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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
9.11.2000
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE TOR DI VALLE COSTRUZIONI S.P.A. c. ITALIE (n° 6)

(Requête n° 45867/99)

ARRÊT

STRASBOURG

9 novembre 2000

DÉFINITIF

04/04/2001

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive.


En l’affaire Tor Di Valle Costruzioni S.p.A. c. Italie (n° 6),

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

M. C.L. Rozakis, président,
M. B. Conforti,
M. G. Bonello,
Mme V. Strážnická,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
M. E. Levits,
M. A. Kovler, juges,
et de M. P.J. Mahoney, greffier adjoint de la Cour, greffier de section f.f.;

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 octobre 2000,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête dirigée contre la République italienne et dont une société italienne, Tor Di Valle Costruzioni S.p.A. (« la requérante »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme le 6 novembre 1997 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). La requête a été enregistrée le 2 février 1999 sous le numéro de dossier 45867/99. La requérante est représentée par Me A. Alessandri, avocat à Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. U. Leanza, et par son coagent, M. V. Esposito.

2. La Cour a déclaré la requête recevable le 28 octobre 1999.

EN FAIT

3. Par dix actes de citation distincts, le 10 juin 1988 la requérante assigna l’I.A.C.P. (l’office des habitations à loyers modérés) de la province de Reggio de Calabre devant le tribunal de la même ville afin d’obtenir le paiement de sommes dues au titre de travaux de construction.

4. La mise en état de l’affaire commença le 13 octobre 1988, par la demande de la défenderesse de jonction des procédures. La requérante s’opposa à cette demande. Le 6 avril 1989, la requérante demanda un renvoi et le juge ajourna l’affaire au 8 juin 1989, date à laquelle le juge ordonna la jonction. L’audience prévue pour le 12 octobre 1989 fut reportée d’office au 26 avril 1990. Ce jour-là, alors que la partie défenderesse était absente, la requérante présenta ses conclusions. Le même jour, le juge fixa l’audience de plaidoiries devant la chambre compétente au 26 mai 1992. Cette audience fut reportée d’office à six reprises jusqu’au 12 juin 1998.

5. Par une ordonnance du 18 juin 1998, le tribunal ordonna que les procédures furent scindées en deux groupes. Eu égard à cinq des affaires, par un jugement du 19 juin 1998, dont le texte fut déposé au greffe le 14 juillet 1998, le tribunal déclara le défaut de capacité de la défenderesse au lieu et place de l'autorité compétente, à savoir le ministre des Travaux publics, et condamna la requérante à payer les frais de justice. Quant aux cinq autres affaires, le tribunal rouvrit la mise en état, ordonna une expertise et fixa la date de l’audience suivante au 16 novembre 1998.

6. Selon les informations fournies par la requérante le 30 juillet 1999, par une ordonnance du 9 juin 1999, le président du tribunal attribua l'affaire au collège de magistrats chargé de traiter les affaires les plus anciennes (sezione stralcio) et fixa l'audience suivante au 6 décembre 1999.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

7. La requérante allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »

8. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

9. La période à considérer a débuté le 10 juin 1988 et était encore pendante au 6 décembre 1999.

10. Elle avait, à cette date, déjà duré plus de onze ans et cinq mois, pour une instance.

11. La Cour rappelle avoir constaté dans quatre arrêts du 28 juillet 1999 (voir, par exemple, Bottazzi c. Italie [GC], n° 34884/97, § 22, CEDH 1999-V) l’existence en Italie d’une pratique contraire à la Convention résultant d’une accumulation de manquements à l’exigence du « délai raisonnable ». Dans la mesure où la Cour constate un tel manquement, cette accumulation constitue une circonstance aggravante de la violation de l’article 6 § 1.

12. Ayant examiné les faits de la cause à la lumière des arguments des parties et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que la durée de la procédure litigieuse ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable » et qu’il y a là encore une manifestation de la pratique précitée.

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

II. Sur l’application de l’article 41 DE LA Convention

13. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

14. La requérante réclame 352 298 310 lires italiennes (ITL) au titre du préjudice matériel et 102 793 547 ITL au titre du préjudice moral qu'elle aurait subis.

15. La Cour estime que l’allongement de la procédure litigieuse au-delà du délai raisonnable a dû causer, dans le chef de la Tor Di Valle Costruzioni S.p.A. et de ses administrateurs et associés, des désagréments considérables et une incertitude prolongée, ne serait-ce que sur la conduite des affaires courantes de la société. A cet égard, on peut donc estimer que la société requérante a été laissée dans une situation d’incertitude qui justifie l’octroi d’une indemnité (voir l’arrêt Comingersoll S.A. c. Portugal du 6 avril 2000, à paraître dans le recueil officiel de la Cour, § 36).

16. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, la Cour alloue à la requérante 32 000 000 ITL pour le dommage subi.

B. Frais et dépens

17. La requérante demande également 32 071 480 ITL pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes.

18. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, par exemple, l’arrêt Bottazzi précité, § 30). En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens de la procédure nationale.

C. Intérêts moratoires

19. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux dintérêt légal applicable en Italie à la date dadoption du présent arrêt était de 2,5 % lan.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

2. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt est devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 32 000 000 (trente-deux millions) lires italiennes pour dommage;

b) que ce montant sera à majorer dun intérêt simple de 2,5 % lan à compter de lexpiration de ce délai et jusquau versement ;

3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 novembre 2000, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Paul Mahoney Christos Rozakis
Greffier Président