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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE ADELINO ET AIDA DA CONCEIÇÃO SANTOS c. PORTUGAL
(Requête n° 41598/98)
ARRÊT
STRASBOURG
14 juin 2001
DÉFINITIF
14/09/2001
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention.
En l’affaire Adelino et Aida da Conceição Santos c. Portugal,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. G. Ress, président,
A. Pastor Ridruejo,
L. Caflisch,
J. Makarczyk,
I. Cabral Barreto,
Mme N. Vajić,
M. M. Pellonpää, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 mai 2001,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 41598/98) dirigée contre la République du Portugal et dont deux ressortissants de cet Etat,
M. Adelino Santos et Mme Aida da Conceição Santos (« les requérants »), avaient saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 3 juin 1998 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par Me J.J. Pereira, avocat au barreau de Marinha Grande. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. A. Henriques Gaspar, Procureur général adjoint.
3. Les requérants alléguaient en particulier que la durée de la procédure civile était excessive.
4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).
5. La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
6. Par une décision du 6 juin 2000, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.
EN FAIT
7. Les requérants sont des ressortissants portugais, nés respectivement en 1930 et 1932 et résidant à Marinha Grande (Portugal).
8. En 1973, le père de la deuxième requérante décéda. Parmi les héritiers se trouvaient la deuxième requérante, qui était issue du mariage, et deux enfants nés hors mariage. Les héritiers n’ayant pu s’entendre sur le partage des biens, la deuxième requérante et son époux, le premier requérant, introduisirent, le 6 novembre 1990, une procédure en inventaire de succession devant le tribunal de Marinha Grande.
9. Un entretien entre les intéressés (conferência de interessados) eut lieu le 21 octobre 1991, au cours duquel l’un d’eux accepta par licitation les biens en partage, en échange du paiement à la succession d’une soulte (tornas).
10. Par un jugement du 16 janvier 1992, le tribunal décida que le partage de cette somme entre les requérants et les deux enfants « naturels » du de cujus devait être fait en trois parties égales. Le tribunal écarta ainsi l’application de l’article 2139 § 2 du code civil, qui prévoyait, dans sa rédaction au moment de l’ouverture de la succession, que la quotité des enfants nés hors mariage serait égale à la moitié de celle des enfants issus du mariage. Le tribunal considéra que la Constitution portugaise de 1976, qui avait abrogé la discrimination entre enfants « légitimes » et « naturels », s’appliquait même aux successions ouvertes avant son entrée en vigueur. La somme à accorder aux requérants était ainsi de 12 369 333 escudos portugais (PTE) et non pas de 18 563 000 PTE.
11. Le 16 avril 1992, les requérants firent appel contre cette décision devant la cour d’appel (Tribunal da Relação) de Coimbra.
12. Entre-temps, la somme de 12 369 333 PTE ayant été déposée au tribunal de Marinha Grande, les requérants demandèrent, le 28 avril 1992, qu’une telle somme leur fût remise. Par une ordonnance du 15 juillet 1992, le juge rejeta la demande, estimant que les conditions légales permettant la remise de la somme en cause n’étaient pas réunies.
13. Par un arrêt du 3 novembre 1992, la cour d’appel annula le jugement attaqué et fit droit aux requérants. Toutefois, suite à une réclamation de la partie adverse, la cour d’appel, par une décision du 15 décembre 1992, déclara sans effet l’arrêt en cause, au motif que les intimés n’avaient pas été invités à produire leur mémoire en réponse à celui des requérants.
14. La cour d’appel statua à nouveau sur le recours le 11 mai 1993. Elle modifia sa position antérieure, à la lumière des arguments des intimés, et confirma en entier le jugement du tribunal de Marinha Grande.
15. Le 20 mai 1993, les requérants se pourvurent en cassation devant la Cour suprême (Supremo Tribunal de Justiça). Par un arrêt du 10 mai 1994, la haute juridiction annula l’arrêt attaqué, au motif que la cour d’appel avait omis de dresser les faits établis. Le dossier fut ainsi transmis à la cour d’appel de Coimbra, le 20 juin 1994. Celle-ci rendit un nouvel arrêt le 23 janvier 1996, confirmant le jugement du tribunal de Marinha Grande.
16. Les requérants se pourvurent de nouveau en cassation devant la Cour suprême. Par un arrêt du 4 juin 1996, cette dernière annula la décision attaquée et fit droit aux requérants.
17. Le dossier fut transmis à la cour d’appel de Coimbra et ensuite au tribunal de Marinha Grande, où il parvint le 24 septembre 1996.
18. Le 30 juin 1997, le greffe dressa le tableau relatif au partage (mapa da partilha). En l’absence d’observations des parties à cet égard, le juge, par un jugement du 12 juillet 1997, homologua le partage.
