aux parents sera également confirmé à charge pour eux, si leur éloignement les empêche d’exercer ce droit, de rapprocher leur domicile du lieu du placement ; (...) »
Par un arrêt du 25 mars 1996, la chambre des mineurs de la cour d’appel de Grenoble confirma la décision, motivant sa décision au regard de l’intérêt de l’enfant. Par ailleurs, la cour estima que l’enfant ne pouvait être placée plus près du nouveau domicile des requérants, choisi pour convenances personnelles, afin de pas la perturber et compte tenu d’un début d’évolution positive au sein de la famille d’accueil. Enfin, elle précisa que le juge des enfants cherchait une solution en ce qui concerne les modalités de mise en œuvre du droit de visite des parents.
Les requérants présentèrent une demande d’aide juridictionnelle pour former un pourvoi contre la décision du 25 mars 1996. Par décision du 14 novembre 1996, le bureau d’aide juridictionnelle rejeta la requête au motif qu’aucun moyen de cassation sérieux ne pouvait être relevé.
Le 21 juillet 1997, le tribunal pour enfants de Gap donna main-levée du placement de H. au centre éducatif et social spécialisé du Loir-et-Cher et confia provisoirement sa garde au service de l’aide sociale à l’enfant des Hautes-Alpes :
« (...) Attendu qu’il ressort des dernières pièces de la procédure que la très prochaine échéance de la rentrée scolaire et l’opportunité précieuse d’offrir à H. la possibilité d’une admission en cours préparatoire d’adaptation à Gap au vu de sa récente et spectaculaire progression, justifient dès à présent de donner main-levée du placement actuel et de confier la prise en charge et la garde de la mineure au service de l’Aide Sociale à l’Enfance des Hautes-Alpes en vue de la préparation la plus rapide de son intégration dans une famille d’accueil du Conseil Général des Hautes-Alpes. »
« Accordons au époux B. père et mère un droit de visite en accord avec le service gardien et sous notre recours éventuel. »
Le 17 septembre 1997, le tribunal pour enfants de Gap prolongea le placement d’H. à compter de son échéance, soit le 21 janvier 1998, jusqu’au 21 septembre 1998. Il précisa ceci :
« A l’audience de ce jour, M. B. comparaît seul et excuse l’absence de son épouse en raison de sa santé. Il clame son intention de multiplier les recours auprès de plusieurs autorités nationales et institutions européennes et veut que sa démarche soit interprétée comme la preuve de son attachement à sa fille. Il est certain d’être, avec Mme, en mesure d’assumer son éducation et conteste qu’elle fut en danger au domicile parental avant le placement.
La seule lecture chronologique des nombreux rapports et bilans versés au dossier démontrent l’exceptionnelle évolution de la mineure et le profit trouvé dans un placement qui a permis que son avenir ne soit pas irrémédiablement compromis. Son intégration désormais possible dans le cycle ordinaire de l’Education nationale, alors qu’elle était inenvisageable auparavant, est en soi une illustration suffisante de l’opportunité de la mesure de protection ordonnée.
Son récent rapprochement géographique pendant l’été, dans une famille d’accueil plus proche du domicile parental permettra d’aborder une deuxième phase du travail éducatif, à savoir le travail avec les parents en intensifiant progressivement les relations de ceux-ci avec leur fille.
Ce n’est qu’après évaluation des temps communs de rencontre, notamment à travers l’observation du comportement d’H. et la mesure de la capacité du couple à agir dans le sens des conseils éducatifs qui pourraient leur être donnés, qu’il sera permis de dire si la main levée du placement peut-être envisagée. »
Les requérants formèrent appel de cette décision mais, bien qu’ayant été régulièrement informés, ne se présentèrent pas à l’audience et ne se firent pas non plus représenter.
Le 23 février 1998, la cour d’appel de Grenoble confirma le jugement du tribunal pour enfants de Gap, faute de la présence des parties ou de leur conseil.
Les requérants se pourvurent en cassation après avoir obtenu l’aide juridictionnelle totale. Par un arrêt du 26 janvier 2000, la Cour de cassation considéra que la cour d’appel avait apprécié les éléments de fait du litige et tranché celui-ci conformément aux règles de droit qui lui étaient applicables.
Le 15 juin 1998, le service départemental d’Action Sociale et de la Santé fit part aux requérants de la nouvelle adresse de leur fille à Briançon (soit à environ 140 km de Laragne, domicile des parents).
