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PREMIÈRE SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 42948/98
présentée par Gloria CERETTI
contre l’Italie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 17 janvier 2002 en une chambre composée de
MM. C.L. Rozakis, président,
G. Bonello,
P. Lorenzen,
Mmes N. Vajić,
S. Botoucharova,
M. V. Zagrebelsky,
Mme E. Steiner, juges,
et de M. E. Fribergh, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 19 février 1998 et enregistrée le 26 août 1998,
Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante, Mme Gloria Ceretti, est une ressortissante italienne, née en 1955 et résidant à Civitavecchia (Rome).
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.
1. L’ouverture des poursuites contre la requérante et la procédure civile pour licenciement illégal
En 1991, la requérante était employée de la banque X. A la suite d’une inspection interne, le 12 octobre 1991 la banque en question présenta un rapport aux autorités judiciaires. Certains éléments de ce rapport auraient pu amener à croire que la requérante était responsable d’infractions pénales commises dans le cadre de ses fonctions.
Le parquet de Civitavecchia commença des poursuites pour escroquerie, faux en écritures et recel.
Le 15 janvier 1992, la requérante fut suspendue de ses fonctions.
Le 27 mai 1993, le juge des investigations préliminaires renvoya la requérante en jugement. Par une lettre du même jour, reçue le 31 mai 1993, la banque X invita la requérante à fournir, dans un délai de cinq jours, des explications quant aux accusations dont elle faisait l’objet. Dans un courrier du 3 juin 1993, la requérante affirma son innocence par rapport aux faits qui lui étaient reprochés.
Par un courrier du 8 juin 1993, la banque X informa la requérante que les accusations portées contre elle atteignaient un niveau de gravité de nature à miner le rapport de confiance qui doit exister entre employeurs et employés. Dès lors, la banque avait décidé de résilier le contrat de travail de la requérante.
Le 9 septembre 1993, la requérante introduisit devant le juge d’instance de Civitavecchia, faisant fonctions de juge du travail, un recours pour l’adoption d’une mesure provisoire urgente. Elle allégua notamment que son licenciement était illégal et demanda d’être réintégrée dans son poste.
Par une ordonnance du 15 octobre 1993, le juge d’instance, estimant que le comportement de la banque paraissait régulier, rejeta la demande d’adoption de la mesure provisoire.
La procédure sur le fond continua devant le juge d’instance.
Par un jugement du 27 octobre 1994, ce dernier déclara que le licenciement de la requérante était légitime. Il observa notamment que la requérante, qui occupait au sein de la banque une position délicate et prestigieuse, était accusée de faits d’une gravité extrême, qui ne pouvaient que miner la confiance de son employeur. En particulier, elle aurait été liée à certains dirigeants de la société Y, et, sous versement d’une importante somme d’argent, elle aurait accepté de négocier pour ordre de ces derniers des chèques falsifiés et dont la perte avait été officiellement dénoncée. Certes, seul le juge pénal était compétent pour se prononcer sur le bien-fondé des accusations ; cependant, il ressortait du dossier que les éléments à la charge de la requérante étaient graves et pertinents, et donc de nature à justifier la résiliation du contrat de travail. Par ailleurs, l’intéressée ne pouvait pas invoquer le principe de la présomption d’innocence, inscrit dans la Constitution, car ce dernier trouvait à s’appliquer seulement dans le cadre d’une procédure pénale, et non dans une procédure civile concernant la légalité d’un licenciement.
La requérante interjeta appel.
Par un jugement du 24 novembre 1995, le tribunal de Civitavecchia confirma la décision de première instance. Il observa notamment que les juridictions du travail avaient le droit de vérifier et évaluer des faits qui pouvaient être constitutifs, en même temps, d’une infraction pénale et d’une faute contractuelle, et ceci soit de façon autonome, soit en se référant aux éléments acquis dans le cadre d’une procédure pénale encore pendante. En l’espèce, de nombreux indices amenaient à penser que la requérante était responsable des faits qui lui étaient reprochés et qui démontraient, d’une « manière suffisamment claire », qu’elle était le dernier maillon d’une activité criminelle ayant permis à la société Y de se financer par moyen de chèques volés ou falsifiés. D’autre part, « il paraissait indéniable » que la requérante était au courant de la provenance illégitime des chèques et que, grâce à sa position au sein de la banque, elle avait fourni un apport décisif pour la réussite des opérations illégales.
