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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
10.7.2001
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE CHARLES c. FRANCE

(Requête n° 41145/98)

ARRÊT

STRASBOURG

10 juillet 2001

DÉFINITIF

10/10/2001

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Charles c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. L. Loucaides, président,

J.-P. Costa,
P. Kūris,
Mme F. Tulkens,
M. K. Jungwiert,
Mme H.S. Greve,
M. M. Ugrekhelidze, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 29 août 2000 et 19 juin 2001,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 41145/98) dirigée contre la République française et dont deux ressortissants, M. Raymond Charles et Mme Fernande Charles (« les requérants »), ont saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 7 mai 1998 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Me Jean-Alain Blanc, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant se plaignait en particulier de la durée d’une procédure civile.

4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).

5. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

6. Par une décision du 29 août 2000, la chambre a déclaré la requête recevable.

7. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

A. Circonstances particulières de l’affaire

8. En 1967, l’Association des œuvres du père Colombier (« l’association ») et les requérants conclurent un contrat de sous-location portant sur une partie d’une propriété sise à Bourdeilles, et dont l’association était locataire en vertu d’un bail emphytéotique. En 1979, l’association céda le reste de ses droits sur ladite propriété à la commune de Bourdeilles (« la commune »).

1. Devant le tribunal de grande instance de Périgueux

9. Les bailleurs assignèrent l’association, la commune et les requérants devant le tribunal de grande instance de Périgueux ; ils demandaient la résiliation du bail pour défaut d’entretien de la propriété et réclamaient des dommages et intérêts. Par un jugement du 13 novembre 1990, ledit tribunal déclara l’action irrecevable en ce qu’elle était dirigée contre les requérants (au motif qu’étant sous-locataires, ils n’avaient aucun lien de droit avec les bailleurs), résilia le bail emphytéotique et condamna l’association ainsi que la commune à payer une indemnité à ces derniers.

2. Devant la cour d’appel de Bordeaux

10. La commune et l’association saisirent la cour d’appel de Bordeaux ; l’association demanda en particulier à être garantie par les requérants des condamnations susceptibles d’être prononcées contre elle au profit des bailleurs. Par un arrêt du 25 février 1993, la cour d’appel confirma la résiliation du bail et, notamment, condamna la commune et l’association à payer certaines sommes aux bailleurs, et les requérants à relever l’association de ses condamnations à hauteur de 400 000 FRF.

3. Devant la Cour de cassation

11. Le 5 mai 1993, les requérants demandèrent l’aide juridictionnelle aux fins d’être en mesure de se pourvoir en cassation. Ceux-ci et la commune déposèrent une déclaration de pourvoi le 10 mai 1993 ; ils produisirent un mémoire ampliatif le 30 septembre 1993. Le 2 décembre 1993, le bureau d’aide juridictionnelle près la Cour de cassation accorda l’aide juridictionnelle aux requérants.

12. Le 14 janvier 1994, alléguant que la commune et les requérants n’avaient pas exécuté l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux, les bailleurs demandèrent au premier président de la Cour de cassation de faire application de l’article 1009-1 du nouveau code de procédure civile et de retirer le pourvoi du rôle.

Le 18 mai 1994, le premier président de la Cour de cassation ordonna le retrait du rôle de « l’instance ouverte sur la déclaration de pourvoi formulée le 10 mai 1993 par la commune ».

Le 8 juin 1994, dès la notification de cette ordonnance, le conseil des requérants adressa une lettre au premier président, lui demandant de confirmer que celle-ci ne concernait le pourvoi litigieux qu’en ce qu’il émanait de la commune ; il précisait que, selon lui, il ne pouvait en être autrement dans la mesure où les requérants avaient obtenu l’aide juridictionnelle totale et étaient dans l’impossibilité absolue d’exécuter les condamnations prononcées contre eux. N’ayant pas obtenu de réponse, le conseil des requérants réitéra sa demande le 9 septembre 1994 ; le premier président ne répondit pas.

Le 2 mars 1995, le conseil des requérants renouvela sa demande. Le 23 mars 1995, il fut avisé de ce qu’elle serait examinée le 24 mai 1995. Le 9 novembre 1995, aucune décision ne lui ayant été notifiée, il s’en inquiéta par écrit auprès du premier président, lequel ne lui répondit pas. Il écrivit une nouvelle fois le 8 février 1996, mais n’obtint pas davantage de réponse. Le 8 août 1996, il fut avisé que ladite requête serait réexaminée le 18 décembre 1996.