Par un jugement en date du 19 septembre 2000, le juge des enfants de Gap renouvela le placement de H. à l’aide sociale à l’enfance des Hautes-Alpes pour une durée de deux ans à compter du 21 septembre 2000 et maintint les modalités relatives au droit de visite des parents, soit toutes les trois semaines, en milieu neutre et sur un intervalle horaire de deux heures.
Les requérants firent appel de cette décision.
Par jugement du 18 mai 2001, la cour d’appel de Grenoble statua de la manière suivante :
« (...) Actuellement l’enfant est accueillie dans un lieu de vie. Elle est prise en charge par le CMP en raison de ses difficultés psychologiques. Elle rencontre ses parents un mercredi toutes les trois semaines au Centre d’accueil l’Aoustaou. (...)
Monsieur et Madame Bertrand, conscient des difficultés, ne revendiquent pas devant la cour la mainlevée immédiate du placement mais sollicitent une extension du droit de visite. Ils demandent à prendre le repas en compagnie de leur fille les jours de visite. Leur demande, sur ce point apparaît légitime. Madame Bertrand qui comparaît pour la première fois devant une juridiction de mineurs a pris l’engagement solennel de se rendre à la prochaine convocation du juge des enfants pour discuter sur l’avenir de sa fille. Dans ces conditions, la Cour estime qu’attendre jusqu’au mois de septembre 2001 pour que cet engagement soit tenu est contraire à l’intérêt d’H. et de ses parents. Elle considère, en conséquence, de ramener à un an la durée du renouvellement afin qu’un dialogue puisse se nouer entre les parents, le juge des enfants et les divers intervenants sociaux.
Par ces motifs,
Confirme en son principe et en toutes ses dispositions non contraires le jugement critiqué,
Amendant sur deux points :
Dit que le placement est renouvelé à compter du 20 septembre 2000 et jusqu’au 1er octobre 2001 ;
Dit que Monsieur et Madame Bertrand pourront rencontrer leur fille tous les quinze jours, en milieu neutre et sur un intervalle horaire de six heures, avec prise d’un repas en commun à chacune des visites. »
Suite à cet arrêt, le tribunal pour enfants de Gap convoqua les requérants le 10 juillet 2001 et rendit le même jour une ordonnance aux fins d’investigation et d’orientation éducative :
« En présence de Mme B., l’économie de l’audience est totalement différente des précédentes : en effet, tout en dénonçant le placement et ses modalités comme le fait habituellement Monsieur, elle s’interroge aussi sur ce qui a motivé le recours à la mesure et sur ce qui pourrait faire évoluer les choses, et son époux ne l’interrompt à aucun moment. Ainsi, de la place de parents qui n’ont rien voulu (ou rien pu) entendre jusqu’à présent, Monsieur et Madame B. changent de statut pour être désormais des parents qui veulent comprendre. (...)
En ce sens, une mesure d’investigation et d’orientation éducative est opportune et sera donc ce jour ordonnée avec une mission extraordinaire, celle qui consiste à accompagner les parents dans la lecture intégrale du dossier judiciaire, depuis la requête d’ouverture de la procédure jusqu’à ce jour, en recueillant leurs observations et en les synthétisant avec eux pour tenter d’évaluer ce qui aujourd’hui n’est plus d’actualité et ce qui le demeure.
L’objectif de la mesure est de pouvoir définir des axes de travail acceptables par tous pour dégager des alternatives à une répétition régulière d’une même mesure, savoir un renouvellement de placement qui n’est pas satisfaisante parce qu’elle n’inscrit plus la séparation dans le provisoire.
Ce n’est de toute façon qu’avec l’adhésion des parents qu’il sera possible de faire mieux dans l’intérêt d’H. Si cette adhésion survit à l’audience, tout est possible. »
Le tribunal chargea le service d’observation et d’action éducative à Gap de procéder à une étude de la personnalité de la mineure et de la situation familiale et de rendre un rapport pour le 10 janvier 2002.
B. Le droit interne pertinent
Code civil
Article 375
« Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public. Le juge peut se saisir d’office à titre exceptionnel. (...)
La décision fixe la durée de la mesure sans que celle-ci puisse, lorsqu’il s’agit d’une mesure éducative exercée par un service ou une institution, excéder deux ans. La mesure peut être renouvelée par décision motivée. »
Article 375-1
« Le juge des enfants est compétent, à charge d’appel, pour tout ce qui concerne l’assistance éducative.