La requérante se pourvut en cassation.
Par un arrêt du 27 novembre 1997, dont le texte fut déposé au greffe le 30 mars 1998, la Cour de cassation, estimant que le tribunal avait motivé de façon logique et correcte tous les points controversés, débouta la requérante de son pourvoi.
2. La procédure pénale
Dans le cadre de la procédure pénale, la date de l’audience des débats avait été fixée au 23 février 1999. Après de nombreux renvois, le 9 janvier 2001 des témoins furent examinés. Des audiences eurent lieu les 2 avril et 5 juillet 2001, date à laquelle la procédure fut ajournée au 28 novembre 2001.
3. L’entrée en vigueur de la loi n° 89 du 24 mars 2001
Par une lettre du 11 octobre 2001, le greffe de la Cour a informé la requérante de l’entrée en vigueur, le 18 avril 2001, de la loi n° 89 du 24 mars 2001 (ci‑après « la loi Pinto »), qui a introduit dans le système juridique italien une voie de recours contre la longueur excessive des procédures judiciaires. La requérante a en même temps été invitée à soumettre le grief tiré de la durée d’abord aux juridictions nationales.
La requérante n’a pas répondu à la lettre du 11 octobre 2001.
B. Le droit interne pertinent
Par une loi de révision constitutionnelle n° 2 du 23 novembre 1999, le Parlement italien a décidé d’inscrire le principe du procès équitable dans la Constitution elle-même. L’article 111 de la Constitution, dans sa nouvelle formulation et dans ses parties pertinentes, se lit ainsi :
« 1. La juridiction est exercée par le biais d’un procès équitable, régi par la loi.
2. Chaque procès se déroule dans le respect des principes du contradictoire et de l’égalité des armes devant un juge tiers et impartial. La loi en garantit la durée raisonnable. »
Afin de rendre effectif au niveau interne le principe de la « durée raisonnable », désormais inscrit dans la Constitution, le Parlement a ensuite adopté, le 24 mars 2001, la loi Pinto, qui, dans ses parties pertinentes, se lit comme suit.
Article 2 (Droit à une satisfaction équitable)
« Toute personne ayant subi un préjudice patrimonial ou non patrimonial suite à la violation de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, ratifiée par la loi 4 août 1955, n° 848, en matière de « délai raisonnable » conformément à l’article 6 § 1 de la Convention, a droit à une satisfaction équitable.
En constatant la violation, le juge prend en compte la complexité de l’affaire et, eu égard à celle-ci, le comportement des parties et du juge chargé de la procédure, ainsi que le comportement de toute autorité appelée à participer ou à contribuer à son règlement.
Le juge détermine le montant du préjudice conformément à l’article 2056 du code civil, en respectant les dispositions suivantes :
seul le préjudice qui peut se rapporter à la période excédant le délai raisonnable indiqué à l’alinéa 1 peut être pris en compte ;
le préjudice non patrimonial est réparé non seulement par le paiement d’une somme d’argent, mais aussi par le biais de formes adéquates de publicité du constat de violation. »
Article 3 (Procédure)
« La demande de satisfaction équitable doit être déposée devant la cour d’appel où siège le juge compétent selon l’article 11 du code de procédure pénale, à juger dans les affaires concernant les magistrats du ressort où la procédure - dont on allègue la violation - s’est conclue ou s’est éteinte, quant aux instances sur le fond, ou est pendante.
La demande est introduite par un recours déposé au greffe de la cour d’appel, par un avocat ayant un mandat spécifique et contenant tous les éléments prévus par l’article 125 du code de procédure civile.
