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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE DURAND (1) c. FRANCE
(Requête n° 41449/98)
ARRÊT
STRASBOURG
13 novembre 2001
DÉFINITIF
13/02/2002
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Durand c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. L. Loucaides, président,
J.-P. Costa,
P. Kūris,
Mme F. Tulkens,
M. K. Jungwiert,
Mme H.S. Greve,
M. M. Ugrekhelidze, juges,
et de M. T. L. Early, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 24 octobre 2000 et 23 octobre 2001,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 41449/98) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Louis Durand (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 21 avril 1998 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant se plaignait, au regard de l’article 6 § 1 de la Convention, de la durée d’une procédure administrative.
4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).
5. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
6. Par une décision du 24 octobre 2000, la chambre a déclaré la requête recevable.
EN FAIT
7. Par une décision du 17 janvier 1980, le conseil régional de l’ordre des architectes d’Auvergne refusa l’inscription du requérant en qualité d’agréé au tableau de l’ordre des architectes. Par deux décisions de mars et mai 1985, le ministère de l’équipement et de l’urbanisme rejeta le recours formé par le requérant contre la décision du 17 janvier 1980.
8. Le requérant saisit alors le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, qui, par deux jugements datés des 16 juillet 1985 et 26 novembre 1987, annula les deux décisions ministérielles de mars et mai 1985. Par un seul et même arrêt définitif du 10 décembre 1993, le Conseil d’Etat confirma ces deux jugements, ainsi qu’un autre jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 12 novembre 1987 allouant au requérant une somme de 50 000 francs en réparation du retard mis par l’administration à prendre une décision définitive.
9. Entre-temps, bien avant l’intervention de l’arrêt du Conseil d’Etat du 10 décembre 1993, le requérant saisit le 16 septembre 1988 le ministère d’une demande préalable d’indemnisation du préjudice subi du fait de l’illégalité des décisions ministérielles de 1985, déjà constatée par le tribunal administratif.
10. Le 16 février 1990, après rejet de sa demande préalable d’indemnisation, le requérant saisit le tribunal administratif de Clermont-Ferrand d’un recours de plein contentieux visant à obtenir la condamnation de l’administration à lui verser la somme de 500 000 francs au principal en réparation du préjudice que lui avait causé le refus illégal d’inscription au tableau régional de l’ordre des architectes d’Auvergne en qualité d’agréé en architecture.
11. Par jugement du 8 octobre 1991, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand lui donna partiellement gain de cause et lui alloua la somme de 150 000 francs en réparation de son préjudice, avec intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 1988, capitalisables à partir des intérêts échus au 16 septembre 1989.
12. Le ministère de l’équipement, du logement et des transports interjeta appel de ce jugement le 30 décembre 1991 et le requérant fit de même le 2 mars 1992. Ce dernier produisit cinq mémoires à l’appui de son recours, les 4 mai et 5 août 1993, les 24 mars et 10 septembre 1994 et le 9 octobre 1995. Le ministère de l’équipement en produisit deux en date des 7 octobre 1992 et 12 septembre 1995.
13. Par ordonnances des 28 juillet et 22 novembre 1995, le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat attribua le jugement de l’affaire à la cour administrative d’appel de Lyon.
14. Les 10 septembre, 17, 20 et 28 octobre 1997, le requérant déposa quatre nouveaux mémoires.
15. Par arrêt du 4 décembre 1997, la cour administrative d’appel de Lyon confirma le jugement du tribunal administratif du 8 octobre 1991.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
16. Le requérant se plaint de la durée de la procédure et invoque l’article 6 § 1 de la Convention dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
17. La Cour constate que la procédure litigieuse a débuté le 18 septembre 1988 par la saisine du ministère de l’équipement et de l’urbanisme d’une demande préalable d’indemnisation et s’est achevée le 4 décembre 1997 par un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon. Elle a donc duré 9 ans, 2 mois et 18 jours sur deux instances.
18. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Doustaly c. France du 23 avril 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑II, p. 857, § 39).
19. En l’espèce, la Cour constate qu’il s’est écoulé près de quatre ans entre la date à laquelle le ministère de l’équipement a relevé appel du jugement de première instance (30 décembre 1991) et la date à laquelle le Conseil d’Etat a attribué le jugement de l’affaire à la cour administrative d’appel de Lyon (ordonnances du président de la section du contentieux du Conseil d’Etat des 28 juillet et 15 novembre 1995). Elle relève également que la cour administrative d’appel mit encore deux ans et douze jours après la deuxième ordonnance de désignation pour rendre son arrêt en date du 4 décembre 1997.
20. La Cour note que le Gouvernement ne fournit aucune explication à la première de ces inactivités, dont il reconnaît d’ailleurs le caractère excessif. Quant à la seconde, la Cour estime que l’explication du Gouvernement, fondée sur l’important échange de mémoires qui eut lieu durant cette période, ne suffit pas à la justifier, la majeure partie de cette période concernant le délai pris par le Conseil d’Etat pour attribuer l’affaire à une cour administrative d’appel, décision sans lien avec la production de mémoires par les parties.
Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
21. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
22. Le requérant réclame 250 000 FRF pour préjudice moral.
23. Le Gouvernement ne formule aucun commentaire sur ces demandes.
24. La Cour considère que le requérant a subi un tort moral certain du fait de ces violations. Compte tenu des circonstances de la cause et statuant en équité comme le veut l’article 41, elle lui octroie 40 000 FRF à ce titre.
B. Frais et dépens
25. Le requérant réclame 12 500 FRF, à titre de participation aux frais d’avocat engagés dans la procédure devant les juridictions françaises.
26. La Cour rappelle que les frais exposés devant les juridictions nationales ne peuvent être pris en compte que s’ils ont été engagés pour faire redresser la violation de la Convention constatée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
27. La Cour constate par ailleurs que le requérant ne formule aucune demande au titre des frais engagés devant les organes de la Convention et qu’aucune somme ne peut donc être allouée à ce titre.
C. Intérêts moratoires
28. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en France à la date d’adoption du présent arrêt est de 4,26 % l’an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Dit, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
2. Dit,
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 40 000 (quarante mille) francs français pour dommage moral ;
b) que ce montant sera à majorer d’un intérêt simple de 4,26 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;
3. Rejette, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 novembre 2001 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
T. L. Early L. Loucaides
Greffier ajoint Président