Il doit toujours s’efforcer de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure envisagée. »
Article 375-2
« Chaque fois qu’il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel. Dans ce cas, le juge désigne, soit une personne qualifiée, soit un service d’observation, d’éducation ou de rééducation en milieu ouvert, en lui donnant mission d’apporter aide et conseil à la famille, afin de surmonter les difficultés matérielles ou morales qu’elle rencontre. Cette personne ou ce service est chargé de suivre le développement de l’ enfant et d’en faire rapport au juge périodiquement.
Le juge peut aussi subordonner le maintien de l’enfant dans son milieu à des obligations particulières, telles que celle de fréquenter régulièrement un établissement sanitaire ou d’éducation, ordinaire ou spécialisé, ou d’exercer une activité professionnelle. »
Article 375-6
« Les décisions prises en matière d’assistance éducative peuvent être, à tout moment, modifiées ou rapportées par le juge qui les a rendues soit d’office, soit à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public. »
Article 375-7
« Les père et mère dont l’enfant a donné lieu à une mesure d’assistance éducative, conservent sur lui leur autorité parentale et en exercent tous les attributs qui ne sont pas inconciliables avec l’application de la mesure. Ils ne peuvent émanciper l’enfant sans autorisation du juge des enfants, tant que la mesure d’assistance éducative reçoit application.
S’il a été nécessaire de placer l’enfant hors de chez ses parents, ceux-ci conservent un droit de correspondance et un droit de visite. Le juge en fixe les modalités et peut même, si l’intérêt de l’enfant l’exige, décider que l’exercice de ces droits, ou de l’un d’eux, sera provisoirement suspendu. Le juge peut indiquer que le lieu de placement de l’enfant doit être recherché afin de faciliter, autant que possible, l’exercice du droit de visite par le ou les parents. »
GRIEFS
Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention et en substance l’article 8, les requérants se plaignent que les mesures de placement en famille d’accueil de leur fille sont inutilement longues et portent atteinte à leur vie familiale.
EN DROIT
Les requérants se plaignent d’une atteinte à leur vie familiale subie depuis de nombreuses années. Ils invoquent les articles 6 § 1 et 8 de la Convention dont les parties pertinentes se lisent ainsi :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...).
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
La Cour note en premier lieu que les requérants invoquent l’article 6 § 1 de la Convention en connexion avec l’article 8 pour dénoncer la trop longue ingérence, depuis le placement de leur fille, dans leur droit au respect de leur vie familiale. La Cour examinera cependant la requête uniquement sous l’angle de l’article 8 de la Convention car elle estime que la « longueur » dénoncée relève du bien-fondé des mesures d’assistance éducative prise à l’encontre de la fille des requérants.
La Cour souligne que, par essence, le lien entre les requérants et leur fille mineur H. relève d’une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention (voir, notamment l’arrêt Keegan c. Irlande du 26 mai 1994, série A n° 290, pp.17-18, § 44). Il lui incombe dès lors de déterminer si, au vu des principes dégagés par sa jurisprudence, les circonstances dénoncées par les requérants révèlent un manquement au droit de ces derniers au respect de leur vie familiale.
La Cour rappelle que pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale (voir les arrêts W., B. et R. c. Royaume-Uni, du 8 juillet 1987, série A n° 121, respectivement, p. 27, § 59, p. 71, § 60 et p. 117, § 64 ; Eriksson c. Suède du 22 juin 1989, série A n° 156, p. 24, § 58 ; Gnahoré c. France, n° 40031/98, § 50, ECHR 2000-IX, et K. et T. c. Finlande [GC], n° 25702/94, § 151, CEDH 2001). Il n’est donc pas douteux que le placement de H. et les restrictions de contact entre elle et les requérants s’analysent en une « ingérence » dans l’exercice du droit de ces derniers au respect de leur vie familiale.
Si l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il met de surcroît à la charge de l’Etat des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale. Ainsi, là où l’existence d’un lien familial se trouve établi, l’Etat doit en principe agir de manière à permettre à ce lien de se développer et prendre les mesures propres à réunir le parent et l’enfant concernés (voir, par exemple, les arrêts Eriksson, précité, pp. 26‑27, § 71, Keegan, précité, p. 19, §§ 49‑50, et Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, du 25 janvier 2000, § 94).