Le recours est introduit à l’encontre du Ministre de justice s’il s’agit de procédures devant le juge ordinaire, du Ministre de la défense s’il s’agit de procédures devant le juge militaire, du Ministre des finances s’il s’agit de procédures devant les commissions fiscales. Dans tous les autres cas le recours est introduit l’encontre du Président du Conseil des ministres.
La cour d’appel statue conformément aux articles 737 et suivants du code de procédure civile. Le recours, ainsi que la décision de fixation des débats devant la chambre compétente, est notifié, par les soins du requérant, à l’administration défenderesse domiciliée auprès du bureau des Avocats de l’Etat [Avvocatura dello Stato]. Un délai d’au moins quinze jours doit exister entre la date de la notification et celle des débats devant la chambre.
Les parties peuvent demander que la Cour ordonne la production de tout ou partie des actes et des documents de la procédure, au sujet de laquelle on allègue la violation visée à l’article 2, et elles ont le droit d’être entendues, avec leurs avocats, devant la chambre du conseil si elles se présentent. Les parties peuvent déposer des mémoires et des documents jusqu’à cinq jours avant la date à laquelle sont prévus les débats devant la chambre, ou jusqu’à l’échéance du délai accordé par la cour d’appel suite à la demande des parties.
La cour prononce, dans les quatre mois suivant le dépôt du recours, une décision contre laquelle il est possible de se pourvoir en cassation. La décision est immédiatement exécutoire.
Le paiement des indemnités aux ayants droit a lieu, dans la limite des ressources disponibles, à compter du 1er janvier 2002. »
Article 4 (Délai et conditions concernant l’introduction d’une requête)
« La demande de satisfaction équitable peut être présentée au cours de la procédure au titre de laquelle on allègue la violation ou, sous peine de déchéance, dans un délai de six mois à partir de la date à laquelle la décision, qui conclut ladite procédure, est devenue définitive. »
Article 5 (Communications)
« La décision qui fait droit à la demande est communiquée par le greffe, non seulement aux parties, mais aussi au procureur général près la Cour des comptes, afin de permettre l’éventuelle instruction d’une procédure en responsabilité, et aux titulaires de l’action disciplinaire des fonctionnaires concernés par la procédure. »
Article 6 (Normes transitoires)
Dans les six mois à compter de la date d’entrée en vigueur de cette loi, tous ceux qui ont déjà, en temps utile, introduit une requête devant la Cour européenne des Droits de l’Homme, en matière de « délai raisonnable » conformément à l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, ratifiée par la loi 4 août 1955, n° 848, peuvent présenter la demande visée à l’article 3 de la présente loi au cas où ladite Cour européenne n’a pas encore déclaré la requête recevable. Dans ce cas, le recours à la cour d’appel doit indiquer la date d’introduction de la requête devant ladite Cour européenne.
Le greffe du juge saisi informe sans retard le Ministre des affaires étrangères de toute demande présentée conformément à l’article 3 et dans les délais prévus à l’alinéa 1 du présent article. »
Article 7 (Dispositions financières)
« La charge financière découlant de la mise en œuvre de cette loi, évaluée à 12 705 000 000 lires italiennes à partir de l’année 2002, sera couverte au moyen du déblocage des fonds inscrits au budget triennal 2001-2003, dans le cadre du chapitre des prévisions de base de la partie courante du « Fond spécial » de l’état de prévision du Ministère du trésor, du bilan et de la programmation économique, pour l’année 2001. Pour ce faire, les provisions dudit ministère seront utilisées.
Le Ministère du trésor, du bilan et de la programmation économique est autorisé à apporter, par décret, les modifications nécessaires au bilan. »
Par un décret-loi du 12 octobre 2001, le délai de six mois prévu à l’article 6 de la loi Pinto a été prorogé jusqu’au 18 avril 2002.
GRIEFS
1. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 a), b) et c) de la Convention, la requérante se plaint de la durée et de l’iniquité de la procédure pénale.
2. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint de l’iniquité de la procédure civile pour licenciement illégal.