19. Le 15 décembre 1997, le tribunal versa aux requérants la totalité de la somme réclamée.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
20. Les requérants dénoncent la durée de la procédure en cause. Ils allèguent la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
21. La période à considérer a débuté avec l’introduction de la demande, le 6 novembre 1990, et s’est terminée par le versement de la somme réclamée par les requérants, le 15 décembre 1997. Elle a donc duré sept ans et un mois.
22. Pour rechercher s’il y a eu dépassement du délai raisonnable, il y a lieu d’avoir égard aux circonstances de la cause et aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Silva Pontes c. Portugal du 23 mars 1994, n° 286‑A, p. 15, § 39).
23. Pour les requérants, la durée en cause est manifestement excessive.
24. Le Gouvernement considère que la durée de la procédure n’a pas été déraisonnable. Il relève que la procédure a subi un certain retard lors du deuxième recours devant la cour d’appel, mais que ce retard, à lui seul, ne saurait suffire pour conclure à la violation de l’article 6 § 1.
25. La Cour relève d’abord que la procédure revêtait une certaine complexité, s’agissant de la question de savoir si l’article 2139 § 2 du code civil était d’application en l’espèce. Toutefois, une telle complexité ne saurait expliquer la durée totale de la procédure.
26. Le comportement des requérants n’a pas provoqué des retards.
27. Pour ce qui est du comportement des autorités compétentes, la Cour relève que la cour d’appel de Coimbra a mis un an et sept mois, du
20 juin 1994 au 23 janvier 1996, pour se prononcer pour la troisième fois sur le bien-fondé de l’affaire. Elle constate toutefois que celui-ci n’a pas été le seul retard imputable aux autorités judiciaires.
En effet, les deux décisions précédentes de la cour d’appel ont été, l’une, déclarées sans effet au motif que les intimés n’avaient pas été invités à produire leur mémoire en réponse et, l’autre, annulée par la Cour suprême en raison d’une omission de cette même cour d’appel. Pour la Cour, il s’agit là de situations imputables aux autorités judiciaires et qui ont allongé considérablement la durée de la procédure : alors que le jugement du tribunal de Marinha Grande a été rendu le 16 janvier 1992, la cour d’appel ne s’est prononcée de manière définitive sur le bien-fondé de l’affaire que le 23 janvier 1996, soit quatre ans plus tard.
28. En outre, alors même que la Cour suprême a décidé le pourvoi des requérants avec une célérité appréciable, la procédure a dû attendre encore un an avant que le greffe du tribunal de Marinha Grande ne dresse le tableau relatif au partage.
29. En conclusion, il y a eu dépassement du délai raisonnable et donc violation de l’article 6 § 1.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
30. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
31. Les requérants n’ont pas présenté de prétentions au titre de l’article 41 à la suite de la décision déclarant la requête recevable. Toutefois, dans le formulaire déposé à l’appui de leur requête, ils réclament la somme de 13 643 000 PTE au titre du dommage moral et matériel. S’agissant en particulier de ce dernier, ils estiment avoir subi un préjudice en raison du fait que la somme finale ne leur a été payée que le 15 décembre 1997, alors qu’au moins, la somme de 12 369 333 PTE était déjà disponible en avril 1992.
32. Le Gouvernement considère que la somme demandée ne présente aucun lien de causalité avec la violation constatée et qu’elle est en tout état de cause excessive.
33. S’agissant du préjudice matériel, qui découlerait du fait que les requérants n’ont pas eu accès plus tôt à la somme qui se trouvait déposée au tribunal, la Cour relève que le juge a estimé, dans sa décision du
15 juillet 1992, qu’ils ne réunissaient pas les conditions légales nécessaires pour prétendre au versement de la somme en cause. Les requérants n’ont par ailleurs pas interjeté appel contre cette ordonnance. Il en résulte que le fait que cette somme n’a été payée qu’à l’issue de la procédure n’a pas été la conséquence de la durée de celle-ci. Il n’y a ainsi aucun lien de causalité entre la durée de la procédure et le préjudice allégué par les requérants, de sorte que les prétentions des requérants à ce titre doivent être rejetées.
34. En revanche, les requérants ont certainement subi un préjudice moral justifiant l’octroi d’une indemnité. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, la Cour leur alloue la somme globale de 1 400 000 PTE.
B. Frais et dépens
35. Les requérants n’ayant pas réclamé le paiement de frais et dépens, il n’y a pas lieu de leur accorder une somme à ce titre.
C. Intérêts moratoires
36. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable au Portugal à la date d’adoption du présent arrêt est de 7 % l’an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Dit, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
2. Dit,
a) que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme globale de 1 400 000 (un million quatre cents mille) escudos portugais pour dommage moral ;
b) que ce montant sera à majorer d’un intérêt simple de 7 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;
3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 juin 2001 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger Georg Ress
Greffier Président