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Rozhodnutí
TROISIÈME SECTION
DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 48155/99
présentée par Aydın ÇINAR
contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 28 août 2001 en une chambre composée de
MM. J.-P. Costa, président,
L. Loucaides,
P. Kūris,
Mme F. Tulkens,
MM. R. Türmen,
K. Jungwiert,
Mme H.S. Greve, juges,
et de M. T. L. Early, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 22 avril 1999 et enregistrée le 17 mai 1999,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant est un ressortissant turc né en 1976 et résidant à Tokat. Il est représenté devant la Cour par Me Engül Çıtak, avocat au barreau d’Istanbul.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le 15 décembre 1997, le requérant, présumé membre du TIKKO (l’armée de libération des ouvriers et paysans de Turquie), fut placé en garde à vue par les policiers de la direction de la sûreté d’Ankara, section de la lutte contre le terrorisme.
Le requérant ne fut pas assisté par un avocat lors de sa garde à vue.
Le 18 décembre 1997, le requérant fut traduit devant le juge près la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara qui ordonna sa détention provisoire.
Par un acte d’accusation présenté le 7 janvier 1998, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara inculpa le requérant, en application des articles 146 § 6 et 169 du code pénal, respectivement pour complicité de délit contre les pouvoirs publics et aide et assistance à une organisation armée illégale ainsi qu’en application de l’article 5 de la loi n° 3713 relative à la lutte contre le terrorisme.
Par un arrêt du 9 juin 1998, la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara, composée de deux juges civils et d’un juge militaire ayant le grade de colonel, reconnut le requérant coupable des faits qui lui avaient été reprochés et le condamna à une peine d’emprisonnement de sept ans et six mois, en application des articles 169 du code pénal et 5 de la loi n° 3713 relative à la lutte contre le terrorisme.
Par un arrêt du 15 février 1999, prononcé le 24 février 1999, la Cour de cassation confirma l’arrêt attaqué.
Par une lettre du 5 avril 2001, le requérant informa la Cour qu’il avait bénéficié d’une libération conditionnelle, en vertu de la loi n° 4616 du 22 décembre 2000 relative à la libération conditionnelle, à l’ajournement des procès et à l’exécution des peines pour les infractions commises jusqu’au 23 avril 1999.
B. Le droit interne pertinent
La loi n° 3713 relative à la lutte contre le terrorisme et celle concernant l’instauration des cours de sûreté de l’Etat à l’époque pertinente peuvent être consultées dans l’affaire Incal c. Turquie (arrêt du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV).
GRIEFS
1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de ce que sa cause n’a pas été entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial. Il expose à cet égard qu’un juge militaire, dont l’indépendance à l’égard de ses supérieurs militaires n’est pas dûment assurée, siégeait au sein de la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara.
2. Invoquant ensuite l’article 6 § 3 c) de la Convention, le requérant soutient qu’il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de sa garde à vue.
3. Invoquant enfin l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 6, le requérant allègue que la législation nationale régit différemment la procédure devant les cours de sûreté de l’Etat et celle devant les autres cours. Il fait valoir que ce traitement constitue une discrimination.
EN DROIT
1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
le requérant se plaint de ce que sa cause n’a pas été entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial. Il expose à cet égard qu’un juge militaire, dont l’indépendance à l’égard de ses supérieurs militaires n’est pas dûment assurée, siégeait au sein de la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara.
Le requérant se plaint en outre de n’avoir pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de sa garde à vue et invoque à cet égard l’article 6 § 3 c) de la Convention ainsi libellé :
« 3. Tout accusé a droit notamment à :
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; »
En l’état actuel du dossier, la Cour n’estime pas être en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs et estime nécessaire de les porter à la connaissance du Gouvernement défendeur, en application de l’article 54 § 3 b) de son règlement.
2. Le requérant allègue que la législation nationale régit différemment la procédure devant les cours de sûreté de l’Etat et celle devant les autres cours. Il fait valoir que ce traitement constitue une discrimination contraire à l’article 14 de la Convention, libellé comme suit, combiné avec l’article 6 :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
La Cour constate que le grief du requérant, formulé d’une manière très générale, n’est aucunement étayé. A supposer même que ce grief concerne l’application des peines prononcées par les cours de sûreté de l’Etat, la Cour relève que la loi n° 2845 relative à la structure et à la procédure des cours de sûreté de l’Etat prévoyait que toute personne accusée d’une infraction « terroriste » était soumise à un traitement moins favorable que celui du droit commun, notamment pour ce qui est du régime de l’application des peines. La Cour a souligné à maintes reprises que la distinction litigieuse n’était pas faite entre différents groupes de personnes mais entre différents types d’infractions, selon la gravité que leur reconnaissait le législateur. Il n’existe dès lors aucun élément de nature à conclure qu’il y ait eu, en l’espèce, une « discrimination » contraire à la Convention (voir Gerger c. Turquie [GC], n° 24919/94, § 69, CEDH 1999).
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Ajourne l’examen des griefs du requérant concernant le manque d’indépendance et d’impartialité de la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara (article 6 § 1) et l’absence d’avocat lors de la garde à vue (article 6 § 3 c) ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
T. L. Early J.-P. Costa
Greffier adjoint Président