3. Invoquant l’article 6 § 2 de la Convention, la requérante soutient que la procédure pour licenciement illégal a violé le principe de la présomption d’innocence.
EN DROIT
1. La requérante se plaint de la durée et de l’iniquité de la procédure pénale contre elle. Elle invoque l’article 6 §§ 1 et 3 a), b) et c) de la Convention. Dans ses parties pertinentes, cette disposition se lit comme suit :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent. »
a) Dans la mesure où les allégations de la requérante portent sur la durée de la procédure litigieuse, la Cour doit d’abord déterminer si la requérante a épuisé, conformement à l’article 35 § 1 de la Convention, les voies de recours qui lui étaient ouvertes en droit italien.
Elle rappelle que la règle de l’épuisement vise à ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Selmouni c. France [GC], n° 25803/94, § 74, CEDH 1999-V). Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention – et avec lequel elle présente d’étroites affinités –, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (ibidem). De la sorte, elle constitue un aspect important du principe voulant que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des Droits de l’Homme (arrêts Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, p. 1210, § 65, et Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2275, § 51).
Néanmoins, les dispositions de l’article 35 de la Convention ne prescrivent l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (voir, notamment, les arrêts Akdivar et autres précité, p. 1210, § 66, et Dalia c. France du 19 février 1998, Recueil 1998-I, pp. 87-88, § 38). De plus, selon les « principes de droit international généralement reconnus », certaines circonstances particulières peuvent dispenser un requérant de l’obligation d’épuiser les recours internes qui s’offrent à lui (arrêt Selmouni précité, § 75). Cependant, la Cour souligne que le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours internes (arrêts Akdivar, précité, p. 1212, § 71, et Van Oosterwijck c. Belgique du 6 novembre 1980, série A n° 40, p. 18, § 37 ; voir aussi Koltsidas, Fountis, Androutsos et autres c. Grèce, requêtes nos 24962/94, 25370/94 et 26303/95 (jointes), décision de la Commission du 1er juillet 1996, Décisions et Rapports (DR) 86-B, pp. 83, 93).
En l’espèce, la Cour observe tout d’abord que la requérante peut se prévaloir de la norme transitoire contenue dans l’article 6 de la loi Pinto. Le recours à la cour d’appel lui est donc accessible.
Elle relève ensuite que la loi Pinto vise, entre autres, à rendre effectif au niveau interne le principe de la « durée raisonnable », inscrit dans la Constitution italienne après la réforme de l’article 111. Par ailleurs, comme la Cour l’a rappelé dans son arrêt Kudła c. Pologne (arrêt du 26 octobre 2000, § 152), le droit de chacun à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable risque d’être moins effectif s’il n’existe aucune possibilité de saisir d’abord une autorité nationale des griefs tirés de la Convention. Il y a lieu de rappeler, en outre, que dans l’arrêt en question la Cour avait conclu à la violation de l’article 13 de la Convention à raison de l’absence, en droit polonais, d’un recours permettant au requérant d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause « entendue dans un délai raisonnable » (arrêt Kudła précité, §§ 132-160).
En ce qui concerne l’efficacité de ce remède, il convient de noter qu’aux termes de la loi en question, toute personne partie à une procédure judiciaire tombant sous le coup de l’article 6 § 1 de la Convention peut introduire un recours visant à faire constater la violation du principe du « délai raisonnable », et obtenir, le cas échéant, une satisfaction équitable couvrant les préjudices patrimoniaux et non patrimoniaux subis. De plus, comme il ressort du paragraphe 2 de l’article 2 de la loi, le juge national est appelé, dans l’évaluation du caractère raisonnable de la durée d’une procédure, à appliquer les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour, à savoir la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Pélissier et Sassi c. France [GC], n° 25444/94, § 67, CEDH 1999-II, et Philis c. Grèce (n° 2) du 27 juin 1997, Recueil 1997-IV, p. 1083, § 35). Dans ces circonstances, la Cour considère que rien ne permet de penser que le recours introduit par la loi Pinto n’offre pas à la requérante la possibilité de faire redresser son grief, ou qu’il ne présente aucune perspective raisonnable de succès (Brusco c. Italie (déc.), n° 69789/01, 6.9.2001, à paraître dans CEDH 2001).