La frontière entre les obligations positives et négatives de l’Etat au titre de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise ; les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents ; de même, dans les deux hypothèses, l’Etat jouit d’une certaine marge d’appréciation (voir, par exemple, Gnahore § 52 précité, W., B. et R. précités, respectivement, p. 27, § 60, p. 72, § 61 et p. 117, § 65, et Hokkanen précité, p. 20, § 55).
En l’espèce, les mesures litigieuses se fondent sur les articles 375 et suivants du code civil, relatifs à l’assistance éducative ; elles se trouvent donc « prévue[s] par la loi ». Elles visent en outre expressément la préservation de la santé, de la sécurité et de la moralité de l’enfant H., but légitime au regard du paragraphe 2 de l’article 8.
La Cour relève que le placement de H. fut ordonné en août 1994 par le juge des enfants en raison des graves difficultés psychologiques de ses parents, alors très fragiles, et du climat familial néfaste considéré comme dangereux pour l’éducation et la santé - physique et mentale - de l’enfant. Ce placement fut prorogé de nombreuses fois par le juge des enfants, toujours dans l’intérêt de l’enfant et y compris alors que H. présentait des signes d’amélioration. Dans un jugement du 17 septembre 1997, soit trois ans après le placement initial, le juge des enfants précisait que « la seule lecture chronologique des nombreux rapports et bilans versés au dossier démontrent l’exceptionnelle évolution de la mineure et le profit trouvé dans un placement qui a permis que son avenir ne soit pas irrémédiablement compromis. Son intégration désormais possible dans le cycle ordinaire de l’éducation nationale, alors qu’elle était inenvisageable auparavant, est en soi une illustration suffisante de l’opportunité de la mesure de protection ordonnée ». En 2001, la cour d’appel de Grenoble, chambre des mineurs, soulignait que les requérants, conscients de leurs difficultés, ne revendiquaient pas devant la cour la mainlevée immédiate du placement mais sollicitait une extension de leur droit de visite. Enfin, tout récemment, les autorités nationales relevaient la nette amélioration du comportement des requérants dans la gestion du placement de leur fille et soulignaient leur volonté de trouver, en coopération avec les services compétents, une alternative à ladite mesure « qui n’est pas satisfaisante parce qu’elle n’inscrit plus la séparation dans le provisoire » (ordonnance du 10 juillet 2001).
Au vu de ce bref rappel chronologique, la Cour estime que les motifs avancés pour justifier les décisions de prise en charge de H. étaient suffisants au regard de l’intérêt de l’enfant.
Certes, « le fait qu’un enfant puisse être accueilli dans un cadre plus propice à son éducation ne saurait en soi justifier qu’on le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques ; pareille ingérence dans le droit des parents, au titre de l’article 8 de la Convention, à jouir d’une vie familiale avec leur enfant doit encore se révéler « nécessaire » en raison d’autres circonstances. (...) Les décisions de prise en charge doivent donc être en principe considérées comme des mesures temporaires, à suspendre dès que les circonstances s’y prêtent, et tout acte d’exécution doit concorder avec un but ultime : unir à nouveau le parent par le sang et l’enfant. L’obligation positive de prendre des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera vraiment possible s’impose aux autorités compétentes dès le début de la période de prise en charge et avec de plus en plus de force, mais doit toujours être mise en balance avec le devoir de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant. (…) » (K. et T. c. Finlande précité, §§ 173 et 178).
En l’espèce, la Cour considère que les autorités nationales ont fait, et continuent de faire des efforts sérieux pour faciliter un jour la réunion de la famille ; elles ont reconsidéré la question régulièrement pour aboutir à un constat de plus en plus positif et ont fait preuve d’une attitude constructive dès que des signes d’amélioration de la situation des intéressés se sont fait sentir.
Enfin, la Cour note que ces mêmes autorités ont toujours fait de réels efforts pour maintenir les liens de la mineure avec ses parents et ont intensifié leur rencontre au fur et à mesure de l’évolution positive de l’attitude des requérants.
Dans ces conditions, la Cour a la conviction que la prise en charge de H. était inspirée par des motifs non seulement pertinents mais encore suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention et que les autorités nationales ont pris les mesures que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles. Partant, elle ne décèle aucune apparence de violation de l’article 8 de la Convention des chefs du placement de H. et des restrictions faites au contact entre celle-ci et les requérants.
Il s’ensuit que la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
S. Dollé A.B. Baka Greffière Président