13. Par une ordonnance du 29 janvier 1997, le premier président constata que, bien qu’ils eussent formé leur pourvoi par le même acte que la commune, les requérants n’avaient pas d’intérêt commun avec celle-ci, qu’il n’existait aucune indivisibilité entre les deux pourvois et que le pourvoi des requérants n’avait donc pas été affecté par le retrait du rôle du pourvoi de la commune ; il précisa expressément que l’ordonnance du 18 mai 1994 ne s’appliquait pas au pourvoi des requérants et que ledit pourvoi était « demeuré inscrit au rôle ».

14. Par un arrêt du 18 février 1998, la troisième chambre civile de la Cour de cassation accueillit le pourvoi des requérants.

B. Droit interne pertinent

15. L’article 1009-1 du nouveau code de procédure civile disposait (version antérieure au décret n° 99-131 du 26 février 1999) :

« Hors les matières où le pourvoi empêche l’exécution de la décision attaquée, le premier président peut, à la demande du défendeur, et après avoir recueilli l’avis du procureur général et des parties, décider le retrait du rôle d’une affaire lorsque le demandeur ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée de pourvoi, à moins qu’il ne lui apparaisse que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives. (...) »

EN DROIT

16. Les requérants se plaignent de la durée de la procédure devant la Cour de cassation. Ils invoquent plusieurs violations de l’article 6 § 1 de la Convention aux termes duquel :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ».

17. Le Gouvernement souligne que le litige présentait une certaine complexité dans la mesure où il portait sur un bail emphytéotique ayant donné naissance à deux autres conventions, relatives à la cession de bail et à la sous-location de l’immeuble. Il rappelle qu’en matière civile, le comportement des parties est essentiel puisqu’elles ont l’initiative de la conduite de l’instance, mais déclare qu’en l’espèce, il n’appelle « aucune remarque particulière ». S’agissant du comportement des autorités judiciaires, le Gouvernement reconnaît que la procédure a connu « certains délais de latence » devant la Cour de cassation et, en particulier, que le premier président de la haute juridiction n’a statué que le 29 janvier 1997 sur la requête en interprétation de son ordonnance du 18 mai 1994, déposées par les requérants le 2 mars 1995.

18. Les requérants rappellent que seule est en cause la durée de la procédure devant la Cour de cassation, laquelle résulterait de la lenteur de la procédure de retrait du rôle (trois ans et quinze jours, entre la demande de retrait du 14 janvier 1994 et l’ordonnance du premier président du 29 janvier 1997).

19. La Cour constate que la procédure devant la Cour de cassation a débuté le 10 mai 1993 (date de la déclaration de pourvoi) et s’est achevée le 18 février 1998 (date du prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation). Elle a donc duré un peu plus de quatre ans et neuf mois.

Elle rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Frydlender c. France [GC], n° 30979/96, § 43, CEDH 2000).

En l’espèce, elle estime que la procédure ne présentait pas une complexité juridique particulière et que les requérants ne peuvent être tenus pour responsables d’un quelconque retard. Il lui apparaît que la raison essentielle de la durée de la procédure devant la Cour de cassation tient au fait que le premier président de cette juridiction n’a statué que le 29 janvier 1997 sur la requête en interprétation de son ordonnance du 18 mai 1994, déposées par les requérants le 2 mars 1995. Selon la Cour, cette durée est d’autant moins compatible avec les exigences de l’article 6 § 1 que l’instance devant la haute juridiction s’inscrit dans une procédure qui a débuté au plus tard en 1990 devant le tribunal de grande instance de Périgueux. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

20. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

21. Les requérants réclament 80 000 FRF pour dommage moral.

22. Le Gouvernement se dit prêt à verser 25 000 FRF aux requérants.

23. La Cour estime que les requérants ont subi un tort moral certain du fait de la durée de la procédure. Compte tenu des circonstances de la cause et statuant en équité comme le veut l’article 41, elle leur octroie 35 000 FRF à ce titre.

B. Frais et dépens

24. Les requérants sollicitent le remboursement des frais et dépens exposés par eux devant la Cour, soit 19 136 FRF TTC ; ils produisent une note d’honoraires.

25. Le Gouvernement se dit prêt à rembourser les dépens exposés devant la Cour sous réserve de leur justification.

26. Constatant que les demandes des requérants au titre des frais et dépens sont dûment justifiées par une note d’honoraire, la Cour y fait droit en entier.

C. Intérêts moratoires

27. Le taux dintérêt légal applicable en France à la date dadoption du présent arrêt est de 4,26 % lan.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

2. Dit, que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes : 35 000 (trente cinq mille) francs français pour dommage moral et 19 136 (dix neuf mille cent trente six) francs français pour frais et dépens, et que ces montants seront à majorer dun intérêt simple de 4,26 % lan à compter de lexpiration dudit délai et jusquau versement ;

3. Rejette, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 juillet 2001 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé L. Loucaides
Greffière Président