Il est vrai que la présente requête a été introduite avant l’entrée en vigueur de la loi Pinto, et que par conséquent au moment où elle a pour la première fois formulé son grief à Strasbourg, la requérante ne disposait, en droit italien, d’aucun recours efficace pour contester la durée de la procédure litigieuse.
A cet égard, la Cour rappelle que l’épuisement des voies de recours internes s’apprécie normalement à la date d’introduction de la requête devant elle. Cependant, cette règle ne va pas sans exceptions, qui peuvent être justifiées par les circonstances particulières de chaque cas d’espèce (voir l’arrêt Baumann c. France (troisième section) du 22 mai 2001, requête n° 33592/96, § 47, non publié).
La Cour considère que dans la présente affaire, de nombreux éléments justifient une exception au principe général selon lequel la condition de l’épuisement doit être appréciée au moment de l’introduction de la requête.
Elle observe notamment que la fréquence croissante de ses constats de non-respect, par l’Etat italien, de l’exigence du « délai raisonnable » l’avait amenée à conclure que l’accumulation de ces manquements était constitutive d’une pratique incompatible avec la Convention et à attirer l’attention du Gouvernement sur « le danger important » que la « lenteur excessive de la justice » représente pour l’état de droit (voir les arrêts Bottazzi c. Italie [GC], n° 34884/97, § 22, CEDH 1999-V, et Di Mauro c. Italie [GC], n° 34256/96, § 23, CEDH 1999-V). Par ailleurs, l’absence d’un recours efficace pour dénoncer la durée excessive des procédures avait obligé les justiciables à soumettre systématiquement à la Cour de Strasbourg des requêtes qui auraient pu être instruites d’abord et de manière plus appropriée au sein de l’ordre juridique italien. Cette situation risquait, à long terme, d’affecter le fonctionnement, tant au plan national qu’au plan international, du système de protection des droits de l’homme érigé par la Convention (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Kudła précité, § 155).
Or, la voie de recours introduite par la loi Pinto s’inscrit dans la logique consistant à permettre aux organes de l’Etat défendeur de redresser les manquements à l’exigence du « délai raisonnable ». Cela ne vaut pas seulement pour les requêtes introduites après la date d’entrée en vigueur de la loi, mais aussi pour les requêtes qui, à la date en question, étaient déjà inscrites au rôle de la Cour.
A cet égard, une importance particulière doit être attachée au fait que la norme transitoire contenue dans l’article 6 de la loi Pinto se réfère explicitement aux requêtes déjà introduites à Strasbourg et vise donc à faire tomber dans le champ de compétence des juridictions nationales toute requête pendante devant la Cour et non encore déclarée recevable. Cette disposition transitoire offre aux justiciables italiens une réelle possibilité d’obtenir un redressement de leur grief au niveau interne, possibilité dont il leur appartient, en principe, de faire usage.
A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que la requérante était tenue, aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, de saisir la cour d’appel d’une demande au sens des articles 3 et 6 de la loi Pinto. On ne saurait déceler, par ailleurs, aucune circonstance exceptionnelle de nature à la dispenser de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes.
Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
b) La requérante allègue en outre ne pas avoir été informée « dans le plus court délai » des accusations à son encontre, n’avoir disposé que de cinq jours pour répondre à la lettre de la banque du 27 mai 1993 et avoir été privée de toute possibilité de défense.
La Cour observe que la procédure pénale dont la requérante conteste l’équité était au 28 novembre 2001 encore pendante en première instance. Les allégations de l’intéressée sont donc prématurées.
Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. La requérante soutient que la procédure civile pour licenciement illégal n’a pas été équitable, notamment en raison du fait que les juridictions internes auraient évalué les éléments contre elle de manière unilatérale. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention.
La Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne et d’apprécier les faits (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Brualla Gómez de la Torre c. Espagne du 19 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, p. 2955, § 31, et Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 290, § 33). La tâche de la Cour consiste à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble a revêtu un caractère équitable (voir, entre autres, l’arrêt Van Mechelen et autres c. Pays-Bas du 23 avril 1997, Recueil 1997-III, p. 711, § 50).
En l’espèce, la Cour relève que le recours de la requérante contre son licenciement a été rejeté à la suite d'une procédure contradictoire et sur la base de preuves discutées à l'audience, que les tribunaux internes ont estimées suffisantes pour justifier la résiliation du contrat de travail. En outre, dans les décisions judiciaires mises en cause par la requérante tous les points controversés ont été amplement motivés, ce qui permet d'écarter tout risque d'arbitraire.
Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
3. La requérante soutient avoir été privée de son « droit au travail » sur la seule base de l’existence d’une procédure pénale pendante contre elle, sans attendre l’issue de cette dernière et le prononcé d’un jugement de condamnation. Elle soutient que ceci serait contraire au principe de la présomption d’innocence, tel que garanti par l’article 6 § 2 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
La Cour rappelle que le principe de la présomption d'innocence se trouve méconnu si une décision judiciaire concernant un prévenu reflète le sentiment qu'il est coupable, alors que sa culpabilité n'a pas été préalablement légalement établie. Il suffit, même en l'absence de constat formel, d'une motivation donnant à penser que le juge considère l'intéressé comme coupable (arrêt Allenet de Ribemont du 10 février 1995, série A n° 308, p.16, § 35).
Cependant, la question de savoir si certaines affirmations ont violé le principe de la présomption d’innocence doit être examinée dans le contexte des circonstances particulières dans lesquelles les affirmations litigieuses ont été faites (arrêt Daktaras c. Lituanie du 10 octobre 2000, § 43). Or, celles-ci constituaient les attendus de décisions motivées qui devaient statuer sur la question de savoir si les soupçons qui pesaient sur la requérante étaient de nature à miner le rapport de confiance qui doit exister entre employeurs et employés. Par conséquent, il était tout à fait raisonnable que, pour expliquer pourquoi le licenciement de la requérante était légitime, les juridictions du travail fassent référence aux faits qui formaient l’objet des poursuites pénales. Elles se sont limitées à prendre acte des indices de culpabilité à la charge de l’intéressée, sans toutefois se pencher sur le bien-fondé des accusations, une question qui, comme le juge d’instance de Civitavecchia l’a indiqué dans son jugement du 27 octobre 1994, relevait de la compétence du juge pénal.
Dès lors, la Cour estime que les décisions mises en cause par la requérante décrivaient un « état de suspicion » et ne renfermaient pas un constat de culpabilité.
Or, une distinction doit être faite entre les décisions qui reflètent le sentiment que la personne concernée est coupable et celles qui se bornent à décrire un état de suspicion. Les premières violent la présomption d’innocence, tandis que les deuxièmes ont été à plusieurs reprises considérées comme conformes à l’esprit de l’article 6 de la Convention (voir les arrêts Leutscher c. Pays-Bas du 26 mars 1996, Recueil 1996-II, p. 436, § 31, et Lutz c. Allemagne du 25 août 1987, série A n° 123, pp. 25-26, § 62, ainsi que les arrêts Englert c. Allemagne du 25 août 1987, série A n° 123, p. 55, § 39, et Nölkenbockhoff c. Allemagne du 25 août 1987, série A n° 123, pp. 80-81, § 39).
Enfin, la Cour vient de constater que devant les juridictions nationales la requérante a bénéficié d’une procédure contradictoire et a eu l’opportunité de présenter les arguments à l’appui de ses demandes. Elle a donc pu contester la nature et la force des soupçons qui pesaient à son encontre.
Dans ces circonstances, la Cour ne saurait conclure que la présomption d’innocence ait été enfreinte en l’espèce.
Quant au « droit au travail », invoqué par la requérante, la Cour relève que ce droit n’est pas garanti par la Convention ou ses Protocoles.
Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Erik Fribergh Christos Rozakis
Greffier Président